Allemagne : faisabilité d’un mix électrique à base d’énergies renouvelables intermittentes

En 2016, 29 % de l’électricité produite en Allemagne a été d’origine renouvelable. Est-il techniquement possible d’atteindre 100 % ? À partir d’une simulation du système électrique allemand, l’article montre que ce ne serait possible qu’avec un stockage de l’énergie à grande échelle qui reste à être mis au point. Traduit de l’allemand dans le cadre du Master de traduction spécialisée multilingue de l’université Grenoble Alpes.


Traduit de l’allemand (Lire : Eigenschaften einer Stromversorgung mit intermittierenden Quellen) par Angelika Pinisch, Master de traduction spécialisée multilingue, sous la direction de Claire Allignol, université Grenoble Alpes.

En Allemagne, la transition énergétique, c’est-à-dire le remplacement des sources d’énergies nucléaires et fossiles par des sources d’énergies renouvelables, constitue un objectif politique. Jusque fin 2014, les installations éoliennes et photovoltaïques (PV) ont réussi à atteindre une capacité de production de près de 80 GWc, permettant d’ores et déjà de couvrir temporairement les pics de consommation du pays. Les investissements nécessaires sont surtout subventionnés par le tarif de rachat mis en place par la loi allemande relative au soutien des énergies renouvelables (Erneubaren Energiengesetz EEG). En 2014, cette somme s’élevait à environ 24 milliards d’euros. Ces tarifs de rachat étant garantis pour une durée de 20 ans, le montant total des dépenses s’accumulera pour atteindre plusieurs centaines de milliards d’euros[1].

La consommation intérieure nette d’électricité en Allemagne pour 2012[2] s’élevait à 527 TWh dont 151 TWh provenant des énergies renouvelables. L’énergie hydraulique et le biogaz, qui sont des formes d‘énergies qui n’ont pratiquement plus de capacités de développement, ont produit 76,8 TWh. Les formes d’énergies éoliennes et PV, qui sont modulables et qui peuvent donc encore être développées, ont généré 74,2 TWh. L’énergie nucléaire a produit 99 TWh, le reste provenant majoritairement des centrales électriques à combustibles fossiles à taux moyen d’émission spécifique de 0,874 kg de CO2/kWh. La part éolienne et photovoltaïque représentait ainsi environ 14 % (14,8 % en 2014) de la consommation d’énergie annuelle.

La problématique liée à la production énergétique provenant majoritairement des sources d’énergie intermittentes réside dans l’écart entre la très importante puissance installée des capacités éoliennes et photovoltaïques comparée à leur médiocre production d’électricité pendant l’année. Même si l’on ne prend en compte que la production d’électricité, qui représente seulement 25 % de la production énergétique totale en Allemagne, on peut partir du principe que les caractéristiques d’une production décarbonée et dénucléarisée seront de plus en plus pertinentes pour l’ensemble de la production énergétique parce qu’il est nécessaire, à long terme, de remplacer les formes d’énergies fossiles par des sources d’énergie renouvelable intermittentes.

 

1. Méthodologie, valeurs cibles et hypothèses pour la faisabilité d’un mix énergétique à base d’énergies renouvelables

Quelles devraient être les caractéristiques d’une alimentation électrique couvrant en moyenne 100 % de la consommation annuelle moyenne à partir d’énergies renouvelables[3] ? Sur la base des structures de la production et de la consommation d’électricité en 2012, on estime les évolutions qui permettraient une alimentation fondée sur des systèmes utilisant des énergies renouvelables satisfaisant entièrement la consommation annuelle d’électricité. Les variables utilisées pour l’extrapolation sont l’extension des capacités de production d’électricité d’origine photovoltaïque et éolienne. Depuis des années, les données relatives à la consommation et à la production d’électricité en Europe sont données par intervalles d’une heure[4]. Celles du réseau allemand sont relevées par quart d’heure[5]. Les données des capacités éoliennes et photovoltaïques de l’année 2012 ont été converties en puissances constantes conformément à l’état d’aménagement en fin d’année.

La méthodologie se base sur des analyses antérieures de Wagner (2012)[6] datant de 2010 qui montraient déjà les tendances fondamentales. Des recherches similaires ont été effectuées pour la France avec une comparaison de l’approvisionnement électrique basé sur les énergies renouvelables (EnR) en France et en Allemagne par Grand and al. (2015)[7], ainsi qu’en Italie par Romanelli F. (2015)[8].

 

Fig. 1 : À gauche est représentée la production d’électricité réelle pour 2012 (527 TWh) et à droite l’approvisionnement hypothétique à 100 % d’EnR (énergie renouvelable) après la transition énergétique. Pour fournir l’énergie nécessaire, on ajoute l’énergie générée par les systèmes d’appoint (lors des périodes faibles en vent ou peu ensoleillées) et les surplus de puissance produits lors des périodes où il y a beaucoup de vent ou de soleil.

 

Résultats de cette simulation (Figure 1) : à gauche figurent les contributions réelles des différentes sources d’énergies pour l’alimentation électrique en 2012, et à droite les approvisionnements moyens extrapolés pour une alimentation électrique 100 % issue de l’énergie hydraulique, de l’éolien terrestre et maritime ainsi que du solaire photovoltaïque. Les capacités de rendement maximal des sources intermittentes doivent être sensiblement plus élevées que la consommation annuelle pour qu’une production de puissance excédentaire soit parfois dégagée. De plus, il faut un système d’appoint, dont l’apport énergétique annuel est également représenté, pour fournir l’énergie nécessaire lors des périodes où l’éolien et le solaire PV ne génèrent pas assez de puissance électrique. Dans le cas d’un approvisionnement à 100 %, l’énergie d’appoint correspond au surplus de puissance également représenté.

Cette simulation suppose que, dans le futur, les économies d’énergie et l’augmentation de l’efficacité énergétique, mais aussi l’évolution démographique, compenseront l’augmentation de la consommation d’électricité dans les transports ou le chauffage, donc que la consommation annuelle moyenne allemande restera à peu près constante[9]. Étant donné que l’apport de l’énergie hydraulique en Allemagne ne peut être augmenté, sa valeur constante est retirée de la consommation. Dans un premier temps, la production actuelle d’électricité issue de la biomasse ne sera pas prise en compte car on suppose que la bioénergie jouera un rôle important dans le carburant pour les transports aériens et les transports de marchandises lourdes. Dans l’intervalle de temps examiné, le nucléaire ne produira plus d’électricité en Allemagne. Les importations et les exportations d’électricité ne seront pas non plus prises en compte, ce qui est irréaliste, mais permet d’observer les caractéristiques de base d’un marché national de l’électricité à 100 % issu d’EnR. Puisque l’étude porte sur la consommation annuelle nette de l’électricité, les pertes durant la production d’électricité peuvent être négligées. Cependant, les rendements énergétiques, les pertes de transformation et de transport peuvent facilement être pris en considération. Les résultats présentés sont donc dans un premier temps des valeurs idéales avec une charge réduite[10] arrondie à 500 TWh qui doit être couverte par l’éolien mer et terre ainsi que le solaire PV.

