Les grands aménagements hydroélectriques : Donzère Mondragon

Donzere Mondragon

Dans la diversité des ouvrages hydroélectriques, les grands aménagements fluviaux méritent une attention particulière. En France, les plus connus sont ceux qui équipent le Rhône : après la présentation de Génissiat et de Pierre Bénite, place à Donzère Mondragon.

En 2019, l’hydroélectricité représente 11 % de la production électrique en France. Les grands aménagements établis sur le Rhône et le Rhin sont parmi les plus importants, le Rhône apportant à lui seul 25 % de la production hydroélectrique française (Lire Les ouvrages hydrauliques). Après Génissiat, mis en service en 1948, Donzère Mondragon (Figure 1 – image de couverture) est le deuxième aménagement réalisé par la Compagnie Nationale du Rhône (CNR). C’est aussi le premier qui répond complètement au triple objectif assigné à la CNR lors de sa création en 1933 :

  • l’exploitation de la force hydraulique,
  • la mise en navigabilité du fleuve,
  • l’irrigation des terres agricoles.

Avec une production annuelle dépassant 2 TWh, Donzère Mondragon reste aujourd’hui encore l’aménagement hydroélectrique le plus productif de France.

 

1. Le choix de Donzère Mondragon et le contexte de sa réalisation

Après la fin de la seconde guerre mondiale, en 1945, l’heure est à la reconstruction du pays et les besoins en énergie sont immenses. La CNR termine les travaux de Génissiat (Lire : Les grands aménagements hydroélectriques : Génissiat I et Les grands aménagements hydroélectriques : Génissiat II) qui sera mis en service en 1947, et se voit demander « de prendre sans délai toutes les mesures préliminaires qui permettront le démarrage très rapide de Donzère Mondragon dès le début de 1946, en prévoyant les moyens suffisants pour pousser les travaux avec le maximum d’activité et les terminer dans un délai record »[1].

Donzère Mondragon se situe dans le tiers central du Bas-Rhône, zone où la pente du fleuve est la plus forte. C’est donc la zone du fleuve la plus propice à la production hydroélectrique ; c’est également la zone du fleuve présentant le plus de difficultés pour la navigation.

Le choix de Donzère Mondragon comme premier aménagement à être construit après Génissiat est donc naturel. Il présente l’avantage de répondre de la meilleure façon possible au triple objectif assigné à la CNR en affichant la productibilité la plus importante de tous les aménagements figurant au programme de la CNR, en permettant également d’améliorer la navigation sur le parcours le plus difficile du fleuve et, enfin, en prévoyant la fourniture de 25 m3/s d’eau destinés à l’irrigation.

Les travaux sont évalués à 80 milliards de francs[2] et se pose la question du financement, alors même que le pays connaît une situation de pénurie généralisée. Le chantier de Donzère Mondragon est déclaré chantier stratégique et bénéficie de prêts (à hauteur de 53 milliards de francs) sur le plan de modernisation et d’équipement (plan Monnet) destiné à relancer l’économie du pays en soutenant les secteurs de base et dont la réalisation sera largement aidée par le plan Marshall[3] (4 milliards bénéficieront directement à la CNR).

 

2. Un aménagement conçu pour la navigation

Contrairement à Génissiat, pour lequel la question de la navigation a été reportée à une date ultérieure, Donzère Mondragon est le premier aménagement du Rhône conçu en intégrant la problématique de la mise en navigabilité du Rhône entre Lyon et la Méditerranée. Les choix qui seront faits à Donzère Mondragon seront donc déterminants et s’imposeront à tous les autres aménagements.

De tous temps, le Rhône fût un axe majeur pour le transport de marchandises, comme de passagers. Les premiers travaux d’importance visant à faciliter la navigation furent concomitants à l’utilisation de la vapeur, qui, pour être pleinement efficace, nécessitait un chenal navigable, entretenu tout au long de l’année. Bien que des projets de canal latéral au Rhône aient été envisagés dès le début du 19e siècle, les premiers aménagements significatifs et généralisés sur tout le parcours seront ceux visant à concentrer le débit dans un chenal au moyen de digues submersibles et d’épis noyés, les épis Girardon[4].

