Impossible d’imaginer un futur énergétique soutenable sans une révolution de la motorisation des transports. Entre le moteur à combustion interne avancé, moteur électrique hybride, à batterie ou à piles à combustible, les options sont nombreuses. Quelles pistes conduisent vers l’un ou l’autre ?
Face à une concurrence croissante dans un contexte de forte incertitude associée à la globalisation et à des crises économiques fréquentes ainsi qu’aux pressions pour des solutions écologiques libérées des énergies fossiles, les industries manufacturières matures, au premier rang desquelles se place l’industrie automobile, cherchent des innovations de rupture qui pourraient contribuer à leur survie, et, le cas échéant, leur procurer des avantages concurrentiels durables. Dans quel sens ?
1. Brève histoire de la motorisation des véhicules
Depuis plus d’un siècle, le moteur à combustion interne (Internal Combustion Engine –ICE) a été le design dominant pour propulser les véhicules, l’industrie automobile ayant été longtemps considérée comme statique et fortement opposée à des innovations radicales[1]. Il est bon de rappeler que, pourtant, aux origines de l’automobile, ce sont la vapeur, puis l’électricité qui s’étaient imposées comme source d’énergie de l’automobile. En novembre 1881, G. Trouvé présente une automobile électrique à l’Exposition internationale d’électricité de Paris. La voiture électrique connaît un succès certain dans la dernière décennie du 19e siècle, tant en Europe, et notamment en France, qu’aux États-Unis, remplaçant les fiacres et autres voitures à traction animale.
Pour la course Paris-Bordeaux-Paris de 1895, une voiture électrique de C. Jeantaud est sur la ligne de départ et quatre ans plus, la Jamais contente, de C. Jenatzy, dépasse pour la première fois les 100 km/h en atteignant 105,88 km/h, le 29 avril 1899 (Figure 1).
C’est l’invention théorique du cycle à quatre temps par Beau de Rochas en 1862 qui permet d’exploiter véritablement le moteur à explosion. L’allemand N. Otto devient en 1872 le premier ingénieur à appliquer les principes de Beau de Rochas, selon un cycle désormais connu sous le nom de cycle Otto. En 1876, l’ingénieur allemand G. Daimler développe, pour le compte de la firme Deutz, le premier moteur fixe à gaz fonctionnant sur le principe présenté par Beau de Rochas. En 1883, le français É. Delamare-Deboutteville fait circuler une voiture dont le moteur est alimenté au gaz. Il remplace le gaz par du carbure de pétrole en inventant un carburateur à mèches. Ce véhicule circule pour la première fois début février 1884 et le brevet est officiellement enregistré le 12 février 1884, ce qui fait de lui l’inventeur de l’automobile à essence. Mais il faut attendre 1889 pour que R. Panhard et É. Levassor installent le premier moteur à quatre temps, celui de Daimler, sur une voiture à quatre places. En janvier 1891, Panhard et Levassor font déjà rouler dans les rues de Paris les premiers modèles français équipés du moteur Benz. Ce sont les premières voitures à moteur à explosion commercialisées.
La compétition entre les deux technologies alternatives, essence contre électricité, s’intensifie. En 1900, sur 4 192 véhicules fabriqués aux États-Unis, 1 575 sont électriques, 936 à essence, et 1 681 à vapeur. Puis peu à peu, l’essence et le gazole supplantent définitivement l’électricité du fait des défauts intrinsèques de la voiture électrique en comparaison des avantages de la technologie des voitures à essence[2]. Pour J.B. Rae, « il était inéluctable que ces dernières s’imposent ».
Les deux chocs pétroliers de 1973 et de 1978, les progrès techniques sur les batteries et les piles à combustible et les prémisses des mouvements antipollution sont l’occasion d’une relance active des recherches sur la voiture électriques[3]. Mais les nombreux projets font long feu face aux progrès des voitures à moteur à combustion interne en termes de consommation énergétique et d’émissions de polluants.
Depuis le début des années 2000, les spécialistes de cette industrie, chercheurs, consultants et dirigeants, considèrent que des changements radicaux sont désormais nécessaires pour réduire les émissions de CO2, un facteur majeur du réchauffement climatique, et la dépendance au pétrole et aux combustibles fossiles. Un consensus semble aujourd’hui s’établir sur une transition inéluctable vers de nouvelles sources d’énergie. Quelles sont donc les chances d’une rupture technologique ?
2. Les options innovantes en voie d’émergence
Le modèle d’innovation à quatre systèmes autorise la création d’un cadre d’évaluation des options innovantes de référence qui sont en train d’émerger dans le secteur de la voiture particulière (Tableau 1).
Tableau 1 : Les différentes alternatives de propulsion
Dans chaque catégorie, plusieurs variantes peuvent exister. Par exemple, la pile à combustible pour véhicule électrique peut fonctionner avec un réservoir d’hydrogène ou assurer l’approvisionnement en hydrogène à la demande avec la production à bord de l’hydrogène à partir des composés solides.
3. Les véhicules à technologie ICE traditionnelle
Selon les constructeurs et équipementiers automobiles, et sur tous les marchés, l’automobile traditionnelle est toujours considérée comme susceptible d’améliorations substantielles de sa consommation énergétique et de ses rejets polluants. C’est bien le sens de l’ambitieux objectif assigné par les autorités gouvernementales françaises : disposer en 2020 de véhicules consommant moins de 2 litres d’essence aux 100 km. Ce souhait a été formalisé et porté au rang de projet d’intérêt collectif au sein de la Plateforme de la filière automobile (PFA) sous le nom « véhicule 2 L/100 km et connecté ».
