L’évolution de l’économie pétrolière est indissociable de celle des contrats entre les compagnies pétrolières et les propriétaires des ressources du sous-sol. Leur évolution est retracée par Jesus Mora Contreras, professeur de l’Universidad de los Andes à Merida (Venezuela), en quatre articles tirés de son ouvrage Contratos de exploracion y produccion de petroleo : origen y evolucion, 2012, Mérida, Universidad de Los Andes, 146 p. Cet article publié en espagnol : Contratos de exploración y producción de petróleo: los contratos de arrendamiento de petróleo y gas a été traduit par Baptiste DIRAND, formation : Master 1 Traduction spécialisée multilingue, Université Grenoble Alpes.
Des contrats sont signés quotidiennement entre agents de l’industrie pétrolière pour explorer, produire, transporter, raffiner et vendre du pétrole et ses dérivés. Toutefois, dans l’histoire de l’industrie pétrolière, les agents ont essentiellement privilégié trois contrats pour explorer et produire du pétrole dans le monde : le contrat d’amodiation de pétrole et de gaz naturel (oil and gas lease) ou bail, le contrat de concession et le contrat de partage de production. D’autres contrats ont également été utilisés pour développer ces activités, comme le contrat de coentreprises (joint ventures), le contrat de partage des bénéfices, le contrat d’alliance stratégique, le contrat de service, etc. Mais aucun de ces contrats n’a eu autant de succès que les trois premiers auprès des agents pour explorer et produire du pétrole sur le long terme dans le monde. En effet, le contrat d’amodiation de pétrole et de gaz est utilisé aux États-Unis depuis le début du 20ème siècle et jusqu’à nos jours (Figure 1).
Le contrat de concession fut utilisé dans tous les pays membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) jusqu’aux années 1980. Et le contrat de partage de production prédomine désormais dans le monde des activités d’exploration et de production de pétrole et de gaz naturel en dehors de l’Amérique du Nord, de l’Europe occidentale et de quelques pays d’Amérique latine et des Caraïbes.
Aucun de ces trois contrats n’est un modèle en soi, parce qu’il n’existe pas UN modèle de contrat, mises à part quelques dispositions communes à chacun d’eux telles que l’identification des parties (les agents ou les acteurs) ainsi que les droits et les obligations réciproques dans un domaine spécifique sur le long terme, compte tenu de la nature des activités que ces contrats régissent. Mais ces règles ne peuvent être considérées comme LE modèle, car aucun de ces contrats n’est un modèle, pas même dans son genre, bien qu’on ait essayé de créer un modèle du contrat d’amodiation de pétrole et de gaz aux États-Unis. De plus, d’autres contrats ont la même finalité. Enfin, même si chacun d’eux a été utilisé au cours de longues périodes, rien n’empêche les acteurs de constituer une nouvelle forme contractuelle.
Il n’existe pas de modèles de contrats, mais leurs clauses ou modalités et conditions (terms and conditions, d’après la terminologie juridique anglo-saxonne) évoluent bel et bien. Les acteurs ont adopté de nouvelles clauses ou ont rassemblé les clauses existantes et ont créé des contrats hybrides. Par exemple, le paiement d’une redevance, une caractéristique typique des contrats d’amodiation de pétrole et de gaz et des contrats de concession n’était pas stipulé dans le premier contrat de partage de production. Mais ce paiement fut introduit plus tard dans les contrats qui ont suivi. Ce qui a donc changé, ce n’est pas tant le quoi, mais le comment, qui, où, pendant combien de temps et au profit de qui on produit. Les clauses reflètent les forces ou faiblesses des acteurs et leur pouvoir de négociation dans le temps. Quelques-unes de ces clauses sont des transcriptions de normes juridiques nationales (constitutionnelles et légales), qui ne peuvent être négociées ou modifiées tant qu’elles sont applicables, mais d’autres, au contraire, comme les primes et leurs montants, peuvent faire l’objet de discussions entre les acteurs.
