Les risques associés aux activités énergétiques ne viennent pas uniquement des mines ou des technologies complexes qui sont à leur base. Avec la généralisation des marchés, tous les acteurs sont menacés par la volatilité des prix. Comment parer à de tels risques ?
Il existe deux types de risques inhérents à toute activité énergétique : des risques techniques et des risques économiques. Les activités d’exploration, de production et de transport des hydrocarbures sont génératrices d’accidents du type marées noires, par exemple ; c’est néanmoins l’exploitation des mines de charbon qui provoque le plus de morts chaque année dans le monde (Lire : L’environnement dans les politiques de l’énergie). Mais l’industrie nucléaire a connu, elle aussi, des accidents majeurs tels que ceux de Tchernobyl et Fukushima (Lire : Retour d’expérience sur les accidents nucléaires). Se pose alors le problème de l’assurance de tels risques. Les compagnies d’assurance couvrent une partie de ces risques mais en cas de risque majeur c’est souvent l’État qui prend le relais, comme c’est prévu pour le nucléaire (Conventions de Paris et de Vienne). De plus en plus la couverture des risques économiques se fait en recourant à des instruments financiers.
1. Les instruments financiers de couverture
Le risque économique est un risque de marché et tous les opérateurs (acheteurs comme vendeurs) cherchent à se couvrir contre ce risque, contre le risque de volatilité des prix de l’énergie sur les marchés spot en particulier qu’il s’agisse de pétrole, de gaz, de charbon ou d’électricité (Lire : Marchés de l’énergie : prix et régulation). Cela explique le poids croissant des activités financières dites de couverture sur les marchés de l’énergie : forwards, futures, options, swaps (Figure 1).
1.1. Contrats de forwards
Il s’agit d’un contrat négocié de gré à gré par lequel s’échangent des cargaisons de pétrole ou des MWh, pour un prix immédiatement fixé mais dont la livraison se fera à une échéance plus lointaine (plusieurs mois voire un ou deux ans) ; les spécifications contractuelles sont librement débattues entre les parties, mais il existe dans ce cas un risque de contrepartie (défaillance d’une des parties). À noter qu’avec un tel contrat, le dénouement se fera par une livraison physique du produit.
1.2. Contrats de futures
Un contrat de futures est un contrat par lequel s’échangent des promesses de vente et d’achat standardisées, pour une date ultérieure et pour un prix immédiatement fixé. Ces contrats se négocient via une chambre de compensation qui est l’acheteur de tous les vendeurs et le vendeur de tous les acheteurs. Le risque de contrepartie disparaît. L’intérêt de tels contrats ne réside pas dans la livraison différée du produit mais dans la gestion du risque lié à la volatilité des prix. Le dénouement normal est celui de la compensation : l’opérateur qui détient une position acheteuse vend un nombre identique de contrats pour la même échéance avant cette échéance et l’opérateur qui détient une position vendeuse pour une échéance donnée achète un nombre identique de contrats pour la même échéance avant cette échéance.
1.3. Options
Les options sont des contrats à terme qui ne sont pas des engagements fermes ; ce sont des contrats asymétriques qui permettent à l’acheteur de changer d’avis mais, pour bénéficier de ce privilège, il doit, dès la signature, verser une prime au vendeur et cette prime est acquise quelle que soit la décision de l’acheteur.
1.4. Swap
Un swap est un contrat bilatéral par lequel deux parties s’échangent, à une date donnée et pour une date future donnée, un actif financier à un prix fixe déterminé le jour de la signature contre le prix courant de cet actif au moment de l’échéance retenue, dite jour de débouclage. Ce système fonctionne parce que les anticipations du vendeur et de l’acheteur sont opposées et ce que l’un perd est récupéré par l’autre. Mais comme il n’y a pas de chambre de compensation le risque de contrepartie existe.
2. Conséquences de la financiarisation des activités énergétiques
On assiste, depuis les chocs pétroliers de 1974 et 1979, à un processus de financiarisation croissante des activités énergétiques. Comme la même cargaison physique de pétrole (ou de gaz) peut donner lieu à plusieurs transactions et que l’acheteur comme le vendeur va chercher à se prémunir contre la volatilité du prix entre la date où le pétrole est produit ou exporté et celle où s’opère la livraison dans le port importateur, on comprend qu’il s’échange dix fois plus de pétrole papier que de pétrole physique. On observe le même phénomène avec l’électricité depuis la libéralisation de l’industrie et le développement des marchés spot dans les années 1990, surtout en Europe et en Amérique du Nord. On conçoit aussi que certains opérateurs viennent sur ces marchés financiers non pas pour procéder à des opérations de couverture mais pour spéculer. Ces opérateurs sont présents sur le marché financier du pétrole ou de l’électricité mais ils ne le sont pas sur le marché dit « du physique » et ils espèrent tirer profit de la variabilité des cours entre le moment où ils achètent et celui ou ils vendent le contrat par exemple (Figure 2).
