Pour le plus grand nombre de lecteurs, l’approvisionnement énergétique du Maghreb s’identifie avec l’exploitation des riches gisements gaziers d’Algérie dont une partie alimente l’Europe. Au delà, ce sont aussi des politiques qui tentent l’intégration énergétique des trois pays et une transition vers des sources renouvelables.
Avec une population proche de 88 millions d’habitants aujourd’hui en 2017 qui atteindra 110 millions en 2030, durablement attaché aux mêmes civilisations, parlant les mêmes langues, ayant la même culture, le Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie)[1] constitue un grand ensemble homogène avec des États qui ont une longue histoire commune, dont la plus récente puise sa source dans la lutte de libération engagée pour l’accession à la liberté et à l’indépendance, acquise entre 1956 et 1962. Situé au nord de l’Afrique et aux portes de l’Europe, avec une façade sur la Méditerranée et une autre sur l’Atlantique, le Maghreb jouit d’une situation géostratégique privilégiée qui lui confère des ouvertures sur l’Amérique, l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie (Figure 1). Il est doté de richesses naturelles variées, d’infrastructures solides et surtout de ressources humaines de qualité, avec un potentiel intellectuel remarquable constitué par des élites et cadres compétents, formés dans des universités et grandes écoles nationales et/ou internationales, dotés d’une double culture à la fois orientale et occidentale, particulièrement appréciés à l’étranger, autant dans les entreprises qu’au sein des institutions régionales et internationales.
Malgré de sérieux et innombrables atouts, les États qui constituent cet ensemble, important à tous égards, n’arrivent pas à décoller sur le plan économique et peinent à dépasser un taux de croissance du PIB de 4%, inférieur à la moyenne de l’Afrique, ce qui ne suffit pas pour faire face aux problèmes de développement d’une population très jeune en pleine croissance, encore moins pour prétendre passer au rang de puissance émergente. Le commerce interrégional ne dépasse pas les 3% et le retard enregistré dans l’intégration du Maghreb coûte entre 1,5 et 2% de croissance du PIB à chacun des trois pays[2].
1. Consommation et approvisionnement énergétiques du Maghreb
Les trois pays ont en commun des niveaux de consommation par habitant très inférieurs à la moyenne mondiale mais en forte croissance et une offre très largement dominée par les hydrocarbures.
1.1. Consommation d’énergie primaire (CEP)
Elle a atteint près de 70 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep) en 2011, l’Algérie comptant pour 60% du total, suivie par le Maroc (25%) et la Tunisie (15%). Entre 2000 et 2011, elle a cru au taux annuel moyen de 4% à comparer au taux moyen mondial de 2%, malgré une faible croissance en Tunisie (3%). Le Maroc et l’Algérie ont enregistré, pour leur part, les plus fortes croissances avec respectivement 5% et 4% (Tableau 1).
Tableau 1 : Consommation d’énergie primaire 2000-2011 (Mtep)
Pays | 2000 | 2005 | 2010 | 2011 | Taux de
croissance (%) |
% Maghreb (2011) |
Algérie | 27 | 32 | 40 | 42 | 4% | 60 |
Maroc | 10 | 13 | 16 | 17 | 5% | 25 |
Tunisie | 7 | 8 | 10 | 10 | 3% | 15 |
Maghreb | 44 | 53 | 66 | 69 | 4% | 100 |
Monde | 10082 | 11532 | 12905 | 13113 | 2% |
Source : AIE- World Energy Statistics and Balances
La consommation totale des trois pays ne compte que pour près de 0,5% de la consommation mondiale en 2011. La consommation moyenne par habitant demeure faible et inférieure à la moitié de la consommation mondiale par habitant, même si elle a progressé entre 2000 et 2011 dans les trois pays (Figure 2). Seule la consommation moyenne de la Tunisie, qui a mis en œuvre dès le milieu de la décennie 1980 des programmes vigoureux de maîtrise de la demande, a progressé à un rythme inférieur à celui de la consommation moyenne mondiale sur la période.
Il faut souligner que la consommation électrique totale, qui a dépassé 77 TWh en 2011, connaît depuis quelques années des taux de croissance à deux chiffres, en même temps que le déplacement de la pointe de l’hiver vers l’été, à cause de la demande croissante d’électricité pour la climatisation (Lire : Maghreb, interconnexion des réseaux électriques).