 

2. Les parts de l’éolien et du solaire dans le mix énergétique « tout renouvelable »

Le mix de puissance éolien et PV installé a été et reste défini par les décisions économiques et politiques[11]. Au niveau technique, la meilleure adéquation de l’éolien avec la charge au cours des saisons (il y a davantage de vent et la demande énergétique est plus forte en hiver qu’en été) ainsi que la meilleure adéquation du PV avec la charge en cours de journée permettent de définir un mix optimal qui minimise l’électricité d’appoint annuelle et, par là, les émissions de CO2, véritable enjeu de la transition énergétique.

 

Fig. 2 : a) l’énergie d’appoint en ordonnée et la contribution énergétique du PV en abscisse, respectivement normalisée sur la consommation annuelle de différents pays européens, considérés individuellement et ensemble ; b) à droite avec le même appoint, la part de l’éolien Eoff par rapport à l’ensemble de la production éolienne Eoff+Eon en abscisse; en ordonnée, à droite, puissance éolienne à installer en fonction du mix éolien.

 

On aboutit ainsi (Figure 2a) à la part que doivent fournir les systèmes d’appoint du système résiduel pour couvrir la charge (quantité d’électricité d’appoint normalisée) en fonction de la part du photovoltaïque en France, en Espagne, en République Tchèque et en Allemagne, ainsi que dans l’ensemble des quatre pays. Toutes les courbes montrent un optimum stable avec une part de photovoltaïque à environ 20 %. Une part PV moins importante dégraderait l’optimum et limiterait l’émission de CO2 de manière insignifiante : le photovoltaïque peut donc être remplacé par l’énergie éolienne. En revanche, une part PV plus importante peut rapidement devenir désavantageuse.

Une optimisation de la fourniture des systèmes d’appoint (Figure 2b) ne change quasiment rien par rapport à la part des installations éoliennes maritimes (voir la courbe en pointillée rouge). La part d’éolien maritime est donc fixée de manière arbitraire à 1/3 de la production totale éolienne. Une part d’énergie éolienne maritime plus importante réduirait cependant la puissance installée[12] nécessaire à cause du nombre d’heures de pleine charge plus élevé car il y a plus de vent en mer (courbe bleue sur la figure 2b).

 

3. Le principal problème de l’utilisation des sources d’électricité intermittentes : le besoin en puissance installée et l’adaptation de la consommation

 

Fig. 3 : Monotone de charge (en noir) et monotone de puissance des EnR (pointillé en bleu) dans le cas d’un approvisionnement à 100 % d’EnR.

 

Le problème principal que soulève l’utilisation des sources d’énergie renouvelable intermittentes peut être représenté comme suit (Figure 3). Les valeurs de puissance de la charge sur 2012, ainsi que la puissance de la production éolienne et photovoltaïque dans le cas d’un mix optimal à 100 % (Figure 2a) revêtent la forme de monotones pour une année. L’énergie (la surface située sous les deux courbes) est identique et représente 500 TWh. Néanmoins, pour atteindre cette valeur, la capacité de production d’électricité au cours d’intervalles de temps qui se cumulent sur environ six mois est plus importante que la charge, tandis que pour le reste de l’année elle est trop faible (par exemple lors de vents faibles, durant la nuit et par temps très nuageux). Pour générer la quantité d’électricité nécessaire avec des sources intermittentes, il faut donc installer des puissances très élevées. La quantité d’électricité produite grâce à des installations puissantes et qui dépasse la quantité nécessaire est dite excédentaire. Dans la mesure où cette production est justifiable économiquement, l’excédent doit être exporté ou utilisé par les consommateurs grâce à la mise en place d’un système d’adaptation de la consommation. Dans le cas contraire, une quantité proportionnelle de turbines éoliennes ou d’installations photovoltaïques doit être déconnectée du réseau électrique. La courbe annuelle des puissances des EnR montre aussi que plus de 50 % des performances de pointe d’EnR n’est atteint que quelques semaines dans l’année. D’où des facteurs de capacités problématiques pour l’utilisation des investissements en économie de marché.

La production d’électricité (trop faible à droite du point d’intersection des courbes) montre la nécessité d’un système d’appoint qui, en plus de produire, importer et stocker de l’électricité issue d’une autre source, peut même temporairement assurer la charge entière. Ces contributions énergétiques (le surplus et l’appoint) sont indiquées sur la figure 1 et quantitativement sur le tableau 1.

Les valeurs de puissance des EnR représentées (Figure 3) sont le résultat de la somme des contributions respectives des trois sources observées. Dans un incrément de temps, celles-ci ne fonctionnent pas chacune à leur puissance nominale[13]. La puissance totale installée est de 305 GW, l’équivalent de près de quatre fois la charge de pointe.

 

4. Données de base pour un approvisionnement électrique à 100 % issu de sources renouvelables intermittentes

Les valeurs d’un approvisionnement à 100 % issu de sources renouvelables intermittentes sont les suivantes dans les conditions d’un mix optimal (Tableau 1).

 

Tableau 1 : Caractéristiques d’un approvisionnement à 100 % dans les conditions d’un mix optimal

 

Énergie (TWh)
Capacité installée ou charge de pointe (GW)
Durée de pleine charge *Flh (h)
Facteur de capacité
Charge réduite
500
83
6020
0.69
Éolien terrestre
271
175
1543
0,18
Éolien maritime
135
33
4134
0,47
PV
94
97
971
0,11
Appoint
131
73
1795
0,20
Surplus
131

*Flh signifie Full Load Hour

 

Les chiffres montrent que lorsque l’objectif de l’approvisionnement à 100 % issu d’électricité éolienne et solaire est atteint, 131 TWh (26 %) des 500 TWh produits sont perdus comme surplus, sachant que la même quantité d’électricité doit être fournie par le système d’appoint à d’autres moments. Pour un approvisionnement électrique à 100 % issu d’EnR, il faudrait multiplier par 4 la production allemande d’énergie éolienne et PV de 2012, soit 80 GW, déjà atteint en Allemagne en 2014, pointe de puissance annuelle, pour installer la puissance nécessaire de 305 GW. Ces chiffres montrent aussi que le système d’appoint à 73 GW doit couvrir environ 88 % de la pointe de puissance annuelle (83 GW). Si on extrapole à partir des conditions de 2012, l’extension des capacités de production d’énergie éolienne et PV pour quadrupler leur puissance de pointe ne permettrait de diminuer la production d’énergie conventionnelle que de 12 % tant qu’un système de stockage d’électricité à grande échelle ne sera pas mis en place. Par conséquent, en fonction de la faisabilité technique, du besoin en combustible, du degré de centralisation ou de la contrôlabilité, des systèmes complètement différents doivent être exploités et financés conjointement. La technologie éolienne et PV fournit de l’électricité indépendamment de la demande sans en garantir la fourniture. Le système d’appoint compense les insuffisances de la demande en fournissant de l’électricité en cas de besoin[14]. Un troisième système s’ajoute éventuellement pour l’utilisation du surplus électrique.