Ce que ces trois contrats ont réellement montré, c’est leur stabilité sur le long terme. Peut-être parce qu’ils ont permis de régler de manière formelle et satisfaisante les rapports entre les détenteurs de la ressource naturelle et les entreprises, c’est-à-dire les deux agents en relation directe dans les activités d’exploration et de production de pétrole qu’on appelle activités en amont (upstream). Peut-être aussi, ou même plutôt, parce que supprimer les contrats, comme ce fut le cas avec les concessions de l’OPEP dans les années 1970, serait trop coûteux pour les entreprises et les consommateurs. Et bien qu’ils soient conceptuellement distincts en termes de transfert de droits de propriété, de répartition des revenus entre les parties, de délai, de surface couverte et de règlement des différends, ce sont les trois contrats qui, dans leurs formes juridiques et technico-économiques, dans l’histoire de l’industrie pétrolière, ont été privilégiés par les acteurs pour explorer et produire des hydrocarbures dans le monde pendant plus de 150 ans.
Il s’agit donc de décrire l’origine et l’évolution des contrats d’amodiation de pétrole et de gaz naturel aux États-Unis, des contrats de concession dans les pays membres de l’OPEP et des contrats de partage de production en Indonésie et dans d’autres pays en développement. On présentera également l’évolution de leurs clauses, surtout des clauses économiques, si importantes pour les pays en développement exportateurs d’hydrocarbures dont les recettes fiscales dépendent en grande partie de la rente pétrolière qu’ils s’approprient, qu’on appelle part globale de l’État (government take).
Avant d’expliquer l’origine et l’évolution du contrat d’amodiation de pétrole et de gaz dans la troisième partie, il est indispensable de résumer dans les deux premières parties la manière dont s’est organisée la production de pétrole aux États-Unis, puis comment et pourquoi le contrat d’amodiation de pétrole et de gaz a remplacé le contrat d’amodiation de terre.
1. Organisation de la production de pétrole aux États-Unis
Les activités d’exploration et de production industrielle de pétrole sont nées et se sont organisées sur des terrains privés aux États-Unis au milieu du 19ème siècle. C’est dans ce contexte que fut instauré à partir des années 1850 le premier ensemble de règles régissant le développement des activités en amont (Figure 2).
L’industrie pétrolière moderne est née aux États-Unis en 1859 car lorsque le colonel Drake a foré à Titusville, au nord-ouest de la Pennsylvanie, le puits dans lequel il a découvert du pétrole, quatre circonstances ont été réunies et ont converti l’ancienne activité artisanale de production de brut en une grande entreprise capitaliste. Premièrement, à la fin des années 1850, les techniques pour distiller le pétrole du charbon, produire de l’huile pour s’éclairer et remplacer l’huile de baleine qui se faisait rare étaient déjà connues. Samuel Martin Kier avait trouvé une méthode pour raffiner le brut et éliminer ses impuretés. Il avait aussi inventé un brûleur plus perfectionné pour les lampes qui brûlait du kérosène avec une flamme lumineuse et qui émettait peu de fumée et d’odeur.
Deuxièmement, Benjamin Siliman Jr., professeur à l’Université de Yale et rédacteur en chef du American Journal of Science and Arts (la revue scientifique la plus prestigieuse des États-Unis à cette époque), a publié en 1855 une analyse chimique du pétrole de Pennsylvanie et a exprimé un avis positif sur son potentiel économique. Troisièmement, George Henry Bissell, avocat et promoteur d’entreprises de New-York, s’est servi de l’analyse de Benjamin Siliman comme pamphlet pour vendre à des capitalistes des actions de sa société (Pennsylvania Rock Oil Company) et financer le forage du puits de Drake. Quatrièmement, la ruée vers l’or noir (the oil rush) a attiré des hommes d’affaires et des ambitieux vers la Pennsylvanie, l’État qui a dominé les activités en amont de l’industrie pendant la plus grande partie du 19ème siècle.