1.2. Prédominance des énergies fossiles
La composition du mix énergétique maghrébin est très influencée par une production totale d’énergie qui dépasse très largement les besoins. En 2011, alors que l’Algérie a produit 152 Mtep[3], soit plus du double de la consommation totale du Maghreb, la Tunisie n’a pas dépassé 6 Mtep, soit 60% de sa propre consommation, le Maroc, important quant à lui 95% de ses besoins.
Cette même année, la part des énergies fossiles dans la consommation d’énergie primaire s’établit ainsi (tableau 2) à 97% dont 48% en pétrole, 44% en gaz et 5% en charbon.
Tableau 2 : Composition du mix énergétique
Pétrole
(%) |
Gaz
(%) |
Charbon
(%) |
Hydro
(%) |
Biocarburants & déchets(%) | Solaire/éolien
(%) |
Total | |
Algérie | 40 | 59 | 0,96 | 0 | 0,04 | 0 | 100% |
Maroc | 73,7 | 4 | 18 | 1 | 2,9 | 0,4 | 100% |
Tunisie | 40 | 45,2 | 0 | 0 | 14,6 | 0,2 | 100% |
Maghreb | 48 | 44 | 5 | 0,3 | 2,6 | 0,1 | 100% |
Source : Bilans énergétiques des ministères de l’énergie, 2011
Par pays, la situation est plus diversifiée: le pétrole domine au Maroc (74% de la consommation totale d’énergie) alors que la contribution du gaz naturel est prépondérante en Algérie (59%) et en Tunisie (45%). La consommation de charbon est limitée essentiellement au Maroc où elle constitue un peu plus de 18% de la consommation totale d’énergie primaire. Ce pays est le seul de la région à exploiter et à construire encore des centrales électriques fonctionnant au charbon.
Le gaz naturel occupe une place privilégiée car il est abondant en Algérie (il y en a un peu en Tunisie aussi) et constitue un vecteur majeur de coopération avec l’Europe. L’expansion du réseau régional de gazoducs, qui avait pour finalité l’approvisionnement du marché européen : Italie d’abord, Espagne et Portugal ensuite, la France ayant préféré l’approvisionnement en gaz naturel liquéfié (GNL) par méthaniers. Il en a résulté une intégration plus importante entre les réseaux gaziers, algériens et tunisiens d’abord en 1983, algériens et marocains ensuite en 1997. Néanmoins, si les interconnexions gazières ont permis des avancées certaines en matière d’approvisionnement et d’environnement, elles n’ont pas constitué un facteur déterminant de la coopération maghrébine, jusqu’à présent tout au moins, les recommandations des différentes conférences régionales relatives à la mise en œuvre de projets communs de développement énergétique et d’opérations de partenariat intermaghrébin n’ayant pas toujours été suivies d’effet (Figure 3).
1.3. La part des énergies renouvelables est très marginale
À l’échelle du Maghreb, les énergies renouvelables (ER) comptait pour à peine plus de 3% de la consommation d’énergie primaire en 2011 dont 0,3% pour l’hydraulique, 2,7% pour les biocarburants/déchets et 0,1% pour le solaire/éolien. Par comparaison, les ER ont contribué en 2011 pour 13,2% de la consommation d’énergie primaire mondiale[4] dont 2,3% d’hydraulique, près de 0,5% de solaire et éolien, et 10% de biocarburants et déchets. Il faut noter qu’au Maghreb: (a) les biocarburants/ déchets comptaient pour 87% de la contribution totale des ER, suivie par l’hydraulique (10%) puis le solaire/éolien (3%); (b) la quasi-totalité des biocarburants/déchets est consommée en Tunisie[5] (Tableau 3).