Les premiers projets de canal latéral, proposés au 19e siècle, visaient à répondre aux besoins de la navigation uniquement. Puis, dès 1912, on envisage d’y associer la production d’électricité. En 1916, Léon Mähl, déjà auteur d’un projet d’aménagement à Génissiat, fort proche de ce qui sera réalisé par la suite, propose[5] une série de 15 barrages échelonnés le long du fleuve, avec usines hydroélectriques et écluses (Figure 2).

 

donzere mondragon

Figure 2 : Profil en long du Rhône du projet Mähl. [Source : Le Génie Civil, 23 août 1919]

M. Armand propose quant à lui un ensemble de 12 barrages avec usines et écluses, sur un canal dérivant un débit de 350 m3/s. La Compagnie PLM proposera également un projet, limité à l’aménagement de la chute de Donzère Mondragon, en vue d’électrifier la ligne Paris-Marseille.

Aucun des projets précédents n’ayant été réalisé, la CNR hérite d’un fleuve à l’état quasi naturel (hormis les aménagements Girardon), ce qui lui permet de concevoir un aménagement cohérent sur l’ensemble de son parcours, avec des ouvrages aux dimensions beaucoup plus ambitieuses que les projets précédents.

La configuration de la vallée et la sinuosité du fleuve, ainsi que les nombreuses constructions existantes, ne permettent pas d’envisager la réalisation d’un canal latéral continu, semblable au Grand Canal d’Alsace par exemple. L’aménagement consistera donc à réaliser une suite de dérivations successives, parmi lesquelles Donzère Mondragon sera la plus étendue.

Les choix dimensionnants pour les ouvrages, issus des contraintes liées à la navigation, sont essentiellement celles découlant de la taille des convois pouvant être éclusés et celles liées à la vitesse maximale d’écoulement dans le canal. A ces contraintes, s’ajoutent bien évidemment les valeurs de tirant d’eau et de tirant d’air à respecter.

Les convois circulant à l’époque sur le Rhône sont constitués d’un remorqueur à roue d’une puissance de 1500 chevaux et d’une largeur de 20 m, remorquant trois chalands.

Ces remorqueurs sont anciens (ils datent de 1913) et leur largeur de 20 m est extrêmement contraignante. CNR estime que ces remorqueurs devront être remplacés à brève échéance par des remorqueurs modernes, à hélice, d’une largeur de 12 m.

L’avis selon lequel un remorqueur à hélice pourrait donner satisfaction sur le Rhône n’étant partagé ni par les navigants ni par l’administration, CNR fait construire à ses frais un remorqueur à hélice de 2200 ch. et 9 m de large afin de démontrer la capacité de ce type de navire à remonter le Rhône. Les essais étant tout à fait concluants, la largeur de l’écluse (et donc des écluses de tous les aménagements à construire après Donzère Mondragon) peut alors être fixée à 12 m.

La longueur du sas est fixée à 195 m, permettant le passage de convois constitués de deux barges de 75 m et un remorqueur de 45 m.

Toutefois, l’administration demande à la CNR de conserver une possibilité de franchissement du barrage pour les deux situations suivantes :

  • En cas d’indisponibilité de l’écluse
  • Pour les derniers remorqueurs à aubes encore en service.

Cette contrainte entraîna la nécessité de prévoir une passe navigable de 45 m de large au barrage, passe dont les caractéristiques et celles de la vanne correspondante, aux dimensions exceptionnelles, devaient permettre d’assurer le tirant d’eau et le tirant d’air suffisant.

Si cette passe a été utilisée pendant la construction du reste du barrage, elle n’a plus jamais été utilisée après la mise en service des ouvrages, les derniers remorqueurs à aube ayant été désarmés. Cette obligation d’une passe navigable au barrage sera donc abandonnée pour les aménagements suivants.

 

3. Les ouvrages et équipements de l’aménagement

Après avoir vu le contexte de sa réalisation, la conception de l’aménagement comporte plusieurs points.

