Parmi les déchets émis par la production électronucléaire, certains de haute activité et à vie longue ne peuvent qu’être stockés. En France, il est prévu de le faire au Centre Industriel de stockage GEOlogique (CIGEO) du laboratoire de Bure, aux frontières des départements de la Meuse et de la Haute Marne. Dans le débat soulevé par la création de ce site, le présent article exprime le point de vue de ses adversaires.
Depuis qu’il a été mis en ligne, l’article de Bertrand Thuillier a suscité de nombreuses réactions de lecteurs qui ont trouvé excessive, et souvent infondée, sa critique du projet CIGEO. Le choix d’un stockage géologique profond des déchets radioactifs à vie longue repose en effet sur quinze années d’études et de recherches ainsi que sur un consensus international exprimé par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en 2003, puis une directive européenne en 2011. En France, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) doit soumettre toutes les étapes du projet CIGEO au contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) laquelle a recouru, pour l’étape en cours sur le dossier des Options de sûreté, à une enquête publique en 2017. Le rapport correspondant, remis à l’ANDRA le 18 janvier 2018, est consultable sur le site internet de l’ASN. La dernière étape sera celle de la demande d’autorisation de création. |
La question des risques ne peut se comprendre que par une connaissance assez précise de la conception et de l’architecture de CIGEO. En première approche, en effet, il semble assez simple d’enfouir des matières dangereuses en sous-sol, à la manière d’un creusement de mine, de placer ces matières, puis de reboucher, et en final de considérer que ces matières sont alors rendues inoffensives par cet éloignement souterrain.
Un examen plus détaillé s’avère en réalité bien nécessaire. Avant la présentation des risques liés au CIGEO, une brève description du stockage et de ses composantes associées s’impose, en commençant par ce qui semble être à l’origine de ces risques afin que leur description et discussion soient bien éclairées par cette grille de lecture initiale.
1. Les éléments de compréhension du stockage
Les conditions du stockage tiennent à la nature du sous-sol, aux caractéristiques des déchets à y stocker, aux techniques de stockage et aux effets possibles sur l’environnement des matières stockées.
1.1. La nature du sous-sol et la construction de CIGEO
Le stockage des déchets radioactifs doit s’effectuer dans une couche argileuse saturée en eau du Callovo-Oxfordien de l’ordre de 130 m d’épaisseur, à environ 500 m de profondeur. Cette construction pourrait débuter à partir de 2019 avec le creusement de quatre puits d’accès et environ 265 kms d’ouvrages souterrains pour la descenderie[1], les alvéoles et les galeries, et sur une surface souterraine de l’ordre d’une quinzaine de kilomètres carrés. Cette structure nécessitera par conséquent l’extraction de 7 à 8 millions de m3 de roche avec l’introduction de plusieurs centaines de milliers de tonnes d’acier et la fabrication de 275 000 m3 de béton pour constituer les structures de soutènement de l’ensemble[2].
1.2. Les déchets radioactifs
Deux types de déchets sont envisagés à ce stade, des déchets dits de moyenne activité à vie longue (MA-VL) et de haute activité à vie longue (HA-VL) ; ces derniers concentrent l’essentiel de la radioactivité totale des déchets produits en France, soit 99,96% :
– les déchets dits MA-VL représentent 73 600 m3 en volume non conditionnés[3], mais de l’ordre de 350 000 m3 en colis conditionnés ou 171 530 colis, dont 74 370 d’enrobés bitumineux ;
– les déchets dits HA-VL représentent 10 100 m3 en volume non conditionnés [3] , mais de l’ordre de 30 000 m3 en colis conditionnés ou 60 000 colis.
Il est à noter que les Combustibles usés ne sont pas compris dans les inventaires actuels de CIGEO, mais ceux-ci pourraient alors constituer 90 000 m3 en colis conditionnés en supplément en cas de l’arrêt du retraitement des combustibles ou du non renouvellement du parc électronucléaire actuel.
1.3. Les transports
Les colis de déchets seraient acheminés dès la première décennie d’exploitation à partir de 2025 au rythme annuel de 700 à 1000 emballages[4], soit de l’ordre de 1000 arrivées et 1000 départs, soit 100 convois de 10 wagons environ par an pendant toute la durée de l’exploitation (100 à 120 ans).
1.4. Les installations de surface
Trois types de zones sont à distinguer :
– une zone d’entreposage tampon à Gondrecourt-le-Château[5] avant acheminement à CIGEO dans une ancienne friche industrielle de 10 000 m² ;
– une zone dite descenderie, à Saudron, de 110 ha environ qui rassemble le terminal ferroviaire de réception des colis, des structures de réception, de contrôle, de conditionnement des colis, un entreposage tampon des colis en attente, une unité de fabrication des conteneurs, ainsi que les entrées des deux descenderies (colis, et service) ; une partie dite ‘de verse’, de l‘ordre de 133 ha (7,8 millions de m3), sera complémentaire à cette zone ; c’est sur elle que sera déposée toute la roche excavée ;
– une zone dite puits entre Bure et Bonnet, de 200 ha environ, est prévue pour regrouper les quatre puits de la structure : un pour les travaux, un pour le personnel, et les deux puits d’extraction d’air.
1.5. Les installations souterraines
Deux types d’alvéoles sont à différencier en fonction des déchets à stocker.
– Des alvéoles dites HA-VL (environ 1500) horizontales reliées par des galeries d’accès, d’une longueur d’environ 100 m, sont des tubulures en acier constituées de tronçons non soudés emboités, d’environ 70 cm de diamètre ; ces structures tubulaires permettront le passage et le stockage par poussage des colis HA-VL jusqu’au fond de ces alvéoles.
– Des alvéoles dites MA-VL (environ 50) de 9 m de diamètre (section excavée d’environ 65 m²) d’une longueur de 375 à 525 m ventilées avec des retours d’air vers les galeries de liaison sont des sortes de tunnels, équipés d’équipement de manutention sur rails qui permettront le stockage de différentes formes parallélépipédiques d’emballages en béton des colis de déchets.
Il a été décidé que ces alvéoles seraient irradiantes, c’est-à-dire que les colis ne seraient pas dotés de protections radiologiques pour des raisons d’optimisation des volumes souterrains.
