Un dispositif d’incitation au développement du solaire photovoltaïque a été mis en place en vue d’une diffusion de ce type d’équipement. Son caractère individualiste n’est cependant pas sans conséquence sur l’efficacité de la production d’électricité d’un site donné et sur l’esthétique villageoise. Les tentatives de passer d’un solaire individuel à un solaire collectif se heurtent à des difficultés que quelques expériences sont parvenues à surmonter.
Cet article a été présenté sous le titre « Les centrales villageoises photovoltaïques en Rhône-Alpes : une focale d’analyse sur la territorialisation des politiques du solaire photovoltaïque en France » dans le cadre de la journée Sciences humaines et sociales et photovoltaïque organisée par le Club de l’Orme en partenariat avec l’Institut photovoltaïque de l’Ile de France (IPVF), l’Institut national de l’énergie solaire (INES), l’Alliance ANCRE et l’Université Paris-Saclay le 25 avril 2017 sur le site du CEA-Saclay.
Le déploiement de la transition énergétique repose en partie sur la capacité de filières technologiques comme le photovoltaïque (PV) à se positionner comme des composantes crédibles d’un mix énergétique plus soutenable en cours de construction. Le développement de nouvelles options énergétiques repose alors sur l’établissement de dispositifs de financement de technologies qui ne sont pas encore toutes matures pour se rémunérer directement sur le marché. L’émergence d’un nouveau mix énergétique plus soutenable soulève ainsi un enjeu fort de financement des nouvelles filières technologiques.
1. Politique de développement du solaire PV et territoire
Tout comme une majorité des États voisins, celui de la France soutient le développement du PV à travers l’adoption de dispositifs de tarifs d’achat et d’obligations d’achat. L’électricité produite à partir de panneaux photovoltaïques et injectée dans le réseau est achetée à un prix supérieur à la valeur de l’électricité sur le marché de manière à inciter des acteurs à investir dans de nouvelles capacités de production d’électricité à partir de technologies photovoltaïques.
Un enjeu de recherche de la géographie est alors d’essayer de comprendre comment se territorialise cette politique du photovoltaïque ? Quel type de développement du PV ces tarifs d’achat suscitent dans les territoires ? Comment les acteurs dans les territoires se saisissent-ils de ces tarifs d’achat? Ces derniers d’achat n’ont-ils que des effets prévus ? Quels seraient leurs effets non prévus ?
In fine, cette analyse de la territorialisation des politiques publiques du PV doit permettre de mieux comprendre comment le déploiement d’une technologie à partir de certaines politiques publiques s’ajuste à des enjeux des territoires, et réciproquement. De manière connexe, l’enjeu est de poser des jalons de ce que pourrait être une politique publique du solaire après les tarifs d’achat, c’est-à-dire à un moment où l’électricité produite à partir de panneaux photovoltaïques aura atteint la parité réseau c.à.d. que son coût de production sera égal au prix de vente de l’électricité conventionnelle sur le marché (Figure 1). En quoi consisterait une bonne politique du photovoltaïque pour demain ?
Dans cette perspective, il importe tout d’abord de comprendre le fonctionnement de la politique française du photovoltaïque et ses effets dans les territoires, en examinant plus précisément les projets PV sur toitures raccordés au réseau qui sont les plus nombreux. Cette politique s’organise autour de plusieurs dispositifs qui créent un intéressement économique, une incitation à l’investissement. Les tarifs d’achat permettent à chaque opération PV de bénéficier d’un montant d’achat de l’électricité produite bonifié. Cette bonification est particulièrement intéressante pour l’installation du PV sur toiture. Elle est alors plus ou moins élevée en fonction de la nature de la toiture sur laquelle cette opération est située et de la puissance installée. Des crédits d’impôts permettent aux foyers qui investissent dans une opération photovoltaïque sur leur toiture de déduire une partie du coût du matériel de leurs impôts. Enfin, ces incitations économiques sont soumises à la condition du raccordement de l’opération au réseau électrique. Les coûts de ce raccordement, partagé entre la collectivité et le futur producteur PV, et ceux d’un éventuel renforcement, sont calculés toitures par toitures. Ils peuvent largement varier en fonction de la distance entre le site à raccorder et le point de raccordement le plus proche, ou encore en fonction de la capacité du réseau à supporter de nouvelles injections. À la lumière de ces trois dispositifs, la politique nationale du PV pilote le développement de la filière en créant des rentabilités économiques qui sont essentiellement individuelles et privées. Deux toitures voisines et exposées à une même intensité solaire peuvent ainsi présenter des rentabilités économiques radicalement différentes à l’aune de cette politique nationale.
Sous l’effet de ces incitations économiques, le déploiement du PV représente alors un enjeu difficilement négociable à l’échelle des territoires. Ce déploiement a de fait plusieurs effets peu voire non encadrés par les collectivités territoriales qui ont du mal à rouvrir cet intéressement économique essentiellement individuel et privé. Tout d’abord le développement d’une myriade d’installations PV de petite taille sur de nombreuses toitures tend à marquer l’émergence de nouveaux paysages de l’énergie sans que cette émergence apparaisse concertée. Ensuite cette politique tend à inciter chaque individu, qui a les moyens d’investir dans le PV, de le faire sur sa propre toiture sans considérer si cette toiture est la plus propice à un tel investissement ou si une toiture voisine permettrait de produire plus d’électricité à moindre coût.
