Le 9 août 2021, le sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) indique que « le changement climatique s’accélère et s’intensifie » [1]. En accord avec cette urgence, l’Agence internationale de l’énergie (IEA) préconisait trois mois auparavant de « déployer massivement toutes les technologies d’énergie propre disponibles, telles que les énergies renouvelables » [2]. Contrairement aux sources d’énergie fossile ou nucléaire, les sources d’énergie renouvelable (EnR) présentent un aspect intrinsèquement local. Elles sont reliées à l’endroit géographique où elles sont implantées et elles peuvent être installées proches des lieux de consommation. Ainsi, leur développement entraîne un renouveau de l’autoconsommation énergétique, c’est-à-dire la consommation directe d’énergie produite localement. Les législations européennes et françaises soutiennent ce développement de l’autoconsommation individuelle et, plus récemment, collective, afin d’accélérer la diffusion de ces EnR. Seulement, l’implémentation de cette autoconsommation, particulièrement quand elle est collective, oblige à repenser notre rapport au réseau public et à l’énergie. Pour mieux comprendre les enjeux autour du développement de l’autoconsommation collective, il est d’abord proposé ici une rapide contextualisation politique et technique de cette pratique. Ensuite, le détail sur son implémentation et fonctionnement en France est explicité. Également, un exemple avec une entreprise spécialisée est présenté. Enfin, l’inscription de l’autoconsommation collective dans la notion socio-juridique plus large des communautés énergétiques est discutée.
1. Contexte historique, technique et juridique de l’autoconsommation collective
L’autoconsommation individuelle et collective est historiquement l’origine des consommations énergétiques où les populations utilisaient l’énergie qu’ils arrivaient eux même à collecter. Cette notion est réapparue lorsque la décentralisation des réseaux s’est de nouveau développée.
1.1. Historique et positionnement dans le développement du réseau électrique français
Pour comprendre l’émergence parfois hésitante de l’autoconsommation individuelle puis collective, il faut se repositionner dans une dynamique plus large de développement du système électrique. Dès 2013, la Cour des Comptes relevait des incohérences sur cette stratégie de développement à long terme du système de distribution d’électricité français. En effet, la France, comme d’autres pays, se trouve à un carrefour entre deux scénarios de développement de son système énergétique. [3]
Le premier scénario consiste à pérenniser la centralisation de ce système et son maillage national qui est présent aujourd’hui en France. Cette organisation est particulièrement implantée dans ce pays, où la centralisation est historiquement présente par rapport à d’autres pays européens, et où l’omniprésence de l’énergie nucléaire entraîne des sites de production isolés et de forte puissance nécessitant un pilotage à l’échelle nationale. [4],p.35
Ce premier scénario construit une transition énergétique qui passerait principalement par le nucléaire et par des avancées technologiques telles que les centrales thermiques couplées avec des systèmes de stockage de carbone. En parallèle, le développement des moyens de production d’énergie renouvelables seraient de grande capacité (champ photovoltaïque au sol, parc éolien de grande taille, éolien off-shore, usine marémotrice, STEP) et seraient ensuite distribués de façon descendante jusqu’au consommateur, qui est considéré comme un client passif.
Le second scénario consiste à reconsidérer pleinement l’échelon local à la lumière des énergies renouvelables. En effet, ces dernières peuvent être implémentées comme des sources d’énergies décentralisées, c’est-à-dire des sources de production d’énergies locales de petites capacités (photovoltaïque sur toiture, éolien citoyen, réhabilitation hydraulique de petite taille, etc). Ainsi, ce second scénario définit les collectivités territoriales et les citoyens comme une échelle pertinente pour opérer la transition énergétique, notamment car les consommateurs y prennent directement part, par leur patrimoine, leur investissement financier mais aussi leur participation au sein d’instances organisationnelles accompagnant ces nouvelles pratiques. Devenant actifs, on parle alors de consomm-acteur, ou prosumer en anglais, pour désigner ce nouveau rôle qui remet en question la version descendante et passive du premier scénario.
Ces deux scénarios sont illustrés figure 1, à gauche pour le premier scénario, à droite pour le deuxième.
Évidemment, ces deux scénarios correspondent à des propositions radicales et le scénario réel et probable devra être issu de débats et compromis entre ces deux perspectives.
Aujourd’hui, il existe un consensus autour de la nécessité de développer les énergies renouvelables et de partiellement décentraliser l’énergie en France [4], p.30. (Lire : Décentralisation énergétique en France 1980-2010 : les collectivités locales entrent en scène, Décentralisation énergétique en France 1980-2010 : les mutations énergétiques et institutionnelles et Décentralisation énergétique en France 2010-2020 : l’irruption du numérique et des énergies renouvelables)
Néanmoins, c’est plutôt autour de l’intensité et des modalités de mise en œuvre de cette décentralisation que les différents acteurs français divergent. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et les structures de l’écologie associative (CLER, Réseau Action Climat, AMORCE) sont des institutions proactives d’une décentralisation énergétique profonde et systémique comme proposée dans le second scénario. Quant à l’État français et les grands acteurs de l’énergie (EDF, Engie, Areva) dont l’État est actionnaire, ils sont engagés dans le développement des énergies renouvelables et donc dans la décentralisation intrinsèque qu’elles entraînent. Seulement, ils influent sur cette décentralisation à travers une conception centralisée s’inscrivant dans la lignée du premier scénario. En effet, « l’État s’est approprié l’éolien et le PV en développant son contrôle et en y associant les collectivités tandis que les grands acteurs privés les ont intégrés comme d’un relais de croissance pour faire évoluer leur activité. […] L’État reste méfiant envers une trop grande liberté accordée aux collectivités territoriales, tout spécialement au sujet de l’énergie qui se répercute sur des secteurs aussi divers et sensibles pour lui que l’aménagement du territoire, la cohésion sociale ou la préservation paysagère. Cette recherche de cohérence à l’échelle nationale a été perpétuée à travers les gouvernements successifs et reste très présente. Celle-ci passe notamment par la volonté de constituer de grandes entreprises de l’énergie (GDF-Suez, Areva, EDF, Alstom, Veolia, etc.), capables de se positionner dans la concurrence européenne et internationale. Le photovoltaïque, et davantage encore l’éolien, sont nécessaires à ces grandes entreprises sur le marché international en extension des énergies renouvelables. L’État n’a donc pas d’intérêt à se passer de ce type d’entreprises implantées sur le territoire, à plus forte raison car il est actionnaire des plus grandes d’entre elles. » [4],p.297
L’autoconsommation s’inscrit essentiellement dans ce deuxième scénario de décentralisation et de consommateur actif car elle nécessite un déploiement des énergies renouvelables proches des lieux de consommation. On peut alors distinguer deux formes d’autoconsommation. Dans un premier temps, l’autoconsommation peut être individuelle car ces prosumers produisent eux-mêmes et localement de l’énergie pour leurs propres besoins (notamment par le photovoltaïque sur toiture en France). Mais dans un second temps, cette autoconsommation peut être organisée collectivement dans un périmètre défini où les productions et consommations locales sont mises en commun pour le bénéfice de la collectivité : c’est l’autoconsommation collective. Les intérêts et enjeux autour de cette nouvelle notion, en comparaison avec l’autoconsommation individuelle, seront explicités par la suite.