Le principal axe de travail porte sur les moteurs. En à peine 5 ans, les véhicules commercialisés en Europe ont vu leur consommation baisser de 10 à 15 %. Un résultat qui s’explique par la réduction de la cylindrée (downsizing), la gestion thermique du moteur, la récupération d’énergie au freinage et la généralisation du Stop & Start. Il y aurait encore de la marge car, selon les experts, des améliorations de 40 à 50 % seraient possibles. Ainsi J. Syrota estime à 30 à 40 % le potentiel de gain en consommation de carburant[4]. L’Institut français du pétrole Énergies nouvelles (IFPEN) juge que l’objectif des 2 L/100 km est un objectif ambitieux mais réalisable. Il faudra également réduire le poids des véhicules. L’IFPEN rappelle qu’une diminution de 100 kg permet une baisse des émissions de CO2 de 5 g par kilomètre. L’idéal serait de descendre à 800, voire 700 kg, peut-être moins encore.
Cette voie semble prometteuse : c’est ainsi qu’au Mondial de l’Automobile en octobre 2014 Citroën a dévoilé le concept C4 Cactus Airflow 2L, censé afficher une consommation théorique de 2 litres aux cent kilomètres. Le véhicule recourt à la technologie « Hybrid Air » : une mini-motorisation à essence 3 cylindres, un système de stockage d’énergie sous forme d’air comprimé et un ensemble composé de deux moteurs-pompes hydrauliques. L’aluminium et le carbone l’allègent de 100 kg par rapport à un petit break surélevé de série. Il reste à prouver, à l’usage, la réalité de ces performances, d’autant que les calculs ont été effectués selon des normes d’homologations qui seraient éloignées de la réalité[5]. Au même moment, Renault a dévoilé l’Eolab qui affiche 1 litre/100 km.
Plusieurs spécialistes interrogés ont d’ailleurs indiqué qu’un tel downsizing, s’il était appliqué à tous les véhicules neufs dans les dix ou quinze prochaines années et partout dans le monde, renouvelant ainsi le parc dans sa quasi-totalité, soit 1,2 milliard de véhicules en 2014, reculerait de plusieurs dizaines d’années le fameux « pic pétrolier mondial » qu’aucun expert prend aujourd’hui le risque de dater (Figure 2). D’autant plus que l’exploitation des gaz de schistes a déjà démontré qu’un tel recul était bien possible ! Pour l’instant, les dégâts environnementaux associés à cette exploitation par fracturation hydraulique pourraient bien d’ailleurs devenir plutôt un frein potentiel à la survie définitive des moteurs ICE.
Le moteur à combustion interne restera probablement la technologie dominante pour encore quelques décennies en raison de ses avantages évidents, non seulement parce que c’est une technologie étonnamment efficace et très rentable par rapport aux solutions de rechange, mais aussi parce que l’infrastructure est universellement disponible.
4. Les véhicules à technologie ICE avancée
L’ICE à technologie avancée est, en effet, l’option à court terme favorite des constructeurs et des équipementiers, notamment parce qu’elle induit des changements relativement limités sur le véhicule et l’infrastructure de distribution de l’énergie. La technologie est disponible et économiquement viable. Cette option est celle dictée par l’inertie de la trajectoire technologique, ou dépendance de sentier, de l’industrie telle qu’elle a prévalu jusque-là[6]. Il s’agit de moteurs à combustion interne qui peuvent utiliser le gaz naturel, dénommés GNV ou Gaz naturel pour véhicule (Tableau 2), les biocarburants (Tableau 3) et même différentes combinaisons, y compris le mélange de biocarburants ou de l’hydrogène et de l’essence ou du diesel dans des proportions définies.
Tableau 2 : Caractéristiques du moteur à gaz naturel
Le moteur à gaz naturel compressé est évidemment une option attractive puisque le ravitaillement pourrait être réalisé au domicile dans les pays où il existe un réseau de distribution national. Mais en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre (GES), cette option est toujours problématique, même si, selon l’Agence de protection de l’environnement (EPA) américaine, par rapport aux véhicules traditionnels, les véhicules fonctionnant au gaz naturel comprimé amèneraient des réductions des émissions de monoxyde de carbone de 90 à 97%, et une diminution des émissions de dioxyde de carbone de 25%. Les émissions d’oxyde d’azote peuvent être réduites de 35 à 60%, et les rejets émissions d’hydrocarbures autres que le méthane de 50 à 75%.Ces options pourraient également comporter des composants innovants afin d’optimiser les performances du moteur en termes d’émissions et de consommation d’énergie. Elles permettent également des adaptations régionales, puisque le gaz naturel et les sources de biocarburants ne sont pas également répartis géographiquement. Les pays ayant une réserve de gaz naturel (États-Unis, Russie, Iran, entre autres) vont probablement se concentrer sur le GNV alors que les pays disposant de vastes ressources agricoles ou forestières (États-Unis, Brésil) pourraient soutenir le développement des biocarburants.
Tableau 3 : Caractéristiques des bio-carburants
Les biocarburants sont également une solution très attractive en théorie (Lire : Biomasse et énergie). Mais leur déploiement massif devra nécessiter de lourds investissements dans les installations de production ainsi que la libération d’immenses terres agricoles. En fait, les biocarburants sont au centre de dures polémiques nationales et internationales et pour de nombreuses questions : face à la diminution des niveaux d’émissions de CO2 et à la montée, jugée inéluctable, des prix du pétrole, se posent les débats nourriture contre carburant, la déforestation et l’érosion des sols, l’impact sur les ressources en eau (Lire : Guyanne, la biomasse énergie en débat). Leur déploiement massif exigera également des plantes génétiquement modifiées (OGM) afin d’atteindre des niveaux élevés de productivité, ce qui ne peut manquer de renforcer les oppositions politiques radicales à ces semences dans de nombreux pays.