Les accords auxquels étaient parvenus les premiers agents pour explorer et exploiter le pétrole sur des terrains privés aux États-Unis durant la seconde moitié du 19ème siècle revêtaient la forme juridique du contrat d’amodiation de terre et non d’un autre contrat pour deux raisons : l’aspect liquide du pétrole et les risques géologiques liés à l’incertitude de son emplacement à l’intérieur des limites d’un domaine. C’est pourquoi les activités en amont de l’industrie pétrolière sont apparues et se sont développées sur 70 ans (1850-1920) ; elles étaient encadrées par des règles établies presque exclusivement entre des agents privés, à savoir le propriétaire du terrain et l’entrepreneur pétrolier. L’État a seulement joué un rôle secondaire lorsqu’un particulier intentait une action à l’encontre d’un autre et que les tribunaux rendaient leur jugement. Mais un grand nombre de ces décisions fut globalement respecté car les jugements des Hautes Cours dans le common law sont déterminants pour créer des normes juridiques.
2. De l’amodiation de terre à l’amodiation de pétrole et de gaz
Le lieu où affleure le pétrole, lorsque c’est le cas, est un indice géologique de sa présence sous terre. Les premiers hommes à avoir foré des puits pour chercher du pétrole l’ont fait au hasard, parce qu’ils avaient remarqué des suintements. Mais l’endroit où il affleure ne correspond pas toujours à l’emplacement du gisement, car l’hydrocarbure filtre des roches-mères et voyage à travers les pores jusqu’à être piégé dans les roches-réservoirs qui empêchent les fuites. Dans le jargon des géologues, ce processus technique est appelé migration. Et les foreurs l’ont bien vite compris. Le caractère migratoire du pétrole entraînait des risques pour leur entreprise : forer des puits à sec et perdre son argent et son travail ! En outre, les risques augmentaient à mesure que le forage était profond (à cause des pertes d’outils dans les cavités, des découvertes de formations inespérées qui conduisaient à l’abandon des projets, etc.).
Ces raisons ont dissuadé la majorité des propriétaires de terrains privés en Pennsylvanie de s’intéresser directement à l’exploration. Ils ont préféré déléguer cette tâche aux entrepreneurs américains. Mais les mêmes raisons ont conduit ces derniers à opter pour l’amodiation de terres ou de droits miniers plutôt que pour leur achat. De plus, les activités des entreprises pétrolières proviennent du sous-sol et non du sol ni de l’accumulation de propriétés de terres.
Dans l’histoire du droit pétrolier des États-Unis, la signature du premier contrat d’amodiation de terre pour explorer et produire du pétrole dans le pays entre d’une part J.D. Angier, du Comté de Venango en Pennsylvanie, et d’autre part Brewer, Watson and Cie le 4 juillet 1853 est considérée comme irréfutable. Ce contrat incluait l’embryon des règles applicables aux activités en amont de l’industrie pétrolière entre 1850 et 1920 suivantes :
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Le contrat d’amodiation de terre était conclu entre deux agents économiques privés : le propriétaire du terrain et l’amodiataire (une entreprise pétrolière).
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L’amodiataire s’engageait à creuser des puits pour chercher du pétrole sous le terrain loué.
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L’amodiataire s’engageait à réaliser les investissements nécessaires pour forer des puits et maintenir le niveau de production. En cas de réussite, le montant de l’investissement était déduit des revenus générés par la vente du brut, et le bénéfice était divisé en deux, 50-50 (fifty-fifty) pour chaque agent.
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Enfin, l’échéance du contrat était de cinq ans à compter de la date de sa signature.
Cependant, cet ensemble de règles naissantes, rédigées avant même l’émergence de l’industrie, fut soumis aux acteurs pour expérimenter des modifications jusqu’à la création d’un autre ensemble de règles et d’un autre contrat leur permettant d’organiser de manière stable les activités en amont sur le long terme.
