Jusqu’où ira en France la décentralisation du système énergétique au cours des années 2010-2020 ? D’un côté, la loi de transition énergétique de 2015 renforce le mouvement. De l’autre, certaines réticences des acteurs centraux alimentent attentisme et méfiance des collectivités locales. Comment les dépasser ?
Au début de la décennie 2010 plusieurs pays, en particulier de l’Europe du Nord, déclarent participer au mouvement de la transition énergétique, dont l’une des dimensions invoquées est celle de la décentralisation énergétique. En France, ce mouvement repris sous la présidence de François Hollande, se concrétise notamment par l’organisation d’un débat national et régional dont les conclusions sont censées être reprises en partie dans un projet de loi.
Malgré un contexte technologique plutôt favorable à l’accentuation de la décentralisation énergétique territoriale (Lire : Décentralisation énergétique en France 2010-2020: l’irruption du numérique et des énergies renouvelables), les autorités publiques nationales semblent hésiter à basculer vers un nouveau modèle effectivement décentralisé mais aux contours encore flous. Les collectivités locales affichent de leur côté des positionnements allant de l’attentisme à l’insatisfaction partielle devant les dispositions de la loi.
1. La notion de transition énergétique et sa traduction dans la législation française
La notion de transition énergétique connait depuis quelques années un succès tel qu’il apparait difficile en 2014 d’éviter les malentendus sur ses différentes acceptations (Lire : La transition énergétique : enjeu majeur pour la planète).
La paternité du terme transition énergétique reviendrait, semble-t-il, à des contributions autrichiennes et allemandes dans un Livre blanc de 1980 plaidant pour un abandon simultané de la dépendance au pétrole et au nucléaire[1] ; elle n’aurait été reprise en France que dans deux livres parus en 2009 respectivement par Michel J.F.Dubois et Alexandre Rojey[2].
Gérard Magnin, délégué général d’Energy Cities, en donne une définition « idéale » autour des caractéristiques suivantes :
– « les approches par la demande, sur les besoins finaux à satisfaire vont prendre le pas [sur les politiques de l’offre],
– les systèmes électriques verticaux et centralisés vont devoir laisser une place significative aux systèmes horizontaux et décentralisés… avec une évolution vers une plus grande flexibilité … afin d’en accroître la résilience, et par contre coup la résilience de nos sociétés,
– on va désormais penser « intégration » et « complémentarité »… du gaz, de l’électricité, du pétrole, de la chaleur… Il nous faudra parler de réseaux de collecte et de distribution… [au lieu de] réseaux de distribution,
– là où l’État régnait en maître unique, les collectivités territoriales et l’Europe vont jouer un rôle croissant,
– le consommateur d’énergie bon à régler ses factures, fera davantage place au « citoyen énergétique », conscient et acteur,
– en somme … on pourrait résumer ces évolutions par une formule : le divorce de l’énergie et des territoires va faire place à leur réconciliation »[3] (Figure 1).
Cette notion de transition énergétique a donné son nom à la loi 2015-992 « sur la transition énergétique pour la croissance verte » du 17 août 2015 qui affiche les objectifs de :
– « réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% entre 1990 et 2030 et les diviser par quatre à l’horizon 2050 (facteur 4) ;
– réduire la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 par rapport à 2012 et porter le rythme annuel de baisse de l’intensité énergétique finale à 2,5 % d’ici à 2030 ;
– réduire la consommation d’énergies fossiles de 30 % en 2030 par rapport à 2012 ;
– porter la part des énergies renouvelables à 23% de notre consommation énergétique finale brute d’énergie en 2020 et à 32 % en 2030;
– porter la part du nucléaire à 50% dans la production d’électricité à l’horizon 2025. »[4]
En revanche, les intentions initiales affichées en décembre 2013 en matière de gouvernance de la transition énergétique, ne figurent plus que sous une forme très édulcorée dans la loi : « En termes de gouvernance, sera créé, en remplacement du Conseil Supérieur de l’Énergie (CSE), le Comité d’Orientation de la Transition Energétique et Climatique (COTEC), qui sera en particulier saisi pour avis sur les budgets « carbone », la stratégie « bas carbone » et la programmation pluriannuelle.
Au niveau territorial, il est envisagé des évolutions des Schémas Régionaux du Climat de l’Air et de l’Energie (SRCAE) et des Plans Climat Energie Territoire (PCET) avec une articulation national-local, une simplification, ainsi que la modernisation de la gouvernance de la distribution électrique, sans remise en cause de la péréquation.