5. Les véhicules électriques hybrides (HEV)
Il en existe plusieurs familles.
5.1. La technologie hybride de première génération
Depuis le succès de la Toyota Prius, lancée en 1997 et vendue depuis à près de 4 millions d’unités dans ses différentes versions et à près de 6 millions d’unités avec les déclinaisons sur l’ensemble de sa gamme, la voiture hybride est une des alternatives vraiment crédibles à l’ICE classique. Il existe déjà une abondante littérature académique[7] qui discute de son rendement du puits à la roue et de ses performances économiques et techniques, notamment quant à la réduction des émissions de CO2.
Les troisième et quatrième générations de Prius ont été des succès commerciaux, en particulier aux États-Unis et au Japon, mais le marché européen a été en deçà des attentes. Il est évident que la technologie actuelle a des avantages limités en ce qui concerne les émissions CO2 et la consommation de carburant, limitation due en particulier à la faible autonomie permise par les batteries utilisées par Toyota en mode électrique seul.
L’avantage technologique des véhicules hybrides essence-électrique actuels (Tableau 4) est plus faible en Europe en raison du taux élevé de pénétration du diesel. Mais aux États-Unis, la différence de consommation et d’émissions de CO2 est d’environ 25-30% en raison de la taille moyenne de la flotte.
Tableau 4 : Caractéristiques des voitures hybrides
Lorsque l’on regarde les chiffres de vente réels, notamment aux États-Unis où plus de 3 millions d’hybrides ont été commercialisés depuis 1999, la croissance est évidemment rapide et devrait probablement rester exponentielle pour quelques années encore (Figures 3 et 4). Il reste que les ventes de HEV sont encore marginales dans le total des nouvelles immatriculations, 3,2 % en 2013, l’année record des ventes, et dans les parcs de véhicules en circulation. Au Japon, en 2012, il y avait 2,9 millions de véhicules hybrides soit un peu moins de 3 % du parc total (Figure 5). En utilisant une extrapolation exponentielle, la part de marché devrait atteindre 5% du parc total au Japon en 2016-2017.
Lors d’un exercice de prévision réalisé en 2009, en utilisant les données de ventes de véhicules hybrides aux États-Unis sur la période 2000-2007, les prévisionnistes avaient envisagé des ventes de près de 2 millions d’unités par an en 2015-2016, soit 6 à 8 % des immatriculations totales. Utilisant les données 2000-2016, on constate que la progression est en fait beaucoup plus modeste et que les ventes sont très sensibles aux fluctuations conjoncturelles puisqu’elles ne cessent de baisser depuis 2014.
5.2. Les véhicules hybrides rechargeables
Les véhicules hybrides rechargeables ont l’avantage considérable de bénéficier d’une beaucoup plus grande autonomie que la technologie de première génération en mode tout électrique. Ils ont aussi l’avantage d’être considérés par les parties-prenantes de l’industrie automobile, y compris les clients utilisateurs, comme une première étape vers des véhicules tout électrique à batterie ou à pile à combustible. Même Toyota, qui a été le véritable innovateur de la technologie hybride de première génération, a reconnu que cette technologie est une solution intermédiaire et ne devrait durer que quelques décennies, les hybrides rechargeables remplaçant les premiers modèles hybrides progressivement, jusqu’à ce que les performances des batteries ou des piles à combustible rencontrent toutes les exigences techniques et économiques des consommateurs.
Alors qu’elle avait été annoncée pour 2009, Toyota a été contrainte de décaler de plusieurs années la commercialisation d’une quatrième génération de Prius avec un système plug-in (Tableau 5). Dotée d’une autonomie tout électrique de 23 km, elle est disponible depuis 2012 seulement et ne représente qu’une faible proportion des ventes. Les spécialistes les mieux informés avancent l’argument selon lequel des tests approfondis, notamment au synchrotron de Grenoble, sur les batteries Lithium-Ion ne donnaient aux scientifiques et techniciens, et donc évidemment aux commerciaux japonais, aucune garantie de qualité et de fiabilité, de même que de stabilité dans le temps et de durabilité.
Tableau 5 : Les générations de Toyota Prius
Ce qui n’empêche pas la multiplication des projets. Au mondial de l’Automobile de Paris de l’automne 2018, Peugeot-Citroën et Renault ont annoncé plusieurs modèles pour 2019-2020. C’est ainsi que PSA a investi 100 millions d’euros pour l’industrialisation de l’hybride rechargeable avec un moteur 1,6 à essence de PSA, des moteurs électriques achetés à Aisin (production au Japon) et à GKN-Valeo (production chinoise) et les batteries du coréen LG qui les produit en Pologne. Même s’il ne fait aucun doute que leur part de marché va encore croître de manière significative au cours des dix prochaines années, il semble désormais acquis que les scénarios les plus optimistes pour les hybrides et qui ont fait référence, considérant cette technologie comme dominante avec plus de 90% des nouvelles immatriculations autour de 2025, ne seront jamais vérifiés[8]. Et l’hypothèse défendue par J. Syrota suggérant que l’hybride plug-in est la seule solution viable avant 2030 semble encore aujourd’hui discutable. Les dernières prévisions de Bloomberg New Energy Finance (2016) plafonnent les immatriculations de voitures hybrides rechargeables à 5% d’ici 2025 !
La technologie hybride a été développée depuis 2011 en interne chez Renault : les véhicules démarreront toujours en mode électrique. L’hybride roulera quelques kilomètres en mode électrique. L’hybride rechargeable doit pouvoir circuler 50 kilomètres en mode zéro émission (selon les cycles d’homologation). Même Ferrari semble s’orienter vers cette technologie : 60% de sa production devrait être hybride rechargeable à partir de 2022 ! Mais c’est BMW qui, fin 2018, est le champion des hybrides rechargeables aux côtés de Toyota (et sa marque de luxe, Lexus) et toujours leader mondial incontesté. Mais il y a aussi Mitsubishi (et son Outlander PHEV) et Porsche (avec le Cayenne E-Hybrid lancé en mai 2018 pour 92 000€).