Le problème technique dans l’utilisation des EnR réside dans la manipulation de puissances importantes, tandis que le problème économique se trouve dans les facteurs de capacité faibles pour l’exploitation de l’installation. Il s’agit là d’une difficulté notamment pour le système d’appoint qui, en raison de ses coûts d’exploitation plus élevés et de son facteur de capacité à 20 %, n’est pas rentable. Cette tendance se confirme déjà clairement en 2014/2015[15].

 

5. Fonctionnement du système d’appoint : nécessité de couvrir la totalité de la pointe d’électricité

 

Fig. 4 : Les valeurs de courbe de charge (en noir) et la puissance apportée par le système d’appoint (en rouge) pendant les 8 dernières semaines de 2012 (6/11.-31/12). Le cercle indique la performance de pointe du système d’appoint pendant cette période.

 

La charge (en noir) des huit dernières semaines de 2012 avec les apports du système d’appoint (en rouge) pour le cas optimal à 100 % peut être représentée comme suit (Figure 4). Des périodes de production succèdent aux périodes de déficit où le système d’appoint doit prendre le relais. La puissance de pointe du système d’appoint se trouvait proche de la charge de pointe (entourée par un cercle) le jeudi de la deuxième semaine. Cela montre que malgré les puissantes installations d’EnR, il existe peu de possibilités d’économies. En revanche, pendant la période de Noël, il n’y a presque pas besoin d’appoint.

La dynamique de la production d’appoint a changé et couvre le spectre d’un fonctionnement nul à pratiquement la pointe de puissance et non plus de la charge de base à la pointe de puissance.

 

Fig. 5 : La distribution de fréquences positives et négatives pour 2012

 

La dynamique à laquelle le système d’appoint est exposé peut être examinée de façon plus détaillée (Figure 5). Elle illustre la répartition des fréquences de gradients de puissances positives et négatives pour le cas optimisé à 100 % en comparaison avec les gradients de charge. L’intervalle de classe est de 2 MW/h. Les gradients de puissance critique augmentent de manière considérable. Les valeurs autour de 20 GW/h nécessitent une exploitation coordonnée de nombreuses centrales électriques qui doivent toutes être disponibles pour un démarrage à chaud. En comparaison, le gradient de puissance qui est apparu quelques instants lors de l’éclipse solaire partielle du 20/03/2015, était estimé à 20 GW/h[16]. Dans le cas à 100 %, il faut s’attendre à des évènements de ce genre 100 fois dans l’année. Toutefois, il est très difficile d’en prévoir les périodes.

Les variations de la charge et du système d’appoint sont brusques dans le cas d’un approvisionnement à 100 % issu d’EnR sous les conditions d’un mix optimal. L’exploitation des centrales électriques d’appoint doit s’adapter à la production d’électricité intermittente, ce qui augmente considérablement l’usure de ces centrales et entraîne ainsi des frais d’entretien et d’exploitation supplémentaires qui seront finalement à la charge du consommateur.

 

6. Capacité de stockage d’électricité nécessaire

 

Fig. 6 : La figure montre la puissance de la charge (en noir), du système d’appoint (en rouge) et du surplus (en bleu, négatif) pour la période du 9.1 au 12/02/2012. Les bandes colorées représentent les quantités d’électricité excédentaires ou manquantes. Chaque période est marquée. En comparaison : Le rectangle vert situé en haut à droite représente la capacité de stockage des centrales à accumulation par pompage actuelles en Allemagne en puissance (‘8 GW) et en durée (‘6 h) par cycle de charge.

 

Une alimentation électrique sans émission de CO2 est pratiquement impossible sans moyen de stockage d’électricité. Dans le cas idéal, des systèmes de stockage suffisamment grands pourraient stocker le surplus d’électricité et en fournir en cas de besoin. Cela rendrait un système d’appoint (fossile) superflu. Par exemple, grâce aux données enregistrées du lundi 9/01/2012 au dimanche 12/02/2012 (Figure 6), on peut estimer l’ordre de grandeur de la capacité de stockage nécessaire. La courbe de charge est représentée en noir, les puissances d’appoint en rouge et le surplus de puissance (négatif) en bleu. Le système de stockage serait chargé pendant les périodes de surplus, et déchargé pendant les périodes d’appoint.

La première phase de stockage la plus longue (surlignée en bleu clair) dure 66 heures et remplit le système de stockage de 3,7 TWh. Durant la période de manque qui suit (surlignée en rose), il se décharge de 3,5 TWh en 90 heures. Dans ce cas, les phases de stockage et destockage continuent jusqu’à épuisement à la fin de la 4ème  phase de manque et donc de destockage (surlignée en rose). Cette phase de manque continue néanmoins encore pendant 181h et nécessite 7,1 TWh. On en déduit alors la capacité de stockage nécessaire. Si on veut éviter les périodes de manque sur toute l’année, la capacité de stockage sur la base des données de 2012 doit, par calcul, correspondre à 33 TWh.

 

Fig. 7 : L’énergie d’appoint nécessaire représentée en ordonnée sur la capacité de stockage disponible en abscisse, normalisées sur la charge. Les effets de la capacité existante en 2012 ainsi que du stockage par jour, par semaine, par mois et par an et via toutes les voitures équipées d'une batterie Tesla Model S en Allemagne sont indiqués.

 

Le lien entre l’énergie d’appoint restant et la taille du stockage est hyperbolique (Figure 7). Ces deux grandeurs sont respectivement normalisées sur la consommation annuelle. Un stockage à faible capacité présente déjà un grand impact tandis qu’une augmentation des capacités de stockage montre un effet moindre sur l’énergie d’appoint. Un tel lien requiert des solutions différenciées qui peuvent consister en un mélange d’arrêts ciblés de sources, d’une importation d’électricité et d’une utilisation des centrales à gaz comme technique d’appoint. L’impact du stockage par jour, par semaine et par mois sur l’équipement d’appoint restant (toujours Figure 7) avec le stockage d’électricité hypothétique que produirait la totalité des voitures sur les routes allemandes (40 millions) si elles étaient équipées d’une batterie Tesla Model S (85 kWh).