1.2. L’architecture technique nécessaire à l’autoconsommation collective
L’autoconsommation collective correspond à un défi technique et sa réalisation concrète est aujourd’hui possible grâce aux avancées technologiques. En effet, le développement du numérique depuis plusieurs dizaines d’années a révolutionné de nombreux secteurs. C’est notamment le développement des compteurs communicants qui apparaît comme une avancée technologique significative. Effectivement, tandis que les compteurs classiques enregistrent une consommation pour le gestionnaire de réseau de distribution d’énergie pendant plusieurs mois et nécessitent une intervention manuelle pour récupérer ces données, les compteurs communicants permettent la transmission numérique des données, quasiment en temps réel (généralement au pas de temps de 30 minutes) (Lire : Le numérique au service d’une gestion dynamique de l’énergie) [5].
Cette observation et gestion en temps réel grâce aux compteurs communicants de la consommation et production des différents acteurs (dont les sources d’énergies renouvelables locales) est une des caractéristiques techniques d’une opération d’autoconsommation collective. Cette dernière doit évidemment être aussi composée d’un ou plusieurs producteurs, s’appuyant généralement sur des sources d’énergies renouvelables locales (même si l’utilisation de groupes électrogènes est courante à l’étranger, notamment dans les pays émergents) ; ainsi que de consommateurs pour utiliser cette énergie produite. Également, un système de stockage d’énergie peut être mis en place pour atténuer le problème de l’intermittence des sources d’énergie renouvelable. Ainsi, une opération d’autoconsommation collective peut donc être appréhendée d’un point de vue réseau comme présenté dans la figure 2.
Grâce à ces éléments, l’autoconsommation par les participants à l’opération d’autoconsommation collective de la production locale est possible : c’est l’architecture technique nécessaire à la réalisation de l’autoconsommation collective.
1.3. Caractérisation juridique
La notion d’autoconsommation collective apparaît simultanément au niveau européen et français. On parle de collective self-consumption dans le Winter Package en 2016, texte qui sera officiellement adopté en 2019 par l’Union européenne sous le nom de Clean Energy Package. Côté français, l’autoconsommation collective apparaît dans la loi française en juillet 2016 par l’article L315-2 du code de l’énergie, au sein du chapitre dédié plus globalement à l’autoconsommation. La version en vigueur depuis juillet 2021 indique que :
« L’opération d’autoconsommation est collective lorsque la fourniture d’électricité est effectuée entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finaux liés entre eux au sein d’une personne morale et dont les points de soutirage et d’injection sont situés dans le même bâtiment, y compris des immeubles résidentiels. Une opération d’autoconsommation collective peut être qualifiée d’étendue lorsque la fourniture d’électricité est effectuée entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finaux liés entre eux au sein d’une personne morale dont les points de soutirage et d’injection sont situés sur le réseau basse tension et respectent les critères, notamment de proximité géographique, fixés par arrêté du ministre chargé de l’énergie, après avis de la Commission de régulation de l’énergie. »
On retrouve dans cette définition juridique plusieurs périmètres pour l’autoconsommation collective. Cette dernière est par défaut considérée au sein d’un même bâtiment (par exemple, immeuble en copropriété). L’opération d’autoconsommation collective peut être également étendue si elle a lieu entre différents bâtiments. Jusqu’à 2019, ces bâtiments devaient tous être situés en aval d’un même poste public de transformation d’électricité de moyenne en basse tension. Mais cette limitation freinait le développement de l’autoconsommation collective étendue, c’est-à-dire à l’échelle du quartier plutôt que du bâtiment. Or, c’est au niveau du quartier qu’on va pouvoir échanger entre des acteurs qui n’ont pas les mêmes consommations et productions. Ainsi, la maille du quartier, étant donné cette mixité des usages, semble offrir un meilleur potentiel pour l’autoconsommation collective car elle permet d’obtenir un foisonnement des consommations électriques agrégées. On reviendra plus tard sur cette notion de foisonnement, qui constitue un des atouts principaux de l’autoconsommation collective. De plus, le réseau électrique n’est pas forcément représentatif de la réalité géographique des acteurs, et deux bâtiments voisins peuvent être éloignés du point de vue du réseau public électrique.
Ainsi, un arrêté de novembre 2021 réindexe le périmètre de l’autoconsommation collective selon un critère géographique de 2 kilomètres entre les acteurs de l’opération d’autoconsommation collective étendue (à partir du point de livraison pour les sites de consommation et du point d’injection pour les sites de production). Cet arrêté précise aussi que la puissance cumulée des installations de production doit être inférieure à 3 MW et que tous les participants doivent être raccordés sur le réseau public de distribution basse tension (BT) ou moyenne tension (MT) (autorisé depuis le 1er Juillet 2021).
Enfin, il est possible de demander une dérogation pour étendre le périmètre de l’opération à 20 kilomètres. Cette dérogation est principalement sollicitable pour les territoires ruraux, isolés et à faible densité de population.
1.4. Situation en France
L’autoconsommation collective est un concept encore récent qui commence progressivement à se matérialiser. En 2006, l’instauration de tarifs de rachat très avantageux pour l’électricité
d’origine solaire a permis de lancer le développement de la filière photovoltaïque [6][7]. C’est alors essentiellement des installations solaires en vente totale de l’énergie produite qui sont installés en France, afin de tirer le maximum de ces tarifs avantageux. Mais depuis, ces tarifs ne font que décroitre et à partir de 2016, les installations en autoconsommation individuelle ont commencé à se multiplier. C’est ensuite en 2018 que les opérations d’autoconsommation collective, suite logique aux installations d’autoconsommation individuelle, commencent à apparaître. Fin 2021, le nombre d’opérations d’autoconsommation collective actives en France ne dépasse pas encore la centaine, là où les installations d’autoconsommation individuelle viennent de dépasser les 100 000 raccordements au réseau français. L’évolution de ces nombres est proposée figures 3 et 4. (Lire : Modèle économique de l’autoconsommation photovoltaïque)
Les données concernant les opérations d’autoconsommation collective sont disponibles sur l’Open Data d’Enedis [8]. Fin 2021, il y a 77 opérations actives, qui correspondent à une puissance totale installée de 3844 kVA et à 977 participants, avec en moyenne 13 participants par opération (11 consommateurs et 2 producteurs). Les opérations les plus significatives sont celles menées par des communes et des bailleurs sociaux. En effet, les communes disposent de leurs bâtiments municipaux et peuvent installer leurs propres moyens de production ; et les bailleurs sociaux profitent du nombre élevé de participants que représentent les logements HLM [9].