Le contrat d’amodiation qui a donné naissance à l’industrie pétrolière moderne en 1859 fut négocié en 1857. Dans ce contrat passé entre d’une part la Pennsylvania Rock Oil Company, propriétaire du terrain, et d’autre part M. Bowditch et M. Drake, amodiataires, quelques-unes des règles mentionnées précédemment furent conservées. Mais l’entreprise propriétaire du terrain a réussi à faire en sorte que les amodiataires prennent de plus grands engagements : ils ont été contraints de forer, creuser, chercher et recueillir du pétrole, de l’eau salée, du charbon et toute autre matière présente sous et à la surface des 105 acres de terre louée (environ 42,5 hectares)[1], puis de les transporter, les stocker et les vendre à leur risques et périls. Ils ont également accepté les conditions selon lesquelles le contrat pouvait être rompu si la terre n’avait pas été travaillée pendant « une période non raisonnable » (an unreasonable length of time) ou si le dernier versement de la redevance remontait à plus de 60 jours. En revanche, les amodiataires ont bénéficié d’un délai plus long (30 ans) divisé en deux périodes : l’une initiale de 15 ans et une autre de 15 ans supplémentaires. Ils ont aussi obtenu une diminution de la redevance : un huitième (12,5 %) « de tout le pétrole recueilli » (of all oil as collected). Les amodiataires pouvaient bénéficier d’une redevance pétrolière à raison de 0,45$ américains le gallon (0,41€) ou 18,90 $ américains le baril[2] (17,48€).
Suite à la découverte de pétrole en Pennsylvanie, l’État fut envahi par un grand nombre de personnes qui se sont empressées de signer des contrats d’amodiation de terre et de forer des puits sur les terrains adjacents à celui loué par M. Drake. La frénésie de l’enrichissement fut tellement importante que les propriétaires des terrains ont introduit des clauses exagérées dans les contrats : d’abord, l’amodiataire était obligé de commencer les opérations de manière presque immédiate et « de continuer jusqu’à ce que cela soit une réussite ou d’abandonner », puis l’expiration du contrat était prévue en cas d’arrêt des opérations. Ces clauses étaient justifiées car il n’était pas rare que des terrains loués pour chercher du pétrole soient laissés à l’abandon par les amodiataires pendant 20 ans ou plus, ou qu’ils soient finalement couverts de trous. Ce phénomène s’est reproduit dans d’autres États où des hydrocarbures ont été découverts par la suite, comme dans l’Ohio, en Virginie occidentale, en Californie, en Louisiane et au Texas.
Dans le processus de négociation des contrats est apparu un acteur singulier qui a apporté une contribution significative à l’organisation de l’industrie pétrolière aux États-Unis : une personne dont le travail consistait à négocier l’amodiation de terrains au nom et pour le compte d’entreprises qu’on appelle l’agent foncier (landman). Cet « homme de la terre » (regroupé dans les organisations professionnelles de l’industrie pétrolière nord-américaine) était chargé avec la plus grande discrétion de localiser des suintements de pétrole, d’informer les entreprises, de trouver les propriétaires privés de terrains, vérifier leurs titres de propriété dans le registre immobilier et négocier avec eux, au prix le plus bas, les clauses des contrats individuels d’amodiation. Cet acteur fut déterminant dans la mise en place de règles encadrant les activités en amont de l’industrie aux États-Unis sur le long terme.
De ce premier ensemble de règles, quelques-unes ont été introduites comme clauses d’un nouveau contrat qui est passé d’un contrat générique d’amodiation de terre à un contrat spécifique d’amodiation de pétrole et de gaz (oil and gas lease), un nom utilisé aux États-Unis depuis presque un siècle. Son succès fut tel que fut imprimé au début du 20ème siècle un archétype de contrat appelé Producers 88 form, dans lequel quelques espaces laissés vides sont remplis par les parties au moment opportun ; son utilisation est toujours répandue aux États-Unis et au Canada[3].
3. Le contrat d’amodiation de pétrole et de gaz (oil and gas lease)
Le contrat d’amodiation de pétrole et de gaz est une institution juridique propre à l’industrie pétrolière américaine selon laquelle l’amodiateur (propriétaire du sous-sol ou des droits miniers, car il peut s’agir de deux personnes différentes) confère à l’amodiataire (la compagnie pétrolière) les droits exclusifs d’exploration, de production et de commercialisation du pétrole et du gaz qu’il trouve durant une période donnée en échange d’un prix à payer (primes et redevances).