Tableau 3 : Place des ER dans la consommation d’énergie primaire (2011)
Hydro | Biocarburants & déchets | Solaire
Éolien |
% de la CEP | |
Algérie | 0,1% | 0,04% | 0% | 0,1% |
Maroc | 0,95% | 2,9% | 0,35% | 4,2% |
Tunisie | 0,05% | 14,0% | 0,1% | 14,2% |
Maghreb | 0,3% | 2,7% | 0,1% | 3,1% |
Source: AIE – World Energy Statistics and Balances, 2013
Par pays, l’Algérie compte la part d’ER la plus faible avec 0,1% (hydraulique et biocarburants/déchets), suivie dans l’ordre croissant, par le Maroc 4,2% (biocarburants/déchets et hydraulique) et la Tunisie 14,2% (99% biocarburants/déchets). Le solaire et l’éolien ont des contributions négligeables dans tous les pays, sauf au Maroc où ils comptent pour 8% du total des énergies renouvelables.
1.4. Efficacité énergétique
L’intensité énergétique, exprimée en tep par dollar constant 2005, est au niveau de la moyenne mondiale au Maroc et en Tunisie, mais supérieure en Algérie, ce qui indique un manque d’efficacité dans ce pays, comme dans la plupart des pays producteurs et exportateurs de pétrole et de gaz (Figure 4).
Les résultats relatifs à la maîtrise de la demande en énergie sont loin d’être satisfaisants, surtout en ce qui concerne l’Algérie, mais il faut noter une prise de conscience précoce et des mesures institutionnelles et réglementaires importantes : création d’agences spécialisées telles que l’Agence Nationale pour la Maîtrise de l’Energie (ANME) en Tunisie en 1985, l’Agence pour la Promotion et la Rationalisation de l’Utilisation de l’Energie (APRUE) en Algérie en 1985 et l’Agence Nationale pour le Développement des Énergies Renouvelables et de l’Efficacité Énergétique (ADEREE) au Maroc en 2009 ; adoption de lois et règlements sur la maîtrise de l’énergie. L’une des conclusions du séminaire organisé par les Institutions internationales à Marrakech en 1991[6] décrivait ainsi la situation: « Les trois[7] pays du Maghreb ont commencé à intégrer la maîtrise et la rationalisation de la demande d’énergie comme composante de leur politique énergétique ; l’expérience tunisienne, bien que perfectible, apparaît cependant comme la plus avancée ». Cette constatation demeure valable en 2014 car le potentiel d’efficacité reste important : il est estimé à 20% de la demande dans tous les pays, y compris la Tunisie et le Maroc, mais tout particulièrement en Algérie. Il faut noter que les actions principales préconisées pour renforcer et activer cette politique régionale lors du séminaire n’ont pas été entièrement mises en œuvre : alignement des prix sur les coûts d’approvisionnement ; élaboration de normes et de spécifications communes ; renforcement des organismes publics chargés de l’élaboration, de la réglementation, du contrôle et de la mise en œuvre des programmes nationaux de rationalisation de l’énergie.
Concernant le soutien aux tarifs domestiques des produits énergétiques en particulier, il faut signaler que si les experts dans les entreprises publiques, en charge de la distribution de l’électricité et du gaz, ont soulevé dès les années 1970-80 la question de la corrélation entre l’efficacité énergétique et la politique des prix, la taxation et les subventions des produits énergétiques[8], les dirigeants politiques ont constamment adopté des postures populistes, les prix étant restés rigoureusement administrés et particulièrement bas, au regard des coûts et des standards internationaux (Figure 5).
C’est ainsi qu’en Algérie, les subventions dépassent les 10% du PIB comme dans la plupart des pays producteurs. Elles sont moins élevées au Maroc (1%) et en Tunisie (3%) mais grèvent lourdement les budgets (la facture énergétique du Maroc dépasse les 13% du PIB). Le gouvernement tunisien, issu de la Révolution de 2011, s’est engagé résolument et courageusement sur la voie de la suppression des subventions et de l’augmentation des tarifs depuis le début de l’année 2014, en s’attaquant d’abord aux industries énergivores ensuite aux gros consommateurs domestiques. Le gouvernement marocain semble emprunter la même voie même s’il ne va pas aussi loin en décidant, dès 2012, une augmentation de 20 % des prix à la pompe des produits pétroliers destinés aux ménages et du fuel industriel, dans le cadre d’une réforme générale de la caisse de compensation, chargée de réguler les prix à la vente de certains produits de première nécessité. L’Algérie, qui bénéficie d’une embellie financière due à l’augmentation des revenus pétroliers[9], n’a pas encore modifié sa politique en la matière, malgré les sollicitations régulières des entreprises. En tout état de cause, tout le monde s’accorde à dire que les augmentations des tarifs domestiques des produits énergétiques, si elles sont amplement justifiées, doivent néanmoins préserver les intérêts des catégories sociales à faible revenu, dans le cadre de tarifs sociaux.