2. Du solaire PV individuel au solaire PV collectif
En cela, la politique nationale fait du photovoltaïque une aventure essentiellement individuelle et privée sans considérer sa mise en concertation à l’échelle des territoires et de leurs enjeux spécifiques. Dans ce cadre, certains acteurs proposent de saisir cette politique et de l’organiser autrement.
Ces acteurs proposent de développer non plus uniquement des opérations solaires individuelles sur une toiture mais des opérations solaires sur plusieurs toitures, réunissant plusieurs propriétaires et une multitude d’investisseurs. Dans une telle approche, leur idée est de sélectionner à l’échelle d’un territoire les meilleures toitures, sans considérer directement les capacités d’investissement de leurs propriétaires, et d’investir collectivement sur ces toitures. À travers ces projets collectifs, tous les acteurs des territoires pourraient devenir des acteurs du photovoltaïque même s’ils disposent d’une petite épargne et n’ont pas de toitures intéressantes.
Un projet photovoltaïque ne serait alors plus une aventure individuelle et privée peu négociable mais un projet collectif et concerté. Ces collectifs construisent alors ensemble des modalités d’investissement et de gouvernance de projet collectif parfois uniquement local, parfois ouvert à l’extérieur du territoire en faisant appel à des solutions de crowdfunding. En cela ils construisent des alternatives à une politique du solaire qui tend à individualiser les investissements et les bénéfices liés à la production d’électricité à partir de panneaux PV.
Au-delà de l’aspect économique, par la sélection collective de toitures pour leurs projets, ces collectifs ouvrent une concertation sur l’émergence de nouveaux paysages de l’énergie et mettent en place des formes de redistribution des bénéfices du PV dans les territoires. En cela, ils construisent, au sein du cadre des tarifs d’achat, des voies démocratiques alternatives pour construire la transition énergétique.
3. Les centrales villageoises en Rhône-Alpes
Les collectifs méritant une attention plus particulière sont les centrales villageoises photovoltaïques. Le sigle « centrale villageoise PV » désigne un ensemble de projets PV collectifs initialement soutenus par des crédits du Fonds européen de développement régional (FEDER) et des fonds régionaux en Rhône-Alpes. Ils sont pilotés par l’association régionale Rhônalpénergie-Environnement (RAEE) (Figure 2).
L’enjeu de ces centrales villageoises n’est pas de constituer de nouvelles centralités de production d’électricité, mais de mettre en place des capacités de production d’électricité à l’échelle des besoins des territoires, essentiellement ruraux. En cela chaque centrale villageoise développe aujourd’hui des projets allant de quelques dizaines à quelques centaines de kiloWatt-crête (kWc). Autour de huit projets pilotes, l’objectif de Rhônalpénergie-Environnement a été de pousser une réflexion sur l’intégration paysagère des panneaux solaires et la mise en concertation collective du développement du photovoltaïque à l’échelle des territoires.
Le développement des projets pilotes avait pour objectif de mettre au point de nouveaux outils juridiques (statuts de sociétés coopératives, baux de location ou de mise à disposition de toitures) et technico-économiques (dispositifs de calculs pour sélectionner des toitures, démarches types pour procéder au raccordement des opérations). Cette première phase expérimentale est aujourd’hui passée et il existe 21 collectifs « centrale villageoise PV » constitués, dont 11 produisent déjà de l’électricité. Les centrales villageoises représentent ainsi aujourd’hui une puissance de 830 kWc installée et atteindront rapidement les 2 MWc (Figure 3). Par ailleurs, alors que les premiers projets se développent dans des territoires essentiellement ruraux, des discussions sont en cours dans plusieurs agglomérations pour développer sur le même modèle des « centrales villageoises » urbaines (Grenoble, Lyon, Toulouse).
Parmi tous ces projets, les deux premiers à avoir produit de l’électricité sont celui de la région de Condrieu entre Lyon et Valence et celui du Plateau de la Leysse sur les hauteurs de Chambéry.
L’analyse des centrales villageoises, et tout particulièrement des deux projets retenus, repose sur plusieurs approches méthodologiques complémentaires. Tout d’abord sur des campagnes d’entretiens semi-directifs avec les acteurs de ces projets (élus régionaux et locaux, techniciens des collectivités locales, citoyens investisseurs ou propriétaires de toitures) et une participation observante de plusieurs réunions de construction des projets. Dans un second temps, sur l’ensemble des archives des projets et plus spécifiquement sur des entretiens collectifs avec les acteurs afin d’analyser le rôle des outils d’aide à la décision mis en place au sein des collectifs solaires.