Ce contrat, initialement créé pour normaliser les relations juridiques et économiques entre les acteurs privés à propos de l’exploration et de la production de pétrole et de gaz naturel sur des terrains privés aux États-Unis, a ensuite été étendu, avec des variantes, aux terres publiques lorsque la loi fédérale sur les amodiations de terres minières fut promulguée en 1920.
3.1. Contrat d’amodiation sur des terrains privés
Le cadre des règles standards qui a fini par être instauré aux États-Unis pour développer de manière stable les activités en amont de l’industrie des hydrocarbures au 20ème siècle et jusqu’au début du 21ème a donné naissance à un contrat spécifique d’amodiation de pétrole et de gaz (oil and gas lease) qui a permis de caractériser et de distinguer l’industrie pétrolière nord-américaine. La forme juridique du contrat d’amodiation de terre y fut introduite. Mais l’objet et les acteurs du nouveau contrat étaient différents. Ainsi, l’objet du contrat n’était plus la terre (land), mais le pétrole et le gaz (oil and gas)[4]. Et les acteurs n’étaient plus un propriétaire de terre (ou landlord) et un locataire (ou tenant), mais un amodiateur (ou lessor) et un amodiataire (ou lessee).
En approuvant ce nouveau régime applicable aux activités en amont, l’industrie pétrolière américaine a également accepté de manière implicite que, premièrement, la propriété du sol impliquait la propriété du sous-sol comme le prévoyait traditionnellement le common law. Deuxièmement, que les minéraux enfouis sous terre appartenaient au propriétaire du sol ou des droits miniers. Troisièmement, qu’il n’y avait aucun intérêt à engager le débat sur la propriété minière, comme ce fut le cas lors de la Révolution française en raison de l’approbation de la loi de 1791 relative aux mines, car on avait trouvé aux États-Unis une solution ingénieuse au problème de la propriété des mines. Par conséquent, le contrat d’amodiation de pétrole et de gaz repose sur un principe implicite : la propriété du sous-sol et des ressources qui y sont enfouies est clairement définie, les deux appartiennent au propriétaire du sol ou au propriétaire des droits miniers, selon les dispositions de la loi. Mais comme dans le common law américain la propriété du sol et celle du sous-sol sont différenciées, la portée du contrat est strictement limitée à l’amodiation des produits d’intérêt économique pour les entreprises, à savoir le pétrole et le gaz trouvés sous terre, ce qui permet d’établir ainsi une identité absolue entre l’objet du contrat et l’objet des activités en amont de l’industrie.
Il a résulté de cette identité que l’objet du contrat d’amodiation serait précisément le pétrole et le gaz naturel, considérés comme des biens meubles différents l’un de l’autre mais surtout différents du sol et du sous-sol (il vaut mieux dire de la terre). Ces derniers ont conservé le statut de bien immeuble et bien qu’ils furent indispensables à l’exploitation des hydrocarbures, ils n’étaient pas considérés comme des fins en eux-mêmes pour l’industrie pétrolière comme l’avait laissé penser le contrat d’amodiation de terre. C’est pourquoi le pétrole et le gaz ont pu être loués de manière indépendante et séparés de la propriété de la terre, car ils constituaient eux-mêmes une propriété distincte.