L’impact des centrales d’accumulation par pompage en Allemagne (situation de 2012) est évalué à un total d’environ 8 GW et 50 GWh. L’ordre de grandeur du besoin montre que de nouvelles technologies sont nécessaires. Seul le mode de stockage chimique pourrait être utilisé, mais celui-ci a encore besoin d’une dizaine d’années de développement avant de pouvoir être construit et exploité dans l’industrie chimique à grande échelle. Puisque ces modes de stockage absorbent l’énergie excédentaire, l’étage d’entrée doit pouvoir traiter les puissances de pointe, mais seulement lorsque l’électricité dans le réseau ne trouve pas d’utilisation primaire. Hormis toutes ces capacités, l’utilisation d’un mode de stockage aussi puissant n’est pas rentable à cause de son faible rendement[17]. La question de la rentabilité se pose déjà aujourd’hui pour les centrales d’accumulation par pompage.

 

7. Les limites du décalage de charge liées aux rythmes humains

Le concept du report de charge prévoit de reporter la consommation d’électricité vers des périodes plus avantageuses en moyens de production, ce qui est donc moins coûteux pour passer d’un mode de consommation d’électricité basé sur les besoins, à un mode de consommation basé sur l’offre disponible. Un exemple classique est le radiateur à accumulation qui se charge pendant la nuit aux heures creuses, lorsque le prix de l’électricité est plus bas.

Ce concept pourrait avoir du succès, mais, tant qu’ils sont directement impliqués dans la vie économique et professionnelle, les hommes resteront déterminés par le rythme naturel circadien. On peut donc avoir un aperçu général des possibilités et des conséquences de ce concept en observant les évolutions quotidiennes de la demande électrique, du surplus et de la charge d’appoint en moyenne par an. Les expériences actuelles permettent déjà de prévoir une baisse du prix de l’électricité pendant les heures de surplus électrique.

 

Fig. 8 : Moyennes de la courbe de charge quotidienne, du système d’appoint et du surplus dans le cas à 100 % d’un mix optimal (a) et dans le cas où l’apport photovoltaïque est remplacé par l’éolien (b).

 

Trois valeurs, en moyenne, en résultent (Figure 8). Contrairement à ce que l’on pense souvent, le surplus d’électricité ne se produit plus la nuit, comme auparavant, mais pendant le jour.

La raison est liée au pic de production des installations solaires, qui conduit déjà à la baisse des prix de l’énergie autour de midi. À long terme, les activités économiques continueront à s’intensifier pendant le jour, où elles sont déjà les plus actives, et ajouteront ainsi une sollicitation supplémentaire aux infrastructures déjà existantes. Cela sera davantage le cas l’été que l’hiver. Si on devait remplacer la part du PV par de l’énergie éolienne, ce qu’invite à faire la figure 2a, alors la tendance serait d’avoir un surplus d’électricité surtout pendant la nuit (Figure 8b).

 

Fig. 9 : La courbe de charge des différents jours de la semaine représentée en moyenne sur l’année. La courbe rouge ne fait pas de distinction entre les jours ouvrables et les weekends. La consommation annuelle est la même dans les deux cas.

 

Une conséquence prévisible du concept de report de charge est que les activités économiques puissent continuer pendant les week-ends. En moyenne sur l’année, la consommation de l’électricité est plus élevée les jours ouvrables que les week-ends (Figure 9). La courbe de charge en rouge correspond à un cycle nycthéméral identique et une même consommation globale qui ne permet plus de distinguer les jours ouvrables du week-end[18]. Un tel report de charge des jours ouvrables au weekend permet d’utiliser l’offre des EnR avec 7,5 TWh supplémentaires, de réduire la charge de pointe de 83 GW à 71 GW et de diminuer l’appoint nécessaire de 131 TWh à 123 TWh.

 

8. Un développement spécifique en matière de CO2 avec les EnR en Allemagne : le gaz aussi efficace que les EnR sans solution de stockage

 

Fig. 10 : Le taux d’émission spécifique de CO2 sur la part totale des EnR dans différents pays (en 2012). Les courbes valent pour l’Allemagne, d’une part lorsque la totalité de la production thermique est générée par le mix de combustibles actuel (courbe noire en ligne continu) et d’autre part uniquement par le gaz (pointillé en bleu). Les lignes roses mettent en évidence l’effet qu’il y aurait si le mix de combustibles était remplacé par du gaz.

 

L’objectif principal de l’utilisation des EnR est de réduire les émissions de CO2. Les émissions de CO2 sont générées par la production d’électricité, en ordonnées et par les EnR, en abscisse (Figure 10). La courbe continue est l’appoint nécessaire dans l’utilisation des sources intermittentes dans le cas où les technologies qui fournissent l’énergie pour le système d’appoint proviennent du mix de combustibles fossiles actuellement en place en Allemagne (courbe noire ηel,Mix =0,874 kg CO2/kWh) ou seulement du gaz (courbe bleue ηel,Gas =0,411 kg CO2/kWh). La valeur pour la part à 100 % d’EnR correspond à la contribution annuelle du système d’appoint dans le cas d’un mix optimal. Le résultat montre que remplacer le charbon utilisé en Allemagne par le gaz a le même effet que d’utiliser un système d’approvisionnement à 50 % issu d’EnR (voir les lignes rouges Figure 10).

La figure 10 représente aussi les émissions de CO2 spécifiques des autres pays en fonction du développement des EnR, en tenant compte cette fois de toutes les formes d’EnR. Les pays sont indiqués par leur abréviation. L’Allemagne se situe en dessous de la courbe noire, car en 2012 elle profitait encore du taux d’émission de CO2 à zéro de l’énergie nucléaire. La grande dispersion des points de données reflète les différentes techniques de production d’électricité utilisées, l’énergie hydraulique en Norvège ou le charbon en Pologne. Les différents niveaux de développement d’EnR en Europe deviennent eux aussi évidents.

 

9. Les limites possibles de la contribution des énergies renouvelables intermittentes : 40% de la consommation sans stockage à grande échelle

Les différences de taux d’émissions de CO2 spécifiques dans les pays où l’électricité est principalement produite par un mix énergétique issu de l’hydraulique et du nucléaire, par comparaison avec les pays qui utilisent aussi des combustibles fossiles, sont particulièrement importantes. Les taux d’émissions spécifiques de la France, de la Suisse, de la Norvège et de la Suède se trouvent déjà au point où l’Allemagne souhaite être située après 2050[19]. C’est un objectif que l’Allemagne ne peut atteindre pour 2050 qu’en employant une combinaison de stockages. Un stockage de 5 TWh par exemple réduirait environ de moitié le taux d’émission restant dans le cas du mix à 100 %.

 

Fig. 11 : L’énergie annuelle totale produite par les EnR, l’apport de l’appoint, le surplus et (à droite) la capacité du réseau nécessaire en fonction de la puissance installée.