2. Fonctionnement de l’autoconsommation collective
L’autoconsommation collective consiste à partager la production d’électricité à des fins d’autoconsommation entre plusieurs consommateurs et producteurs liés par une même personne morale. Des règles régissent donc ce fonctionnement.
2.1. Autoproduction et autoconsommation
A l’instar de l’autoconsommation individuelle, l’autoconsommation collective nécessite la compréhension de deux indicateurs clés : le taux d’autoconsommation et le taux d’autoproduction. Une définition visuelle est présentée figure 5.
A l’échelle d’un unique prosumer, le taux d’autoconsommation se calcule par le rapport entre l’énergie autoconsommée par ce prosumer et sa production totale sur une période. Il représente ainsi la proportion de la production qui est directement autoconsommée par le bâtiment. En d’autres termes, un taux d’autoconsommation de 100% signifie que l’intégralité de la production est consommée sur place par le prosumer lui-même.
Il n’est pas possible de dimensionner une installation d’autoconsommation uniquement en maximisant cet indicateur car il peut être plutôt simple d’avoir un taux d’autoconsommation de 100%. Il suffit d’avoir une petite installation de production par rapport à la consommation du bâtiment, i.e. un sous dimensionnement des installations de production.
Il faut en effet allier ce premier taux d’autoconsommation avec le taux d’autoproduction. Ce dernier se calcule par le rapport entre l’énergie autoconsommée par le prosumer et sa consommation totale sur une période. Il définit donc la proportion de la consommation qui est couverte par la production du bâtiment. En d’autres termes, un taux d’autoproduction de 100% signifie que l’intégralité de la consommation est couverte par la production sur place.
Ce taux est également appelé taux d’autonomie car il représente également à quel point l’installation est indépendante du réseau national. Chercher à augmenter le taux d’autoproduction peut amener à surdimensionner inutilement l’installation de production et donc diminuer le taux d’autoconsommation. En effet, dans le cas du photovoltaïque notamment, il faut prendre en compte la différence de forme entre la courbe de production journalière et la courbe de consommation journalière. Par exemple, une installation photovoltaïque va en moyenne produire de 8h à 18h sur une journée ensoleillée en suivant une courbe en cloche. A partir du moment où il existe de la consommation en dehors de ces horaires, le taux d’autoproduction sera intrinsèquement plus petit que 100%, et augmenter la taille de l’installation ne réglera pas ce problème.
Optimiser une installation d’autoconsommation se fait donc par l’optimisation de ces deux taux en simultané. L’objectif est d’obtenir un taux d’autoproduction élevé (pour que la production locale couvre la consommation locale) tout en conservant un taux d’autoconsommation élevé (car si ce taux diminue trop, c’est qu’on est en train de surdimensionner l’installation). Or, un surdimensionnement de l’installation correspond, d’une part, à un surcoût économique et écologique, mais aussi d’autre part, à une injection de surplus de production électrique plus important sur le réseau public, ce qui est aujourd’hui un problème grandissant pour ce dernier. [10][11]
On peut également avoir recours à des éléments de stockage pour optimiser l’installation. Ils amélioreront sensiblement le taux d’autoproduction car ils permettront de mieux faire correspondre à chaque pas de temps la courbe de charge (de consommation) avec l’énergie disponible. Mais il faut alors prendre en compte le coût financier et écologique de cette solution. De plus, l’intérêt, en termes d’émissions de CO₂, de l’autoconsommation peut varier entre les pays. En France, où le réseau électrique est particulièrement décarboné grâce au nucléaire, chercher à s’émanciper du réseau public peut rapidement être plus polluant que de trouver un compromis entre autoconsommation et utilisation de ce réseau. [12]
Ces notions d’autoconsommation et d’autoproduction peuvent être étendues au cas de l’autoconsommation collective. En effet, l’opération d’autoconsommation collective, du point de vue du réseau, peut être considérée comme un unique prosumer. Ainsi, on peut définir un taux d’autoconsommation collective et un taux d’autoproduction collective. Ces taux se définissent comme précédemment, à la nuance que, pour chaque pas de temps, la consommation totale de l’opération collective est la somme des consommations au sein de cette opération, et la production totale de l’opération collective est la somme des productions au sein de cette opération. Ces taux, à l’échelle collective, seront au minimum aussi intéressants qu’à l’échelle individuelle car la mutualisation des consommations et productions ne peut qu’améliorer l’adéquation consommation – production grâce au foisonnement.
2.2. Foisonnement
L’un des intérêts majeurs de l’autoconsommation collective en comparaison à une somme d’acteurs en autoconsommation individuelle, réside notamment dans la mixité des usages que l’opération d’autoconsommation collective peut représenter. Effectivement, le principal défi à relever pour développer massivement les énergies renouvelables est celui de la correspondance entre les périodes de consommation et les périodes de production du moyen renouvelable à chaque instant. Comme nous l’avons vu précédemment, l’autoconsommation collective correspond à la mise en relation de plusieurs producteurs (d’énergie renouvelable) et de consommateurs. Cette organisation permet de considérer le foisonnement des productions et des consommations au sein de cette entité. En d’autres termes, comme les acteurs de l’opération d’autoconsommation collective sont capables de connaître leurs besoins respectifs et d’échanger sur le réseau basse tension (ou moyenne tension) en fonction, la simultanéité entre la consommation et la production n’a plus à se faire au niveau du prosumer seul, comme dans le cas de l’autoconsommation individuelle : il peut se faire au niveau de la collectivité d’acteurs. Ces besoins peuvent être de consommer ou de se délester d’une production. Ainsi, le foisonnement correspond au fait que l’assemblage des différents profils de consommation sur le réseau électrique a un effet d’aplatissement de la courbe générale de consommation, car tous les pics de consommation ne sont pas situés au même moment selon les consommateurs. Par exemple, l’activité au sein d’un bâtiment résidentiel n’implique pas la même consommation au cours de la journée que l’activité d’une école ou d’une usine. De même, une installation photovoltaïque donne un profil de production différent de celui d’une petite installation hydraulique. En prenant l’exemple d’une opération avec plusieurs bâtiments résidentiels et une entreprise, on obtient la situation figure 6.
2.3. Intérêt du stockage
Le stockage est également un moyen de permettre l’adéquation entre production et consommation. Des moyens de stockage individuels permettent de significativement accroître les taux d’autoconsommation individuels et donc le taux d’autoconsommation collectif. Il est également intéressant d’envisager une unité de stockage collective, qui permet d’abord de réduire le coût financier et environnemental par rapport à plusieurs unités individuelles de stockage, et qui permettrait également d’assurer un meilleur taux d’autoproduction [13]. (Lire : La percée du stockage électrique. Quelles techniques ? Quelles fonctions économiques ? Quel futur ?) Mais le développement du stockage est encore hésitant, notamment car il manque de présence au niveau juridique. En 2019, une étude juridique de l’ADEME conclut que : « cette activité [le stockage] n’a pas de réelle reconnaissance juridique, ce qui freine le développement de son usage. Les installations de stockage stationnaires sont assimilées à des activités de production et/ou de consommation, impliquant une fiscalité énergétique défavorable à leurs déploiements. Enfin, l’ensemble du raisonnement juridique concernant l’usage des véhicules, et plus largement du stockage mobile, reste à construire. » [14]
2.4. Répartition des charges et bénéfices
L’autoconsommation collective nécessite une gestion de la répartition des coûts et revenus de l’opération. Cette gestion peut s’effectuer de différentes manières, bien que ce soit le système de clé de répartition qui soit imposé par le Code de l’énergie en France en 2021. Ces clés de répartition correspondent à des coefficients qui affectent la production de l’opération d’autoconsommation collective aux consommateurs qui la composent. Ces coefficients (ou la méthode pour les calculer) sont fournis à chaque pas de temps au gestionnaire de réseau de distribution (GRD).