1.5. L’empreinte carbone est limitée
Les émissions de gaz carbonique par habitant ont augmenté de 2,06 à 2,21 tCO2 de 2000 à 2011 alors que la moyenne mondiale a progressé de 4,1 à 4,5 tCO2 par habitant. Les émissions des 3 pays demeurent donc significativement inférieures à la moyenne mondiale (Figure 6).
L’intensité carbone par unité de PIB (Figure 7) est nettement inférieure à l’intensité mondiale en 2011. Elle a baissé dans les 3 pays, en particulier en Algérie dont l’intensité a diminué de 50% entre 2000 et 2011 en raison d’une augmentation considérable du PIB liée à la hausse des prix du pétrole et aussi aux gros efforts pour réduire le volume des gaz torchés[10]. Il est évident que les pays du Maghreb, comme tous les pays en développement, ont des besoins importants. Toutefois, ils n’ont pas à suivre l’exemple des pays industrialisés qui ont commencé à consommer abondamment de l’énergie bon marché tout en polluant, avant de décider de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre.
2. Les ressources énergétiques
La croissance de la consommation primaire d’énergie depuis le début du 21ème siècle (Tableau 1) va se poursuivre au cours des prochaines décennies, notamment en réponse à l’expansion de la demande d’électricité [article 047]. Fort heureusement, les pays du Maghreb disposent d’un atout de tout premier ordre: des ressources énergétiques relativement abondantes et nettement supérieures à leurs besoins[11] bien qu’elles soient inégalement réparties.
2.1. Hydrocarbures
Les réserves en hydrocarbures, concentrées en Algérie pour l’instant, constituent un potentiel important susceptible de satisfaire non seulement l’ensemble des besoins du Maghreb mais aussi une bonne partie de ceux des pays européens. Les seules réserves prouvées de pétrole brut et de condensats s’élèvent à 1.555 millions de tonnes, dont 1500 en Algérie et 55 en Tunisie, soit un peu moins de vingt années de production au rythme actuel pour chacun des deux pays. Les réserves prouvées en gaz naturel sont de 4.500 milliards de m3 en Algérie[12] soit 55 années de production au rythme actuel et de 120 milliards de m3 en Tunisie, soit une quarantaine d’années de production (Lire : Géologie et géodynamique des hydrocarbures).
En réalité, ces estimations sont plutôt pessimistes. Tous les experts s’accordent à dire que le sous-sol est très nettement sous-exploré et que les ressources restant à découvrir permettraient d’accroître le potentiel actuel d’au moins 50%, notamment en matière d’hydrocarbures non conventionnels, dans l’offshore et dans les zones où aucune découverte significative n’a été faite jusqu’à présent, comme au Maroc. Cela nécessite un effort plus grand et des investissements plus importants en matière d’études, de recherche et d’exploration. A cette fin, tous les États de la région ont modifié sensiblement leur législation et pratiquent une politique active d’encouragement à la recherche et à l’exploration sous forme de partenariat qui semble d’ailleurs commencer à porter ses fruits puisque des dizaines de compagnies pétrolières internationales de tous les continents sont engagées dans des programmes de recherche/exploration/développement, en partenariat avec les sociétés nationales.
Tableau 4 : Estimations des ressources en hydrocarbures non conventionnels
Gaz de schistes
109 m3 |
Huile de schiste
109 barils |
|
Algérie | 19 796 | 5,7 |
Maroc | 560 | 0,2 |
Tunisie | 644 | 1,5 |
Total | 21 000 | 7,4 |
Source: EIA/ARI World Sale Gas and Shale Oil Resource Assessment, June 2013. Conversion des volumes de gaz sur la base d’1 cubic foot = 0,028 m3.