Comment ces différents acteurs parviennent-ils à faire collectif au milieu d’une politique qui tend à susciter des aventures individuelles ? Faire collectif serait ainsi faire un collectif de propriétaires de toitures et d’investisseurs mais également parvenir à faire un collectif de toitures, bien que ces toitures aient toutes des rentabilités individuelles très différentes. Au final, comment des acteurs arrivent-ils à se nourrir de l’intéressement économique de la politique nationale du PV tout en le contrôlant pour construire un collectif ?
Dans les deux cas, les porteurs de projets opèrent une première sélection de toitures à partir d’une somme de critères (montant du tarif d’achat, intégration paysagère, motivation des propriétaires, orientation et intensité solaire). C’est sur la base d’une proposition d’un collectif de toitures qu’ils entendent mener à bien la structuration d’un collectif d’investisseurs et de propriétaires de toitures. À l’issue de cette première sélection, les toitures sélectionnées ont des rentabilités homogènes et présentent ensemble une cohérence paysagère.
Toutefois dans les deux cas, le raccordement au réseau de l’ensemble des toitures initialement sélectionnées constitue une épreuve majeure pour le collectif. Dans des territoires ruraux où le réseau électrique a parfois été renforcé récemment en même temps que la construction de nouveaux lotissements alors qu’à d’autres endroits il date de plusieurs décennies, toutes les toitures initialement sélectionnées sont soumises à des coûts de raccordement voire de renforcement de réseaux qui varient entre plusieurs centaines d’euros et plusieurs milliers d’euros. À la lumière de ces nouveaux coûts, les toitures initialement sélectionnées présentent désormais des rentabilités très différentes.
Dans le cas de la région de Condrieu, les porteurs de projet parviennent à convaincre les propriétaires des toitures les plus rentables de laisser leurs toitures dans le projet collectif de manière à maintenir la cohésion d’ensemble. Avec ces toitures, des toitures moins rentables peuvent être inclues dans le projet sans condamner son équilibre financier mais en maintenant la cohérence paysagère travaillée collectivement. En cela le collectif parvient à intégrer des critères non valorisés économiquement par les politiques publiques du solaire dans sa sélection de toitures.
Dans le cas du plateau de la Leysse, à l’issue de tensions politiques locales, les propriétaires des toitures les plus rentables refusent de voir leurs toitures financer des toitures peu rentables ou non rentables. Le projet collectif et la mise en concertation collective du développement du PV dans le territoire éclate avec le départ de ces propriétaires qui décident de mener des projets de manière individuelle. Le projet est relancé dans un second temps à partir de l’unique sélection de toitures aux rentabilités homogènes et en incluant plus de toitures publiques. Cet échec initial du projet collectif souligne la tension dans les territoires que suscite une politique nationale du photovoltaïque qui tente de piloter le développement d’une filière en suscitant un intéressement uniquement économique. La construction du collectif sur la base de la seconde sélection de toitures repose presque uniquement sur des facteurs économiques et la cohérence paysagère d’ensemble que le collectif avait patiemment construit est en grande partie laissée de côté.
4. Faire du PV une source d’énergie véritablement soutenable
Quelques conclusions se dégagent des deux études de cas. Tout d’abord les collectifs solaires étudiés à travers le cas des « centrales villageoises » ne forment pas une nouvelle forme de captation des revenus liés aux dispositifs technico-économiques publics ni uniquement une forme de redistribution de ces revenus à l’échelle d’un territoire. Ces collectifs tentent d’ouvrir l’intéressement économique individualisant lié aux politiques publiques du solaire pour essayer d’inclure dans le développement PV des enjeux jusqu’ici non valorisés économiquement mais au cœur des problématiques des territoires (l’évolution paysagère). En cela, ces collectifs tentent d’endosser un rôle de régulation que jusqu’ici ni l’État ni le marché ne jouent pleinement. Ils tentent de promouvoir de nouvelles formes démocratiques de construction de la transition énergétique plus justes.
À travers cette analyse, il apparait clairement que le rôle des sciences humaines et sociales, et notamment de la géographie, ne se cantonnerait pas à penser l’acceptabilité dans les territoires d’une technologie et de politiques publiques. Les collectifs solaires se constituent en même temps que les politiques publiques, en éprouvent des limites et en proposent constamment des recadrements. En cela, la territorialisation de la filière photovoltaïque apparaît ne pas être un processus top-down linéaire mais au contraire un constant aller-retour entre des acteurs multiples, à différentes échelles et à la lumière d’enjeux variés (économiques, techniques, administratifs, environnementaux, sociaux).
L’atteinte prochaine de la parité réseau pour le PV et la diminution progressive des tarifs d’achat soulève des questions relatives à ce que seront les prochaines politiques publiques du PV après ces tarifs d’achat. Les collectifs « centrales villageoises » soulignent l’importance de valoriser les processus collectifs de concertation à l’échelon territorial afin de ne pas faire du seul facteur économique le moteur du développement du PV en France mais d’inclure des enjeux de paysage et de justice sociale pour faire du photovoltaïque une énergie véritablement soutenable.
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