1.6. L’effet des radiations sur l’eau et les métaux
En présence de radioactivité et en particulier, en cas de forts rayonnements, les molécules d’eau sont cassées en deux radicaux : H+ et OH– qui vont pouvoir ensuite se recombiner au hasard en différentes molécules comme en hydrogène gazeux (H2), en eau oxygénée (H2O2) ou autres pour former des composés très oxydants et très réducteurs ; tous ces composés vont ensuite être amenés à attaquer très fortement les métaux, qui par réaction, vont également produire de l’hydrogène gazeux (H2) lors de cette intense corrosion. Il est ainsi estimé que le volume d’hydrogène produit par alvéole serait de 330 m3 au total par alvéole HA, et de 1400 à 5000 m3 au total par alvéole MA-VL [2]. Résultat : en considérant une production de moitié sur les 4500 premières années [2], cela entraîne un volume d’environ :
– 3000 m3 par an pour les alvéoles HA [330 m3 / 2 / 4500 ans * 50 (5 MPa à 0,1 MPa, équivalent à la pression atmosphérique) * 1500 alvéoles], et de
– 1000 m3 par an pour les alvéoles MA-VL [3200 m3 / 2 / 4500 ans * 50 (5 MPa à 0,1 MPa, équivalent à la pression atmosphérique) * 50 alvéoles], toujours à pression atmosphérique.
2. Les origines des risques
Les principales composantes du projet permettent d’identifier deux catégories de risques.
2.1. Les risques liés à la nature de CIGEO (Matrice argileuse)
Il est assez aisé de comprendre que la nature même de ce stockage de déchets hautement radioactifs dans une roche saturée en eau (contrairement à du sel) et assez peu cohésive (contrairement à du granit, par exemple), et par conséquent nécessitant des soutènements et des enveloppes métalliques très importantes pour parer à l’effondrement des galeries et au fluage des terrains va produire des quantités extrêmement importantes d’hydrogène. Autrement dit, si ce projet a pour objet de constituer un stockage de déchets radioactifs, CIGEO va en réalité être une usine de production d’hydrogène.
L’estimation des volumes d’hydrogène produit par radiolyse de l’eau et par corrosion s’élève à environ 4000 m3 (point précédent) additionné d’environ 1000 m3 par la radiolyse additionnelle des colis contenant des matières organiques, soit environ 5000 m3 par an au total.
Il est alors aisé de comprendre la multitude de risques mis en évidence par l’ANDRA en considérant que l’hydrogène est omniprésent dans ce stockage, et pourra par conséquent servir selon les cas de :
– gaz coussin pour entrainer des gaz radioactifs hors des alvéoles en poussant par pression interstitielle l’eau des bouchons de bentonite avec un effet de soupape dans ces scellements (la notion de gaz coussin a été introduite par Jean Talandier dans le projet Forge 09.12.2010) ;
– fragmenteur de roche en élargissant par effet de pression les microfissures de la roche dans la zone d’endommagement (EDZ : Excavation Damaged Zone) générée lors du creusement ; – combustible[6] en cas d’incendie (chaleur de combustion : 10786 kJ/m3, et avec une température de flamme de 2045 °C), et surtout,
– d’explosif redoutable, équivalent à 2,02 kg de TNT par m3 d’H2.
2.2. Les risques liés à la conception de CIGEO (Alvéoles irradiantes)
Le fait d’avoir délibérément choisi des alvéoles irradiantes, autrement dit d’avoir volontairement opté vers une impossibilité de pouvoir pénétrer dans une alvéole à partir de l’introduction du premier colis, élimine toutes possibilités de pouvoir effectuer une action corrective de maintenance. Il est, en effet, aisé de comprendre qu’il sera extrêmement difficile, suite aux dégradations attendues et prévisibles des structures, de remplacer des capteurs, de réparer les systèmes de ventilation ou de manutention ou encore de pouvoir redresser des colis. Par exemple, en cas de non-conformité d’un colis (production trop forte d’hydrogène, gonflement trop important d’un colis bitumineux, scellement défectueux ou corrosion trop importante d’un colis), il sera quasiment impossible d’intervenir pour corriger ces incidents.
3. Les divers types de risques dans l’exploitation du stockage
Des trois risques que sont les expositions du personnel à des risques multiples et variés, les risques d’explosions, et le risque d’incendie, certains semblent réellement conduire à des situations difficilement gérables, hors dimensionnement, comme par exemple, une situation critique d’incendie de longue durée, qui pourrait être totalement hors contrôle.
3.1. Les risques pour le personnel
Le personnel aura à opérer dans un environnement doublement délicat selon la localisation, par le milieu souterrain confiné et très poussiéreux comme dans tous travaux miniers avec engins en zone travaux, mais également, par la présence de multiples sources radioactives potentielles en zone stockage.
Il est prémonitoire de lire dans les premiers dossiers de 2005 concernant le personnel : « Les principaux risques conventionnels à prendre en considération sont, au cours du processus de stockage, le risque d’écrasement de personnes consécutif à une chute de charges, une chute de blocs en galeries, une chute d’objets en puits, le risque d’écrasement par un équipement, le risque de heurt par un engin, le risque de collision entre engins, le risque de chute lié à des travaux en élévation (notamment en puits), le risque d’électrisation et le risque d’incendie… Maintenant existent également des risques inhérents à l’ambiance de travail (bruits, poussières, gaz carbonique et monoxyde de carbone émis par les engins…) »[7] .
N’est-ce pas, en effet, ce type de risque qui est à l’origine du décès d’un technicien, le 26 janvier 2016, écrasé par la chute d’un bloc de pierre au sein d’une galerie d’essai dans le laboratoire, suite au glissement d’un pan du front de taille ; cet accident faisait suite à un premier décès d’un technicien, heurté par la chute d’un objet lors des travaux de creusement d’un puits en mai 2002 dans ce même laboratoire.