À cet égard, des informations récentes, publiées par l’US Energy Information Administration, en juin 2013, font état de ressources non conventionnelles importantes[13], surtout en gaz de shistes (shale gas), plus particulièrement dans le sud algérien, de l’ordre de plus de 20.000 milliards de m3, ce qui donnerait d’après des calculs sommaires et préliminaires des réserves récupérables d’environ 2.000 milliards de m3. Le gouvernement algérien a déjà donné son feu vert en demandant de veiller à la préservation de l’environnement. De son côté, la Sonatrach a engagé des études avec des sociétés spécialisées pour étudier les conditions d’exploitation de ce potentiel gazier. Il est évident qu’au-delà des questions soulevées par les problèmes d’environnement, qui nécessitent un débat, cette nouvelle manne permettra, non seulement de satisfaire les besoins du Maghreb mais aussi de contribuer à l’approvisionnement de l’Europe, à laquelle le lient quatre importants gazoducs à travers la Méditerranée (Lire : Le gaz de schiste et La formation du gaz de schiste et son extraction).
Il faut cependant noter que si la Tunisie profite réellement du transit et est devenue un consommateur important de gaz, diminuant ainsi sa facture énergétique tout en utilisant un combustible moins polluant, le Maroc n’en bénéficie pas vraiment[14]. On se trouve devant une situation aberrante : le Maroc est importateur net de 15 à 20% de sa consommation d’électricité d’Espagne, électricité qui est produite à partir du gaz arrivant de Hassi R’Mel, via le Maroc. Logiquement, c’est donc le Maroc qui, en association avec l’Algérie, devrait être exportateur net d’électricité vers l’Espagne et non l’inverse. Il n’y a aucune justification technique ou économique à cette situation. L’explication réside, hélas, dans la méfiance réciproque entretenue des deux côtés de la frontière algéro-marocaine, au détriment des intérêts des deux peuples (Figure 8).
Pour l’exploitation et la gestion des ressources en hydrocarbures, les trois pays s’appuient sur des compagnies publiques: Sonatrach (Société nationale de transport et de commercialisation des hydrocarbures) en Algérie, ONHYM (Office National des Hydrocarbures et des Mines) au Maroc et ETAP (Entreprise Tunisienne des Activités Pétrolières) en Tunisie, agissant soit à son propre compte, soit en partenariat avec des compagnies pétrolières internationales. Les compagnies nationales maghrébines entretiennent des relations bilatérales commerciales, d’échanges d’information et même un début de partenariat. C’est ainsi que Sonatrach et ETAP ont constitué une filiale 50/50, dénommée NUMHYD (Numibie Hydrocarbures) qui effectue de la recherche /exploration avec un certain succès dans les deux pays. Les ministres de l’Energie de l’UMA se réunissent périodiquement pour assurer la coordination entre les 5 pays de l’Union et pour promouvoir des projets communs.
Enfin, au titre des atouts, il faut souligner l’existence de structures de formation dans le secteur de l’énergie, nombreuses et de haut niveau dans les trois pays, comme par exemple, l’Institut algérien du pétrole à Boumerdès (Algérie), l’Ecole des mines et phosphates à Rabat (Maroc), l’Institut méditerranéen des énergies renouvelables à Tunis.
2.2. Sources renouvelables
Outre les combustibles fossiles, les pays du Maghreb disposent aussi d’un potentiel considérable d’énergies renouvelables, notamment solaire, mieux réparti, et qu’ils pourraient exploiter en commun.
Le rayonnement solaire est formidable : il oscille, selon les estimations, entre 1900 kWh/m2/an sur la côte et 3200 kWh/m2/an dans le désert saharien. La durée de l’ensoleillement se situe entre 2700 et 3600 h/an. L’éolien constitue également une grande richesse, notamment en Tunisie, zone du Cap Bon au nord ; au Maroc, dans la région de Gibraltar au nord et sur les côtes atlantiques du sud ; en Algérie dans le sud-ouest saharien. Les vitesses moyennes du vent varient de 6 à 11 m/s. La région dispose aussi d’un potentiel important de biomasse et probablement de ressources géothermiques en Algérie et au Maroc.