Une autre réflexion a également découlé de cette identité. Puisque le caractère migratoire des hydrocarbures pouvait faire concorder ou non le terrain initialement loué et celui où serait finalement foré le gisement, surtout sur des terrains contigus d’où il était possible de drainer les hydrocarbures, la propriété des ressources non découvertes in situ était une expectative qui ne se matérialisait que lorsque l’amodiateur ou l’amodiataire (l’entreprise) avait foré les puits, découvert le gisement, extrait les hydrocarbures et se les était appropriés personnellement comme biens meubles en tête de puits (wellhead), situé à la surface, car le common law considère la possession comme origine de la propriété. Dans cette réflexion, les jugements rendus par les Cours des États pétroliers des États-Unis à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème ont réellement eu un impact fondamental. Ils ont établi une analogie entre le pétrole brut et le gaz naturel in situ et la faune sauvage dans la nature (ferae naturae). Ils ont admis que le pétrole et le gaz in situ étaient des minéraux qui, comme la faune sauvage dans la nature, pouvaient s’échapper (fugacious) par le sous-sol vers les terrains de divers propriétaires. Et ils ont disposé que la loi de capture du common law s’appliquerait au pétrole et au gaz naturel : ils appartiendraient au premier qui les produisait, en général les entreprises pétrolières[5].
Pour ces raisons techniques, juridiques et économiques, lorsqu’on négociait un contrat d’amodiation de pétrole et de gaz, une asymétrie des informations faisait pencher la balance du côté de l’entreprise pétrolière, l’acteur qui accumulait davantage de connaissances géologiques dans le domaine des activités en amont de l’industrie. Et cette asymétrie des informations se reflétait dans l’élaboration du contrat d’amodiation de pétrole et de gaz en tant qu’archétype juridique qui mettait en relation les acteurs de ce secteur aux États-Unis, puisque les engagements qui y figuraient étaient asynchrones.
Tandis que dans le contrat d’amodiation de pétrole et de gaz, l’amodiateur octroyait à l’amodiataire le droit d’accès exclusif au terrain loué afin d’explorer, de produire et de commercialiser les hydrocarbures qu’il trouverait tout au long de la période prévue par le contrat, l’amodiataire s’engageait à verser ultérieurement la redevance à l’amodiateur une fois qu’il avait trouvé, extrait, et s’était approprié les ressources naturelles. Pour cela, l’amodiateur est parvenu, en exécutant le contrat d’amodiation, à obtenir de l’amodiataire le paiement d’une somme initiale au comptant (initial cash), appelée bonus ou pas-de-porte (cash bonus) dans le jargon pétrolier. Le versement de cette prime est devenu presque universel dans les contrats des activités en amont et il est maintenant désigné comme une prime à la signature, même en dehors des États-Unis. En général, son montant dépendait de la géologie de la région, de la concurrence entre entreprises et de la surface totale des parcelles louées. Ainsi, la prime était généralement faible sur des terrains qui nécessitaient des forages d’exploration (wildcat territory), mais elle était élevée dans des régions où des puits avaient déjà été forés. Son montant variait entre 100 et 500 dollars l’acre (environ 0,4 hectares) aux États-Unis au début du 20ème siècle. La concurrence entre entreprises pour louer des parcelles de plus grande surface dans des régions forées entraînait une augmentation de la prime. Enfin, elle évoluait à la hausse ou à la baisse en fonction des variations des prix du pétrole.
De plus, comme les engagements étaient asynchrones, l’amodiateur a introduit dans le contrat les clauses couperets qui prévoyaient de mettre un terme au contrat lorsque l’amodiataire ne commençait pas ou ne reprenait pas les opérations de forage, lorsqu’il n’obtenait pas la production souhaitée, lorsqu’il abandonnait ou lorsque l’activité n’était pas économiquement rentable, et lorsque l’amodiataire payait la redevance en retard, à moins qu’il eût pris l’engagement de verser à l’amodiateur une certaine somme d’argent à des échéances définies, en général un an (periodical rental), jusqu’au début ou à la reprise des opérations. Le montant de cette somme dépendait de la valeur prospective du terrain en termes de pétrole et de gaz et de la concurrence entre entreprises pour des locations sur des propriétés avoisinantes. Cet accord a été introduit dans le contrat d’amodiation de pétrole et de gaz dans la drill or pay clause ou rental clause (c’est-à-dire que l’amodiataire doit effectuer des opérations de forage au cours d’une période convenue avec l’amodiateur ou lui verser une redevance s’il reporte les opérations). Mais l’objectif était le même quel que fût son intitulé, à savoir faire pression sur les amodiataires pour accroître rapidement et efficacement la production dont dépendait le versement du revenu maximisé par l’amodiateur dans cet échange : la redevance ou rente pétrolière (en tête de puits ou sur le lieu de vente). Ainsi, à ce stade de la négociation, la stratégie de l’amodiataire était centrée sur la durée de la location.