Il est clair que le goulot d’étranglement technologique reste la batterie et la soi-disant « autonomie tout électrique » qui est la seule variable susceptible de faire changer durablement et profondément le comportement des consommateurs face à la préservation de l’environnement et à la diminution de l’usage des combustibles fossiles.
5.3. Le véhicule électrique hybride à autonomie allongée (Extended Range)
Il s’agit d’une troisième option dans le portefeuille de la technologie hybride. Le véhicule devrait fonctionner sur sa chaîne de traction électrique et utiliser un petit moteur à combustion interne ou tout autre dispositif (air comprimé, par exemple) pour la recharge des batteries. Ce choix a été fait par General Motors (GM) pour la Chevrolet Volt disponible depuis 2010[9]. Sur la batterie seule, la Volt peut fonctionner environ 60 kilomètres et 500 km avec le système d’extension d’autonomie. Les ventes de Volt ont été très décevantes par rapport aux prévisions initiales (Figure 6) : 68 228 unités vendues entre 2009 et avril 2014. Il faut y rajouter un peu plus de 9 000 Opel Ampura vendues en Europe entre fin 2011 et avril 2014. En année pleine, comme par exemple 2016, les ventes de Volt ont représenté 0,15 % des immatriculations aux États-Unis ! En 2017, GM a vendu 18 400 Volt, mais, dans le même temps, près de 1 400 000 pick-ups très gourmands en essence ou gasoil.
6. Le véhicule électrique à batteries
La voiture électrique alimentée par des batteries électrochimiques est antérieure à la voiture à moteur à combustion interne mais les avantages de rendement, d’autonomie et de coûts[10] de ce dernier l’ont emporté sur ceux de la voiture électrique, pourtant largement soulignés à l’époque : absence de vibration, d’odeur et de bruit, démarrage immédiat, entre autres.
Après une première phase de renouveau d’intérêt suite aux chocs pétroliers de 1973 et 1978, bien éphémère, les pressions pour réduire fortement le poids des combustibles fossiles et la réduction des émissions de CO2, source du réchauffement climatique, ont remis en vogue les chaines de traction tout électrique à batteries hautes performances (Lire : Accumulateurs, le futur du stockage d’énergie). C’est le développement des batteries à base de lithium, essentiellement sous l’impulsion des fabricants d’ordinateurs portables et de téléphones cellulaires, qui a permis un tel renouveau d’intérêt de la part des constructeurs automobiles, Renault et Nissan en tête, puis peu après l’ensemble des grandes marques, des pouvoirs publics, un peu partout dans le monde, prêts à subventionner, le démarrage de la filière, et des laboratoires de recherche publics incités à augmenter les budgets affectés à l’électrochimie et aux nouveaux matériaux (Figure 7).
Il existe cependant encore de nombreux freins, voire des obstacles à l’adoption généralisée des véhicules électriques à batteries. Le principal semble être les performances des batteries, c’est à dire la densité d’énergie (Wh/kg), la densité de puissance (W/kg) et le nombre de cycles de recharge. En effet, en l’état actuel des technologies, pour un réservoir de 36 kg de gazole (pour moteur diesel) auquel il faut rajouter 7 kg pour le réservoir lui-même, soit un volume total de 46 litres, il faudrait 540 kg de cellules lithium-ion (830 kg au total avec les enveloppes) pour un volume total de 700 litres avec un véhicule à rendement énergétique équivalent (mesuré en énergie massique et densité).
Des progrès sont encore attendus sur les différentes filières à base de lithium. Les chercheurs du Lawrence Berkeley National Laboratory (LBNL) aux États-Unis viennent de démontrer des améliorations importantes des propriétés des batteries lithium-soufre qui jusque-là avaient la fâcheuse tendance à se dégrader rapidement et à présenter un nombre de cycles de recharges limité à 300 environ (Figure 8).
L’expérience, encore en laboratoire, a mis au point une batterie lithium-soufre qui a plus de deux fois l’énergie spécifique des batteries lithium-ion, et qui dure plus de 1 500 cycles de charge-décharge avec décroissance minimale de la capacité de la batterie. C’est la plus longue vie de cycle signalée jusqu’ici pour la batterie lithium-soufre.
Selon le Lawrence Berkeley National Laboratory (LBNL), pour des véhicules électriques visant une autonomie de 500 kilomètres, la batterie doit fournir une énergie spécifique au niveau des cellules de 350 à 400 watts-heures par kilogramme (Wh/kg), soit le double de l’énergie spécifique (environ 200 Wh/kg) des batteries lithium-ion actuelles. Les batteries devraient également avoir au moins 1 000, et de préférence 1 500 cycles, de charge-décharge sans perte de puissance ou de capacité de stockage notable.
Pour une voiture roulant 12 000 km par an et dont la batterie serait volontairement limitée à une autonomie de 200 km, il n’y aurait besoin que de 75 recharges environ par an, soit 8 ans pour atteindre 1 000 recharges. Il faut cependant souligner que le passage du stade du laboratoire à la production en grandes séries prendra plusieurs années, au moins dix, selon les responsables du LBNL.
En tout état de cause, laboratoires de recherche, fabricants de batteries et constructeurs automobiles font feu de tout bois pour augmenter les performances des batteries. Renault et son partenaires Nissan, qui ont été les premiers grands constructeurs à offrir des véhicules à batteries de série dans leur gamme, ont annoncé un doublement de l’autonomie de Renault Zoé et Nissan Leaf d’ici 2016. Or la Renault Zoé de 2014 a une autonomie moyenne de 140 km, que les meilleurs conducteurs parviennent à porter à 170 km mais que les moins bons conducteurs réduisent à 110 km !
