La cavitation : Une introduction

La cavitation : Une introduction

La cavitation est un phénomène que rencontre fréquemment l’hydroélectricité. Pour en comprendre les effets et les remèdes, il faut commencer par en connaître les multiples formes qui vont des bulles séparées, des poches ou des lames, aux vortex  et aux mélanges.


La cavitation est un phénomène que l’on rencontre principalement dans les industries de l’hydraulique et de l’hydrodynamique. Après sa description, des précisions seront données sur les différentes formes qu’elle revêt, ses inconvénients, ses remèdes et quelques unes de ses applications industrielles.

Cet article est construit à partir du contenu des formations en hydraulique que le CERG (voir présentation d’organismes spécialisés) prodigue en la matière[1].

 

Tableau 1 : Notations utilisées dans les corps du texte

 

$$ alpha$$ amplitude (en Pa)
$$Fr$$ nombre de Froude
$$g$$ accélération de la pesanteur (en m/s²)
$$H$$ charge ou hauteur d’eau (en mCE)
$$P,p, p_{o}$$ pression en un point (en Pa)
$$p_{v}$$ pression de vapeur (en Pa)
$$Re$$ nombre de Reynolds
$$t$$ temps (en s)
$$v$$ vitesse du fluide en un point (en m/s)
$$z$$ altitude (en m)
$$nu$$ viscosité cinématique (en m²/s)
$$rho$$ masse volumique en un point (en kg/m³)
$$sigma$$ paramètre adimensionnel de cavitation
$$omega$$ pulsation (rd/s)

 

1. Description du phénomène

La cavitation est un phénomène physique affectant les liquides. Il s’agit d’une ébullition locale de liquide en raison d’une baisse de la pression statique. Généralement, cette faible pression est la conséquence d’une augmentation locale de la vitesse d’écoulement, ce que montre le théorème de Bernoulli qui, selon son expression la plus simple, supposant un fluide parfait, un écoulement stationnaire, irrotationnel et en l’absence de transferts de chaleur, s’écrit :

$$ frac{nu^{2}}{2g}+z+frac{p}{rho g}= constante$$

Donc, contrairement à ce que l’on connait classiquement du phénomène d’ébullition, la cavitation n’est pas due à une augmentation de la température qui dépasserait la température de vaporisation mais à une baisse de la pression qui devient inférieure à la pression de vapeur pour les conditions de température locale. Dans le diagramme ci-dessous relatif à l’eau, on comprend bien que si l’on réduit suffisamment la pression statique à température donnée, l’eau liquide va se transformer en vapeur. Par exemple, il faut atteindre une pression d’environ 20 mbar pour une température ambiante de 20°C.

Fig. 1 : Relation pression – température

D’une manière générale, la vaporisation du liquide reste instable et la vapeur créée se condense dans les zones de plus haute pression dans l’écoulement aval. On observe un phénomène pulsatoire de création puis collapse de bulles ou de poches de vapeur.

Ce qui est dit ci-dessus suppose que le liquide soit en mouvement. On peut créer de la cavitation par d’autres moyens, en obtenant une pression inférieure à la pression de vapeur par génération d’ondes de pression acoustique d’amplitude suffisante :

$$P(t)=p_{o}+alpha sin omega t$$

En effet, si $$p_{o}-alpha$$ est inférieur à la pression de vapeur, à chaque alternance, il y aura apparition de la cavitation. C’est ce qui est obtenu avec des générateurs ultrasonores dans des applications que l’on montrera plus loin.

 

2. Les différents types de cavitation

On peut caractériser les différents types de cavitation par l’allure physique du phénomène.

2.1. Cavitation à bulles séparées

Ce type de cavitation se produit plutôt sur des profils à faible incidence ; les structures ont l’allure de bulles de vapeur isolées plus ou moins sphériques qui apparaissent de façon aléatoire au sein du liquide. Afin que ces bulles puissent se créer, il est nécessaire qu’il existe, au sein du liquide ou sur la paroi, des germes (précisément des microbulles d’air) à partir desquels les bulles grossissent.

Fig. 2 : Cavitation à bulles sur un profil d’aile

2.2. Cavitation à poches

Dans ce type de cavitation, la phase vapeur constitue une cavité unique, attachée au profil sur lequel elle se développe. Elle prend naissance à partir d’un décollement sur le profil ou sur un obstacle. À l’arrière de cette poche, se détachent des structures instationnaires, connectées par l’écoulement et qui collapsent en aval. Ci-après, quelques exemples de poches de cavitation.

