A l’heure de la transition énergétique vers un bilan énergétique mondial plus respectueux de l’environnement, l’avenir du gaz naturel est en suspens. Le gaz peut représenter une énergie de transition pour effectuer la refonte du système énergétique vers les énergies renouvelables. Néanmoins, la filière d’approvisionnement de gaz naturel se doit de limiter les émissions de gaz à effet de serre pour avoir un bilan climatique positif.
Initialement publié sous le titre Understanding and Reducing Methane Emissions from Natural Gas Supply Chains par Paul Balcombe, cet article a été traduit en français par Mathilde Hot, sous la responsabilité de Cécile Frérot, dans le cadre du master de Traduction Multilingue Spécialisée de l’université Grenoble Alpes.
Le monde a depuis longtemps pris conscience de l’urgence qu’il y a à réduire les émissions de dioxyde de carbone (CO2), ce qui a débouché sur un ensemble ambitieux d’objectifs climatiques au niveau national et international (Lire : Énergie et climat, la construction des politiques climatiques). Toutefois, en ce qui concerne le méthane, deuxième gaz à effet de serre anthropique, ce n’est que récemment que des mesures ont été prises afin de comprendre et réduire les émissions de cet agent de forçage climatique puissant (Lire : Méthane et GES autres que le CO2). Bien que ses émissions annuelles ne représentent que 4 % de celles du CO2, le méthane est responsable de 58 % de l’impact total du forçage climatique que le CO2 a connu depuis 1750. Les émissions anthropiques de CO2 ont contribué à hauteur de 1,7 Watt par mètre carré (W/m²) au forçage climatique total et les émissions de méthane, à hauteur de 1 W/m². La contribution réelle des émissions de méthane au changement climatique a généralement été sous-estimée. Mais la réduction des émissions de méthane (provenant des chaînes d’approvisionnement en pétrole et en gaz ainsi que d’autres sources) est essentielle pour limiter les pics de température et réduire la hausse des températures.
Cet article présente l’état des connaissances actuelles sur les émissions de méthane des chaînes d’approvisionnement en gaz naturel, leur impact sur le climat, les moyens de réduction possible et ce que nous sommes encore amenés à comprendre.
1. Méthane et changement climatique
Le méthane, gaz à effet de serre (GES) puissant, l’est 120 fois plus que le CO2 en matière de forçage climatique. Le forçage climatique correspond à la modification du bilan thermique de l’atmosphère liée à une augmentation de la concentration de GES. Cependant, le méthane est relativement éphémère et persiste une douzaine d’années dans l’atmosphère. Par conséquent, son impact relatif sur le climat diminue au fil du temps. De son côté, le CO2 a une durée de vie atmosphérique complexe au cours de laquelle 50 % des émissions sont éliminées de l’atmosphère en 37 ans, mais 22 % y demeurent en permanence.
Le potentiel de réchauffement global (PRG) est souvent utilisé pour comparer différents gaz à effet de serre, mais ce système de mesure comporte un certain nombre de lacunes. Peut-être plus important encore, sa valeur dépend du cadre temporel pris en compte. Par exemple, sur une période de 100 ans, qui constitue la norme mondiale, le PRG du méthane est 36 fois supérieur à celui du CO2. Tandis que sur une période de 20 ans, période souvent utilisée pour représenter les impacts sur le climat à court terme, le PRG du méthane est 87 fois supérieur à celui du CO2. Étant donné que ces chiffres sont utilisés comme des multiplicateurs directs dans le calcul des émissions, l’impact du cadre temporel est à la fois linéaire et important.
D’autres limites à l’utilisation du PRG concernent des éléments relatifs à sa définition et à sa mise en œuvre. Ce système de mesure permet d’estimer l’impact relatif d’un gaz à effet de serre non pas sur la température, qui est la base de la plupart des objectifs climatiques, mais sur le forçage climatique. Ce système permet de mesurer l’impact moyen d’une bouffée d’émission de méthane sur une période de temps plutôt que l’impact à un point final spécifique d’une émission soutenue ce qui refléterait davantage la réalité.