La durée des contrats, établie jusqu’à 99 ans et pour l’éternité dans certains cas, a ensuite été réduite à une période fixe, initiale ou d’exploration (fixed term, primary term ou exploratory period) de cinq ans, mais si on produisait des hydrocarbures au cours de la période de validité, elle devait être prolongée (secondary term) d’une durée nécessaire à leur production en quantités rémunératrices (paying quantities). Cette clause conditionnelle a presque introduit dans le contrat un délai d’une durée indéterminée au bénéfice de l’entreprise, car elle était la seule qui pouvait mettre un terme ou non au contrat après avoir fait le calcul.
Enfin, pour effectuer les opérations qu’impliquait la production d’hydrocarbures (comme injecter de l’eau, des gaz ou d’autres fluides, construire des réservoirs de stockage et de traitement des ressources, construire des oléoducs ou des gazoducs, etc.), l’amodiataire avait besoin d’utiliser de manière raisonnable une partie ou la totalité de la surface du terrain loué. C’est pourquoi l’amodiateur exigeait une compensation financière à l’amodiataire sur la base de petites parcelles du terrain loué, à savoir une rente annuelle d’un dollar par acre de terrain utilisé. Dans certains contrats, l’amodiateur est parvenu à inclure une clause qui l’indemniserait pour les dommages causés à la surface de son terrain ou, à défaut, qui obligerait l’amodiataire, à l’échéance du contrat, à retirer tout l’équipement et démonter les installations au sol pour laisser le terrain pratiquement dans le même état qu’il l’avait trouvé au moment de la signature du contrat d’amodiation. Sur de plus grandes parcelles, l’amodiateur a introduit une clause qui contraignait les entreprises à rendre le terrain non utilisé de manière productive quand la période initiale arrivait à échéance. Son intérêt était de le louer à nouveau, surtout si les précédentes amodiations avaient été des réussites, afin d’exiger des primes et des redevances plus élevées.
3.2. Contrat d’amodiation sur des terrains publics
L’application de règles standards dans le contrat d’amodiation de pétrole et de gaz pour encadrer les activités en amont sur des terrains privés aux États-Unis, propices aux entreprises pétrolières, a coïncidé avec la promulgation de la première loi sur les amodiations de terres minières (Mineral Lands Leasing Act) en 1920. Le but de cette loi était de réglementer le secteur pour le reste des terres fédérales situées à l’ouest des États-Unis parce qu’une idée avait pris forme au sein du gouvernement selon laquelle les objectifs de la politique libérale de privatisation des terres au 19ème siècle avaient déjà été atteints et l’intérêt public de la nation serait mieux servi à l’avenir si la propriété fédérale de quelques ressources naturelles (charbon, pétrole et gaz naturel) était conservée.
La loi a suivi la norme dictée pour les amodiations de terrains privés et a pris en compte quelques-unes de ses règles standards. Mais elle a imposé de nouvelles règles du jeu minimes qui ont renforcé la position économique du gouvernement en tant que propriétaire des ressources comme celles-ci :
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Le ministère de l’Intérieur était l’organisme habilité pour délivrer des licences d’exploration de pétrole et de gaz sur des terres fédérales d’une durée de deux ans, ainsi que pour signer des contrats d’amodiation d’exploitation d’une durée de 20 ans, renouvelables par périodes successives de dix ans.
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L’extension maximale de chaque parcelle d’exploration était de 2 560 acres (environ 1 036 hectares). En cas de découverte d’hydrocarbures, chaque parcelle louée était réduite à un quart de la parcelle d’exploration (environ 640 acres ou 260 hectares).