Fig. 3 : Cavitation à poches sur un engin sous-marin Fig. 4 : Cavitation à poches sur une roue de pompe Fig. 5 : Cavitation à poches sur un entrefer de roue

2.3. Cavitation à lames

On peut la désigner comme un cas particulier de la cavitation par poches. Elle  concerne des structures minces et stables semblables à des lames brillantes qui s’accrochent sur une arête comme par exemple le bord d’attaque d’un profil. Ce type de cavitation se produit généralement lorsque l’incidence d’un profil est trop forte et génère une dépression trop importante.

Fig. 6 : Cavitation à lames sur une pale d’hélice

2.4. Cavitation de vortex.

Un vortex (ou tourbillon) se crée par exemple aux extrémités de pales d’hélices ou de pompes. Ils peuvent aussi se créer en aval d’obstacles situés dans l’écoulement. La cavitation qui se produit alors au cœur de ce tourbillon qui est une zone à forte dépression est appelée cavitation de vortex :

Fig. 7 : Cavitation d’extrémité de pale d’hélice  Fig. 8 : Tourbillons cavitants en aval d’un obstacle

2.5. Cavitation de mélange :

Cette cavitation apparait typiquement dans des couches de cisaillement entre un jet noyé et un liquide. C’est le cas des écoulements au travers d’orifices ou de vannes et aussi celui de jets propulsifs. C’est aussi le cas des écoulements en aval d’obstacles.

Fig. 9 : Cavitation de mélange en aval d’une vanne papillon

 

3. Les effets de la cavitation

En dehors des applications industrielles ou médicales décrites plus loin, la cavitation a essentiellement des conséquences négatives et restrictives sur le fonctionnement des installations hydrauliques. La cavitation se manifeste par différents effets dont les implications sont plus ou moins dommageables selon son intensité ou selon la préoccupation de l’utilisateur.

Bruit – La toute première manifestation de la cavitation est l’apparition d’un bruit, plus ou moins fort selon son développement. Cette conséquence est particulièrement préoccupante pour le domaine de la discrétion sous-marine.

Le bruit rayonné est dû aux fluctuations de volume des bulles ou des poches de vapeur. En fonction du développement de la cavitation, il va évoluer de petits crépitements à un bruit qui peut dépasser les limites supportables par l’oreille humaine. Le bruit de cavitation est, de loin, la source la plus importante de bruit liée aux écoulements de liquide.

Comme le bruit de cavitation apparait bien avant que celle-ci soit visible sous forme de bulles ou de poches, l’analyse acoustique est un outil très utile pour la détection de la cavitation.

Performances – La seconde manifestation de la cavitation est la chute des performances des équipements. Le développement de la cavitation dans des machines ou des organes hydrauliques peut être tel que les écoulements sont modifiés par la présence des structures cavitantes en créant une obstruction. On observe ainsi une baisse de la hauteur engendrée et du rendement pour une pompe, une baisse de la poussée pour une hélice, une augmentation de la perte de charge et une limitation du débit pour une vanne.

Vibrations – La troisième conséquence concerne les vibrations qui sont liées aux fluctuations des structures cavitantes en présence de parois solides. Ces fluctuations génèrent des efforts instationnaires qui se traduisent par des vibrations. Par exemple, la cavitation des hélices d’un bateau engendre des excitations de la ligne d’arbre qui peuvent se répercuter comme vibrations sur les structures du bateau.

Érosion – Enfin, la dernière conséquence est le phénomène d’érosion mécanique. Dans la phase d’évolution des structures cavitantes, le phénomène de collapse des volumes de vapeur est souvent très rapide et génère de très grandes vitesses locales de liquide. Si ce collapse se produit au voisinage d’une paroi, il se forme des jets de liquides dirigés vers la paroi ; ces jets, étant d’une très grande énergie, peuvent engendrer des dommages de type érosion qui, si ce phénomène se multiplie, peuvent aller jusqu’à la destruction physique de la structure.