D’autres systèmes de mesures, tels que le potentiel de changement de la température du globe, permettent de combler certaines de ces lacunes. Toutefois, il n’existe pas véritablement de meilleure option. Il n’en demeure pas moins vrai que cela peut générer une certaine incertitude dans la quantification de l’impact climatique du méthane pour les études d’émissions ou pour les décisions d’investissement destiné à la lutte contre la pollution, mais il est important de noter ce qui suit :
- pour atteindre les objectifs climatiques visant à limiter le changement de température à deux degrés, s’attaquer aux impacts climatiques à court et à long terme est essentiel. L’utilisation de cadres temporels sur 20 et 100 ans aidera donc à comprendre ces différentes perspectives ;
- réduire les émissions de CO2 et de méthane est primordial si nous voulons atteindre les objectifs climatiques jusqu’en 2100.
2. Contribution du gaz naturel aux émissions globales de méthane
Les émissions de méthane proviennent de sources diverses, tant naturelles qu’anthropiques. Les sources naturelles (zones humides, océans ou animaux sauvages) représentent environ 40 à 50 % des émissions globales de méthane. Les sources anthropiques comprennent l’agriculture (principalement l’élevage et la culture du riz) et les déchets (environ 200 téragrammes (Tg)/an), les chaînes d’approvisionnement en combustibles fossiles (environ 110 Tg/an) et la combustion de biomasse et de biocarburants (environ 30 Tg/an). Parmi les sources anthropiques, les chaînes d’approvisionnement en pétrole et en gaz représentent le deuxième contributeur le plus important (figure 1).
Différencier des contributions des émissions de méthane provenant des chaînes d’approvisionnement en pétrole et en gaz s’avère difficile étant donné leur infrastructure en partie partagée. Cependant, les émissions de méthane provenant de la chaîne d’approvisionnement en gaz naturel sont évidemment importantes et varient considérablement selon les régions. La chaîne d’approvisionnement en gaz naturel est longue et complexe (Lire : Gaz naturel, la filière technico-économique). Les émissions de méthane peuvent provenir d’évents d’exploitation ou de maintenance, d’une combustion incomplète (comme les gaz de torche) ou d’émissions fugitives (causées par exemple par un équipement défaillant ou une erreur de fonctionnement). Les émissions globales des chaînes d’approvisionnement en gaz sont généralement estimées entre 1 à 3 % de la production totale de gaz. Le World Energy Outlook 2017 de l’Agence internationale de l’énergie les estime à 1,7 %.
Des recherches approfondies au cours des cinq dernières années ont permis de mesurer et d’évaluer les émissions de méthane des différentes chaînes d’approvisionnement en gaz, en particulier en Amérique du Nord. Bien que les émissions associées à la majorité des infrastructures soient relativement faibles, elles présentent une grande variabilité et leur distribution est asymétrique. Les émissions varient selon la région, le type de réservoir, l’équipement de la chaîne d’approvisionnement et l’âge des infrastructures, pour ne citer que quelques facteurs. Si certains ont affirmé que les émissions de méthane des chaînes d’approvisionnement américaines étaient plus élevées que celles des autres pays, de nouvelles preuves sont nécessaires pour le corroborer. Alors que des mesures solides, transparentes et indépendantes des émissions des chaînes d’approvisionnement américaines se révèlent pour ainsi dire exhaustives, elles font cruellement défaut dans certaines régions. En outre, certaines étapes de la chaîne d’approvisionnement manquent de données transparentes. En particulier, les itinéraires du gaz naturel liquéfié (GNL) présentent un potentiel important d’émissions fugitives intermittentes et d’évents.
3. Les « super émetteurs »
Un petit nombre d’infrastructures contribuent de manière disproportionnée aux émissions totales. Ces infrastructures ont été identifiées comme « super émetteurs » dans les études qui ont analysé la répartition des émissions. Les émissions exceptionnellement élevées sont probablement dues à un dysfonctionnement de l’équipement ou à une erreur de l’opérateur. Selon la source, elles peuvent être intermittentes ou continues, et elles sont au moins partiellement stochastiques et donc quelque peu imprévisibles. Il n’est pas rare que les émissions soient caractérisées par une distribution à queue lourde [1] entre les différents systèmes de production. Toutefois, l’importance des « super émetteurs » dans les chaînes d’approvisionnement en gaz naturel ne peut pas être sous-estimée en raison de leur impact sur le changement climatique.