Un autre obstacle majeur est le facteur gaz-up, c’est-à-dire le temps nécessaire pour recharger complètement la batterie, des recharges partielles pouvant réduire sa durée de vie. On compte aujourd’hui des stations de recharge dite normale avec lesquelles il faut de 3 à 4 heures pour une recharge complète. Des stations de recharge rapide, soit environ 30 minutes, sont en cours de déploiement sur les corridors autoroutiers principaux en Europe. Le constructeur californien de voitures électriques de luxe, Tesla, déploie actuellement son superchargeur Tesla qui recharge son modèle S en 30 minutes pour près de 400 km d’autonomie. Un superchargeur peut recharger environ la moitié de la batterie en 20 minutes.
Selon le constructeur, qui annonce pouvoir disposer de nouvelles batteries offrant plus de 600 km d’autonomie à partir de 2018, tous les modèles S équipés d’une batterie de 85 kWh peuvent utiliser des superchargeurs, tout comme les véhicules équipés de batteries de 60 kWh. Des superchargeurs seront positionnés à des emplacements stratégiques et pratiques le long des axes routiers les plus fréquentées à travers l’Europe. Les superchargeurs sont gratuits et le resteront pour les propriétaires de modèle S.
Il faut aussi compter sur les freins sociaux et culturels qui, pour l’instant, retardent sans aucun doute une adoption plus massive des véhicules à batteries. Les résultats parlent d’eux-mêmes : les ventes annuelles sont toujours marginales : 46 000 véhicules tout électrique vendus aux États-Unis en 2013 dont 17 650 Tesla soit 0,5 % des ventes de voitures particulières. Et si le marché a progressé depuis, soit 43 000 sur les huit premiers mois en 2016 et 64 000 en 2017, il n’y a rien de spectaculaire !
En France, en 2013, 8 779 véhicules électriques particuliers ont été immatriculés sur l’année contre 5 663 immatriculations enregistrées en 2012. Puis la progression s’est accélérée : 10 555 en 2014, 17 240 en 2015, 21 793 en 2016 et environ 25 000 en 2017. Cela représente à peine 1% des immatriculations totales de voitures particulières (2 015 186 unités) en 2016 auxquelles on peut ajouter un peu plus de 5 200 utilitaires légers, soit 1,5% des ventes totales (Tableau 6).
Tableau 6 : Ventes mensuelles de voitures électriques en France depuis 2011
Au niveau mondial, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), 750 000 véhicules électriques ont été vendus en 2016, dont près de la moitié, soit 336.000 unités en Chine (Lire : L’énergie en Chine, le tournant de Xi Jinping). On estime le parc mondial à 2 000 000 véhicules en juin 2016, soit 0,2 % du parc total évalué à un milliard de véhicules.
La Chine se présente aujourd’hui comme le premier marché mondial pour les véhicules électriques, voitures particulières comme véhicules commerciaux, et donc comme le premier producteur mondial (Figures 9 et 10). Et la progression est de fait spectaculaire depuis 2015, en partie imputable aux ventes de véhicules commerciaux, camionnettes de livraison et autobus (Tableau 7).
En 2016, les ventes par marque et par modèle ont été les suivantes :
Tableau 7 : Vente de voiture électriques par modèle en Chine en 2016
Une inconnue de taille pour les batteries au lithium, rarement évoquée par les parties prenantes, réside dans la disponibilité et le prix de cette matière première (Tableau 8 et Figure 12). Le lithium est bien moins abondant que les alcalins et alcalino-terreux usuels (Na, K, Mg, Ca) et il n’existe, en concentration permettant une exploitation économique rentable, qu’en très peu d’endroits. Le prix du carbonate de lithium a triplé entre 2000 et 2013 pour se stabiliser à 6 500 dollars par tonne. Puis les prix ont repris leur progression en 2015 à 7 400$ en moyenne annuelle, avec un doublement sur les deux derniers mois (13 000$s par tonne), amorçant ainsi une augmentation effarante : 19 000$ en janvier 2016 et 22 000$ fin mars 2016. Fin 2017, le prix semblait stabilisé à 20 500$ par tonne.
Le futur de la technologie dépend de l’évolution des performances des batteries (Figure 11), lesquelles ne sont pas indépendantes de la croissance des ventes qui ont été soutenues par des incitations financières publiques substantielles. Sans ces dernières, il est permis de penser que les ventes auraient été limitées à quelques milliers de clients, adopteurs précoces de nouvelles technologies vertes. À l’avenir, il sera sans doute nécessaire de maintenir voire renforcer encore le soutien public. Les observateurs attribuent le bond spectaculaire des immatriculations de voitures électriques en Norvège depuis le début de 2014, plus de 12 % des ventes, aux subventions, à la gratuité des péages, du stationnement et des ferrys, à la présence massive de bornes de recharge et à l’autorisation de rouler dans les couloirs réservés aux autobus.
Certains experts contestent l’estimation des réserves publiée par le United States Geological Survey (USGS) et font valoir que la situation géopolitique dans les pays producteurs, notamment la Chine et la Russie, peut également avoir une forte influence. À quoi, il faut ajouter que le recyclage du lithium est possible et que les quantités augmentent régulièrement avec la construction d’usines de recyclage.
Tableau 8 : Production et réserves mondiales de lithium en 2016
Il convient de signaler que l’économie du lithium est structurée par un oligopole très fermé : selon Business Week, “SQM, controlé par le milliardaire Julio Ponce, est l’acteur le plus puissant, suivi par Rockwood, propriété de KKR & Co de Henry Kravis, et FMC, basée à Philadelphie[11]« .