En termes de financement, la gouvernance et le pilotage de la Contribution au Service Public de l’Electricité (CSPE) seront réformés pour un meilleur contrôle des engagements et des charges, et une meilleure efficacité de la dépense publique. Les différents financements et mécanismes de soutien énergétiques et climatiques seront rendus plus lisibles, plus efficaces au regard des objectifs fixés, et réorientés pour contribuer davantage au développement des filières et des emplois »[5].
Le vote de la loi sur la transition énergétique a été heureusement précédé de débats significatifs sur cette question, en particulier sur la transition vers la décentralisation énergétique. Ils ont été accompagnés par des consultations portant sur un début de décentralisation électrique. Mais ces consultations et débats ne semblent pas être parvenus au stade d’un nouveau consensus précis et suffisamment partagé pour aller jusqu’à un changement institutionnel significatif. D’où l’expression de «milieu du gué » employée par la Fabrique Écologique pour qualifier la situation actuelle[6].
Cet équilibre technique, juridique et institutionnel provisoire et instable peut être présenté sous deux angles différents : celui de l’Etat et des instances nationales de contrôle et régulation ; celui des collectivités territoriales engagées dans cette réorganisation du modèle énergétique territorial.
2. Un État et des instances nationales de contrôle et régulation prudents et interrogatifs sur les nouveaux pas à franchir
Les instances nationales de contrôle et régulation du secteur énergétique inscrivent leur action dans le cadre des directives de l’UE, dont celle sur les concessions (Lire : Décentralisation énergétique en France 2010-2020 : l’irruption du numérique et des énergies renouvelables). La direction des affaires juridiques du ministère de l’Économie et des Finances a fait savoir que «le 11 février 2014, le Conseil de l’Union européenne a définitivement adopté la nouvelle directive européenne relative à l’attribution des contrats de concession » et que la transposition en droit français devra être effectuée « dans un délai de deux ans suivant son entrée en vigueur prévue en mars prochain ». Cette directive « préserve globalement la spécificité du modèle concessif tel que le connaît le régime français des délégations de service public et des concessions de travaux »[7]
Plusieurs ministères assurent la tutelle et le suivi de ces dossiers énergie et collectivités territoriales, parmi lesquels
– le ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie, devenu ministère de la Transition Écologique et Solidaire en 2017, et sa Direction générale de l’Énergie et du Climat (DGEC),
– le ministère de l’Intérieur et sa Direction générale des Collectivités Locales,
– les directions du ministère du Budget et de l’Économie (Figure 2).
Une intervention du directeur de la Direction de l’énergie (DIGEC) au congrès de la FNCCR de Montpellier (2013) avait révélé la prise de conscience d’un problème nouveau et le stade encore ouvert des interrogations sur les perspectives de solution à cette date : « Au-delà de ces discussions, se pose la question du rôle grandissant des territoires dans le cadre de la transition énergétique. Cette évolution à attendre représente des défis importants pour les organismes centraux (EDF, ERDF, État, etc…). Il faut réfléchir aux moyens qu’il faudra donner aux territoires pour qu’ils soient des acteurs de la transition énergétique dans leurs compétences et, dans le même temps préserver les mécanismes de péréquation tarifaire entre l’échelon national et local et entre les zones urbaines et rurales. Ce dernier sujet doit être pensé collectivement pour identifier l’acteur le plus à même de le faire : niveau national ou local, AODE, collectivités locales, Départements, Régions, etc.. En tout état de cause, chacun de ces acteurs aura à y participer. Une partie des débats sur la répartition des compétences entre les métropoles, les autorités concédantes, le rural et autres, vient du fait que le rôle de chacun dans la transition énergétique et les outils à mettre en œuvre ne sont pas clairement définis ».[8].
Par ailleurs les producteurs d’énergies renouvelables, et en particulier d’électricité photovoltaïque demandent « un cadre à l’autoconsommation (électrique solaire), sans créer de bulles spéculatives pour les tarifs d’achat ou perturber les réseaux[9] ». A cet effet le Bureau des énergies renouvelables de la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), a créé en décembre 2013, un groupe de réflexion sur l’autoconsommation dont les travaux se sont achevés en juillet 2014. Le but de ce nouveau dispositif était d’offrir des prolongements viables aux différentes sources d’électricité « verte », menacées par la prochaine disparition des tarifs de rachat, disparition recommandée par la Cour des Comptes, en particulier pour l’électricité photovoltaïque.