 

La totalité de l’électricité produite sur l’ensemble des puissances d’EnR installées, dans le cas d’un mix optimal (en bleu), l’appoint (en noir) et le surplus d’énergie (en rouge) peut se lire sur la Figure 11. Sur l’ordonnée de droite figure le développement de la puissance de réseau requise. On suppose ici que la quantité d’électricité augmente linéairement avec la capacité installée. On ne tient pas compte du fait que, malgré le repowering pour le développement des EnR, des situations moins favorables (des facteurs de capacité moins importants) doivent aussi être assumées. L’énergie d’appoint nécessaire diminue avec le développement des EnR et correspond à de l’énergie excédentaire dès que le cas à 100 % est atteint. Le surplus et la capacité de puissance du réseau nécessaire sont croissants dès que les EnR arrivent à 100 GW parce que le réseau et la charge ne peuvent plus absorber les pics de puissance générés par les EnR. Cela aggrave les problèmes techniques dans la gestion des sources d’énergies intermittentes. Le surplus d’électricité engendre aussi des problèmes au niveau économique, comme on peut déjà le constater avec les prix négatifs de l’électricité lors des périodes de surplus[20]. Cela touche en particulier l’exploitation des centrales électriques d’appoint nécessaires.

Tant qu’un stockage à grande échelle n’est pas mis au point, la limite pour un développement utile des sources intermittentes se trouve à environ 40 % de la consommation (Figure 11). Au-delà de cette valeur, la capacité de puissance du réseau et le surplus d’électricité augmentent de manière significative. Remplacer le charbon par du gaz ferait davantage diminuer le taux de CO2 que le développement des EnR jusqu’à 40 % du besoin annuel d’électricité (Figure 10).

 

10. Les conditions pour un approvisionnement électrique exclusivement issu d’EnR : efficacité énergétique et réduction de la consommation

Sans stockages suffisants, un approvisionnement électrique entièrement issu d’énergies renouvelables n’est possible que si le lissage des apports des sources intermittentes s’effectue à travers des EnR réglables comme la biomasse, ou par l’importation d’électricité issue d’EnR, dans le meilleur des cas sous forme directement disponible. Ces types d’appoints ayant des limites absolues, des réductions de la consommation tels que des perfectionnements en termes d’économie d’énergie et d’efficacité énergétique pourraient atténuer le problème.

 

Fig. 12 : La somme des énergies éolienne et PV sont représentées en ordonnée et le facteur dont la consommation doit être réduite par rapport à 2012 en abscisse. Les barres verticales indiquent les moments où le surplus de production représente 50 % de la consommation.

 

Le rapport des données décisives pour un approvisionnement complet issu d’EnR, soit la quantité d’électricité annuelle issue de sources intermittentes (normées sur la consommation annuelle), les économies, ainsi que l’apport de la biomasse en paramètre est représenté sur la Figure 12. Si l’ensemble des EnR produit doit être consommé (production d’EnR/Consommation=1), alors avec la production d’électricité actuelle issue de la biomasse à 40 TWh, la consommation devrait baisser d’environ 1/3. Avec une part de bioélectricité réglable doublée ou triplée, elle devrait baisser de 60 % ou 90 %. En conséquence, la production d’EnR baisserait en fonction du mix optimal à 100 % considéré auparavant. Si l’on accepte le surplus d’électricité, on peut limiter la réduction de la consommation d’énergie mais le surplus augmenterait ; les barres verticales (Figure 12) marquent la limite avec un surplus de production égal à 50 % de la consommation.

Il n’est pas certain que l’on puisse durablement produire, plus qu’aujourd’hui, d’électricité issue de la biomasse[21].

 

11. Les avantages d’un approvisionnement d’EnR à l’échelle européenne : foisonnement des productions intermittentes solaires

L’utilisation des EnR dans un système européen devrait permettre aux fluctuations d’atteindre un niveau plus bas et de mieux adapter la courbe annuelle d’approvisionnement à la consommation. Il faut commencer par une utilisation d’énergie à l’échelle nationale en fonction de la couverture moyenne à 100 % issue d’EnR, à partir de la charge réduite dans le mix optimal qui, pour chaque pays étudié, se trouve à 80 % pour l’éolien et à 20 % pour le photovoltaïque. Ci-dessous, l’approvisionnement en énergie renouvelable par le réseau électrique national est comparé à celui du réseau européen, obtenu par la somme des apports [22] nationaux[23].

 

Fig. 13 : Les monotones annuelles de la charge, de l’éolien et du PV du réseau d’EnR allemand (courbes en pointillé) et européen (courbe pleine). L’énergie est normée à 1 TWh à chaque fois.

 

Pour l’Allemagne, la courbe annuelle du PV, de l’éolien et de la charge est représentée (Figure 13) lors de sa production dans le réseau national, et dans le réseau européen. La production et le besoin sont chacuns normés à 1 TWh. Les valeurs allemandes sont représentées en pointillé et les valeurs produites par le réseau européen en courbe pleine.

Les courbes de charge pour l’Allemagne et pour l’Europe sont identiques et les courbes annuelles du PV se distinguent peu. Cependant, celles de l’éolien se distinguent nettement et la courbe pour l’Europe s’adapte clairement mieux à celle de la charge que celle pour l’Allemagne. Un système de production d’EnR coordonné à l’échelle européenne serait donc seulement avantageux pour l’éolien et non pour le PV.

Dans son ensemble, le besoin énergétique pour l’Europe s’établit à 3179 TWh, dont 496 TWh sont couverts par l’énergie hydraulique. En tenant compte des hypothèses formulées pour l’Allemagne, il serait nécessaire de mettre en place des installations éoliennes terrestres de 819 GW, d’éoliennes maritimes de 128 Gw et de puissance PV de 325 GW. Le surplus annuel s’élèverait alors à 625 TWh. L’énergie d’appoint diminuerait de 24 % dans l’Union européenne, la charge d’appoint maximale de 9 %, le surplus de charge de 15 %, la puissance nominale du réseau de 7 %, le niveau de fluctuation typique de 35 % et la capacité de stockage maximale nécessaire de 28 %. Ces réductions sont significatives. Pour l’Allemagne, le surplus passe de 26 % à 19,4 % de la production annuelle éolienne et photovoltaïque.

 

Fig. 14 : Les coefficients de corrélation des données éoliennes de l’Allemagne et des pays européens voisins en 2012. Le coefficient d’autocorrélation de l’Allemagne correspond à 1. Pour la signification des couleurs, voir Fig. 15.

 

La répartition géographique de l’énergie éolienne en Europe s’établit en se basant sur les coefficients de corrélation entre l’ensemble des données éoliennes allemandes et des données des pays avoisinants (Figure 14). Plus les pays sont éloignés de l’Allemagne, plus les données diminuent. De ce fait, il n’y a pas de corrélation nette entre l’Allemagne et l’Espagne ou l’Allemagne et l’Irlande.