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Dans ces dernières amodiations, le montant de la redevance était égal à 5 % de la production annuelle de pétrole ou de gaz, payable en espèces ou en nature. L’amodiataire paierait d’avance une rente annuelle d’un dollar par acre, créditée en échange du futur versement de la redevance durant l’année en cours.
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Ces amodiataires bénéficieraient d’un droit préférentiel pour louer le reste des parcelles explorées pour leur compte s’ils s’engageaient à payer une redevance minimale égale à 12,5 % de la production annuelle.
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Le Ministère octroierait les autres amodiations de parcelles d’une extension maximale de 640 acres (260 hectares) dans des appels d’offres concurrentiels, avec deux paramètres d’adjudication : la redevance minimale de 12,5 % et la rente minimale annuelle d’un dollar par acre.
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Pour empêcher le monopole des terres fédérales, personne ne pouvait posséder simultanément plus de trois amodiations de pétrole et de gaz.
Tableau 1: Contrats d’amodiations de terres, de pétrole et de gaz aux États-Unis (1853-1920)
Premier contrat d’amodiation de terre
(1853)
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Contrat de Drake
(1857)
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Amodiation privée de pétrole et de gaz
(Début du 20ème siècle)
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Amodiation publique de pétrole et de gaz
(1920)
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Propriétaire du sol ou des droits miniers
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Angiers
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Pennsylvania Rock Oil Co.
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Propriétaire privé
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Ministère de l’Intérieur
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Amodiateur
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Brewer et Watson
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Bowditch et Drake
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Agent foncier et/ou entreprise pétrolière
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Entreprise pétrolière
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Objet du contrat
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Creuser des puits pour chercher du pétrole
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Forer, creuser, chercher et obtenir du pétrole, de l’eau salée et du charbon
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Droits d’entrée, d’exploration et d’exploitation du pétrole et du gaz naturel
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Droits d’entrée, d’exploration et d’exploitation du pétrole et du gaz naturel
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Extension des parcelles
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Non disponible
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105 acres (42,5 hectares ou 424 924 m2)
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Variable
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2 560 acres (1 036 hectares ou 10 360 064 m2) pour l’exploration et 640 acres (259 hectares ou 2 590 016 m2) pour l’exploitation
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Revenus du propriétaire du sol :
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50 % (1/2) des bénéfices nets
–
–
–
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12,5 % (1/8) du pétrole recueilli
–
–
–
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12,5 % du pétrole et du gaz produits
À la signature
Rente annuelle
Versement annuel par zone
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5 % et 12,5 % (minimum) du pétrole et du gaz produits
À la signature
1 dollar/acre/an
–
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Délais (en années)
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5
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30 : 15 + 15
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5 pour l’exploration et délai indéterminé pour l’exploitation
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2 pour l’exploration et 20 pour l’exploitation (renouvelable par périodes de 10 années)
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Propriété de la ressource en tête de puits
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Indéfinie
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Indéfinie
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Amodiataire (entreprise pétrolière)
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Amodiataire (entreprise pétrolière)
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Source : création de l’auteur.
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Le tableau n°1 présente l’évolution des contrats d’amodiation de terres, de pétrole et de gaz naturel aux États-Unis de 1853 à 1920. On peut y voir clairement la manière dont les entreprises pétrolières ont fait tourner à leur avantage la forme juridique du contrat, son objet, l’extension des parcelles, le délai d’exploitation, la propriété de la ressource en tête de puits et la redevance, qui a été rapidement réduite, passant ainsi de 50 % (1/2) des bénéfices nets de l’activité en 1853 à 12,5 % (1/8) du produit extrait en 1857.
Pour donner une idée quantitative de l’importance du contrat d’amodiation de pétrole et de gaz dans la production de pétrole aux États-Unis, il suffit d’indiquer que la production nationale cumulée de brut représentait 67 % du total mondial (2,709 milliards de barils)[6] jusqu’en 1920, et on peut raisonnablement supposer qu’une bonne partie de ce volume a été produit sous cette forme de contrats.
Notes et références
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