Les recommandations de ce groupe de travail, jugées modestes par les professionnels des énergies nouvelles, ne deviendront opérationnelles qu’après leur prise en compte dans de futures ordonnances liées à la loi sur la transition énergétique. Revenant sur les conclusions de ce groupe de travail, André Joffre, PDG de Tecsol, commente la « prudence », voire la « frilosité », des instances d’Etat à propos des développements futurs de l’autoconsommation électrique en ces termes : « Il y a deux courants qui s’affrontent. Le nôtre et celui de l’ADEME, contre celui des opérateurs. Lorsque nous voyons l’autoconsommation comme un moyen de soulager le réseau, ils voient plutôt la baisse de la puissance appelée »[10]. Quant aux surplus de production « on peut imaginer qu’au lieu de revendre ses excédents au réseau, on pourrait se l’échanger entre voisins », ce qui est impossible aujourd’hui dans le cadre du monopole de l’opérateur de distribution, mais qui deviendra techniquement de plus en plus envisageable avec le développement du réseau électrique intelligent (Lire : Des réseaux électriques aux smart grids).
Sur un sujet voisin, le Syndicat professionnel de l’énergie solaire Enerplan rappelle que « La planification du développement du réseau passe par la mise en œuvre des Schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR). Un récent décret d’application fait évoluer la gouvernance des S3REnR en y impliquant davantage les Régions et les AODE »[11] (Figure 3).
Dans sa mission traditionnelle de conseils pour la réduction de la dépense publique, la Cour des Comptes attire l’attention sur l’augmentation sensible de l’effort d’investissement à consentir pour mettre en œuvre la transition énergétique, c’est-à-dire la réalisation d’une nouvelle génération de capital énergétique, et donc sur les difficultés de son financement : « Il apparaît néanmoins avec certitude que l’effort d’investissement sera considérable et devra porter sur plusieurs décennies. C’est ce que le récent débat national sur la transition énergétique a permis d’établir. Cet effort suppose, en effet, une augmentation des investissements consacrés à l’énergie que l’on peut estimer être comprise entre 0,5 et 2 points de PIB, selon les différents scénarios retenus. Par rapport aux 37 milliards d’euros consacrés annuellement aujourd’hui aux investissements énergétiques, ceci représente un accroissement supérieur à 30 % et pouvant aller jusqu’à 100%, chaque année et ce jusqu’en 2050 »[12].
Mais la Cour est allée au-delà dans son rapport de 2013 sur les concessions de distribution de l’électricité. Devant la liste conséquente des défaillances, carences et incohérences dans la programmation des investissements, des augmentations du nombre de contentieux, qu’elle a relevée dans le système des relations entre concédant et concessionnaire de la distribution d’électricité, elle a formulé plusieurs recommandations sur les réformes à apporter au régime actuel dont la septième qui serait celle de « s’interroger à plus long terme sur l’évolution du modèle de la distribution d’électricité », ce qui parait exprimer un doute sur la pérennité du modèle actuel. D’où les deux modèles concevables (Tableau 1).
Tableau 1 : Deux scénarios d’un nouveau modèle de distribution de l’électricité
Scénario A dit de « l’ optimisation de la dépense par un pilotage national des investissements » | Scénario B « de la décentralisation et l’autonomie des collectivités territoriales » | |
Modalités | En zone rurale, abandon du système de partage des maitrises d’ouvrage pour les confier à l’opérateur historique
Dans les zones urbaines, poursuite du système actuel dans lequel de «nombreuses autorités concédantes considèrent qu’elles n’ont pas à intervenir directement sur le réseau de distribution d’électricité ». |
Aligner le régime atypique des concessions de distribution d’électricité sur le droit commun des concessions de service public, en particulier pour la mise en concurrence des concessions, et fin du tarif unique sur tout le territoire national |
Les motifs et avantages | Le mérite d’éviter les interventions redondantes sur les réseaux électriques interconnectés et interdépendants ; les priorités nationales pourraient être mises en œuvre | Les collectivités locales seraient à même de satisfaire les besoins purement locaux |
Les points faibles et les risques | -Réticences d’une grande partie des autorités concédantes pour abandonner les maîtrises d’ouvrage sur leurs réseaux électriques
-Risque de sous-investissement de l’opérateur historique en zones rurales |
Abandon de la solidarité territoriale avec la fin de la péréquation tarifaire, les concessions déficitaires devant soit augmenter le tarif demandé aux usagers, soit compenser le manque à gagner avec leurs propres ressources.