Les illustrations ci-dessous sont une démonstration de l’endommagement de machines dû à l’érosion de cavitation :

Fig. 10 : Roue de pompe Fig. 11 : Détail de roue de pompe Fig. 12 : Corps de vanne

 

4. Paramètre caractéristique de la cavitation – Similitude

En mécanique des fluides tout particulièrement, on définit des paramètres adimensionnels à partir des grandeurs caractéristiques du phénomène étudié. On connait le nombre de Reynolds $$(Re=frac{vd}{nu })$$ qui indique le caractère plus ou moins turbulent d’écoulement. On connait le nombre de Froude $$(Fr=frac{v}{sqrt{gH}})$$ employé dans le cas des écoulements à surface libre et qui définit, entre autre, si un écoulement est fluvial ou torrentiel. Ces paramètres sont utiles également pour déterminer les conditions d’essais en similitude sur un modèle réduit, technique largement répandue en hydraulique et en hydrodynamique.

Dans le cas du phénomène de cavitation, le paramètre adimensionnel utilisé est le sigma ($$sigma$$) de cavitation :

$$sigma =frac{p-p_{v}}{frac{1}{2}rho v^{2}}$$

$$p_{v}$$ étant la pression de vapeur pour la température du liquide considéré.

Il représente le rapport entre la pression locale (en référence à la pression de vapeur) et la pression dynamique. Plus ce nombre est faible, plus la cavitation risque de se manifester.

Une autre expression de ce paramètre est utilisée selon l’application :

$$sigma =frac{p-p_{v}}{rho gDelta H}$$

$$Delta H$$ représentant alors la hauteur générée par une pompe, la perte de charge d’une vanne ou aussi la hauteur de chute d’une turbine.

On définit à partir de considérations expérimentales ou d’observations une valeur de sigma critique correspondant aux conditions de début de cavitation. Dans une installation, on évitera donc la cavitation si la valeur du sigma de fonctionnement est supérieure à celle du sigma critique.

Ainsi, cette notion de paramètre adimensionnel de cavitation devient utile à deux points de vue :

  • À partir de la connaissance du sigma critique d’une configuration, régler les paramètres de fonctionnement (pression, vitesse de rotation, perte de charge, etc…) de façon à éviter le domaine cavitant,
  • Définir les conditions d’essais sur modèle réduit afin d’étudier la machine ou le composant hydraulique du point de vue de la cavitation.

 

5. Les domaines concernés par la cavitation

Les industries mettant en œuvre des liquides sont a priori toutes concernées par le problème de la cavitation. Bien entendu, ce sont les domaines de l’hydraulique et de l’hydrodynamique qui ont été précurseurs et qui sont principalement impactés dans la mesure où l’on a affaire à des installations de grande puissance et de très longue durée de vie. C’est le cas des turbines hydrauliques, des pompes, des hélices de navire, des vannes. Le recours à des essais sur modèle réduit (dont des images ont été montrées dans le texte ci-dessus) ou à des calculs, préalables à la définition des machines, est courant et souvent indispensable afin de déterminer les paramètres de fonctionnement hors cavitation.

Les évacuateurs de crue installés sur les barrages hydroélectriques sont eux aussi sensibles à la cavitation en raison des grandes vitesses d’écoulement.

L’hydraulique de puissance mettant en œuvre de l’huile est également concernée par le problème. La cavitation peut se manifester dans les vérins ou les distributeurs.

D’autres exemples peuvent être trouvés en dehors de ces industries typiques : la cavitation du liquide de refroidissement des culasses d’automobiles due cette fois à des vibrations générant des pressions négatives, celle de pompes de circulation de transformateur à refroidissement par huile, cavitation dans des pompes à vis,…

 

6. Remèdes à la cavitation

Différents remèdes peuvent être appliqués pour faire disparaitre la cavitation ou en limiter les effets nuisibles. Quelques exemples sont donnés à titre indicatif ci-dessous.

On a vu que la pression statique était un paramètre important. En conséquence, afin de limiter le risque d’apparition de la cavitation :

  • on peut pressuriser un circuit pour augmenter la pression locale dans les zones de cavitation,
  • on peut placer les organes les plus critiques vis-à-vis de la cavitation dans les parties basses de l’installation,
  • on peut augmenter la pression d’aspiration des pompes ou réduire leur vitesse de rotation.

Pour les organes de réglage ou de laminage du débit, la solution est d’étager la perte de charge de sorte que chaque étage fonctionne hors cavitation. À ce titre, il existe des vannes du commerce intégrant ce principe[2].