Toutefois, une clarification est nécessaire entre la réalité physique et la comptabilité économique des flux. Lorsqu’on parle d’« énergie autoconsommée », d’« énergie injectée sur le réseau » ou d’« énergie soutirée au réseau » dans une opération d’autoconsommation collective, on parle au niveau de la comptabilité contractuelle de l’autoconsommation plus que de la réalité physique. En effet, quel que soit le type de production, les électrons se déplacent de la même manière dans le réseau électrique, c’est-à-dire du lieu de production vers le lieu de consommation le plus proche. Preuve en est que le choix d’une clé de répartition est libre et que des clés différentes peuvent changer les valeurs économiques pour une même réalité physique. Actuellement en France, l’autoconsommation collective correspond donc plus à un mode de valorisation économique qu’un mode de répartition physique de la production d’électricité.
On peut distinguer trois types de clés de répartition :
- Clés de répartition fixes :
La répartition s’effectue proportionnellement à un critère fixe comme la surface du logement de chaque consommateur, son investissement dans le projet ou son tantième de copropriété. Cette organisation est simple à mettre en place mais n’est pas optimale pour l’opération (par exemple lorsqu’un consommateur est absent temporairement, la production qu’il n’a pas consommée ne peut pas être attribuée aux autres participants de l’opération).
- Clés de répartition variables (ou dynamiques)
A chaque pas de temps de 30 minutes, la répartition est effectuée en fonction de la consommation de chacun des acteurs de l’opération, récupérées au niveau des compteurs communicants. C’est la clé utilisée par défaut par les gestionnaires de réseau. Elle bénéficie à l’ensemble des acteurs mais peut avoir tendance à pousser à la consommation.
- Clés de répartition variables selon une règle
Il est possible d’éditer une règle propre à l’opération d’autoconsommation collective afin d’y optimiser la répartition. On peut par exemple combiner les deux clés précédentes, en répartissant la production selon une clé fixe, qui vient ensuite être modulée en fonction de la consommation à chaque pas de temps. Néanmoins, ce type de clé nécessite des calculs et une récolte de données plus importantes.
Il émerge également des gestions d’opérations d’autoconsommation collective de pair à pair grâce à la technologie blockchain. Cette technologie permettrait de se dispenser d’entité centralisante pour l’opération et de pouvoir permettre aux participants d’échanger directement entre eux leur énergie [15]. (Lire : Les blockchains au service de l’énergie) Actuellement, le cadre juridique français impose une entité structurante pour l’opération d’autoconsommation collective.
2.5. Personne Morale Organisatrice (PMO)
La Personne Morale Organisatrice (PMO) correspond à l’entité juridique nécessaire à la création d’une opération d’autoconsommation collective en France. Le droit français ne statue pas sur la forme qu’elle doit prendre, cette entité peut donc être une copropriété, association, une coopérative, etc. Cette structure regroupe l’ensemble des participants (producteurs et consommateurs) et assure la liaison technique et administrative avec le GRD. Ce dernier est, par défaut, Enedis en France pour les communes n’ayant pas concédé cette gestion à une autre entité type Entreprise Locale de Distribution (ELD) (comme c’est le cas à Grenoble avec Gaz Électricité de Grenoble (GEG)) [16].
La PMO élabore et signe avec le GRD une convention d’autoconsommation collective. Cette dernière doit contenir les engagements et responsabilités réciproques des 2 parties, l’accord des participants sur la collecte des données par le GRD et les clés de répartition sélectionnées par les participants à l’opération pour répartir la production. On doit aussi y trouver le(s) fournisseur(s) tiers d’électricité pour chacun des consommateurs. Effectivement, dans un cadre de libéralisation de la fourniture d’énergie, ils peuvent toujours choisir librement et indépendamment leur fournisseur. La convention doit aussi contenir les contrats d’accès aux réseaux pour le(s) producteur(s) [17].
Finalement, on peut schématiser ainsi un exemple d’autoconsommation collective regroupant un producteur et trois consommateurs comme sur la figure 8. On remarquera que le schéma inclut un acheteur de surplus. En effet, ce surplus peut être valorisé économiquement ou cédé sans rémunération au GRD (si l’installation est inférieure à 3 kWc), qui l’affecte aux pertes du réseau. Cette vente du surplus peut bénéficier depuis octobre 2021 des mécanismes d’obligation d’achat prévu dans le cadre d’une autoconsommation individuelle [18].
La PMO n’a pas forcément toutes les compétences pour arriver à coordonner tous les éléments nécessaires au bon déroulement d’une opération d’autoconsommation collective et peut avoir besoin d’aide.
3. Rôle de l’entreprise Enogrid
La gestion de l’ensemble des éléments précédemment présentés peut représenter un défi logistique afin de mettre en place concrètement une opération d’autoconsommation collective. Sur les 77 opérations actives fin 2021 en France, une cinquantaine d’entre elles ont fait appel à l’entreprise Enogrid afin de les accompagner dans leur projet et une trentaine sont monitorées par l’entreprise. En effet, Enogrid propose du conseil et de l’accompagnement aux porteurs de projets dans la phase d’étude et de construction de l’opération. Également, l’entreprise propose des solutions logicielles l’exploitation et la gestion administrative de l’opération [16].
Un tableau de bord typique de la solution logicielle d’Enogrid est présenté figure 9. Effectivement, Enogrid a enregistré les données de consommation et de production des participants à une opération d’autoconsommation collective pendant une année et a calculé des indicateurs sur les consommations et productions sur cette période.