Le graphique ci-dessous montre la distribution asymétrique des émissions à travers une variété de chaînes d’approvisionnement technologiquement différentes, selon les données récemment disponibles aux États-Unis et en Europe (figure 2). Chaque ligne représente une chaîne d’approvisionnement théorique différente avec une composition technologique distincte (comme un puits de gaz non conventionnel qui utilise des outils de forage à émissions réduites ne nécessitant pas de déchargement de liquides, distribuant le gaz par des tuyaux en plastique). Les lignes les moins profondes représentent une distribution davantage asymétrique où les 5 % d’émetteurs les plus importants contribuent en moyenne à 50 % des émissions totales avec une fourchette comprise entre 25 et 75 %.
4. Le défi lié à la réduction des émissions
Les chaînes d’approvisionnement qui utilisent des technologies modernes et réductrices d’émissions sont de nature à présenter une distribution moins asymétrique, résultant en un nombre réduit de « super émetteurs » potentiels. Ces technologies comprennent des outils de forage à émissions réduites, des boîtes d’étanchéité efficaces, le remplacement des pneumatiques à gaz et le remplacement des conduites de distribution en fer par des tuyaux en polyéthylène. Néanmoins, la technologie seule n’éliminera pas les « super émetteurs ».
Afin de remédier aux émissions élevées, la première étape consiste à les détecter. Les techniques de contrôle et de mesure sont donc essentielles. Les programmes de détection et de réparation des fuites (désormais LDAR [2]) constituent actuellement la méthode la plus fréquemment utilisée dans l’industrie pour réduire les émissions fugitives. L’objectif consiste à vérifier régulièrement l’étanchéité de l’ensemble des équipements et à les réparer, si possible. En général, le LDAR consiste à détecter manuellement une fuite à l’aide d’une caméra infrarouge, à estimer la taille de la fuite (sur la base de la concentration ou du débit) et à procéder ensuite à sa réparation. Ces interventions sont relativement coûteuses en raison de leurs besoins en personnel et en équipement. Par conséquent, la prévalence des LDAR est inégale selon les entreprises, les pays et les étapes de la chaîne d’approvisionnement. La fréquence appropriée d’utilisation annuelle des programmes de LDAR a été examinée dans le cadre des récentes politiques américaines et canadiennes sur les émissions de méthane. Il va sans dire qu’il n’existe pas de fréquence unique adéquate. Par exemple, le LDAR est particulièrement onéreux pour les actifs de transport qui recouvrent de longues distances.
Afin de réduire les coûts, des innovations en matière de détection et de surveillance automatique des émissions sont nécessaires. De nombreuses recherches sont en cours dans ce domaine, en particulier aux États-Unis. Néanmoins, la mise en place d’une aide, soit réglementaire, soit fondée sur le marché, pourrait être fondamentale pour que l’industrie innove et mette en place ces mesures. Par ailleurs, une meilleure détection permettrait une réglementation plus efficace du méthane. Les États-Unis et le Canada ont déjà montré la voie en matière de réglementation et de réduction des émissions de méthane provenant de l’industrie pétrolière et gazière. La Commission européenne débat actuellement des possibilités d’inclure des mesures politiques liées au méthane dans la prochaine stratégie énergétique de l’Union européenne (Lire : Union européenne, climat et énergie ; L’énergie dans l’Union européenne). Nous avons indéniablement amélioré notre compréhension des émissions de méthane et des moyens pour les réduire. Mais il est tout aussi urgent de prendre des mesures si nous voulons atteindre les objectifs climatiques globaux.
Notes et références
[1] La queue d’une loi de probabilité est le comportement de la loi de probabilité dans la zone éloignée de sa valeur centrale. Il est courant de parler de queue de distribution.
Les distributions à queue lourde sont des distributions de probabilité dont les queues ne sont pas exponentiellement bornées
[2] Programmes LDAR : Leak Detection and Repair.