Lorsqu’il n’est pas possible d’éviter une zone de fonctionnement cavitant et que la préoccupation est l’érosion des matériaux, la solution est de disposer dans les zones attaquées par la cavitation des blindages en matériau résistant. C’est ainsi que l’on protège le béton des évacuateurs de crue des barrages par des plaques d’acier. Une autre technique est d’injecter de l’air dans l’écoulement qui, en se retrouvant dans les structures de vapeur, va, lors du collapse de cette cavité de vapeur, jouer un rôle d’amortisseur et réduire voire supprimer les dégradations par érosion. C’est aussi une technique utilisée dans les évacuateurs de crue[3].

 

7. Applications de la cavitation

Indépendamment des aspects négatifs de la cavitation qui limitent les possibilités d’utilisation des machines hydrauliques par exemple, la cavitation maitrisée est à la base de plusieurs applications intéressantes :

Dans le domaine industriel, la cavitation est utilisée dans les exemples suivants :

  • La sonochimie s’appuie sur le principe d’une cavitation générée par des ultrasons. Cette cavitation déclenche des réactions chimiques de rendement supérieur à ce qui est obtenu par des techniques classiques. De telles méthodes sont également utilisées dans le domaine agroalimentaire.
  • Les cuves à ultrasons utilisent de la même façon le phénomène de cavitation, cette fois pour le nettoyage d’objets comme des bijoux, des lunettes.
  • Dans le domaine pétrolier, des tentatives d’améliorer les capacités de forage des puits ont été envisagées ; la cavitation de la boue de forage injectée dans le puits permet là aussi d’accroitre les performances dans certaines situations.

En médecine et dans les activités connexes, la cavitation trouve quelques applications :

  • Destruction des calculs rénaux par l’émission d’ondes ultrasonores induisant de la cavitation,
  • Traitement de la cellulite par ondes ultrasonores, connu sous le nom de lipocavitation,
  • En parodontologie, le détartrage par ultrasons est réalisé à l’aide d’un embout métallique qui projette de l’eau pour éliminer le tartre par cavitation et refroidir la zone.

 

Conclusion

Même si l’on a pu lui trouver des applications industrielles ou médicales, applications qui restent bien marginales, la cavitation est avant tout un phénomène particulièrement dommageable car il limite de manière importante le fonctionnement des installations mettant en œuvre des liquides. C’est particulièrement les industriels de l’hydraulique (fabricants de pompes, de turbines et de vannes) ainsi que les militaires (marine de surface, sous-marins) qui sont concernés en tout premier lieu. Ce sont eux qui ont initié les recherches et entrainé les universitaires et les chercheurs à approfondir les connaissances dans ce domaine complexe.

Les très nombreux thèmes de recherche qui ont été et sont toujours menés sur le sujet ont permis de mieux comprendre le phénomène, mieux le prévoir, mieux l’étudier à l’aide d’essais sur modèle ou par simulation numérique et donc de bien le prendre en compte de telle façon que les machines puissent fonctionner en toute sécurité.

Si le lecteur souhaite approfondir ses connaissances sur la cavitation, il est convié à consulter deux ouvrages fondamentaux, en français, qui font référence dans le domaine et qui développent dans le détail tous les éléments qui sont esquissés ici. Ces ouvrages sont celui d’Yves Lecoffre[4] et celui issu d’un travail collectif d’universitaires et d’acteurs de la recherche militaire[5].

 


Crédit photos

Les photos sont toutes issues de la photothèque de la société CERG SAS.

 


Références et notes

[1] CERG – Cours de formation en hydraulique. Le CERG est une société (SAS) maintenant indépendante mais qui a longtemps fait partie d’Alstom Power.

[2] Des exemples de vannes anti-cavitation se trouvent dans les catalogues des constructeurs tels que Flowserve, Masoneilan, Spirax, Cla-Val

[3] Maurice BOUVARD – Cavitation et évacuateurs de crues des grands barrages – La Houille Blanche, N°4-5 (Juin 1997), pp. 70-73

[4] Yves LECOFFRE – La cavitation – Traqueurs de bulles – 1994 – Editions HERMES – Paris

[5] Jean Pierre FRANC et al. – La cavitation – Mécanismes physiques et aspects industriels – 1995 – Presses Universitaires de Grenoble

 


L’Encyclopédie de l’Énergie est publiée par l’Association des Encyclopédies de l’Environnement et de l’Énergie (www.a3e.fr), contractuellement liée à l’université Grenoble Alpes et à Grenoble INP, et parrainée par l’Académie des sciences.

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