Il est également ajouté : « Le risque potentiel d’origine chimique, pour les installations de surface et les concepts d’entreposage, a pour principales origines :
* Le gaz d’échappement des engins diesels acheminant les lorrys dans le hall de réception…
* Les gaz toxiques émis par les colis MA-VL,
* Tous les produits chimiques susceptibles d’être utilisés dans l’installation … et entreposés. »[8], avec comme résultat : « Les conséquences potentielles pour l’homme sont l’intoxication, l’irritation des muqueuses, l’asphyxie et l’exposition à des produits cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction… Le personnel n’interviendra pas en fonctionnement normal dans les locaux où le risque de relâchement de gaz toxiques ou irritants sera élevé. Le risque d’exposition du personnel aux gaz d’échappement ne peut pas être écarté dans le hall de réception des emballages de transport, à ce stade des études. » [8]
On apprend également que : « Les risques de dispersion de substances radioactives résultent du transfert des hottes contenant un colis de stockage de type MAVL ou HA et de leur mise en alvéole de stockage. Durant ces opérations, du personnel est présent dans les ouvrages de liaison surface/fond, dans les galeries de liaison et d’accès »[9], et « En fonctionnement normal, ce risque est dû à la contamination labile externe des hottes et des colis de stockage, et à l’émission de radionucléides gazeux par les colis de déchets. »[10]
S’y ajoutent les risques suivants : « les principaux événements redoutés susceptibles de conduire à un risque de dissémination sont la chute d’un colis ou d’une charge sur un colis, l’incendie ».[11]« Ces évènements peuvent potentiellement entraîner une contamination des locaux où sont manutentionnés les différents colis, conduisant à une exposition interne des travailleurs et à un rejet dans l’environnement ». [11]
Il est aussi noté que : « Le dimensionnement des protections radiologiques est basé sur les caractéristiques des substances radioactives (rayonnements émis, activités radiologiques, débit de dose) et les modalités d’exposition (temps d’exposition, distance par rapport aux substances radioactives, écrans…) du personnel et du public »[12] , mais que « pour certaines situations qui nécessitent des interventions à proximité des sources radioactives qui n’ont pas une protection radiologique suffisante, la distance de l’intervenant par rapport, à la source et le temps d’intervention, pourront être utilisées comme mesures de protection. »[13]
Il semble que les risques se multiplient également dans le cas des opérations de fermeture des alvéoles qui prévoient un arrêt volontaire de la ventilation : « La durée de fermeture des alvéoles peut conduire à une formation d’atmosphères explosives au sein de l’alvéole en raison de l’arrêt de la ventilation. Cette situation présente un risque d’explosion qui pourrait endommager les équipements et blesser le personnel en charge de ces opérations. Une solution envisagée est de prévoir l’inertage de l’alvéole pendant ces opérations permettant ainsi de s’affranchir d’une explosion… L’inertage de la zone (consiste au) remplacement de l’oxygène (comburant) par un gaz inerte (l’azote) » [14] , mais on apprend en note de bas de page que : « Les dangers associés à la manipulation de l’azote dans un milieu confiné, notamment le risque d’anoxie pour le personnel, seront évalués au cours des études détaillées. »[14]
On ne manquera pas, enfin, d’être surprispar ce qui suit : « dans quelques cas (incendie avec dé-stratification des fumées et vitesse d’évacuation lente), on ne peut exclure à ce stade que les personnes pourraient être rejointes par les fumées et devraient utiliser leurs protections respiratoire et oculaire individuelles … si les personnes sont bien formées et disposent des moyens adéquats pour intervenir efficacement en cas d’incendie, elles parviennent généralement à éteindre le feu avant qu’il n’ait eu le temps de se développer. »[15]
En cas d’incidents ou d’interventions dans les alvéoles (panne d’un engin télé-opéré, chute de colis…), comment sera assuré la protection du personnel et par qui les procédures mises en place seront-elles vérifiées ?
3.2. Les risques liés à des explosions
Les risques d’explosion sont très liés à la génération continue d’hydrogène, car, en cas de dépassement de plus de 4% d’H2 dans tout espace qui ne serait pas correctement ventilé (alvéole, galerie, hotte, colis), la moindre étincelle, issue par exemple d’une batterie défaillante et non étanche, d’un éclairage cassé, d’huile sur un moteur trop chaud, voire même des systèmes de contrôles et de surveillance eux-mêmes ou encore de frictions, peut produire une explosion.
Les dossiers de conception de l’ANDRA témoignent de l’importance de ces risques, et en particulier pour les alvéoles MAVL avec la radiolyse des matières organiques de certains colis (B2 particulièrement) : « Les conséquences potentielles de ces dégagements de gaz de radiolyse sont :
* La formation d’atmosphères explosives dans l’enceinte où sont placés les colis : une explosion peut survenir, en présence d’une source d’ignition, si la concentration dans l’air du gaz dépasse sa Limite Inférieure d’Explosivité – La LIE est de 4% pour l’hydrogène et de 5% pour le méthane
* La surpression au sein du colis de stockage pouvant conduire à sa rupture (voire explosion) en fonction de sa … capacité à évacuer les gaz produits. »[16]
C’est pourquoi, non seulement, il est bien prévu de dimensionner la ventilation aux locaux, et de prévenir le risque de surpression au sein des colis de stockage, mais il est également noté qu’il « est prévu d’évacuer l’hydrogène par le béton du couvercle et/ou de la paroi du colis….voire par des évents positionnés dans le haut du corps du colis si nécessaire. » [16], et qu’ « en cas de dépassement des seuils d’alarmes (sur le taux d’hydrogène et/ou sur le débit de ventilation) l’installation sera mise en état sûr et le personnel évacué » [16] , mais que « la perte de la ventilation pourrait conduire à un risque d’explosion dans les locaux abritant des colis émetteurs d’hydrogène consécutivement à l’atteinte d’un taux d’H2 supérieur à 4%.»[17].
Mais ce n’est pas tout : « Les sources de danger vis-à-vis du risque d’explosion sont principalement la présence d’appareils sous pression et le dégagement d’hydrogène lors de la charge des batteries… Concernant la présence de batteries, la prévention du risque d’explosion lié à la charge des batteries repose sur le respect de la règlementation en vigueur, notamment sur l’utilisation des batteries étanches et une ventilation adaptée de l’atelier de charge ».[18]
Tout repose par conséquent sur la ventilation. Dès lors, la question logique concerne le temps de remise en état du système de ventilation, lequel ne peut être que source d’inquiétude pour qui lit : « Au stade actuel, un délai de plusieurs jours pour intervenir et remettre en service les systèmes de ventilation associés à ces alvéoles semble le plus vraisemblable… »[19].
Si les risques d’explosion sont traités et évités par une très forte ventilation des alvéoles et des galeries, comment s’assurer que, sur une durée séculaire d’exploitation, il n’y ait pas une seule interruption de quelques semaines de cette ventilation dans tout espace du stockage ?
Comment dans un tel projet, compte-tenu du grand nombre de véhicules, d’engins de manutention, d’éclairages, et de systèmes de contrôle, éviter la moindre étincelle fatale en présence de l’hydrogène omniprésent dont l’ accumulation dans des parties non ventilées sera toujours possible !