-Risques de moindre optimisation du réseau du fait de son alignement sur les frontières des concessions, et d’augmentation des coûts de structure du fait du grand nombre d’autorités concédantes et de la faible taille critique des opérateurs face à des événements climatiques exceptionnels. |
Source : Extraits choisis par l’auteur à partir des éléments du rapport 2013 de la Cour des Comptes ( p.136)
Mais ces deux scénarios hypothétiques ne paraissent devoir être considérés dans leur état actuel que comme une première contribution à un débat qui doit s’ouvrir, tant leur libellé contient des propositions extrêmes, également irrecevables : d’un côté l’abandon pur et simple à l’opérateur historique de toutes les maitrises d’ouvrage effectuées aujourd’hui par les collectivités locales en zones urbaines et rurales, et de l’autre l’abandon de la péréquation tarifaire entre ces deux zones. A l’évidence des scénarios alternatifs différents mériteraient d’être définis en des termes plus affinés.
La position de la Commission de régulation sur l’énergie sur le rôle des collectivités locales dans le domaine énergétique a évolué. Dans son rapport d’octobre 2010 sur la qualité de l’électricité, elle écrivait que « l’ampleur du défi national de sécurisation des réseaux et le contexte actuel de dégradation de l’alimentation en électricité plaident pour une approche nationale de la question. Le pilotage des investissements au niveau national est, en outre, d’autant plus légitime que la tarification de l’acheminement est péréquée et repose, donc, sur des principes d’équité territoriale ». Dans son rapport annuel de 2013, la tonalité est nettement différente : « En matière d’énergie, les villes et les établissements publics de coopération intercommunale assurent cinq grandes fonctions ; ils développent la production à partir d’énergies renouvelables, distribuent- c’est leur mission historique- et consomment l’énergie. Ils aménagent leurs territoires et ils sensibilisent les acteurs locaux et la population à la maîtrise de l’énergie.
Dans le contexte de la transformation du système énergétique avec notamment le développement de la production décentralisée de l’électricité, leur rôle en matière de planification des moyens de production s’est accru. Les collectivités locales sont aujourd’hui à l’initiative de nombreux projets innovants pour contribuer à gérer plus efficacement l’énergie. Consciente de ce rôle central des différents niveaux de collectivités, la CRE souhaite renforcer ses échanges avec les élus locaux »[13].
De par ses missions de promotion de la maîtrise de l’énergie et des énergies nouvelles et renouvelables, l’ADEME a une appréciation forcément différente de celle des autres services ou agences publiques quant au rôle des collectivités locales. Sa position se distingue de l’attitude de prudence et d’interrogation des autres instances nationales. Lors des débats organisés par le MEDDE sur la transition énergétique, l’ADEME a déclaré : «Les acteurs publics et, en premier lieu, les collectivités, occupent une place centrale pour relever le défi de la transition énergétique et écologique. Ces dernières ont la responsabilité directe des investissements de long terme. Elles organisent les activités sur leur territoire et mettent en œuvre des actions d’adaptation au changement climatique. Elles sont aussi les mieux placées pour favoriser les évolutions de comportement et mobiliser les acteurs locaux »[14] (Figure 4).
3. Les collectivités locales entre attentisme méfiant et insatisfaction partielle
La question de l’attitude des représentants des collectivités locales à l’égard du projet de loi sur la transition énergétique ne peut être séparée de celle de ces mêmes élus sur les projets de loi, également en discussion au parlement, relatifs à la réforme territoriale. Des similitudes sont observables entre les différences de positionnement sur la décentralisation et la transition énergétiques d’un côté, les partisans du maintien des départements et ceux favorables à des transferts de compétences accrues vers les régions et métropoles, de l’autre.