3.1. Conception générale de l’aménagement

L’aménagement de Donzère Mondragon est donc un aménagement en dérivation (Figure 3). Un barrage (le barrage de Donzère), construit en travers du Rhône permet de maintenir une cote de retenue et d’alimenter un canal de dérivation au travers d’une prise d’eau située à l’aval du défilé de Donzère et contrôlée par les barrages de garde. Ce canal de dérivation, également canal de navigation, alimente l’usine de production (centrale de Bollène) à laquelle est accolée une écluse. Le canal de fuite permet le retour au fleuve.

La longueur totale de la dérivation est de 28 km.

 

aménagement-donzere-mondragon

Figure 3 : plan général de l’aménagement [Source : © CNR]

3.2. Le barrage de retenue

Le barrage de retenue (Figure 4) est constitué de 5 piles construites dans le lit du fleuve, constituant, avec les deux culées de rive, 6 passes : 5 passes de 31,50 m et une passe de 45 m de large, la passe dite navigable, prévue pour le passage des remorqueurs à aube ou pour permettre la navigation en cas d’indisponibilité du canal de dérivation. Si cette passe a été utilisée pendant la construction, elle ne l’a plus jamais été depuis la mise en service de l’ouvrage.

 

donzere mondragon barrage

Figure 4 : le barrage de retenue vu depuis l’aval. A l’arrière-plan, les ouvrages de garde. [Source : Photo extraite d’un film CNR]

Cet ouvrage, d’une longueur de 248,50 m, permet le passage d’un débit maximum de 12 000 m3/s.

Les six passes sont équipées de vannes segment à volet (à l’exception de la passe rive droite, dépourvue de volet) de 9,15 m de hauteur. Ces vannes, manœuvrées au moyen de treuils, sont assez exceptionnelles par leurs dimensions, en particulier la vanne de la passe navigable (45 m de largeur, 9,50 m de hauteur). Les passes sont batardables à l’amont au moyen d’un batardeau aiguilles.

Une passe à poissons contourne la culée rive gauche. Cette passe à poissons est aujourd’hui équipée d’un dispositif de suivi et de comptage.

3.3. La prise d’eau et les ouvrages de garde

eau canal derivation

Figure 5 : la prise d’eau du canal de dérivation. De gauche à droite : l’ancienne passe navigable, la nouvelle passe navigable, la passe usinière. [Source : © Région Rhône-Alpes, Inventaire général du patrimoine culturel]

Afin d’éviter tout risque d’engravement de la retenue, la cote normale de celle-ci a été limitée à 58,00 m. Cette cote est inférieure aux plus hautes eaux du Rhône pouvant atteindre la cote 62 devant la prise d’eau. Cette particularité, associée à la volonté de limiter l’entrée de matériaux solides, imposa la construction d’un ouvrage permettant de fermer la prise d’eau. Cet ouvrage devait répondre à deux contraintes contradictoires :

  • Permettre l’entrée du canal aux convois en toute sécurité. Pour cela, le Service de la Navigation avait demandé que l’entrée navigable soit située dans le prolongement de la sortie du défilé de Donzère
  • Limiter autant que possible le transport solide dans le canal en bloquant la plus grande partie des matériaux solides.

A ces contraintes, s’ajoutait bien entendu la nécessité de limiter les pertes de charges pour ne pas pénaliser la production.

Les études menées sur modèles réduits au laboratoire de la CNR puis au Laboratoire National d’Hydraulique de Chatou conduisirent à diviser la prise d’eau en deux entrées séparées (Figure 6) :

  • Une entrée dite « canal navigable », située et tracée en vue de faciliter la navigation mais avec un seuil relativement haut de 54,50 m (respectant la seule contrainte du tirant d’eau)
  • Une entrée dite « canal usinier », située plus en aval dans la courbure du Rhône, avec un seuil équipé d’un auvent et dont le tracé en dent de scie permet en outre de réaliser un dégravement par formation de tourbillons à axe horizontal, entraînant les matériaux solides vers l’aval.

Le seuil de ce canal usinier a été fixé à la cote 52,50 m.