Cette situation s’exprime dans la structure du surplus de production. Ce dernier est représenté par une barre bleue normée pour chaque pays. Les barres rouges représentent le surplus utile du point de vue allemand. Celui-ci se produit lorsque l’Allemagne a un besoin non satisfait d’approvisionnement en EnR ce qui réduirait donc l’emploi de l’énergie d’appoint allemande. Plus on s’éloigne de l’Allemagne, plus cet effet s’accentue. À l’inverse, les périodes de surplus d’électricité en Allemagne vont aussi de pair avec une production excédentaire dans les pays limitrophes.

 

Fig. 15 : Pour chaque pays, le surplus normé est représenté par une barre bleue et, par rapport à l’Allemagne, la part du surplus « utile » est représentée en rouge.

 

Cela rend discutable l’utilité économique d’une offre de surplus d’électricité et va conduire à une réduction du nombre d’installations actives lorsque l’énergie éolienne et photovoltaïque est à bas prix dans un système européen[24].

Les considérations exposées ici reposent sur le modèle dit de la « plaque de cuivre », soit une capacité illimitée de réseau et d’interconnexions, qui décrit les situations d’équilibre et qui permet à tous les participants une utilisation immédiate de l’injection dans le réseau commun d’électricité issue d’énergies renouvelables.

 

Fig. 16 : Les capacités actuelles et nécessaires des interconnexions (puissance) des différents pays.

 

Une extension considérable serait nécessaire (Figure 16) qui dépasserait largement la recommandation de 10 % de la capacité de production nationale établie par la Commission européenne. Il n’est pas sûr qu’une telle extension vaille la peine pour tous les pays européens car tous ne profiteraient pas de l’utilisation des EnR au même degré si le système de fourniture d’électricité national était remplacé par un champ européen[25]. L’installation de transformateurs déphaseurs dans les réseaux allemands, et surtout dans ceux qui vont vers la Pologne et la République Tchèque, limiterait au contraire encore plus le passage du courant électrique au-delà des frontières nationales[26].

Comme en Allemagne, l’utilisation nationale des EnR dans la plupart des pays a besoin d’une distribution électrique avec des tracés orientés du nord vers le sud. Une interconnexion européenne exigera des connexions supplémentaires orientées est-ouest, ce qui soulèvera d’autres problèmes concernant les coûts et l’acceptation[27].

 

12. Evolution des prix de l’électricité dans la phase de mise en place

 

Fig. 17 : Le prix de l’électricité pour le consommateur final est exprimé en ordonnée et les puissances éoliennes et photovoltaïques installées par personne dans chaque pays en abscisse ; pour l’Allemagne et le Danemark, les changements sur la période de développement des EnR sont également représentés. Données de Finadvice de 2012.

 

Les coûts de l’électricité pour le consommateur final dans les pays européens et les États-Unis (Figure 17) révèlent une corrélation nette du degré d’approvisionnement électrique issu des énergies renouvelables à intermittence par rapport au nombre d’habitants. Ce lien montre premièrement que le degré de développement actuel (2014) pour l’Allemagne se situe à environ 800 W par personne. Cependant, dans le cas d’un mix optimal à 100 %, celui-ci s’élèvera à près de 4000 W par personne. Même si la relation (Figure 17) ne restera pas linéaire, l’ordre de grandeur de l’effet sur le prix de l’extension prévue est évident.

La comparaison des prix de l’électricité par pays montre la différence des prix avec les États-Unis, que l’on retrouve aussi dans l’industrie. Tandis que le prix de l’électricité industrielle de 2005 à 2013 a plus que doublé en Allemagne, il n’a augmenté que de près de 50 % aux États-Unis. En 2013, il était 2,5 fois plus bas qu’en l’Allemagne[28]. C’est une différence importante car c’est un facteur de coûts essentiel pour l’économie[29].

 

13. Conclusions

Tant qu’un moyen de stockage approprié ne sera pas mis au point, la transition énergétique ne sera pas un changement de système énergétique vers un nouveau système basé sur les énergies renouvelables, mais un complément de production d’énergie issue d’énergies fossiles. Il est peu probable que le besoin d’électricité moyen puisse être satisfait avec un approvisionnement à 100 % issu d’EnR. À cause de la faible exploitation d’un stockage à grande échelle durant l’année, il n’est pas non plus certain qu’il soit rentable de le faire fonctionner dans le réseau. Développer des systèmes d’une telle ampleur peut donc être problématique. La part du photovoltaïque qui vient directement alimenter le réseau pourrait être remplacée par l’énergie éolienne qui est plus économique et qui a le même avantage en termes de bilan carbone. Les problèmes techniques et économiques liés à la surproduction d’électricité par le PV pendant le jour pourraient être ainsi évités. Une autre conclusion pourrait être tirée si, suite à la hausse de la température liée au changement climatique, les espaces professionnels et privés en Allemagne devenaient climatisés la plupart du temps[30].

Bien qu’une extension coordonnée du réseau à l’échelle européen puisse faciliter l’utilisation nationale de la production d’électricité intermittente, ce développement peut être remis en question car les pays dont la production énergétique est quasiment exempte d’émissions de CO2 devront renoncer à cette qualité en faveur d’un parc de centrales électriques qui ne pourra pas se passer des énergies fossiles pendant une durée prévisible[31]. Les réactions des pays voisins de l’Allemagne sur la transition énergétique allemande sont mitigées, comme le montrent les mesures de délestage du réseau et des évaluations de coûts sur le marché de l’électricité[32]. Souvent, la transition énergétique allemande n’est pas considérée comme un modèle optimal pour les autres [33] et [34].

La nécessité d’un approvisionnement électrique mondial qui émette peu ou pas de CO2 est incontestable. En Allemagne, la transition énergétique forcée et l’intérêt particulier porté à la production électrique doit poursuivre cet objectif. Elle peut être critiquée pour sa concentration sur les techniques de production onéreuses et fluctuantes, pour les subventions ciblées sur certaines technologies, sans incitations en termes d’innovation[35], pour la forme de subvention qui entraîne des conséquences sociales défavorables et un effet d’aubaine, et enfin, pour l’altération des paysages. On peut ajouter qu’une extension massive du PV et de l’éolien n’est judicieuse qu’avec un stockage du surplus électrique dont la réalisation technologique n’est pas encore en vue.

Si, déjà dans le passé, il était impossible de prévoir à long terme les bouleversements technologiques, il n’y a pas de raisons de compter sur des pronostics sûrs pour les années à venir. Il faut donc répartir les risques et garder toutes les options ouvertes. Face aux inconvénients et aux contraintes d’un concept d’approvisionnement basé essentiellement sur une production électrique fluctuante avec de faibles densités de puissance, la question d’un système durable à long terme et économiquement optimal est posée. C’est une question à laquelle ne peuvent répondre que la recherche et le développement organisés de manière ouverte sur toutes les technologies, en étroite collaboration avec la recherche fondamentale.

 

 

L’actualisation ci-dessous est un résumé de l’article d’Ernst Stetter publié par Géostrategia le 23.09.2022.