Pour cette opération d’autoconsommation collective, en une année, 39,1 MWh ont été consommés et 23,8 MWh ont été produits. Sur l’aspect consommation, 18,6% de l’énergie a été directement consommée par le prosumer qui l’a produite. Sans la mise en place de l’autoconsommation collective, 13,5% de l’énergie consommée pendant l’année aurait dû être demandée au réseau. Pour la production, l’opération d’autoconsommation collective a permis d’éviter à 22,2% d’énergie produite d’être injectée sur le réseau. Sur l’année, le taux d’autoconsommation de 52,8% indique que plus de la moitié de la production a été consommée au sein de l’opération. Également, le taux d’autoproduction nous indique que quasiment un tiers de la consommation des participants a été couverte par la production de ces derniers. Ces valeurs de taux sont les valeurs effectives, mais Enogrid propose également des valeurs optimales pour voir s’il y a des optimisations à faire dans la répartition d’énergie. Ces taux peuvent également se traduire en un geste environnemental étant donné que 720 kg d’équivalent CO₂ ont été économisés grâce à l’autoconsommation collective. Même si le chiffre de CO2 économisé n’est pas très impressionnant car l’électricité française est particulièrement décarbonée grâce au nucléaire, cela laisse entrevoir l’intérêt écologique de l’autoconsommation collective dans des pays dont l’électricité repose encore sur des sources carbonées.
4. Controverses
Différentes controverses apparaissent sur ce nouveau modèle pour échanger de l’énergie.
4.1. Rentabilité et TURPE
Une différence fondamentale entre l’autoconsommation individuelle et l’autoconsommation collective étendue cristallise les tensions autour de cette nouvelle façon d’échanger de l’énergie. En effet, l’autoconsommation collective étendue implique le transfert d’énergie entre différents acteurs par le biais du réseau basse tension (BT) ou moyenne tension (MT). Ainsi, contrairement à l’autoconsommation individuelle, dont les flux autoconsommés restent au sein de la structure électrique privée du prosumer, l’autoconsommation collective utilise le réseau public de distribution pour effectuer ses échanges entre les participants.
Fiscalement, les flux autoproduits par l’opération d’autoconsommation collective sont donc soumis aux différents tarifs et taxes sur l’électricité : taxe sur la valeur ajoutée (TVA), contribution au service public de l’électricité (CSPE) et tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (TURPE).
La figure 10 est une infographie qui présente les proportions des taxes et tarifs sur le tarif bleu d’un usager résidentiel classique. Ces niveaux de prélèvements sont similaires à ceux présents dans le cas d’une opération d’autoconsommation collective. Thibault Fonteneau résume ainsi la situation économique de l’autoconsommation :
“Un autoconsommateur collectif doit donc en 2017, s’acquitter de ces trois contributions sur le volume d’électricité qu’il autoconsomme au même niveau que pour sa consommation de complément (assurée par son fournisseur habituel). […] Contrairement à l’autoconsommateur individuel, pour qui la valeur de l’électricité autoconsommée est équivalente au prix d’achat de l’électricité toutes taxes comprises, la valeur économique de l’électricité autoconsommée pour un participant à une autoconsommation collective est équivalente au prix d’achat de l’électricité toutes taxes déduites. Les taxes et prélèvements représentant environ deux tiers du prix de l’électricité, le modèle économique de l’autoconsommation collective est donc beaucoup moins rentable pour les autoconsommateurs que celui de l’autoconsommation individuelle.” [10]
Cette description est corroborée en 2019 par une étude effectuée par l’Energy Lab de Sia Partners en partenariat avec Enerplan (Syndicat de l’Énergie Solaire Renouvelable). Deux cas d’usage sont simulés : un immeuble résidentiel de 30 logements et une collectivité souhaitant alimenter 4 bâtiments publics dans le cadre d’un projet d’autoconsommation collective. Le temps de retour sur investissement est de 24 ans dans le premier cas et la deuxième simulation n’atteint jamais l’équilibre économique [19].
Certains acteurs favorables au développement de l’autoconsommation collective demandent aujourd’hui l’exonération de la CSPE mais les discussions sont majoritairement orientées vers une redéfinition du TURPE pour les opérations d’autoconsommation collective.
Effectivement, les partisans de l’autoconsommation collective réclament la mise en place d’un “micro-TURPE”, c’est-à-dire un TURPE diminué ou exonéré pour les flux autoconsommés collectivement (à l’instar des flux autoconsommés individuellement). Cette demande est basée sur l’hypothèse que ces flux consommés localement ne transitent que peu sur le réseau public de distribution et contribuent donc à soulager ce dernier. [10] Néanmoins, la Commission de régulation de l’énergie (CRE), qui a pour rôle de définir le TURPE pour une durée de 4 ans, ne s’aligne pas avec cette idée. Le TURPE 5 (2017-2021) a mis en place un tarif spécifique à l’autoconsommation collective d’énergie, le TURPE spécifique, en diminuant effectivement le tarif sur les flux « autoproduits » mais en majorant ce tarif sur les flux « alloproduits », c’est-à-dire les flux entre l’opération d’autoconsommation collective et le réseau (injection ou soutirage). Cela signifie que les flux au sein de l’opération d’autoconsommation collective bénéficient d’un tarif avantageux par rapport au TURPE classique. Mais dès lors que cette entité a besoin du réseau public, les flux entre l’opération et le réseau sont alors associés à un tarif désavantageux par rapport au tarif classique. Ainsi ce TURPE spécifique est censé inciter l’opération d’autoconsommation collective à maximiser l’autoconsommation. Ce TURPE spécifique, entré en vigueur en août 2018 sous la forme d’un tarif optionnel pouvant se substituer au tarif classique, a été largement critiqué par les défenseurs de l’autoconsommation collective, au titre qu’il ne serait en moyenne que très faiblement bénéfique à l’équilibre économique des opérations [20]. Néanmoins, lors de la délibération du 21 Janvier 2021, la CRE conteste cette analyse économique : « Les analyses d’Enedis, dont les conclusions ont été détaillées dans la consultation publique d’octobre 2020, ont montré que la souscription de l’option tarifaire autoconsommation collective était la plupart du temps préférable pour le client et lui permettait de diminuer sa facture par rapport aux options dites classiques. » La CRE réaffirme pour 4 ans ce TURPE spécifique optionnel : « Cette étude confirme enfin le caractère incitatif de ce tarif : plus le taux d’autoconsommation des participants est élevé, plus le bénéfice apporté par l’option autoconsommation augmente. » [21] Cette décision de conserver ce TURPE spécifique et donc une symétrie entre les tarifs sur les flux autoproduits et alloproduits est majoritairement justifiée par la défense des préceptes sur lesquels le réseau public français a été fondé.
4.2. Conflit avec les préceptes du réseau public français
Le réseau public français et le TURPE sont fondés sur deux grands principes [22] :
- Tarification timbre-poste : la tarification de l’accès au réseau est indépendante de la distance parcourue par l’énergie électrique.
- Péréquation tarifaire : pour l’ensemble des utilisateurs et quel que soit le gestionnaire de réseaux, les tarifs d’accès sont identiques sur l’ensemble du territoire en vertu du principe de péréquation.
Le principe de tarification timbre-poste est d’ores et déjà remis en cause par le TURPE spécifique, étant donné que les flux produits localement au sein d’une opération d’autoconsommation collective bénéficient d’un tarif avantageux par rapport au tarif classique.