Cette disposition a permis de positionner le barrage de retenue relativement loin en aval de la prise d’eau, améliorant ainsi l’alimentation des passes de celui-ci.

 

barrage donzere mondragon

Figure 6 : Plan de la prise d’eau d’origine. [Source : Collectif (1955). Donzère Mondragon. Numéro hors-série de La Houille Blanche. 488 p.]

L’entrée navigable est pourvue de 2 passes de 45 m de large, équipées de vannes segment normalement ouvertes afin de dégager le tirant d’air nécessaire à la navigation.

Toutefois, à l’usage et avec la généralisation des convois poussés, il s’avéra que l’entrée navigable ne présentait pas toutes les qualités attendues. Une passe navigable additionnelle, de 60 m de largeur utile, dite « nouvelle passe navigable » a donc été réalisée dans les années 1980 (Figure 7).

 

barrage eau

Figure 7 : Le barrage de retenue et la prise d’eau actuelle. [Source : Dupuy Jean-Louis et al. (2015). Travaux de rehausse et de renforcement de la vanne NPN (Nouvelle passe navigable) du canal de Donzère. Colloque CFBR Vantellerie, contrôle-commande, télécom et alimentation électriques pour des barrages plus sûrs. Chambéry, 2-3 décembre 2015.]

Cette nouvelle passe navigable est équipée d’une vanne levante (Figure 8), atypique dans sa conception (clapet inversé), manœuvrée par vérins et normalement ouverte. En 2014, cette vanne a été l’objet d’une rehausse de 1,90 m et de renforcements, dans le cadre des travaux effectués pour renforcer la protection du site nucléaire de Tricastin contre les crues du Rhône. La masse de son tablier est ainsi passé de 230 à 360 t.

 

donzere mondragon vanne

Figure 8 : Vue aérienne de la vanne de la nouvelle passe navigable après renforcement. [Source : Dupuy Jean-Louis et al. (2015). Travaux de rehausse et de renforcement de la vanne NPN (Nouvelle passe navigable) du canal de Donzère. Colloque CFBR Vantellerie, contrôle-commande, télécom et alimentation électriques pour des barrages plus sûrs. Chambéry, 2-3 décembre 2015.]

L’entrée usinière est fermée par un ouvrage comportant 3 passes de 24 m de largeur équipées de vannes wagon de 7 m de hauteur manœuvrées par treuils. Ces passes peuvent être batardées à l’amont et à l’aval.

3.4. Le canal d’amenée

Le canal d’amenée à une longueur de 17,3 km. Dans les sections courantes, la largeur au plan d’eau est de 145,10 m, la largeur au plafond de 83,30 m et la hauteur d’eau est de 10 m. Ces caractéristiques en font, à l’époque, un canal plus large que le canal de Suez[6].

Le débit dérivé, initialement de 1 530 m3/s, a été porté à 1 980 m3/s lorsque les roues des turbines ont été remplacées par de nouvelles roues, à la fin des années 70.

Le canal n’est pas revêtu, sauf au voisinage du plan d’eau afin d’assurer une protection suffisante contre l’érosion due au batillage[7].

Le rétablissement des communications nécessite la construction d’un pont SNCF et de 4 ponts routiers ainsi que de plusieurs siphons pour assurer l’écoulement des eaux.

3.5. L’ensemble usine-déchargeur-écluse

Cet ensemble a été positionné sur l’unique seuil rocheux existant sur le tracé du canal de dérivation, facilitant ainsi la réalisation des fondations. Il comprend (Figure 9), en allant de la rive droite vers la rive gauche, un bâtiment d’appareillage, l’usine, le déchargeur et l’écluse, et constitue un ouvrage d’une longueur de 340 m.

 

usine déchargeur écluse

Figure 9 : Ensemble usine-déchargeur-écluse, vue en plan. [Source : Collectif (1955). Donzère Mondragon. Numéro hors-série de La Houille Blanche. 488 p.]