Plus que les autres grandes économies de l’Union Européenne, l’Allemagne dépend des importations d’énergie venues de la Russie. Si elle veut pouvoir maintenir sa politique de sanctions à l’égard du Kremlin tout en permettant à ses entreprises et à ses ménages de passer l’hiver, l’Allemagne doit désormais agir dans l’urgence. Ernst Stetter, conseiller spécial du président de la Fondation Jean-Jaurès pour l’Europe, analyse les enjeux du virage énergétique allemand.

Gérer la réduction du débit de gaz russe. La réalité est implacable : chacun doit d’autant plus faire des efforts pour économiser de l’énergie que l’Allemagne est mal préparée pour cet hiver. Selon le ministère de l’Économie, la consommation de gaz en Allemagne doit être réduite de 15 à 20% par rapport à l’année précédente.
Rechercher ses propres alternatives énergétiques. Plutôt que de prolonger ses centrales nucléaires, le gouvernement préfère brûler du charbon, et ce malgré l’impact climatique désastreux de cette énergie. Idem pour la fracturation du gaz : si l’Allemagne se refuse à la pratiquer elle-même, elle en importe depuis les États-Unis ou la Norvège.
La redevance du gaz, une mesure controversée. Alors que l’Espagne, l’Italie et la France mettent déjà en place de vastes paquets législatifs pour protéger les consommateurs et se préparer à l’hiver énergétique, l’Allemagne reste empêtrée dans la spirale des aides, des transferts fiscaux et de la prospection gazière à l’autre bout du globe. Plutôt que d’agir, le pays semble empêtré dans ses débats internes.
La crainte d’un « hiver de la colère » en Allemagne. Maintenir la paix sociale et soutenir les couches les plus modestes de la population doit ainsi devenir la priorité des sociaux-démocrates. Il y a urgence, tant le moment semble opportun pour les populistes – de droite et de gauche – de se saisir de la crise pour se placer au centre du jeu politique. Il ne s’agit pas simplement de politique intérieure allemande : l’agresseur russe ne demande rien d’autre que de voir la première économie européenne se tirer une balle dans le pied.

 

Actualisation d’avril 2023
Alors qu’elle est relancée en Suède et aux Pays Bas, la filière électronucléaire vit son dernier jour en Allemagne ce 15 avril 2023. C’est en effet ce jour là qu’ont été arrêtées les trois derniers réacteurs commerciaux en activité : Neckar Westheim 2 dans le Bade Wurtemberg, Isar 2 en Bavière et Emsland en Basse Saxe. Ce sont donc 4 GW fournissant 6,3% de la production allemande d’électricité qui disparaissent, au nom de l’Energiewende qui veut faire passer de 48% en 2022 à 80% en 2030 la part des énergies renouvelables.

Notes et références

[1] Pour avoir un ordre de comparaison : le budget total de l’Allemagne consacré à la recherche et au développement est de 14,9 milliards d’euros (2015) dont environ 5-6 % sont consacrés à la recherche en matière d’énergie. ( http://www.datenportal.bmbf.de/portal /de/Tabelle-1.1.4.html Données pour 2015) et http://bmwi.de/DE/Themen/Energie/Energiedaten-und-analysen/Energiedaten/energieforschung.html consulté le  06.07.2015 (disponible uniquement en allemand)

[2] Les études suivantes se basent sur l’année 2012.

[3] Wagner Friedrich (2015). Electricity generation by intermittent sources, European Physical Journal Web of Conferences, vol. 98, pp. 143-168 Disponible sur http://epjwoc.epj.org/articles/epjconf/abs/2015/17/contents/contents.html [Consulté le 16.09.2016]

[4] ENTSO-E country package : https://www.entsoe.eu/data/data-portal/country-packages/
www.50hertz.com/, www.tennet.eu/de/home.html, www.amprion.net/, www.transnetbw.de/, données pour les pays européens : http://www.pfbach.dk/

[5] Pour la République Tchèque, les données de puissance éolienne et photovoltaïque sont enregistrées toutes les minutes. La comparaison des données originales et des données lissées montre que le mix optimal entre l’énergie éolienne et l’énergie photovoltaïque (voir chap.3) ainsi que les données techniques dans le cas d’une alimentation à 100 %, même avec une moyenne des valeurs sur une heure, était assez bien reproduite. Typiquement, les pointes de puissance de l’énergie éolienne sont trop basses de 7 % sur une fréquence horaire. Cependant, une définition réaliste des gradients de puissance du système de secours nécessite une résolution plus forte.

[6] Wagner Friedrich (2012). Eigenschaften einer Stromversorgung mit variable Einspeisung. Features of an electricity supply system based on variable input. Greifswald (DE): Max-Planck-Institut für Plasmaphysik (IPP). (En anglais, résumé en allemand). 49 p. (IPP Report 18/1) Accessible sur http://hdl.handle.net/11858/00-001M-0000-0026-E63C-1 [Consulté le 16. Sept 2016]

[7] Grand Dominique, Le Brun Christian, Vidil Roland (2015). Intermittence des énergies renouvelables et insertion dans le mix électrique: Exemples de la France et de l’Allemagne. Techniques de l’Ingénieur, IN301, Disponible sur : http://www.techniques-ingenieur.fr/base-documentaire/energies-th4/conversion-et-transport-d-energie-42206210/intermittence-des-energies-renouvelables-et-mix-electrique-in301/ [consulté le 16/09/2016]

[8] Romanelli Francesco (2015). Impact of intermittent energy sources on the electricity production in Italy. Energy Science Technology conference. 20-22/05. Karlsruhe Institute of Technology (Poster 1.09-2)

[9] Keilhacker Martin et Bruhns Hardo. (Rédaction générale) (2010). Elektrizität : Schlüssel zu einem nachhaltigen und klimaverträglichen Energiesystem. Bad Honnef : Deutschen Phys. Gesellschaft. 143 pages. http://www.studien.dpg-physik.de (open access)

[10] Par la suite, toute mention de « charge » renvoie à cette charge réduite.

[11] Voir par exemple le plafonnement du développement du PV à 52 GW dans le cadre de la loi relative aux énergies renouvelables de juin 2012.

[12] Éolien de terre : flh (full load per hour) typiquement 1700 h; éolien maritime : typiquement 4400 h.

[13] Pour calculer la puissance à installer à partir des données de puissance, il faut en plus prendre en compte la répartition géographique des sources en Allemagne. Les sources d’énergies ne fonctionnent pas de la même manière et en même temps à leur puissance nominale. La valeur maximale de puissance dans la banque de données représente en 2012 83 % pour l’éolien terrestre, 100 % pour l’éolien maritime et 81 % pour le PV.

[14]Il n’est donc pas concevable d’exiger en plus de la sortie du nucléaire, la sortie rapide du charbon (sans le remplacer par le gaz).