Celui de péréquation tarifaire stipule que des consommateurs, sur la base d’une offre souscrite et d’une consommation identique, paieront le même prix peu importe leur localisation en France. C’est notamment ce principe qui cristallise les débats autour du TURPE car le développement des opérations d’autoconsommation collective réintroduit de la localité dans le réseau public idéalement national. Ainsi, la demande des partisans de l’autoconsommation collective de mettre en place une exonération ou une diminution du TURPE (micro-TURPE) est considérée comme inégalitaire envers le reste des usagers du réseau. En effet, si les flux au sein des opérations rapportent moins d’argent car le tarif est avantageux, le réseau public local est utilisé et doit quand même être entretenu. Cette situation correspond pour le réseau à une baisse des revenus alors que les charges restent constantes. Ce différentiel devrait alors être reporté sur les autres usagers du réseau, en dehors d’opérations d’autoconsommation collective. EDF résumait ceci ainsi : « [i]l ne serait pas cohérent qu’un site en [autoconsommation collective] demande à se voir appliquer des coûts réels pour les volumes autoconsommés et la péréquation pour ses volumes soutirés sur le réseau. Une telle proposition entraînerait une remise en question de la péréquation tarifaire. ». C’est cette vision qui a poussé la CRE à mettre en place un TURPE spécifique (minoration sur les flux autoproduits et une majoration sur les flux alloproduits) plutôt qu’un micro TURPE (uniquement une minoration sur les flux autoproduits) afin de conserver une symétrie entre les tarifications. Plus globalement, se pose la question du risque de « communautarisme énergétique », terme fortement connoté en France, qui correspond à une situation où des grappes de consommateurs aisés paient moins cher leur électricité car ils auraient eu en amont la possibilité d’investir dans les moyens de production [23].
4.3. Intérêt du foisonnement
Enfin, un des arguments des défenseurs du micro TURPE est que le concept d’autoconsommation collective pourrait contribuer à améliorer le dimensionnement du réseau public, grâce au foisonnement local des opérations d’autoconsommation collective.
Néanmoins, la CRE a rejeté ce bénéfice lors de l’instauration du TURPE spécifique, qui n’attribue aucune plus-value au titre du foisonnement et de ses bienfaits attendus pour le réseau. Effectivement, différents acteurs dont Enedis ont rappelé que le foisonnement est une propriété « naturelle » des réseaux dont profitent tous les utilisateurs. Ainsi, le foisonnement d’une opération d’autoconsommation collective profite en priorité à l’opération elle-même. Il lui permet d’atteindre de meilleurs taux d’autoconsommation et d’autoproduction et donc d’améliorer le rendement économique de l’opération. A l’échelle nationale, le foisonnement des opérations d’autoconsommation collective ne peut être valorisé que s’il est significativement plus intéressant que le foisonnement général du réseau. Le groupe de travail de 2013-2014 de la DGEC s’était déjà montré sceptique sur l’intérêt du foisonnement des opérations d’autoconsommation pour le réseau public : « les effets du foisonnement, phénomène naturel, ne constituent pas en eux-mêmes des actions d’autoconsommation / autoproduction. Le foisonnement est une sorte de “bien collectif” que les réseaux permettent de valoriser et de mutualiser, notamment en termes de dimensionnement aussi bien des réseaux eux-mêmes que des moyens de production.
Rémunérer certains opérateurs en particulier, par exemple les producteurs d’énergie renouvelable, au titre du foisonnement, reviendraient à “privatiser” celui-ci. » (DGEC, 2014, p. 10). [10] [24]
5. Communauté locale d’énergie
Le concept d’autoconsommation collective s’inscrit plus globalement dans la décentralisation énergétique et le développement des communautés locales d’énergies. (Lire : Communauté locale d’énergie)
5.1. Définition
Anciennement désignées par le terme approximatif Local Energy Communities, ces dernières ont été officiellement définies en même temps que la notion de collective self-consumption par l’Union européenne en 2019, au sein du Clean Energy Package :
Article 2(16) Directive Renouvelables – ‘Renewable Energy Community’ (REC) | Article 2(11) Directive Electricité – ‘Citizen Energy Community’ (CEC) |
Une entité juridique :
(a) qui, en accord avec la loi nationale, est basée sur une participation ouverte et volontaire, est autonome, et est effectivement contrôlée par des actionnaires ou membres situés à proximité des projets d’énergies renouvelables qui sont possédés et développés par cette entité juridique; (b) les actionnaires ou les membres de l’entité sont des personnes physiques, des PME ou des autorités locales, dont les municipalités; (c) l’objectif premier de l’entité est de fournir des bénéfices environnementaux, économiques ou sociaux pour ses parties prenantes ou membres ou pour les zones locales où elle opère, plutôt que des profits financiers. |
Une entité juridique :
(a) est fondée sur une participation volontaire et ouverte et est effectivement contrôlée par des membres ou des actionnaires qui sont des personnes physiques, des autorités locales, y compris des municipalités, ou des petites entreprises; (b) a pour objectif principal de fournir des avantages environnementaux, économiques ou sociaux à ses membres ou actionnaires ou aux zones locales où elle opère plutôt que de générer des profits financiers; (c) peut s’engager dans la production, y compris à partir de sources renouvelables, la distribution, la fourniture, la consommation, l’agrégation, le stockage d’énergie, les services d’efficacité énergétique ou les services de recharge pour les véhicules électriques ou fournir d’autres services énergétiques à ses membres ou actionnaires ; |
Bien que cela ne fasse pas partie de la définition, les RECs ont le droit de produire, de consommer, de stocker et de vendre de l’énergie renouvelable, y compris par le biais d’accords d’achat d’énergie renouvelable, de partager l’énergie renouvelable au sein de la communauté et d’accéder à tous les marchés appropriés. |
Tableau 1 : Définition des CEC et REC dans le droit européen. [31]
La différence fondamentale à noter tableau 1 entre ces deux structures est que les REC dispose d’un critère de proximité géographique. Elles correspondent à un cadre socio-juridique pouvant mettre en place l’autoconsommation collective entre ses participants, là où une CEC n’a pas de périmètre défini et réfère plus à des communautés de type virtuelle, munies de ressources énergétiques disséminées géographiquement [25].
De plus, les CEC sont restreintes au domaine de l’électricité, là où les REC peuvent être multi-énergies.[26]
La définition de ces communautés énergétiques dans le droit européen oblige les États membres à les retranscrire au sein de leur propre législation. En France, c’est seulement en mars 2021 que les notions de communauté énergétique citoyenne (CEC) et de communauté énergétique renouvelable (REC) commencent à apparaître, sous les mêmes conditions que celles définies par l’UE [27].