3.5.1. L’usine

Le hall de l’usine fait 180 m de long, 20 m de large et 27 m de hauteur. Il abrite 6 groupes de production eux-mêmes constitués d’une turbine Kaplan de 6,10 m de diamètre et d’un alternateur, tournant à la vitesse de 107 tr/mn. Les groupes sont conçus comme un ensemble unique (Figure 10), le stator de l’alternateur et le flasque supérieur étant reliés entre eux par un cuvelage largement nervuré dont l’ancrage dans le béton permet la reprise du couple de l’alternateur, y compris le couple maximum (couple de court-circuit).

Le groupe, assez compact, ne possède que deux paliers, l’alternateur étant du type « parapluie » (alternateur en porte à faux).

 

coupe groupe

Figure 10 : Coupe d’un groupe. [Source : Collectif (1955). Donzère Mondragon. Numéro hors-série de La Houille Blanche. 488 p.]

alternateur centrale bollene

Figure 11 : Démontage du stator d’un alternateur dans la centrale de Bollène. [Source : © CNR]

Originellement, les caractéristiques nominales des turbines donnaient une puissance de 51,5 MW sous une chute nette de 24,40 m pour un débit turbiné de 255 m3/s.

Après la mise en service de l’aménagement de Caderousse en 1975, aménagement dont la retenue remonte jusqu’à l’aval de la centrale de Bollène, les niveaux de restitution de celle-ci ont été légèrement modifiés. En outre, le débit dérivé (et débit d’équipement des usines) des autres aménagements construits après Donzère Mondragon avait systématiquement été choisis à une valeur plus élevée que celle de Donzère Mondragon (par exemple, 1850 m3/s à Montélimar et supérieur à 2 000 m3/s à Bourg les Valence, Beauchastel, Logis-Neuf et Caderousse, pour seulement 1 530 m3/s à Bollène). La centrale de Bollène constituait donc une limitation pour l’exploitation coordonnée de la chaîne des aménagements du Bas-Rhône. Pour cette raison, les groupes de Bollène ont été modifiés. Les roues des turbines Kaplan d’origine à 6 pales ont été remplacées par des roues à 5 pales permettant une augmentation du débit dérivé total de 1 530 à 1 980 m3/s. La nouvelle puissance maximale des turbines a ainsi été portée à 59 MW.

Les alternateurs ont été modifiés en conséquence afin d’accepter la surpuissance de la turbine, leur puissance actuelle est de 63,5 MVA avec un facteur de puissance de 0,93.

La centrale est dotée d’une vanne de sécurité banalisée, pouvant être positionnée à la demande au niveau de l’un quelconque des 6 groupes.

 

coupe usine groupe

Figure 12 : Coupe de l’usine par l’axe d’un groupe. [Source : Collectif (1955). Donzère Mondragon. Numéro hors-série de La Houille Blanche. 488 p.]

Le conduit des groupes peut être mis à sec après mise en place de batardeaux à l’amont et à l’aval. Les entrées des groupes sont équipées de grilles pouvant être nettoyées au moyen d’un dégrilleur.

3.5.2. Le déchargeur

Donzère Mondragon est le premier aménagement en dérivation construit sur le Rhône (à Génissiat, comme à Seyssel, l’usine de production se situe sur le lieu même d’implantation du barrage). Cette disposition n’est pas sans conséquences en cas d’un arrêt inopiné des groupes de production. Or, un arrêt non prévu de l’un des groupes de production, voire de plusieurs, ou même de la totalité des groupes est toujours possible, en cas de défaut sur ces groupes ou de disjonction de la ou des lignes d’évacuation d’énergie.

Lors d’un événement de ce type, les groupes de production concernés par le défaut sont arrêtés dans un délai inférieur à la minute. Le débit à l’usine est donc réduit brutalement, voire coupé en totalité si tous les groupes sont mis à l’arrêt, et on observe alors les phénomènes immédiats suivants :

  • Formation d’une onde positive[8] dans le canal d’amenée, prenant naissance à l’usine et remontant vers l’amont, donnant naissance à des phénomènes de réflexion dans l’écluse.
  • Formation d’une onde négative dans le canal de fuite, prenant naissance à l’usine et descendant le canal.