En plus, le lithium n’est pas le seul parmi les métaux rares à poser des problèmes d’approvisionnement et de prix : manganèse et cobalt sont également en quantité limitées. Quant aux métaux courants tels que le cuivre, l’aluminium et le nickel, ils sont susceptibles de variations de prix imprévisibles et l’objet d’une concurrence mondiale toujours plus acharnée.
Les prix des métaux rares ne sont évidemment pas seuls en cause. Selon qu’ils montent ou qu’ils baissent, les prix des produits pétroliers ont aussi une influence. La chute des prix du pétrole (Figure 14) explique largement le recul des ventes de technologies alternatives.
Dernier obstacle et de taille : la production et la distribution d’énergie électrique primaire pour alimenter les bornes de recharge.
Dans une situation d’incertitude absolue, tant sur les politiques publiques en matière d’énergie à court, moyen et long termes que sur les économies possibles en rapport avec la consommation d’électricité, il est difficile d’évaluer l’appel de consommation électrique sur le succès du développement des véhicules électriques. Une voiture électrique qui consommerait 25 kWh pour 100 km et qui roulerait 10 000 km par an, consommerait chaque année 2,5 mégawattheures (MWh). Pour 2 millions de véhicules électriques, le besoin annuel serait donc d’environ 5 TWh, soit moins de 1% des 475,4 TWh de consommation totale en 2015 en France. En revanche, entre une recharge lente de 3 kW et une recharge rapide de 43 kW, le besoin de puissance s’élève de 6 à 80 GW pour l’ensemble de ces véhicules. Si 2 millions de véhicules se rechargeaient rapidement en même temps, ils appelleraient donc 62% de la capacité du parc électrique français.. Les voitures électriques posent donc avant tout un problème de puissance installée[12].
ENEDIS, la société de distribution électrique française, évoque, pour seulement 1 million de VE qui feraient le plein de leurs batteries simultanément, un appel de puissance de 22 ou 40 GW, soit 22 et 40% de la puissance totale disponible du parc de production français, pour des scénarios respectifs de recharge 100% accélérée et 100% rapide. Selon RTE, Réseau de transport d’électricité, l’entreprise de service qui gère le réseau public de transport d’électricité haute tension en France, il n’y a aucune raison pour que les actions de recharge soient toutes synchrones. Pour un parc de 4,5 millions de véhicules, la contribution à la pointe du soir, serait plutôt de l’ordre de 5 GW, voire 3 GW avec un panachage pilotée efficacement[13].
Reste évidemment la difficile question de la provenance de cette électricité primaire : si elle a pour origine le charbon ou le pétrole, l’intérêt environnemental de la voiture électrique est réduit à néant. Si elle provient massivement du nucléaire, elle pose des questions de sureté et de recyclage des déchets radioactifs et se heurtera inévitablement à des oppositions politiques non négociables.
Selon de nombreux scientifiques et la majorité des experts de l’industrie, le chemin sera encore long avant qu’un groupe motopropulseur à base de batteries hautes performances (Tableau 9) puisse réellement rivaliser avec le moteur à combustion interne classique qui, de son côté, va évidemment progresser en efficacité énergétique et environnementale. Décidément, il sera long et difficile de battre l’essence et le gazole.
Tableau 9 : Caractéristiques du véhicule électrique à batteries
7. Le véhicule à pile à combustible
Depuis au moins trois décennies, la pile à combustible à hydrogène comme alternative au moteur à combustion pour l’automobile a été le rêve quasi-universel pour les scientifiques et les ingénieurs en recherche et développement des laboratoires publics et des constructeurs automobiles sans autre résultat tangibles que de simples prototypes[14] (Lire : Des véhicules hybrides à hydrogène). Les recherches tant fondamentales qu’appliquées continuent cependant à un rythme très élevé, avec un nombre croissant de brevets déposés aux États-Unis, en Europe, en Chine, au Japon et en Corée du Sud[15].
Une pile à combustible est un dispositif électrochimique de production d’électricité à partir d’un carburant (du côté de l’anode) et un oxydant (du côté de la cathode), qui réagissent en présence d’un électrolyte (Lire : Les piles à combustible). Contrairement aux piles classiques qui fonctionnent en circuit fermé, la pile à combustible fonctionne en circuit ouvert et brûle de l’hydrogène. Pour les usages automobiles, la pile à hydrogène utilise de l’hydrogène comme combustible et de l’oxygène (habituellement de l’air) comme agent oxydant.
De toute évidence, le coût unitaire des piles à combustible pour groupe motopropulseur, qui est aujourd’hui très élevé, va progressivement diminuer. Selon les prévisions de Daimler, il pourrait être, à long terme, un peu plus onéreux que les moteurs à combustion interne dits avancés mais moins cher que les systèmes hybrides, du fait de la double motorisation.
Toyota a annoncé qu’il commercialisera sa première berline à pile à combustible « zéro émission » au plus tard en avril 2015 au Japon, au tarif de 50 000 euros hors taxes, soit sans doute au prix d’une forte perte unitaire, puis en Europe[16]. Honda devrait suivre quelques mois plus tard. En cela, ils imitent le coréen Hyundai avec un peu de retard qui a commercialisé depuis juin 2014, mais en location longue durée (LLD), son ix35 Fuel Cell à 500 km d’autonomie pour 365 euros par mois (Figure 15).
L’hydrogène est un gaz difficile à stocker en raison de sa faible densité, de sa forte volatilité et de sa capacité de fuite par les moindres fissures. Sa température de liquéfaction à -253°C et la liquéfaction nécessitent beaucoup d’énergie (environ 50 % du contenu énergétique). C’est également un gaz hautement inflammable et explosif, ce qui évidemment pose des questions de sécurité d’insertion de véhicules à hydrogène dans le trafic routier.