5.2. Origines
Ces communautés énergétiques n’ont pas attendu la définition juridique pour se développer en Europe. Dès les années 1970, un mouvement de décentralisation énergétique apparaît, notamment en réponse au développement du nucléaire. Les situations vont alors différer selon les pays, mais on peut noter qu’en France le mouvement anti-nucléaire apparaîtra comme hautement conflictuel avec les institutions classiques de l’énergie et l’absence de présence politique écologiste solide ne permettra pas d’installer concrètement les communautés énergétiques (et les énergies renouvelables) comme une alternative concrète au nucléaire [28] [29]
Comme le montre leur définition dans le droit européen en 2019, il y a un regain d’intérêt pour ces communautés énergétiques depuis plusieurs années, notamment sous l’impulsion du mouvement écologiste et la nécessité du développement des énergies renouvelables pour atteindre les objectifs de réductions des émissions de gaz à effet de serre. On retrouve également dans les motivations à créer des projets de communauté énergétique la lutte contre la précarité énergétique ou la sécurisation de l’approvisionnement énergétique (même si ce n’est pas très présent en France où le réseau est particulièrement fiable).
Enfin, l’hédonisme est complémentaire à ces motivations et « représente par exemple la satisfaction de pouvoir contrôler ses propres ressources énergétiques avec une technologie avancée ou encore de collaborer avec d’autres personnes autour d’un projet commun, d’améliorer l’image de soi en participant à un projet favorable aux enjeux environnementaux » [25]. D’ici 2050, 37% de la production d’énergie renouvelable de l’UE pourraient provenir de communautés énergétiques [30].
5.3. Bénéfices attendus
Les communautés énergétiques laissent présager différents bénéfices. D’abord, les citoyens et structures locales investissent et participent au système énergétique local, souvent à travers un modèle coopératif. Cette structure a pour avantage de fonctionner selon le modèle « 1 associé = 1 voix ». Ainsi, il est possible pour une entité locale (citoyens, PME, collectivités) d’acquérir des parts dans la coopérative, ce qui lui permet de créer son apport financier. Elle ne gagne pas qu’un investissement financier mais une participation totale aux décisions à travers des votes en assemblée générale (AG). Seulement, quel que soit le nombre de parts achetées, l’entité ne représente qu’un seul vote à l’AG. Par ce mécanisme, ces projets évitent l’investissement massif d’une entité type grande entreprise privée, qui aurait ensuite mainmise sur les décisions du projet. Les communautés énergétiques permettent l’implication au niveau financier ainsi qu’au niveau de la gouvernance des citoyens et entités locales afin de maximiser les retombées locales. Un des intérêts est d’augmenter l’acceptation sociale des projets d’énergie renouvelable, notamment les projets éoliens qui souffrent des mouvements type “Not In My BackYard (“Pas dans mon jardin”). L’implication citoyenne représente également un terreau favorable à la mise en place de mécanisme de flexibilité, notamment indirecte, ainsi que de sobriété car les citoyens auraient une conscience de leur énergie plus accrue. Plus globalement, « cette évolution est souvent considérée par ses promoteurs comme un moyen d’ouvrir la voie à une « démocratie énergétique » (Mitchell, 2013 ; Schlosberg et Coles, 2016), dans laquelle des consommateurs, en passant du statut de rule takers à celui de rule makers, imposeraient une transformation des relations de pouvoir. Les vertus attendues ne se limitent cependant pas au registre de la participation : outre une meilleure répartition de l’initiative (effet d’autonomisation, ou d’empowerment) et des bénéfices économiques, réorientés vers la communauté locale (Martiskainen, 2014), c’est une amélioration de la situation environnementale qui est censée dériver de l’implication citoyenne militante, du fait du choix de la production renouvelable, mais aussi de la promotion d’une réduction de la consommation (Huybrechts et Mertens, 2014 : 205). » [28]
5.4. Obstacles au développement
Ces communautés énergétiques font face à plusieurs obstacles pour se développer pleinement en France. D’abord, le cadre juridique autour de ces communautés n’est pas encore assez développé. Elles se trouvent aujourd’hui dans le même cas que l’autoconsommation collective, pour qui une clarification juridique est nécessaire pour accompagner un réel développement des opérations [14]. Ensuite, le transfert des pouvoirs vers les territoires en France, très centralisée, doit continuer afin de donner plus de latitude aux collectivités locales pour impulser ou accompagner des projets de communautés énergétiques. En effet, « sur 54 projets coopératifs recensés en France en 2017, 41 impliquent un partenariat avec une municipalité ou une communauté de communes. » Un acteur institutionnel local semble être ainsi une condition quasi-nécessaire à l’élaboration de ces projets coopératifs. Enfin, des dynamiques de neutralisation de l’implication citoyenne apparaissent à travers des projets créés selon une approche top-down (impulsée par une grande entreprise privée) plutôt que bottom-up (partant des citoyens). Ces approches top-down favorisent le co-investissement des citoyens dans le projet. Or, « cette démarche (le co-investissement) retient de l’idéal participatif porté par les coopératives essentiellement l’idée d’une répartition plus large des bénéfices. Elle en élude les enjeux d’autonomie, d’autonomisation, de territorialisation et de gouvernance partagée. » Ces entreprises privées s’inscrivent dans une dynamique paralysante qui a pour but « de conférer aux coopératives un statut de supports d’investissement normalisé plutôt que celui d’organisations porteuses d’alternatives organisationnelles ou politiques de réappropriation des ressources locales. » [28]
6. Conclusion
L’autoconsommation collective représente en France un moyen concret de participer à la décentralisation de l’énergie et au développement des énergies renouvelables. Son architecture technique est désormais en phase avec les moyens de l’époque. Son implémentation juridique est en cours mais elle est complexe car elle questionne les fondements du réseau public français. Une réflexion profonde est nécessaire pour permettre un développement durable de cette nouvelle façon d’échanger de l’énergie. Cette réflexion doit être portée au niveau français mais c’est globalement aussi en interaction et en discussion avec l’écosystème européen qu’il faudra considérer ce développement. Plus globalement, l’autoconsommation collective peut s’inclure dans un cadre socio-juridique que sont les communautés énergétiques citoyennes, qui pousse cette décentralisation énergétique dans une dynamique de réappropriation de l’énergie par les citoyens, au sein d’une optique de bénéfices non-financiers et locaux.
La crise énergétique, qui a commencé à l’automne 2021 et qui s’est aggravée au cours de 2022, a grandement changé la donne autour de l’autoconsommation collective. En effet, la crise a eu pour effet de faire monter les prix de l’électricité et ces prix élevés devraient être présents pour plusieurs années. La révision du TURPE ne semble donc plus aussi indispensable à la rentabilité des projets d’autoconsommation collective. De plus, dans ce contexte de crise, les opérations d’autoconsommation collective ont permis de sécuriser les prix de l’électricité pour la part qui provient des installations de production d’énergie renouvelable locales. L’autoconsommation collective commence donc à démontrer un atout qui était jusqu’à maintenant resté théorique : en valorisant la production locale, elle permet d’émanciper une partie de l’approvisionnement électrique des consommateurs de l’opération d’autoconsommation collective des variations de prix du marché. Néanmoins, les débats sur l’autoconsommation collective sont loin d’être terminés et il devient de plus en plus urgent de discuter et de décider collectivement de l’avenir de nos réseaux énergétiques.