3.3. Les risques d’incendie
Les risques d’incendie sont sans doute les risques les plus graves et les plus difficiles à gérer du fait de la présence concomitante dans une alvéole MA-VL de l’hydrogène, des colis inflammables (de l’ordre de 10 000 tonnes de bitume pur au total, soit de l’ordre de 100 à 500 tonnes / alvéole), et de cette forte ventilation obligatoire (plusieurs centaines de m³/s au total dans le stockage) pour justement évacuer l’hydrogène et les gaz radioactifs.
La maîtrise d’un incendie dans un tel environnement souterrain serait particulièrement délicate à gérer :
– en premier lieu par le temps nécessaire à sa détection (265 kms d’ouvrages souterrains), puis,
– par les difficultés d’accès des pompiers (équipement nécessaire très lourd et très difficile à supporter après quelques centaines de mètres de marche),
– la gestion difficile de l’importante ventilation (arrêt nécessaire, progressif, mais aussi extraction nécessaire des fumées), et
– l’utilisation restreinte de l’eau (milieu souterrain et argileux), pour ne pas augmenter la criticité de certains colis (effet miroir pour les neutrons).
Les conséquences seraient alors encore plus graves par la fragilisation possible des structures en béton, la levée du confinement de substances radioactives dans certains secteurs, mais aussi, par une possible contamination de l’installation.
Ces risques majeurs ne sont pas minorés par l’ANDRA qui avertit : « C’est dans ce contexte que l’ANDRA a porté une attention particulière au risque d’incendie, pour lequel le contexte souterrain peut être un facteur aggravant »[20], en ajoutant pour le limiter « La prévention passe par le contrôle et la limitation des produits inflammables. » [20]
Il est cependant difficile de ne pas relever une contradiction entre cette dernière affirmation et la révélation que les colis eux-mêmes sont inflammables et peuvent contribuer à l’extension du risque : « Le colis de boues bituminées a été retenu (dans un scénario d’incendie) parmi les différents colis B parce qu’il est celui qui présente le plus de risques d’ignition (Données spécifiques relatives aux conditions de température : Enrobé bitumineux : Auto-inflammation à 350°C). »[21]. En outre « ces colis d’enrobés bitumeux présentent la particularité de ne pouvoir être entreposés qu’en position verticale, afin d’éviter le risque d’extrusion du bitume hors du conteneur par fluage »[22]. En effet, des études récentes ont montré que ces enrobés pouvaient augmenter jusqu’à 70% de leur volume initial par l’effet de l’irradiation et la présence de sels (Thèse de Mouhamad MOUAZEN du 15/09/2011 sur l’évolution des propriétés rhéologiques des enrobés bitume). Il est enfin noté, pour confirmer ces risques, que : « le bitume présente un risque d’inflammation qui peut impliquer des mesures spécifiques de prévention ou de protection pour limiter la température à moins de 120°C en conditions accidentelles. » [22]
La question de l’élévation de la température est donc cruciale en cas d’incendie car on apprend d’une part :
– « la température limite à ne pas dépasser pour le bitume (colis primaires MA-VL d’enrobés bitumeux) est de 40°C en situation normale et de 50° C en situation incidentelle », mais également, d’autre part :
– en ce qui concerne les structures de béton : « La température à ne pas dépasser pour le béton (colis primaires MA-VL avec coques béton, colis de stockage MA-VL et murs) est de 70°C en situation normale, et de 80°C en situation incidentelle/accidentelle. Au-delà de ce seuil, la stabilité du béton change… et (présente alors) un risque de fissuration à terme. »[23], mais on sait par ailleurs que : « le retour d’expérience sur des incendies en milieu souterrain donnent des températures généralement comprises entre 800 et 1 200 °C ».[24]
On peut prendre conscience du risque d’occurrence d’un incendie, non seulement dans les installations souterraines, « Dans la zone de stockage MA-VL … la situation d’incendie est plus difficile à écarter et fera l’objet de simulations complétées d’essais d’ici à la DAC. »[25] (DAC : demande d’autorisation de création du stockage), mais également dans les installations de surface, quand on lit : « L’acheminement des emballages sur lorrys depuis le terminal ferroviaire jusqu’au hall de réception des emballages par des engins diesel présente les opérations qui peuvent générer les incendies les plus importants… Les locaux qui présentent les risques d’incendie susceptibles de contaminer les installations et de relâcher des substances radioactives dans l’environnement concernent les lignes de déchargement et de conditionnement des colis primaires, ainsi que la capacité d’entreposage de transit des colis de stockage MA-VL »[26].
Devant cette aussi forte probabilité de survenue d’un incendie, on a peine à croire que l’on pourra en quelques heures, dans cette centaine de kilomètres de galeries, évacuer le personnel, faire venir les secours, arrêter la ventilation, et maîtriser le feu… avant que les structures ne se dégradent : « La conception des galeries devra permettre leur résistance au feu pour ne pas aggraver les situations d’incendie envisagées »[27]. « La tenue au feu des murs, structures et galeries sera supérieure à 2 heures pour l’évacuation de personnel, l’accès des secours et la protection des équipements sensibles »[28]. « Dans le cas d’un incendie en alvéole MA-VL, la ventilation est arrêtée progressivement … une sectorisation de cette zone est envisagée ».[29]
Enfin, on apprend et on relèvera une certaine honnêteté de l’ANDRA quand on nous nous prévient, que dans certains cas, il n’y aura pas de solutions : « Les incertitudes sur les résultats des simulations thermiques impliquant l’incendie d’un véhicule transportant un colis de stockage d’enrobés bitumeux, ne permettent pas à ce stade de s’affranchir du risque de relâchement radioactif en cas d’incendie »[30].
4. Une catastrophe est-elle alors possible ?
Nul besoin d’une grande imagination pour décrire le scénario suivant : en 2033, après la mise en exploitation de CIGEO, une alerte sanitaire d’un nouveau type vient d’être communiquée à la Mairie de Paris. Elle concerne l’alimentation en eau des 18e, 19e et 20e arrondissements, et une partie des 9ème, 10ème, 11ème et 12ème arrondissements : les 100 000 m3 d’eau distribués quotidiennement dans ces arrondissements, et provenant de l’usine de traitement de Joinville-le-Pont alimentée par la Marne sont suspectés de contaminations radioactives ; des contaminants radioactifs viennent en effet d’être détectés au niveau de l’AEP (Adduction d’eau potable) de Vitry-le-François, suite à l’incendie de CIGEO, trois semaines auparavant.