En l’état actuel des technologies, seul le stockage gazeux semble praticable pour permettre une autonomie comparable à celle offerte par le pétrole : il faut alors un réservoir de 150 litres, pesant 100 kg avec une pression à 700 bars. Un tel réservoir coûterait 2 000 euros. Une pression à 350 bars réduit d’autant l’autonomie ou bien requiert un réservoir plus volumineux (Tableau 10).
Des essais en vraie grandeur ont lieu en Californie depuis 2014 et en Europe depuis 2016. C’est ainsi que les conducteurs de Hyundai Tucson Fuel Cell ont couvert plus de 2 millions de miles en avril 2017 (Figure 16).
La grande majorité des observateurs considèrent que le marché des voitures à pile à combustible ne devrait pas se développer réellement avant 2025 tant sont encore prégnantes les incertitudes, voire les blocages, technologiques, économiques et socio-politiques associés à la société de l’hydrogène, bien que celle-ci soit souvent présentée comme l’énergie du futur (Lire : L’hydrogène). Les principaux goulots d’étranglement sont associés au prix des matériaux, notamment le platine, et des composants tels que les membranes et à la production et la distribution d’hydrogène compressée ou liquide et aux défaillances des membranes.
Les volumes de ventes de voitures à hydrogène sont encore quasi-confidentiels. Seulement un peu plus de 3 000 Toyota Mirai ont été vendues depuis2014, dont 2 000 au Japon même et à peine plus d’une centaine en Europe. En 2017, une vingtaine d’exemplaires sera livrée en France auprès de clients professionnels : Air liquide, Engie, Plastic Omnium pour son PDG, au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) pour la recherche, STEP pour ses taxis Hype… Toyota estime qu’en 2025, 200 000 voitures à pile à combustible seront écoulées au Japon[17].
Tableau 10 : Les caractéristiques des véhicules à pile à combustible
En conclusion
En l’état actuel des technologies d’ores et déjà disponibles sur les différents marchés, d’importants progrès ont été réalisés pour réduire les émissions polluantes des véhicules thermiques. Et quelle que soit la motorisation retenue ! L’agence américaine pour l’environnement (EPA) estime que le Clean Air Act voté par le Congrès en 1970 lui donnant tout pouvoir pour réguler la pollution provenant des automobiles et autres formes de transport, a été un énorme succès : en 2018, les voitures sont 98-99% plus propres que celles des années 1960 pour la plupart des émissions polluantes. Les carburants sont également beaucoup plus propres : le plomb a été éliminé et les émissions soufrées ont été abaissées de 90%. Les villes américaines ont vu la qualité de l’air très améliorée malgré l’augmentation de la population et des trajets quotidiens effectués. Les normes édictées par l’EPA ont boosté les innovations technologiques dans l’industrie[18].
L’EPA constate cependant qu’à fin 2017, la pollution générée par les transports terrestres est encore responsable de brouillards et d’une qualité de l’air dégradée qui ont un impact négatif sur la santé et le bien-être des citoyens, notamment les particules d’hydrocarbure (PM), les oxydes d’azote (NOx), et les composés organiques volatils (VOCs). Le secteur des transports serait ainsi responsable de plus de 55% des émissions totales de NOx aux États-Unis ; de moins de 10% des émissions de VOCs ; et de moins de 10% des émissions de PM2.5 et PM10. Il est donc évident que seuls les véhicules dits « zéro émission » sont à même de répondre à une exigence de dépollution totale des automobiles.
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Depuis la première crise pétrolière en 1973, et au cours des années qui l’ont suivie, la question cruciale de la capacité d’innovation de l’industrie automobile a été soulevée par de nombreux auteurs. En 1998, Jean-Jacques Chanaron postulait déjà l’hypothèse fondamentale de la forte inertie technologique de l’artefact technique automobile lui-même fondée sur la cohérence interne d’un système technique constitué depuis les années 1920. Le système automobile disposait d’une forte capacité à s’opposer, ou au moins à ralentir, l’émergence d’innovations venant d’autres acteurs grâce aux progrès qu’il initiait lui-même en interne. Cinq grandes questions structurent l’exploration de cette hypothèse.
- L’industrie automobile est un secteur stratégique dans un contexte de mondialisation des marchés et d’intensification de la concurrence, employant des millions de personnes dans le monde entier au sein d’une organisation industrielle complexe (constructeurs, fournisseurs et sous-traitants, distribution et maintenance, industrie pétrolière, assurances, entre autres), produisant des milliards de dollars de chiffre d’affaires.
- L’automobile constitue une technique établie, stable et dominante : c’est un système paradigmatique, totalement cohérent avec d’autres systèmes (socio-économiques et industriels) et c’est aussi le produit-service le plus représentatif du modèle de consommation de masse, largement dominant pour la mobilité des personnes et des biens.
- Ce système technique dépend en grande partie du contexte réglementaire et politique : le transport routier est l’une des principales ressources des budgets publics (à travers une fiscalité spécifique) et l’une des principales lignes budgétaires des politiques de transport (infrastructures, trafic) de la santé et de la protection sociale (accidents de la circulation) et de la protection de l’environnement (bruit et pollution).
- De nombreux facteurs industriels et socio-économiques se conjuguent pour rendre la trajectoire technologique traditionnelle particulièrement robuste et donc résistante aux mutations majeures : l’industrie automobile a pu sans cesse améliorer les performances techniques intrinsèques du moteur à combustion interne (ICE) comme la puissance, l’efficacité énergétique, la réduction de la pollution, l’internalisation, le suivi de la recherche et du développement de techniques alternatives. Des facteurs industriels tels que le coût, le rythme et la durée du renouvellement de toute une gamme de modèles jouent un grand rôle. Des facteurs de marché tels que la qualité et la fiabilité totales et un système de performance des prix relativement stabilisé, intégrant l’acquisition, la possession, l’utilisation et le recyclage, sont tout aussi essentiels.