2.1. L’industrie du pétrole
L’exploration des hydrocarbures est une activité aléatoire qui doit être financée par autofinancement et cela justifie, aux yeux des pétroliers, que les profits liés à la vente du brut soient élevés ; c’est la rente d’aujourd’hui qui financera la recherche de demain. D’autres raisons peuvent expliquer que la rente pétrolière et gazière soit élevée : le caractère épuisable de la ressource (il existe un coût d’opportunité qui fait que le pétrole extrait aujourd’hui ne sera plus disponible pour les générations futures), l’existence d’un pouvoir de marché des vendeurs (compagnies publiques des pays exportateurs ou compagnies privées multinationales), le caractère stratégique du produit (il n’a pas de substituts pour certains usages) et le fait que le pétrole soit devenu une valeur refuge pour certains opérateurs (les financiers investissent dans le pétrole plutôt que dans l’or, la pierre ou à la bourse).
2.2. L’industrie électrique
Avec la libéralisation de l’industrie électrique (Lire : La complexité des marchés électriques : les limites de la libéralisation des industries électriques) et le risque de pertes de parts de marché qui en résulte pour tout fournisseur, les opérateurs qui souhaitent investir dans la production d’électricité (qui, à la différence des réseaux de transport et de distribution, ne constitue pas un monopole naturel et n’est donc pas régulée) ont le souci de se prémunir contre la volatilité du prix de l’électricité sur le marché spot car des prix trop bas pourraient compromettre la rentabilité des projets de construction de centrales. Cela explique la mise en place en Europe d’un marché dit « de capacité » qui devrait assurer que les équipements construits pour faire face à la pointe électrique et éviter la défaillance obtiennent une juste rémunération, que ces équipements soient ou non appelés sur le marché.
De même pour des investissements particulièrement coûteux en frais fixes, comme le nucléaire, les opérateurs auront tendance à demander des garanties de rentabilité, d’où le mécanisme dit des contracts for differences accordé au Royaume-Uni fin 2013 aux opérateurs qui prévoient la construction par EDF et des sociétés chinoises de deux réacteurs de type Evolutionary Power Reactor (EPR) : si le prix du marché spot est plus faible qu’un prix théorique garanti sur longue période, l’opérateur recevra la différence ; si le prix spot est supérieur à ce prix garanti c’est l’opérateur qui versera la différence. C’est une forme de partage de risques entre l’investisseur et le consommateur.
3. De nouveaux risques apparaissent avec la libéralisation et la mondialisation des activités énergétiques.
Cela est particulièrement vrai pour des activités qui jusqu’alors étaient largement régulées par la puissance publique, tels la production, le transport ou la distribution du gaz et de l’électricité. Des erreurs d’investissements pour des activités soumises à de fortes inerties (la durée de vie d’une centrale ou d’un réseau électrique dépasse souvent le demi-siècle) peuvent engendrer de la surcapacité durable ou de la défaillance récurrente et du coup les prix de l’électricité ou du gaz peuvent s’effondrer ou s’envoler sur les marchés de gros, d’autant que l’électricité ne se stockant pas, il faut qu’en temps réel l’offre équilibre la demande. Or, cette demande est largement aléatoire et soumise à des effets de pointe. Cette volatilité-prix est plus forte avec l’électricité qu’avec le gaz ou le pétrole du fait de la non-stockabilité du produit. Mais des risques nouveaux émergent avec la libéralisation et la privatisation des activités de réseaux (notamment en Europe) :
- Un risque-prix du fait de l’abandon progressif des tarifs réglementés de vente (TRV) ; les prix observés sur le marché de gros de l’électricité et du gaz tendent à devenir la référence pour les contrats passés entre les fournisseurs et leurs clients (fin 2015, les TRV ont disparu en France pour les clients qui bénéficient du tarif vert et du tarif jaune) ;
- Un risque réglementaire du fait de l’adoption de directives ou de décisions européennes de plus en plus contraignantes pour les opérateurs et parfois difficiles à anticiper (séparation patrimoniale des activités dites de réseaux, ventes obligées de capacités de production en cas de position dominante, pénalités en cas d’abus de position dominante, fixation de péages d’accès aux réseaux insuffisants pour rentabiliser certains investissements…)
- Un risque d’offre publique d’achat (OPA) inamicale lorsque la privatisation des réseaux conduit à un éparpillement du capital. Il y a alors un risque de perte du contrôle des décisions par l’actionnaire historique voire un risque de démantèlement de la société-cible.
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