En simplifiant, on peut regrouper, dans le domaine de l’énergie, les réactions des collectivités locales en deux catégories :
– d’une part celles qui, dans le débat national sur la transition énergétique, ont réaffirmé leur position traditionnelle sur l’évolution souhaitable de leurs relations d’autorités concédantes avec leur concessionnaire historique de la distribution d’électricité : avec la FNCCR, leur leader, il s’agit d’institutions du type de l’Association des Maires Ruraux de France, l’Association des Maires de France, soutenues indirectement mais assez constamment par le Sénat ;
– et d’autre part celles qui ont affiché, depuis le début du débat national sur la transition énergétique, des positions innovantes sur la planification énergétique territoriale, sur un service public local coordonné par la région et porté par les Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) sur les réseaux de chaleur et une meilleure valorisation des déchets ménagers : animé notamment par AMORCE, on trouve dans ce groupe l’Association des communautés urbaines de France, l’Association des régions de France, l’Association des maires des grandes villes de France, les réseaux RARE et FLAME et quelques autres. Ces associations sont donc majoritairement représentatives de collectivités urbaines qui ont été souvent actives dans la gouvernance énergétique de leurs territoires.
Un rapport bien informé et structuré d’élèves administrateurs de l’Institut national des études territoriales (INET), montre cependant le large spectre des « modalités de mise en œuvre de la politique énergétique, du point de vue du portage politique et de l’organisation administrative interne. …et des appréciations portées par nos interlocuteurs sur l’organisation plus ou moins aboutie du partenariat en matière énergétique au niveau du territoire »[15].
Ceci ne veut pas dire que ces deux groupes d’institutions ne peuvent pas avoir soit des échanges communs soit des prises de position commune. Parmi d’autres, deux exemples peuvent être cités : en 2012, l’organisation d’un colloque, en partenariat avec la FNCCR, l’AMF, l’AdCF, l’AMGVF et l’ACUF, pour mettre en évidence la façon d’utiliser les compétence d’autorité organisatrice de la distribution d’énergie dans les politiques énergie-climat locales[16] ; en avril 2013, la publication d’une note intitulée « Proposition de schéma d’organisation et de mise en œuvre de la transition énergétique territoriale ».
Au-delà, ces deux groupes se rejoignent sur des objectifs généraux communs qui tendent à faire des collectivités locales des co-décideurs, plutôt que des «supplétifs», ou à renforcer la capacité régulatrice des autorités organisatrices de la distribution d’énergies de réseau. Par ailleurs il n’est pas impossible que des collectivités locales aient une double appartenance, par exemple, à la FNCCR et à AMORCE.
3.1. L’attentisme méfiant de la FNCCR
Chaque institution a des particularités fortes liées à ses racines historiques : dans le cas de la FNCCR il s’agit notamment de ses relations avec les syndicats d’énergie électrique. La Fédération plaide avec insistance en faveur des Grands syndicats intercommunaux ou mixtes : « les syndicats intercommunaux ou mixtes de grande taille, spécialisés dans les services publics en réseaux (énergie, eau, communications électroniques, déchets), se sont avérés être de remarquables outils de rationalisation des services publics locaux et d’amélioration de leur efficience….. En raison de leur emprise territoriale étendue et de leur spécialisation, les grands syndicats disposent de compétences techniques pointues, qu’une collectivité isolée, même de grande taille, ne peut facilement acquérir…. Ils sont également porteurs d’innovations, dans des domaines tels que la production d’énergie renouvelable, la protection des ressources en eau ou la coordination de groupements de commande…. Véritables bras armés de leurs collectivités ou EPCI membres, ils garantissent la solidarité et la complémentarité territoriales ». Enfin la FNCCR s’inquiète de ce que le « démantèlement des syndicats d’eau et le transfert de leurs compétences aux EPCI à fiscalité propre soit apparemment déjà mis en œuvre par certains préfets ….»[17].
Sur le dossier du regroupement des anciens syndicats d’énergie communaux ou intercommunaux à l’échelon départemental, le Réseau RAC France ajoute que « …la départementalisation des syndicats d’énergie va dans la bonne direction, mais cette échelle peut se révéler insuffisante. Une réflexion est à conduire afin de faciliter des regroupements interdépartementaux. ll semble par ailleurs utile de faciliter l’accès des intercommunalités à la gouvernance de ces structures, puisqu’il s’agit d’un niveau structurant en matière de politique climat-énergie »[18].