Pour comprendre cette situation, un retour en arrière d’une vingtaine d’années s’impose. Il avait bien été anticipé en 2013 par l’Agence Eau Seine Normandie que le projet CIGEO de l’ANDRA pouvait entraîner des évolutions sur la qualité de la ressource en eau. Dans le document UH (Unité Hydrologique) Saulx Ornain[31], il était déjà bien mentionné que durant son chantier, et ensuite lors de son exploitation, le projet CIGEO exigerait des besoins importants en eau, et génèrerait des rejets, que l’AEP devait être sécurisée par une démarche globale de protection et de traitement, que cette zone devait être impérativement protégée sous couvert de la convention RAMSAR de 1991. Malgré ces mises en garde, le projet CIGEO de stockage de déchets nucléaires s’est cependant poursuivi dans le scénario imaginé.
4.1. Un scénario et des similitudes issus des retours d’expériences
Un incendie est intervenu en effet quelques semaines avant cette alerte. Il est directement inspiré de l’incendie du stockage souterrain de déchets ultimes Stocamine[32] de Wittelsheim en Alsace, et également de l’incendie du stockage de déchets radioactifs du WIPP (Waste Industrial Isolation Pilot Plant) au Nouveau Mexique (États-Unis). Les rapprochements sont immédiats, tant les parallèles sont frappants sur le déroulé de ces deux sinistres à partir d’installations très similaires à CIGEO dans leur destination :
– Stocamine concerne le stockage souterrain de l’ordre de 44 000 tonnes de déchets ultimes de type classe 0 (mercuriels, arseniaux, amiantés…) dans une mine de sels de potasse à environ 500 de profondeur,
– le WIPP stocke environ 75 000 m3 de déchets radioactifs majoritairement faiblement radioactifs à 655 m de profondeur, également dans une formation saline.
4.2. Une détection tardive et indirecte du sinistre
Pour Stocamine [32], c’est seulement la perception d’odeur de brûlé par des ouvriers dans divers points de la mine de potasse, le 10 septembre 2002, qui a permis de détecter le foyer dans le bloc 15 de l’installation de stockage, aucun système de détection de feu dans le stockage lui-même ne s’est déclenché par ailleurs.
Pour le WIPP [42], une balise extérieure a détecté des rejets radioactifs qui a déclenché l’alerte, mais les mesures de sécurité et d’évacuation n’ont été mises en place que près de dix heures seulement après la détection initiale de l’accident (alarme le 14/02/2014 à 23h14 et évacuation le lendemain 15/02/2014 à 9h34).
Pour CIGEO, il est rappelé que les alvéoles MAVL constituent au total 25 kms de stockage non accessibles, et près de 92 kms de galeries de liaisons.
4.3. Un sinistre inaccessible
Pour Stocamine, il a été possible d’éteindre l’incendie par confinement, mais il a quand même fallu attendre le 20 septembre, soit près de 10 jours plus tard pour pouvoir constater dans le bloc 15 l’absence de toute manifestation résiduelle de l’incendie [32] .
Pour le WIPP [42] , il a fallu près de sept semaines après l’accident pour qu’une équipe puisse arriver au colis endommagé, constater que la température atteinte a été très élevée (1500°C), que la réaction chimique initiale à l’origine de l’incendie a même engendré une flamme externe au colis lors de son l’ouverture et des projections de matières à proximité, et enfin, que le colis était à son cœur encore à 250 °C 70 jours après l’accident. Il apparaît de surcroît que le rejet et la présence de substances radioactives dans le WIPP a fortement limité les possibilités d’accès en raison de l’équipement nécessaire de protection, très difficile à porter sur de longues distances.
Pour CIGEO, il a été décidé que les alvéoles MA-VL seraient irradiantes, et par conséquent non accessibles.
4.4. Des défaillances de contrôle des colis
Pour Stocamine, l’origine de l’incendie provient d’un stockage dans des big-bags de produits combustibles ou inflammables interdits comme du papier du bois et des cartons avec des produits phytosanitaires soufrés dans le stockage ; cette défaillance du contrôle s’explique en raison d’une mention de déchets amiantés (restes d’une toiture amiante-ciment) qui a interdit délibérément aux agents de contrôle d’ouvrir et de contrôler ces big-bags. Par suintement, et suite à une réaction chimique, ces composés ont alors déclenché l’incendie après une élévation de température des colis.
– Pour le WIPP, on retrouve un processus similaire avec une procédure délibérée non vérifiée/agréée de changement d’absorbants minéraux, à base d’argile à l’origine, par des absorbants organiques ; ce changement de nature d’absorbants a alors déclenché une réaction chimique dans un fût de déchets (fût 68 660), conduisant à son explosion. En effet, ces réactions ont provoqué un équilibre gazeux dans le colis avec environ un tiers d’hydrogène et avec une élévation de température de l’ordre de 600°C atteignant alors la plage d’auto-inflammation (520°C-750°C) de l’hydrogène qui a causé cet incendie avec une température de flamme supérieure à 1500°C.
– Pour CIGEO, il n’est pas nécessaire d’attendre son ouverture pour constater que ce type de défaillances de contrôle et d’acceptation de déchets non autorisés seront possibles. Il suffit de se référer aux stockages de déchets faiblement radioactifs de l’Aube gérés également par l’ANDRA, et dans lesquels des grenades de la première guerre mondiale ont été retrouvées en octobre 2011 dans des big-bags provenant d’un chantier de démolition d’installations du CEA de la région de Grenoble[33] ou encore à la découverte de déchets à vie longue (Américium 241) non autorisés et livrés au site de Morvilliers[34] pendant près de cinq ans (2007 à octobre 2012) également issus d’un centre du CEA. Pour ce dernier cas, ces constats résultent d’une double défaillance de contrôle, non seulement au niveau de la conception des colis, mais également au niveau de la réception de ces mêmes colis, et ce, durant une période extrêmement longue.
On peut rappeler également que l’inventaire de CIGEO prévoit de stocker de très nombreux colis dits bitumineux contenant plus de 9 700 tonnes de bitume purs au total, et la présence également de métaux pyrophoriques comme du magnésium ou du sodium ayant la capacité de s’enflammer spontanément dans l’air.