- Les politiques publiques et les stratégies de R&D des entreprises sont elles-mêmes très liées à tous les facteurs d’inertie identifiés : le système fait activement pression sur les cercles politiques et administratifs aux niveaux national et international et soutient une société universelle (Lire : Canada, comment réduire les émissions de CO2 des véhicules).
La technologie automobile est largement soumise à des contraintes internes et externes qui façonnent une inertie relative par rapport au processus de changement. Du point de vue des stratégies d’entreprise, ces contraintes justifient les choix les plus conservateurs et disqualifient ex ante les options innovantes les plus radicales. Néanmoins, cela ne bloque pas la possibilité de progrès réels, mais privilégie des changements progressifs pas-à-pas, cohérents avec les intérêts des parties prenantes du système.
Toute stratégie de rupture implique des changements majeurs affectant les conditions clés et les caractéristiques de la conception, de la fabrication et de l’utilisation, jusqu’à son recyclage, des véhicules. Cela implique évidemment des changements majeurs dans l’équilibre actuel des pouvoirs au sein de l’industrie automobile, si ce n’est dans l’ensemble de l’industrie manufacturière.
Ces caractéristiques sont-elles d’un autre siècle et sont-elles à même d’évoluer sous les coups de boutoirs de quelques entrepreneurs de génie tels que Elon Musk et sa firme Tesla ou de pays émergents soucieux de devenir les géants automobiles du futur tels que la Chine ? (Lire : L’énergie en Chine : le tournant de Xi Jinping). Les conditions d’une innovation radicale dans l’industrie automobile seraient-elles aujourd’hui sur le point de changer ?
Actualisation d’avril 2023
Avec 23 millions de véhicules vendus en 2022, la Chine est de loin le premier marché mondial devant les Etats-Unis (13 millions). Elle est aussi le pays où l’électrification des flottes automobiles a pris le plus d’avance avec 5,67 millions de véhicules électriques (78%) et hybrides (22%) vendus cette même année. Leur nombre devrait atteindre 8 à 9 millions en 2023, vendus par tous les constructeurs chinois et étrangers.
Notes et références
[1]Chanaron J.J., (1998). Managing Innovation in European Small and Medium-Sized Enterprises, Nijmegen Lectures on Innovation Management, Nijmegen Business School, Maklu-Uitgevers, Antwerpen.
Chanaron, J.J., Bardou, J.P., Laux, J., Fridenson, P., (1982), The Automobile Revolution, The Impact of an Industry, University of North Carolina Press, Chapell Hill.
[2] Rae, J.B., (1955). The Electric Vehicle Company: A Monopoly that Missed, Business History Review, 29, 4, pp. 298-311
[3] Chanaron J.J., de Bonnafos G., de Mautor, L. (1983) L’Industrie Automobile, Paris, La Découverte Maspero, coll. Repères, n° 11.
[4] Syrota J., (2008), Perspectives concernant le véhicule “grand public” d’ici 2030, Centre d’Analyse Stratégique, Le Point, Paris, 28 septembre.
[5] La tribune, 18/09/2014.
[6] Chanaron J.J., Bye, P., (1995), Technology Trajectories and Strategies, International Journal of Technology Management, 10, 1, pp. 45-66.
[7] Chanaron J.J., Teske J., (2007), The hybrid car: a temporary step, The International Journal of Automobile Technology & Management, Vol. 7, n°4, pp. 268-288. Alamgir M., Sastry A.M., (2008), Efficient Batteries for Transportation Applications, SAE, Convergence 2008 Conference, 20-22 October, Detroit, paper 08CNCVG-0036.
[8] Crozet Y. (2005), Pollution locale et effet de serre dans les transports : Impacts et technologies, Prospective 2050 des Transports, LET-ENERDATA, PREDIT, Paris. Heywood J., & al., (2008), On the Road in 2035, MIT, July. Ce même Heywood (2008) a également soutenu fortement les options hybrides et a prévu une part de 8% du marché en 2015, 20% en 2025 et 40% en 2035. Les grands bureaux de conseil (IBM, McKinsey, Arthur D. Little, Gartner Group) estiment en moyenne à 10 % des ventes annuelles d’ici 2020. Syrota J. op. cit.
[9] Stanek, M.B., (2008), Plugging-in: GM’s Chevy Volt, General Motor, Environment and Energy Policy and Commercialization, New Orleans, 17th November.
[10] En 1912, un roadster électrique était vendu pour 1 750 dollars tandis qu’une voiture à essence était vendue 650 dollars.
[11] Business Week, 22/06/2012.
[12] Natura-Sciences, 15/05/2017.
[13] Table ronde de l’Assemblée Nationale, 8 février 2017.
[14] Chanaron J.J., (1994), Perspectives de la voiture électrique : les leçons de l’histoire, Revue de l’Energie, numéro spécial Energie, Transports, Environnement, n° 463, novembre, pp. 627-635.
[15] Chanaron J.J., (2014), Recent Advances on the Design of Batteries and Fuel Cells for Automobiles, Recent Patents on Mechanical Engineering, 7, 2, pp. 113-121.
[16] A-G. Verdevoye, La Tribune, 25/06/2014.
[17] A-G. Verdevoye, Toyota mise sur l’hydrogène… pour les Jeux olympiques à Paris, Challenge, 25/10/2017.
[18] See https://www.epa.gov/air-pollution-transportation/accomplishments-and-success-air-pollution-transportation#success.
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