Par ailleurs la FNCCR s’engage, mais seulement depuis le milieu de l’année 2014, dans la création de groupes de réflexions énergie-territoire pour examiner l’impact des mesures du projet de loi de transition énergétique, en liaison avec celui de la réforme territoriale. Le 7 août 2014, la Fédération a annoncé la création d’un groupe de travail énergie « dédié aux grandes agglomérations (métropoles et communautés urbaines) en leur qualité d’autorités organisatrices de la distribution publique d’électricité, de gaz et de chaleur.… Il s’intéressera également aux enjeux liés à la desserte énergétique des territoires : élaboration des plans climats air énergie territoriaux et des volets énergie des plans locaux d’urbanisme, coordination des réseaux d’électricité, de gaz et de chaleur, outils de politiques locales de maîtrise de la demande d’énergie, déploiement des infrastructures de charge des véhicules propres (véhicules électriques, véhicules au gaz naturel), mise en place progressive des smart-grids et des services publics locaux de données numériques, etc».[19]
3.2. L’insatisfaction partielle des institutions proactives de la décentralisation énergétique
De son côté, l’Association AMORCE avait manifesté ses préférences pour une ré-organisation territoriale de l’énergie plutôt avec les Communautés urbaines et les Régions, dans la mesure où elles apparaissaient comme étant les échelons territoriaux ayant prouvé dans le passé récent leur dynamisme. Réseau Action Climat de France fait un ensemble de propositions pour mettre en œuvre cette réorganisation à partir d’un renforcement du bloc de compétences « climat énergie » à l’échelon intercommunal et régional. Mais Amorce a franchi une étape supplémentaire en se risquant, de manière originale, à une notation du Projet de loi sur la transition énergétique (Figure 5).
Sous le titre « AMORCE note le projet de loi sur la transition énergétique au regard des besoins des collectivités » avec une note moyenne générale de 8,5 sur 20 et avec l’appréciation « Bonne implication, mais peut (beaucoup) mieux faire», cette association témoigne de son insatisfaction partielle sur cette réforme : « Des objectifs ambitieux conformes à une vraie volonté de transition énergétique. Mais peu de mesures significatives et structurantes permettant de rendre crédible l’atteinte de ces objectifs grâce à l’engagement des collectivités territoriales. Cette dimension territoriale, essentielle et stratégique, de la transition énergétique reste très en retrait des conclusions du Débat National sur la Transition Energétique. 1/3 des propositions des collectivités sont partiellement prises en compte dans le Projet de loi, mais seulement 4 sont totalement reprises ». Cette note moyenne de 8,5 sur 20 est détaillée dans les six sous chapitres suivants :
« -planification énergétique des territoires : 1 sur 5
-maîtrise de l’énergie et lutte contre la précarité énergétique : 1,5 sur 5
-développement des énergies renouvelables : 1,25 sur 5
-distribution de l’énergie : 1,5 sur 5
-financement de la transition énergétique territoriale : ? sur 5, avec la précision « En attente de confirmation des mesures annoncées par la ministre et du PLF 2015,
-bonus/malus : + 3 points »[20] .
On peut assez vraisemblablement postuler que la décentralisation énergétique en France a peu de chances de progresser nettement, si ces deux groupes d’acteurs n’arrivent pas à former un « front commun». Sur la partie relative à la distribution de l’énergie, il semblerait qu’après une étape de rédaction commune d’un projet de texte avec AMORCE, la FNCCR ait refusé d’apporter sa signature à ce document. Ce refus parait témoigner de divergences techniques et politiques sur les évolutions futures de la décentralisation énergétique.
Conclusion
Le lancement des idées sur la transition énergétique depuis le début de la décennie 2010 jusqu’à un début de leur application avec le projet de loi, mais aussi leur coïncidence avec la rencontre du « numérique et de l’énergie », et la maturité croissante des énergies nouvelles et renouvelables ont constitué des points d’appui nouveaux aux débats sur la décentralisation énergétique, et ses modalités d’application dans la réalité. Cependant la construction compliquée et longue du texte de projet de loi sur la transition et les traductions encore modestes de nouvelles gouvernances énergétiques territoriales montrent que des pas décisifs restent à faire, pour ne pas rester « au milieu du gué ». D’autres facteurs de changements apparaissent nécessaires qui concernent notamment un accord entre les parties prenantes sur des modalités communes de réforme territoriale et de transition énergétique décentralisée.
Trois conclusions découlent de cette évolution/mutation entre les deux modèles territoriaux.
– Le développement durable et sa traduction dans le domaine énergétique sont devenus de nouveaux enjeux incontournables pour les pouvoirs publics, et donc aussi pour les collectivités locales.