Notes et références
[1] IPCC, 2021: Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Masson-Delmotte, V., P. Zhai, A. Pirani, S. L. Connors, C. Péan, S. Berger, N.Caud, Y. Chen, L. Goldfarb, M. I. Gomis, M. Huang, K. Leitzell, E. Lonnoy, J.B.R. Matthews, T. K. Maycock, T. Waterfield, O. Yelekçi, R. Yu and B. Zhou (eds.)]
[2] IEA, World Energy Outlook 2021, 2021
[3] France Stratégie, Énergie centralisée ou décentralisée ?, 2017, [http://francestrategie1727.fr/actions/energie-centralisee-ou-decentralisee/].
[4] Benoit Boutaud. Un modèle énergétique en transition ? Centralisme et décentralisation dans la régulation du système énergétique. Etudes de l’environnement. Université Paris-Est, 2016. Français. ffNNT : 2016PESC1173ff. fftel-01524555f [https://pastel.archives-ouvertes.fr/tel-01524555/document]
[5] Samuel Bimenyimana, Traditional Vs Smart Electricity Metering Systems: A Brief Overview, National Huaqiao University, 2018 [https://www.researchgate.net/publication/325669617_Traditional_Vs_Smart_Electricity_Mete ring_Systems_A_Brief_Overview].
[6] Le Monde, La filière photovoltaïque craint une baisse des tarifs de rachat d’électricité par EDF, 2009 [https://www.lemonde.fr/economie/article/2009/12/31/la-filiere-photovoltaique-craint-une-baiss e-des-tarifs-de-rachat-d-electricite-par-edf_1286291_3234.html]
[7] Les Echos, France : Le gouvernement lance la révision de gros contrats solaires, 2021, [https://investir.lesechos.fr/actions/actualites/france-le-gouvernement-lance-la-revision-de-gro s-contrats-solaires-1965861.php]
[8] Enedis, Open data Enedis, [https://data.enedis.fr/pages/accueil/?id=dataviz-autoconsommation-collective]
[9] Tecsol, Où en est l’autoconsommation collective en France ?, 2020 [https://tecsol.blogs.com/mon_weblog/2020/04/o%C3%B9-en-est-lautoconsommation-collecti ve-en-france-.html]
[10] Thibaut Fonteneau, Autoconsommation collective ou solidarité nationale ? L’adaptation controversée de la tarification du réseau d’électricité pour les autoconsommateurs, 2021 https://www.cairn.info/revue-flux-2021-4-page-52.htm
[11] Photovoltaïque info, Spécificités des énergies renouvelables variables électriques, [https://reseaux.photovoltaique.info/fr/atteindre-les-objectifs-enr/enjeux-et-perspectives/enjeu x-lies-au-raccordement-des-producteurs/]
[12] Jonathan Coignard, Sacha Hodencq, Nana Kofi Twum-Duah, Mathieu Brugeron and Rémy Rigo-Mariani, Are more solar panels always better? Assessing carbon impact at the community scale, TATuP 2022. https://www.jonathancoignard.com/2022/01/17/Natural-self-sufficiency.html
[13] Jérémy Albouys-Perrois. Simulation multi-agent de l’autoconsommation collective de l’énergie à l’échelle du quartier en lien avec l’activité humaine et la consommation énergétique des bâtiments. Informatique [cs]. Université de La Rochelle, 2021. Français. https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-03271756/
[14] ADEME, , 2019 [https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/flexbat-etude-juridique-2019.pdf]
[15] Chronis, A.-G.; Palaiogiannis, F.; Kouveliotis-Lysikatos, I.; Kotsampopoulos, P.; Hatziargyriou, N. Photovoltaics Enabling Sustainable Energy Communities: Technological Drivers and Emerging Markets. Energies 2021, 14, 1862. https://doi.org/10.3390/en14071862
[16] Enogrid, https://www.enogrid.com/autoconsommation-collective/
[17] Enedis, Modalités de mise en œuvre d’une opération d’autoconsommation collective, 2017, https://www.enedis.fr/media/2070/download#:~:text=Conform%C3%A9ment%20%C3%A0%2 0l’article%20L315,%C2%AB%20Personne%20Morale%20Organisatrice%20%C2%BB).
[18] https://www.photovoltaique.info/fr/tarifs-dachat-et-autoconsommation/autoconsommation/aut oconsommation-collective/#modele_economique
[19] SIA Partners et Enerplan, L’autoconsommation collective, Etat des lieux, cas d’usage et conditions de développement, 2019, https://www.enerplan.asso.fr/medias/publication/2019_Sia-Partners_Enerplan_Energy-Lab_A utoconsommation-collective_VF.pdf
[20] Enerplan, Enerplan saisit le Conseil d’Etat pour demander l’annulation de la délibération de la Commission de Régulation de l’Energie, 2018, https://www.enerplan.asso.fr/medias/publication/181115_CP-recours-TURPE-au-Conseil-d-Etat-VF.pdf
[21] CRE, Délibération de la CRE du 21 janvier 2021 portant décision sur le tarif d’utilisation des réseaux publics de transport d’électricité (TURPE 6 HTB), 2021, https://www.cre.fr/Documents/Deliberations/Decision/tarif-d-utilisation-des-reseaux-publics-de-transport-d-electricite-turpe-6-htb
[22] CRE, Tarifs d’accès, https://www.cre.fr/Electricite/Reseaux-d-electricite/tarifs-d-acces
[23] Le Labo de l’ESS, l’autoconsommation : effet de mode ou vecteur de la transition énergétique citoyenne ?, 2020, https://www.lelabo-ess.org/system/files/inline-files/2021.03%20Etude%20TEC%20Autocons o.pdf
[24] DGEC 2014, p10
[25] Jean Wild, Communauté locale d’énergie, Encyclopédie de l’Energie, 2019, https://www.encyclopedie-energie.org/communaute-locale-denergie/
[26] JRC, Energy communities: an overview of energy and social innovation, 2020, https://publications.jrc.ec.europa.eu/repository/handle/JRC119433
[27] Ordonnance n° 2021-236 du 3 mars 2021 portant transposition de diverses dispositions de la directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et de la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité
[28] Pierre Wokuri, Participation citoyenne et régimes de politiques publiques : nouvelle donne ou donne inchangée ? Le cas des projets coopératifs d’énergie renouvelable au Danemark et en France, Lien social et Politiques Numéro 82, 2019, p. 158–180, 2019, https://doi.org/10.7202/1061881ar
[29] Aurélien Evrard, Chapitre 4 : D’une sous-culture à une contre-culture énergétique, Contre vents et marées, 2013, https://www.cairn.info/contre-vents-et-marees–9782724613353-page-81.htm]
[30] Bettina Kampman, Jaco Blommerde, Maarten Afman, The potential of energy, CE Delft, 2016, https://www.foeeurope.org/sites/default/files/renewable_energy/2016/ce-delft-the-potential-of- energy-citizens-eu.pdf
[31] Projet européen COMPILE,https://www.compile-project.eu/wp-content/uploads/Explanatory-note-on-energy-community-definitions.pdf