Et, à plus long terme :

  • Exhaussement de niveau à l’amont, par remplissage du canal d’amenée, jusqu’à dépasser le niveau supérieur des digues.
  • Abaissement du niveau dans le canal de fuite avec risque de mise à sec des bateaux s’y trouvant.

L’ouverture des vannes du barrage, aussi rapide soit-elle, afin de transférer le débit dans le cours naturel du Rhône, ne peut en aucun cas éviter le phénomène des ondes initiales. De plus, une ouverture brusque du barrage ne peut être réalisée sans prendre des risques inacceptables à l’aval[9].

En conclusion, il apparaît indispensable de compenser, le plus rapidement possible et à l’usine même, la diminution de débit due à l’arrêt brusque des groupes.

C’est l’objet du bloc déchargeur, construit dans le prolongement de l’usine. Ce bloc déchargeur a été dimensionné pour passer un débit égal au débit total des groupes (1530 m3/s), avec un temps d’ouverture des vannes de 3 minutes[10].

Il comprend 6 pertuis de 5,20 m, équipés de vannes segment noyées et d’un clapet de surface pour deux d’entre eux (Figure 13).

 

déchargeur donzere mondragon

Figure 13 : Le déchargeur. [Source : Collectif (1955). Donzère Mondragon. Numéro hors-série de La Houille Blanche. 488 p.]

3.5.3. L’écluse

Lors de sa construction, les caractéristiques de l’écluse de Donzère (sas de 195 m x 12 m, hauteur de chute de 26 m) en font l’écluse la plus haute du monde. Le défi consiste à concevoir un système d’alimentation (et de vidange) permettant d’assurer le remplissage du sas (60 000 m3 d’eau) le plus rapidement possible tout en évitant de soumettre les bateaux qui s’y trouvent à des mouvements inacceptables, que ces mouvements soient dus à des perturbations d’ensemble du volume d’eau (créant une pente du plan d’eau) ou à des agitations locales (tourbillons, rouleaux).

Le système d’alimentation finalement retenu consiste à alimenter le sas au travers d’une dalle perforée (constituant le radier du sas), alimentée par 3 paires d’aqueducs pour chaque demi-sas (Figure 14). La vidange est dirigée vers les pertuis 3 et 4 du déchargeur. Le dispositif est mis au point et testé sur modèle réduit et les performances obtenues sont remarquables, la vitesse de montée du plan d’eau atteint 7 m/mn, la vitesse de descente 6 m/mn.

Les portes amont et aval sont des portes en arc, baissante à l’amont, levante à l’aval. Une porte intermédiaire (de type busquée) permet de réaliser des éclusages par demi-sas.

plan écluse bollene

Figure 14 : Plans de l’écluse de Bollène. [Source : © CNR]

3.6. Le canal de fuite

Le canal de fuite à une longueur de 10,7 km. Dans les sections courantes, la largeur au plan d’eau est de 126,30 m, la largeur au plafond de 58,70 m et la hauteur d’eau est de 12 m.

Le canal n’est pas revêtu, sauf au voisinage du plan d’eau afin d’assurer une protection suffisante contre l’érosion due au batillage.

C’est le choix du lieu d’implantation de l’usine, sur l’unique seuil rocheux existant sur le tracé du canal de dérivation, qui a conduit à un canal de fuite aussi long et donc de grande profondeur (pour ne pas perdre de chute). Cette caractéristique a rendu nécessaire la réalisation d’un réseau d’injection d’eau relativement important afin d’éviter l’abaissement du niveau des nappes phréatiques.

Un pont SNCF et 3 ponts routiers sont construits pour traverser le canal de fuite.

3.7. Le volet agricole

L’aménagement de Donzère Mondragon, par son étendue territoriale, a marqué profondément la région. Au-delà de l’emprise du canal et des ouvrages, de nombreux cheminements ont été interrompus. De nombreuses dispositions ont été prises pour l’insertion du projet, en particulier pour éviter des effets nuisibles sur les nappes phréatiques (relèvement en amont ou rabattage en aval), remembrement de parcelles et, surtout, un important programme d’irrigation, comprenant une dizaine de prises d’eau dans la retenue ou le canal de dérivation, des stations de pompages, des canaux. C’est une capacité totale de 25 m3/s qui est ainsi réservée à l’irrigation.