4.5. Une exploitation alors arrêtée
Pour Stocamine, l’incendie a non seulement signé l’arrêt de l’exploitation du stockage, mais également l’arrêt de l’exploitation des Mines de Potasse car le sinistre a remis en cause le sérieux de l’exploitation, mais a également démontré la perte d’étanchéité entre les deux activités, qui en aucun cas, ne devaient communiquer.
– Pour le WIPP, le sinistre a également obligé l’arrêt de son exploitation et d’une partie de sa ventilation au moins pour une durée de trois ans en raison des contaminations radioactives des galeries et du puits d’extraction d’air. Depuis, une reprise de l’exploitation est envisagée mais seulement après un coût total estimé entre 500 millions à 1 milliard de $, soit 242 pour la remise en état, 242 pour la ventilation et 261 pour les pertes d’exploitation.
Pour CIGEO, les similitudes sont toujours frappantes, du fait d’une co-activité de stockage et de creusement, l’une ayant forcément des interactions sur l’autre de par la mise en commun des puits d’accès, mais aussi de par la contamination des puits d’extraction, le cas échéant, comme pour la situation actuelle du WIPP alors même que le WIPP ne génère pas d’hydrogène par l’absence d’eau et de structures métalliques de soutènement ce qui n’oblige pas à une ventilation indispensable et continue, comme cela serait le cas dans CIGEO.
4.6. Une réversibilité impossible
Le stockage de Stocamine, décidé en 1996, devait à l’origine être réversible ; c’est d’ailleurs par cet argument que ce site avait été présenté en débat public, et sous cette condition expresse que son autorisation avait été donnée en 1997. À la suite de l’incendie de 2002, de premières études, en 2012 seulement, montrent qu’il sera nécessaire de retirer les colis déjà stockés afin d’éviter, lors de l’ennoyage complet des installations, la contamination de la nappe phréatique alsacienne. Un montant de 84 à 150 millions d’euros a été envisagé en 2013, mais seulement pour le déstockage de 11% seulement de ces déchets, et sans pouvoir inclure le bloc 15 trop endommagé avec des galeries déjà partiellement effondrées. Cette impossibilité de remonter l’ensemble de ces déchets entraînera par conséquent immanquablement la contamination de cette très importante nappe phréatique.
Pour le WIPP, il n’est ni envisagé, ni envisageable, de pouvoir récupérer les colis quand bien même la connaissance de la présence de quelques centaines de colis, similaires au colis 68 660, déjà dans le stockage : la seule solution discutée en 2014 semble être de devoir sceller les lieux de stockage concernés. Il est également à noter l’impossibilité technique de pouvoir remonter des colis endommagés qui contamineraient assurément les voies d’accès et de circulation des opérateurs.
Pour CIGEO, les similitudes sont encore frappantes avec ces deux sites ; c’est bien avec la même approche d’autorisation sous couvert de réversibilité, similaire à Stocamine, que les promoteurs du projet recherchent l’aval des décideurs et de la population. Il semble aussi, malheureusement, assez difficile de pouvoir aller rechercher à moins 500 m dans une alvéole MA-VL irradiante qui aurait subi un dommage, des déchets largement plus radioactifs que ceux du WIPP, ce dans le contexte de systèmes de manutention qui ne seraient plus opérationnels. On peut enfin de demander comment vider toute une alvéole de 500 m de ces colis alors endommagés sans contaminer l’ensemble des galeries de liaison et les installations de surface qui seraient ensuite amenées à entreposer ces déchets.
4.7. Une absence d’anticipation et de maîtrise des risques
Pour Stocamine, l’argumentaire essentiel pour permettre le démarrage de l’exploitation des déchets a bien été la réversibilité et la possibilité de retirer les déchets en fin d’exploitation ; en aucune manière, il n’avait été envisagé qu’il puisse y avoir un incendie, les matières à stocker étant définies comme des déchets ultimes ; en aucun cas, il ne devait y avoir une dégradation des galeries, mais c’est bien une contamination irréversible de la nappe phréatique alsacienne qui est maintenant en question.
Pour le WIPP, c’est bien deux incidents très rapprochés qui se sont déroulés début 2014 : déjà l’incendie d’un camion dont l’entretien était défectueux, puis l’incendie lié au fût 68 660 ; il a ensuite été décelé que le système de prévention était défaillant, que les téléphones d’alarmes étaient non opérationnels, les opérateurs non formés, que le système de confinement n’avait pas fonctionné. Mais le confinement devait tenir 10 000 ans alors que des plafonds de certaines galeries sont déjà effondrés, et qu’un accident de ce type avec contamination ne pouvait arriver qu’une fois tous les 200 000 ans…
Pour CIGEO, les rapprochements sont malheureusement encore toujours présents, dans le chiffrage 2014 du projet, il est prévu que la probabilité d’occurrence d’un accident grave d’une personne en exploitation est égale à zéro durant les 22 ans de construction pour les 265 kms de galeries et d’alvéoles à creuser, alors que l’on peut malheureusement déjà déplorer le décès de deux personnes rien que pour les 1 600 m de galeries creusés pour le laboratoire !
4.8. Des catastrophes écologiques mais surtout économiques
Pour Stocamine, l’incendie a libéré les contaminants des colis, dégradé les galeries d’accès, rendu impossible par ces dégradations le retrait des colis endommagés, malgré la réversibilité pourtant prévue. De surcroît, les infiltrations ont interdit la continuation de l’exploitation du sel de Potasse. En outre, l’État a été obligé de débloquer une première tranche de 100 millions d’euros en décembre 2012[35] afin de permettre de premiers travaux d’isolement de la zone vis-à-vis de la nappe phréatique alsacienne. Cependant, cette première tranche ne permettra qu’un premier confinement. Il reste très difficile d’estimer le coût final du traitement de ce sinistre.
Pour le WIPP, c’est un projet qui initialement, en 1991, ne devait coûter qu’un milliard de dollars ; en 2012, ce même projet est plutôt estimé à 19 milliards de dollars, et il faut dorénavant rajouter pratiquement un milliard de dollars associés à cet accident.