La prééminence des énergies fossiles dans la satisfaction des besoins des pays du Maghreb en 2014 ne doit pas masquer la prise de conscience très nette de la nécessité d’organiser une transition intelligente pour des raisons, et à un rythme, qui diffèrent d’un pays à l’autre, mais dont les effets sont rigoureusement identiques et les mesures à prendre similaires: promouvoir des mesures d’économie d’énergie et développer les énergies renouvelables [article 047]. Des actions intéressantes ont déjà été engagées pour diversifier le mix énergétique et réduire la dépendance aux ressources conventionnelles tout en développant des solutions vertueuses sur le plan environnemental. Les pouvoirs publics mettent progressivement en place des programmes de développement des ER ainsi que des cadres institutionnels et réglementaires appropriés destinés à faciliter la diffusion de ces technologies. Des programmes ambitieux sont en outre structurés de façon à favoriser l’émergence de filières industrielles régionales qui s’appuieront à terme sur des pôles de recherche scientifique et technologique et sur un tissu d’acteurs universitaires.
Pour le Maroc, qui n’est pas doté pour l’instant de ressources fossiles malgré d’immenses efforts de recherche /exploration, le développement des renouvelables est un choix qui s’est imposé tout naturellement. C’est ce qui explique sans doute que le Royaume ait pris une longueur d’avance sur ses voisins en lançant la première installation éolienne de Koudia El Baida (Tanger), mise en service en 2000. En 2014, 280 MWe d’éolien et 2 MWe de solaire sont en exploitation tandis que 750 MWe d’éolien et 160 MWe de solaire sont en construction, à Ouarzazate notamment. Un plan éolien de 2 GWe ainsi qu’un plan solaire de 2 GWe à l’horizon 2020 ont été décidés, une loi sur les ER promulguée et une agence spécifique pour la mise en œuvre du plan solaire, la Maroccan Agency Solar Energy (MASEN) créée. L’objectif affiché par le Maroc est d’atteindre les 42% de la production d’électricité en ER, y compris l’hydraulique, en 2020 (Figure 9).
Il en est de même pour l’Algérie qui ambitionne d’atteindre les 40% en 2030. A cette fin, le gouvernement a adopté en février 2011 un programme national de 12 GWe (l’équivalent de la capacité totale installée en 2011) en ER pour ses besoins propres à l’horizon 2030, dont 7,2 GWe en solaire thermique, 2,8 GWe en photovoltaïque et 2 GWe en éolien. Une capacité complémentaire de 10 GWe est envisagée pour l’exportation vers l’Europe, sous réserve de conditions d’accès au marché européen garantissant une rentabilité suffisante. Le projet algérien prévoit une fabrication locale des équipements, avec l’objectif d’atteindre un taux d’intégration industrielle d’au moins 50 % sur l’ensemble de la chaîne de valeur des technologies, éolienne, solaire photovoltaïque et solaire thermique à concentration ( Concentraded Solar Power -CSP). Les réalisations les plus importantes sont la centrale hybride gaz-solaire de Hassi Rmel d’une puissance de 120 MWe dont 30 en solaire et la ferme éolienne d’Adrar de 10 MWe. Un Fonds alimenté par 0,5% des recettes pétrolières a été constitué et une loi sur l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables promulguée.
La Tunisie, pionnière dans la région en matière de maîtrise de la demande, a pour objectif d’atteindre 30% d’électricité à partir des ER à l’horizon 2030. Le gouvernement a adopté une stratégie de développement se fondant notamment sur l’adoption d’un cadre réglementaire favorisant la mobilisation des investissements privés dans le domaine des ER et la restructuration du Fonds National de Maîtrise de l’Energie par la révision des systèmes de subvention destinés à appuyer l’investissement et la consolidation de la coopération internationale . Le plan solaire tunisien prévoit d’atteindre en 2030 une capacité de l’ordre de 4.000 MWe (l’équivalent de la capacité installée en 2011). La puissance électrique d’origine renouvelable à fin 2012 était d’environ 250 MWe, essentiellement éolien (245 MWe) et PV (5 MWe). Plusieurs projets sont actuellement en cours d’étude : une centrale CSP de 50 MWe d’ici 2016, des installations photovoltaïques de 23 MWe dès 2015 et un stockage par station de transfert d’énergie par pompage (STEP) de 400-500 MWe d’ici 2018 à Oued El Melah pour contribuer à résoudre les problèmes d’intermittence.