[15]Depuis longtemps, l’énergéticien EON veut retirer Irsching du réseau, la centrale à gaz la plus moderne d’Europe qui se situe en Bavière. La raison est qu’elle n’est plus rentable.

[16]https://pvspeicher.htw-berlin.de/wp-content/uploads/2014/10/HTW-Berlin-Studie-Einfluss-der-Sonnenfinsternis-im-M%C3%A4rz-2015-auf-die-Solarstromerzeugung-in-Deutschland.pdf

[17]. De plus, les pertes et les rendements de conversion poussent les prix à la hausse. Le rendement total, allant du surplus d’électricité à la production électrochimique de l’hydrogène puis à l’électricité, ou en étape supplémentaire de la méthanisation à l’électricité, aura pour conséquence que le prix de l’électricité fournit par le stockage soit 2 à 4 fois plus cher que sous sa forme d’origine [Pütter H. (2013) Die Zukunft der Stromspeicherung, dans H. Bruhns éditeur Energie – Technologie und Energiewirtschaft. Bad Honnef(DE) :Arbeitskreis Energie der Deutschen Physikalischen Gesellschaft.p. 75-86. (Conférences lors de l’assemblée 2013 de DPG (société physique allemande) à Dresde). Energie – Technologie und Energiewirtschaft. Bad Honnef  (DE) : Groupe d’étude  Energie der Deutschen Physikalischen Gesellschaft  (L’énergie, société physique allemande ». pp. 75-86. (Conférences au congrès de la DPG à Dresde, 2013). Disponible surhttps://www.dpg-physik.de/veroeffentlichung/ake-tagungsband.html (consulté le 16 Sept.2016)

[18] Le terme nycthéméral désigne l’alternance d’un jour et d’une nuit correspondant à un cycle biologique de 24 heures.

[19]L’utilisation accrue des EnR en Allemagne a d’abord entrainé une hausse des émissions spécifiques de CO2. La réduction des temps de pleine charge des centrales électriques conventionnelles s’accompagne de l’utilisation préférentielle du lignite pour des raisons économiques.

[20] Wagner Friedrich (2014). Electricity by intermittent sources: An analysis based on the German situation 2012, European Physical Journal Plus 02/2014; 129(2) 29p. Disponible sur :http://link.springer.com/article/10.1140/epjp/i2014-14020-8[Consulté le 16 septembre 2016]

[21] Dr. Anton Christian and Dr. Steinicke henning (2012). Statement: Bioenergy – Chances and Limits. Halle (Saale, De): German National Academy of Sciences Leopoldina 118p. Accessible sur https://www.leopoldina.org/uploads/tx_leopublication/201207_Stellungnahme_Bioenergie_LAY_en_final_01.pdf [Consulté le 16 septembre 2016]

[22] Pour 2012, on dispose des données par heure pour les pays suivants : Allemagne (éolien, PV), Danemark (éolien), République Tchèque (éolien, PV), France (éolien, PV), Belgique (éolien), Royaume-Uni (éolien), Irlande (éolien), Espagne (éolien, PV).

[23] Wagner Friedrich (2014). Considerations for an EU-Wide use of renewable energies for electricity generation. Eur. Phys. J. Plus vol.129, n°10. Einsehbar auf http://link.springer.com/article/10.1140/epjp/i2014-14219-7 [Consulté le 16. Sept 2016]

[24] Dans le domaine des 50 Hertz (à Hambourg et dans les anciennes régions de la RDA) en 2013 et 2014, l’arrêt d’installations éoliennes a permis de ne pas produire respectivement 11 % et 13 % des énergies exploitables. Données prises de [http://www.50hertz.com/de/Kennzahlen/Netzbelastung].

[25] http://www.diw.de/documents/publikationen/73/diw_01.c.463023.de/dp1378.pdf.

[26] Boldis Z. (2013). Czech electricity grid challenged by German wind. Europhysics News. Vol.44, n°4, p.16-18. Disponible en anglais sur https://www.europhysicsnews.org/articles/epn/pdf/2013/04/epn2013-44-4.pdf [Consulté le 16 Septembre 2016]

[27] En Allemagne, il semble actuellement impossible de construire dans les délais fixés une nouvelle ligne de transport d’électricité entre la Thuringe et la Bavière.

[28] https://www.gov.uk/government/statistical-data-sets/international-industrial-energy-prices

[29] D’après le journal allemand « Frankfurter Allgemeine Zeitung » datant du 25.01.2013, le groupe allemand BASF pourrait économiser plus de 500 milliards d’euros si l’entreprise se situait aux États-Unis plutôt qu’à Ludwigshafen.

[30] Un investissement significatif pour la climatisation assure que la charge au cours des saisons ait un deuxième pic pendant l’été [Wagner F., Muraoka K., and Yamagata Y. (à paraître). Allowable limit of renewable energy into electricity systems. Journal of Electrical Engineers of Japan. Submitted for publication]. Cette part qui pourrait être significative dans le futur joue actuellement un rôle mineur dans le scénario d’approvisionnement énergétique car il est encore davantage question de mitigation et moins d’adaptation dans les débats publics.

[31] Malgré la hausse prévue des émission de CO2 , il existe aussi dans ces pays des subventions et des investisseurs intéressés par le développement des EnR.

[32] Newsletter de la Bundesnetzagentur datant du 6.5.2015.

[33] FAZ du 13.5.2015: „Die G7 werden nicht zum Club der Energiewende“ (Le G7 ne rentre pas dans le club de la transition énergétique). Le Conseil mondial de l’énergie en novembre 2014 est arrivé au résultat que « la politique énergétique allemande comme modèle pour le monde ? » était un danger pour un approvisionnement sûr en l’électricité et qu’elle avait une influence négative pour la croissance économique allemande.

[34] Bryce Robert (2014). Maintaining the advantage: Why the U.S. Should Not Follow the EU’s Energy Policies. New-York: Manhattan Institute. 20p. (Energy Policy and Environment Report). Disponible sur http://www.manhattan-institute.org/html/maintaining-advantage-why-us-should-not-follow-eus-energy-policies-5990.html [Consulté le 16 septembre 2016]

[35] Rapport annuel de l’EFI (Commission des experts en recherche et innovation) 2014, http://www.e-fi.de/fileadmin/Gutachten_2014/EFI_Gutachten_2014.pdf.

Bibliographie

Wagner Friedrich (2015). Eigenschaften einer Stromversorgung mit intermittierenden Quellen, in H. Bruhns, ed. Energie, Erzeugung – Netze – Nutzung. Bad Honnef (De) : Arbeitskreis Energie in der Deutschen Physikalischen Gesellschaft. pp. 138-155. (Conférences lors des congrès du de la DPG-Frühjahrstagung à Berlin) Disponible sur http://dpg-physik.de/veroeffentlichung/ake-tagungsband.html [Consulté le 16 septembre 2016]

 


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