Pour CIGEO, dans le scénario imaginé, il est inutile de décrire les conséquences médiatiques et économiques sur les deux régions (vin de champagne en Champagne et eaux minérales Contrex, Vittel, Hépar en Lorraine), ainsi que le désarroi des populations locales obligées de s’éloigner des zones contaminées. Plus grave encore, c’est maintenant, cette épée de Damoclès qui pèse lourdement sur l’alimentation en eau de Paris. En effet, très logiquement, la circulation des polluants libérés aux différents niveaux s’effectuerait avec un différentiel temporel. Ces libérations commenceraient par le lessivage des dépôts atmosphériques de surface, puis viendraient les contaminations issues du puits, et plus tard, les migrations des radioéléments issus de l’alvéole touchée non scellée, en passant par les galeries qui constitueront des voies de passage privilégiées.
La circulation de ces contaminants s’effectuerait en deux temps.
Dans un premier temps, par les couches de surfaces comme les calcaires du barrois et le Kimméridgien marneux (de la surface à -100 m environ), car il ressort que ces transferts sont extrêmement rapides : « Quelle que soit l’unité considérée, les écoulements dans cet aquifère de surface fluctuent rapidement avec la pluviométrie. Les transferts, globalement en direction du Nord-Ouest, y sont rapides (plusieurs centaines à milliers de mètres par jour).»[36].
Dans un deuxième temps, les couches plus profondes de l’Oxfordien calcaire (de -100 m à -400 m) seraient concernées, ces dernières sont au plafond des couches du Callovo-Oxfordien où seront stockés les déchets nucléaires. Celles-ci seraient directement en contact avec le puits contaminé et, comme pour les couches de surface, les contaminants seraient entraînés vers le centre du bassin parisien ; on peut ainsi lire directement des études de l’ANDRA : « à partir du site, une partie de ces écoulements se dirige vers la vallée de la Marne, au Sud-Ouest, du fait de la mise à l’affleurement du toit des calcaires de l’oxfordien dans cette vallée… Cette zone d’affleurement dans la vallée de la Marne représente, pour les trajectoires passant à l’aplomb du site de Meuse / Haute-Marne, le seul exutoire naturel actuel de l’aquifère de l’Oxfordien carbonaté sur le secteur[37] » (cf. Figure 2 issue de Figure 3.3.22, page 152)[38].
5. Enseignements
Il est aisé de comprendre qu’en décidant d’enfouir dans une matrice argileuse, génératrice par voie de conséquence de quantités importantes d’hydrogène, et en adoptant des alvéoles irradiantes, non accessibles, et dans lesquelles on ne pourra plus pénétrer, une fois le premier colis stocké, CIGEO est doublement erroné. Il suffit qu’il existe un colis, avec un défaut ou une évolution négative d’un colis, pour mettre le stockage en danger dans cet environnement extrêmement sensible à toutes divergences des conditions d’exploitation.
Après les départs de Marie Claude Dupuis (ancienne Directrice générale) et de Fabrice Boissier (ancien directeur à la maîtrise des risques) en 2014, la mise en place de la nouvelle équipe en 2015 accentue encore ces erreurs : en augmentant la taille des alvéoles MA-VL, en les faisant passer de 400/450 m à plus de 500 m de longueur, en pensant optimiser ces dernières avec des diamètres de 12 m ou encore en désirant rallonger les longueurs des alvéoles HA-VL à 130 m, elle n’appréhende pas réellement la sensibilité du projet à ces risques de conception et de structure de CIGEO.
Tous les précédents projets similaires ont été des échecs : Stocamine et le WIPP, déjà cités, mais aussi la mine de sel de Asse en Basse-Saxe en Allemagne qui a servi de stockage de déchets en 1995 à 2004, et qui doit s’arrêter en 2007 suite à des entrées d’eau, et dont les premières estimations du coût de décontamination s’élèveraient de 2 à 6 milliards d’euros.
C’est également le cas de nombreux projets qui ont été arrêtés à l’étranger : Yucca Mountain qui a pris fin en avril 2011, suite à une décision de l’administration Obama, et dont les études ont nécessité un investissement de plus de 9 milliards de dollars ; le site de Pinawa au Canada, fermé en 2005 suite à l’opposition de la population locale ou encore les sites anglais, suisses ou australiens, également remis en cause par l’opposition des riverains.
D’autres alternatives existent déjà, comme des solutions d’entreposage à sec, en cours actuellement aux États-Unis et de l’Allemagne actuellement ; AREVA elle-même propose des solutions d’entreposage à sec aux États-Unis via sa filiale Columbiana High Tech, à proximité des sites de production (système NUHOMS) ; les systèmes CASTOR sont également une alternative de ce type stockage en Allemagne après le désastre de Asse.
Le projet CIGEO n’est pas viable. Le pragmatisme et le bon sens obligent par conséquent à revenir vers les conclusions du débat public de 2005 qui préconisaient une solution d’entreposage pérenne de quelques centaines d’années pour refroidissement, dégazage, études et recherches complémentaires. Cette voie permettait surtout de se laisser le temps nécessaire pour trouver des solutions alternatives face à cet impossible enfouissement.
Enfin, l’intelligence citoyenne ne comprend plus pourquoi, avec cette démonstration, les dirigeants politiques continuent cette fuite en avant financière et irrationnelle dans un projet déjà objectivement caduque.
Annexe : Discussion des risques
À l’issue de la présentation de ces risques, il nous a semblé utile dans cette présentation de restituer un échange concernant le stockage CIGEO sous forme de droit de suite en rapport avec des propos de M. Fabrice Boissier en 2012[39] .
1. « il faudrait un arrêt de ventilation de 10 jours pour atteindre le quart de la concentration critique d’hydrogène ».
Il est noté cependant par les techniciens de l’ANDRA : « les délais disponibles pour rétablir la ventilation en cas d’un arrêt de ventilation avant d’atteindre le critère de 1% d’hydrogène dans l’alvéole … pour une alvéole de colis B4.1 relâchant 100l/fût/an … abaissent le délai disponible à une valeur inférieure à 6 jours » [40] – Il est à noter par ailleurs que « Le taux d’émission de ces gaz explosifs (H2, CH4) libérés par certains colis de déchets B, pour des colis primaires B5.1 est de : 500 litres/fût/an (en valeur maximale, minorité de fûts) »[41].
2. « Cela laisse largement le temps d’intervenir ».
Il semble que cette affirmation soit plus nuancée par ces mêmes techniciens : « les délais pour réaliser une intervention importante dans un milieu confiné difficile d’accès sont à estimer pour différents scénarios dégradés afin d’être en mesure de se prononcer sur leur compatibilité avec la maîtrise du risque d’explosion »[42].