– Un nombre important de ces dernières s’est mobilisé pour faire face à ces nouveaux enjeux, mais de façon diverse et incomplète. Cette hétérogénéité et cette incomplétude compliquent, mais n’interdisent pas la nécessaire mise en cohérence des nouveaux objectifs nationaux et européens de politique énergétique avec ceux des collectivités locales.
-Cette difficulté de mise en cohérence avec les objectifs de la politique nationale est accentuée dans le domaine de l’électricité. L’actuel modèle de distribution de l’électricité est désormais sur la sellette. Son renouvellement s’impose malgré les améliorations ponctuelles et significatives qui lui ont été récemment apportées avec les conférences départementales de coordination des investissements, la réduction du nombre d’autorités concédantes, le renforcement de leur expertise et les engagements de l’opérateur historique d’accroitre, dans certains cas, la transmission des données patrimoniales et financières. La formation de smart grids devrait contribuer à ce renouvellement.
Notes et références
[1] Krause et Bossel (1980). Energiewende : Wachstum und Wohlstand ohne Erdöl und Uran, S. Fischer Verlag,.
[2] Michel J.-F. Dubois (2009). La transition énergétique : vivre dans un monde fini. Collection L’époque en débat. Paris : Desclée De Brouwer. Alexandre ROJEY (2008). Énergie & climat, Réussir la transition énergétique. Paris : Editions Technip, 218 p.
[3] Magnin Gérard (2014). Transition énergétique et égalité des territoires, p. 482 à 496 in Laurent Eloi, sous la direction de (2013). Vers l’égalité des territoires, Dynamiques, mesures politiques, Rapport vers l’égalité des territoires. Paris : La documentation française.
[4] Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie –MEDDE- (2014). Enjeux et objectifs de la transition énergétique pour la croissance verte. http://www.developpement-durable.gouv.fr/Enjeux-et-objectifs,40911.html). Voir aussi : MEDDE, 10 décembre 2013, Plan commenté du projet de loi de programmation sur la transition énergétique », note de 5 pages. Site Internet du Ministère.
[5] Source : MEDDE, 2014, op.cit.
[6] La Fabrique Ecologique, Mai 2014, Les territoires au cœur de la transition énergétique, http://media.wix.com/ugd/ba2e19_fe0203307bfd47a598604f1c54468e33.pdf
[7] Ministère de l’économie et des finances, site internet : http://www.economie.gouv.fr/daj/directive-concessions-colloque-2014
[8] FNCCR, Congrès de Montpellier, 2013, Table ronde énergie, Distribution de l’électricité, péréquation nationale et service public de proximité, http://www.congresfnccr.weavent.fr/pdf/energies/TR8_distribution.pdf (p. 89)
[9] Mary Olivier (2014). L’autoconsommation, mode de production du futur ?, Energie Plus, N° 531, 15 Septembre, p.20-21
[10] Propos d’André Joffre cités dans l’article d’Olivier Mary, p.21.
[11] Source internet : http://www.enerplan.asso.fr/index.php?option=com_content&task=view&id=1363&Itemid=204
[12] Cour des Comptes (2014). Synthèse du rapport sur La mise en œuvre par la France du Paquet Energie-climat p.20.
[13] CRE, Rapport annuel 2013, p.15.
[14] ADEME , http://www.ademe.fr/collectivites-secteur-public
[15] Canévet Clara, Duthoit Vivien, Labarthe Julia, Waintrater Amos (2012). Entre autonomie et solidarités territoriales, quelle gouvernance énergétique dans les territoires urbains ?, Septembre, Etude ACUF – AMGVF – INET, 103 pages.
[16] Rapport annuel 2013 d’Amorce.
[17] Courrier envoyé le 18 Juillet 2014 au Premier Ministre, publié le 25 Juillet 2014, et signé notamment par le Président de la FNCCR. FNCCR http://www.fnccr.asso.fr/actualite-115-grands_syndicats_intercommunaux_ou_mixtes_lettre_a_matignon.html
[18] Réseau Action Climat de France (2014). Quelle gouvernance territoriale pour la transition énergétique ?, 30 pages, infos@rac-f.org; –www.rac-f.org
[19] FNCCR :7/08/20014, http://www.fnccr.asso.fr/actualite-113-energie_groupe_de_travail_dedie_aux_grandes_agglomerations.html
[20] Amorce, op. cit, 2014, pp.3-6.
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