 

Notes

Image de couverture. Figure 1 : Navigation devant le bloc usine-déchargeur-écluse de Bollène, aménagement de Donzère Mondragon. [Source : © CNR]

[1] Lettre de Marcel Paul, ministre de la Production Industrielle, à Léon Perrier, président de la CNR.

[2] Soit environ 2,5 milliards d’euros d’aujourd’hui.

[3] Plan d’aide américain signé en 1947, bénéficiant à 16 pays européens et destiné « à rétablir la santé économique du monde, sans laquelle il ne peut y avoir aucune stabilité politique et aucune paix assurée » (Georges Marshall, 5 juin 1947).

[4] Du nom d’Henri Girardon, ingénieur en chef du Service spécial du Rhône de 1881 à 1904.

[5] Le projet de M. Mähl fait l’objet d’un article détaillé dans la revue Le Génie Civil du 23 août 1919.

[6] A cette époque, la largeur du canal de Suez variait entre 100 et 120 m au plan d’eau et entre 45 et 60 m au plafond.

[7] Le batillage correspond à l’action des vagues résultant du passage des bateaux.

[8] Cette onde positive prend la forme d’une « vague » dont la hauteur, fonction de la fraction de débit coupé, peut atteindre plus de 1 mètre et même davantage localement, du fait de phénomènes de réflexion.

[9] L’ouverture du barrage doit respecter une procédure d’ouverture graduelle, incluant une phase dite de « lâcher d’alerte » destinée à avertir toute personne se trouvant dans ou à proximité du lit du fleuve d’une montée prochaine du niveau de l’eau.

[10] La suppression totale des ondes aurait nécessité un temps d’ouverture égal au temps de coupure du débit. On notera que la problématique de la compensation du débit en cas de disjonction de l’usine fera l’objet de progrès successifs au fur et à mesure de la construction des aménagements du Rhône. Des essais seront menés afin de définir un mode de fonctionnement des groupes non couplés au réseau mais débitant quand même une fraction importante de leur débit nominal. Les premiers essais de ce type seront menés sur des groupes de Bollène puis dans d’autres usines du Rhône et conduiront finalement à la mise au point de ce que l’on appelle la marche en déchargeur. L’introduction des groupes bulbes (Lire : les grands aménagements hydroélectriques, Pierre Bénite et les groupes bulbes) plus aptes à ce type de fonctionnement, permettra de supprimer le bloc déchargeur sur les aménagements les plus récents.

 

Références

Berthonnet Arnaud (2010). Avec l’aménagement hydroélectrique de Donzère Mondragon sur le Bas-Rhône, la France entre de plain-pied dans la période dite des « Trente Glorieuses ». In : Pour mémoire n°9, p.121-137, hiver 2010.

Blanc-Latham Danielle (2004). La Compagnie Nationale du Rhône, au fil de l’eau, au fil du temps. Compagnie Nationale du Rhône. 144 p.

CNR (2012). 60 ans Donzère Mondragon, symbole du relèvement national. Compagnie nationale du Rhône. 176 p.

Collectif (1955). Donzère Mondragon. Numéro hors-série de La Houille Blanche. 488 p.

Collectif (1953). Donzère Mondragon. Editions Maurice André. 100 p. + 1 fascicule de 32 p.

Tournier Gilbert (1952). Rhône, Dieu conquis. Editions Plon. 366 p. + 3 cartes.

Catalogue de l’exposition Idées barge (2012). Editions Livres EMCC. 144 p.

Mähl L. (1919). L’aménagement du Rhône à l’aide de barrages successifs. In : Le Génie Civil du 23 août 1929, p.175-180.

Dupuy Jean-Louis et al. (2015). Travaux de rehausse et de renforcement de la vanne NPN (Nouvelle passe navigable) du canal de Donzère. Colloque CFBR Vantellerie, contrôle-commande, télécom et alimentation électriques pour des barrages plus sûrs. Chambéry, 2-3 décembre 2015.

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