Ces programmes nationaux sont accompagnés par des projets régionaux d’envergure, comme le Plan Solaire Méditerranéen (PSM), décidé par l’Union pour la Méditerranée lors de sa création en juillet 2008, qui prévoit l’installation de 20 GWe de nouvelles capacités à partir de sources renouvelables en 2020 et Medgrid qui étudie le développement des réseaux électriques et des interconnexions Sud/Sud et Nord/Sud par des câbles sous-marins à travers la Méditerranée. L’objectif principal du projet PSM-Medgrid est la satisfaction des besoins énergétiques des pays du Maghreb et le transport d’une partie de l’électricité produite vers les pays européens, facteur améliorant la rentabilité économique et financière des projets. L’exportation de l’électricité verte vers l’Europe est rendue possible grâce à l’article 9 de la directive européenne sur les énergies renouvelables.
Ainsi, depuis plusieurs années, les pays du Maghreb se sont lancés, chacun de leur côté, dans de vastes programmes d’ER, notamment solaire, pour satisfaire leurs besoins croissants en électricité. Ils prévoient même d’exporter une partie de l’électricité verte produite en profitant des facilités accordées par l’Union Européenne aux Etats membres. Néanmoins, une coopération maghrébine semble se dessiner [article 047]. En effet, la cinquième conférence générale du Comité maghrébin de l’électricité (Comelec) qui s’est tenue les 13 et 14 novembre 2012 à Tunis, sous le thème général : « Les énergies renouvelables : ressource stratégique et facteur d’intégration des systèmes électriques du Maghreb » a regroupé les dirigeants au niveau le plus élevé des compagnies électriques des pays du Maghreb ainsi que des représentants des sociétés électriques européennes d’électricité, des institutions méditerranéennes et internationales, des organismes financiers et de nombreux experts internationaux qui ont débattu des problématiques des ER comme ressource stratégique, de leur intégration dans le réseau électrique, des études de faisabilité des projets et enfin de la formation, de l’industrie locale et de la recherche scientifique en tant que facteurs clés de réussite. La rencontre a conclu à la nécessité d’une coopération plus étroite des opérateurs et d’une meilleure intégration des systèmes pour le déploiement des renouvelables à l’échelle de la région. « Les ressources importantes du Maghreb en énergies renouvelables, particulièrement le solaire, demeurent très peu mises en valeur. La coopération et la mise en commun des moyens pour le développement de ces énergies devraient constituer l’une des plus importantes priorités régionales », a recommandé la conférence de Tunis dans ses conclusions.
L’actualisation ci dessous par Isabelle Hanne (2022). Un géant des hydrocarbures aux marges de manœuvre limitées. Libération, 10/10/2022.
Contrainte, depuis la guerre contre l’Ukraine déclenchée en février 2022, à n’acheter à la Russie que 9% de sa consommation de gaz,
contre 40% avant la crise, l’Union Européenne (UE) se tourne vers l’Algérie, septième exportateur mondial de gaz naturel et dotée
d’infrastructures lui permettant d’exporter son gaz naturel liquéfié (GNL). Extrait au cœur du Sahara, le combustible est exporté vers
l’Espagne (MEDGAZ) et l’Italie (TRANSMED). Dans ce contexte, la SONATRACH qui vient de signer avec l’italienne ENI un contrat de
développement d’un nouveau champ gazier sur 25 ans, annonce son intention d’étendre avec la française ENGIEson partenariat sur le gaz
naturel liquéfié et le gaz naturel.
L’Algérie peut-elle aller beaucoup plus loin ? Avec une production d’un peu plus de 100 milliards de m 3 en 2021, elle doit satisfaire ses
propres besoins tirés par la croissance de sa population et de son économie, alors même que l’expansion de sa production est freinée par
une insuffisance d’investissements, du fait, entre autres,des tensions politiques avec la Maroc et l’Espagne. Accroître les exportations
gazières passe donc par une diversification de sa consommation d’énergie vers les renouvelables ; l’amélioration de l’efficacité
énergétique ; la réduction du torchage et des fuites de méthane, notamment à partir du champ d’Hassi R’Mel qui libère du méthane depuis
sa mise en exploitation. Malheureusement, l’Algérie a refusé de se joindre à l’engagement pris lors de la dernière conférence de l’ONU sur
le climat de réduire les émissions de méthane, contrairement à 105 autres pays.
Notes et références
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