3. « Les colis ne seraient que faiblement endommagés ».
Nous constatons encore que cette affirmation du dirigeant est contredite dans les écrits des dossiers : « Une explosion pourrait entraîner la perte d’une fonction de confinement »[43]. La perte d’une fonction de confinement voulant bien entendu dire un relâchement potentiel de radionucléides dans les installations. On peut lire également « Les conséquences potentielles d’une explosion sont des blessures du personnel, l’endommagement ou la destruction de matériels et d’équipements (notamment l’endommagement d’une barrière de confinement ou d’une barrière de protections radiologiques conduisant à un risque de dissémination et/ou d’exposition externe).»[44].
4. « Contrairement aux tunnels routiers, il n’y aura pas dans l’installation nucléaire de sources d’incendie comme des moteurs à essence ».
En effet, les moteurs à essence seront absents, mais le corollaire de ce raisonnement serait alors que ces moteurs seraient la seule source d’incendie. Il apparaît toujours dans les textes de l’Andra que cette affirmation est bien réductrice car on sait par l’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité) que nous avons deux matières combustibles, l’hydrogène classée comme extrêmement combustible (R11) et très présente (120 000 kJ/kg), et le bitume (9 700 tonnes pour l’ensemble des colis, 40 000 kJ/kg), et avec des sources d’inflammation potentielles très diverses et nombreuses : thermiques, en cas de travaux de maintenance (soudure, oxycoupage, …), électriques (surcharges, échauffement, …), électrostatiques (décharges par étincelles, …), ou encore mécaniques (échauffements par friction, roulements, abrasion, …).
5. « L’installation sera en permanence surveillée ».
Malheureusement cette surveillance pourra être à l’origine même de l’incendie, il est en effet noté par les techniciens de l’ANDRA : « La mise en œuvre du système d’auscultation veillera à éviter la production d’étincelles, notamment dans les alvéoles susceptibles de produire de l’hydrogène. Les éventuelles sources d’énergie, notamment des batteries permettant une transmission sans fil, sont plus particulièrement concernées par ce risque. » [45].
6. « L’architectre du stockage permettra aux secours d’intervenir et au personnel d’évacuer dans des galeries à l’abri des fumées ».
Il est rappelé que : « la structure porteuse des installations du fond est conçue pour rester stable au feu 2 heures »[46], ce qui nous apparaît comme très court en parlant en heures et non en jours, d’autant que l’on peut lire assez logiquement que : « on ne peut exclure à ce stade que les personnes pourraient être rejointes par les fumées et devraient utiliser leurs protections respiratoires et oculaires individuelles … Des personnes pourraient se trouver prises entre l’incendie et l’extrémité de la galerie sans pouvoir rejoindre une recoupe pour évacuer »[47].
Notes et références
Sauf indication contraire, les références ci-dessous sont relatives aux documents publiés par l’ANDRA sur www.cigeo.com/documents, rubriques « Dossier 2005 », « Étape 2009 » et « Évaluation des coûts 2014 »
[1] Évaluation des coûts 2014 – Tome 1, tableau des métrés, p. 13 / 21
[2] Dossier 2005 : Évolution, p. 209 & 210 / 520
[3] Évaluation des coûts 2014 – Tome 1, hypothèses du stockage, p. 7 / 306
[4] Étape 2009 : Sureté, p.107, p.110, p.115
[5] Évaluation des coûts 2014 – Tome 1, description du stockage, p. 182 / 306
[6] www.aria.developpement-durable-gouv.fr / p. 4 – Accidentologie de l’hydrogène
[7] Dossier 2005 : Architecture, p. 445
[8] Étape 2009 : Sûreté, p.144
[9] Étape 2009 : Sûreté, p. 211
[10] Étape 2009 : Sûreté, p. 212
[11] Étape 2009 : Sûreté, p. 129
[12] Étape 2009 : Sûreté, p. 218
[13] Étape 2009 : Sûreté, p. 219
[14] Étape 2009 : Sûreté, p. 229
[15] Dossier 2005 : Architecture, p. 465, p.466
[16] Étape 2009 : Sûreté, p. 138
[17] Étape 2009 : Sûreté, p. 147
[18] Étape 2009 : Sûreté, p. 143, p.144
[19] Étape 2009 : Sûreté, p. 227
[20] Dossier 2005 : Stockage, p. 29
[21] Dossier 2005 : Architecture, p. 467
[22] Étape 2009 : Concepts d’entreposage, p. 242
[23] Étape 2009 : Sûreté, p. 137
[24] Dossier 2005 : Architecture, p. 469
[25] Étape 2009 : Sûreté, p. 216
[26] Étape 2009 : Sûreté, p. 139
[27] Étape 2009 : Sûreté, p. 233
[28] Étape 2009 : Sûreté, p. 235
[29] Étape 2009 : Sûreté, p. 234
[30] Étape 2009 : Sûreté, p. 236
[31] http://www.eau-seine-ormandie.fr/fileadmin/mediatheque/vallees_de_marne/Documents/PTAP_2013/ SAULX_ORNAIN.pdf (page 4)
[32] Rapport Caffet-Sauvalle sur Stocamine : http://www.stocamine.com/media/131/Rapport Caffet – Sauvalle.pdf
[33] Est-Eclair – 15 octobre 2011 – Alerte aux grenades dans des colis destinés à l’ANDRA
[34] Document Andra – Publication du 30/10/2012 concernant le CSA
[35] http://www.dna.fr/actualite/2012/12/17/stockamine-100-millions-d-euros-pour-un-destockage-partie
[36] Dossier 2005 – Évolution : p. 154
[37] Dossier 2005 – Évolution : p. 150
[38] Dossier 2005 – Évolution : p. 152 – Figure 3.3.22
[39] Publication dans le quotidien Est Républicain, en date du 21 juin 2012.
[40] Étape 2009 : Sûreté, p. 228, 227
[41] Dossier 2005 : Architecture, p.456
[42] Accident Investigation Report_ WIPP_ Radiological Release Event at the Waste Isolation Pilot Plant on February 14, 2014_Phase1_04_22_2014
[43] Étape 2009 : Sûreté, p. 147
[44] Étape 2009 : Sûreté, p. 143
[45] Dossier 2005 : Architecture, p. 393
[46] Étape 2009 : Sûreté, p. 234
[47] Dossier 2005 : Architecture, p. 465, 466
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