Dans les solutions d’énergies renouvelables dans le secteur du bâtiment pour la transition énergétique, on oublie trop souvent le potentiel important offert par les pompes à chaleur géothermiques dans le domaine du tertiaire, du collectif, voire de l’individuel.[1] C’est ce qu’on appelle la géo-énergie, catégorie très particulière de la géothermie dite « géothermie de surface ». Elle offre une solution très efficace pour la rénovation thermique des bâtiments, notamment pour répondre aussi aux besoins de climatisation qui seront croissants du fait du réchauffement climatique. En effet, l’inertie thermique du sous-sol, à la fois frais l’été et chaud l’hiver, peut être exploitée par ce moyen, et assistée de pompes à chaleur. Cette géo-énergie locale, décarbonée, renouvelable et neutre pour le paysage est encore loin d’avoir réalisé son potentiel dans les domaines où sa massification serait plus que pertinente.
Parmi les solutions énergétiques visant à la fois l’atténuation et l’adaptation au dérèglement climatique, la géo-énergie assistée par pompes à chaleur géothermique a un rôle important à jouer, notamment dans le domaine du chauffage des locaux et de leur climatisation pour les locaux neufs mais aussi dans les stratégies de rénovation thermique alors que devrait se concrétiser le dérèglement climatique, et en particulier la multiplication des épisodes caniculaires (Lire : Énergie géothermique : une importante ressource cachée). D’après le Haut Conseil pour le Climat[2], il est indispensable de ne pas se limiter à la rénovation thermique stricto sensu, mais de travailler à des rénovations énergétiques et même climatiques (Lire : Chaleur renouvelable et réhabilitation thermique des logements, deux voies complémentaires pour la transition bas carbone). La nuance est de taille : dans une rénovation énergétique, on intègre également la décarbonation de la source d’énergie en elle-même ; dans une rénovation climatique, on prend en compte le dérèglement climatique, et donc le besoin croissant de rafraîchissement.
Après avoir clarifié le fonctionnement de cette technologie, on explicite ses bénéfices environnementaux qui devraient justifier son intégration plus massive dans le mix énergétique français et même plus largement européen. En effet à l’exception de certains pays précurseurs comme la Suisse ou la Suède, l’Europe a du retard par rapport à l’Asie ou l’Amérique[3].
1. La géo-énergie, une forme particulière de géothermie
Étymologiquement, géothermie vient du grec ancien γῆ (guê) la terre et θερμός (thermos) qui signifie chaud : la géothermie désigne ainsi naturellement ce que l’on qualifie de géothermie profonde, et qui consiste à extraire la chaleur issue de la désintégration de roches radioactives du sous-sol. En fonction de la profondeur visée, celle-ci peut être utilisée soit directement, soit pour produire de l’électricité.
- En région parisienne, des réseaux de chaleur pour des bâtiments ou des piscines, utilisent l’eau du Dogger[4] depuis les années 70 : cette formation située à environ 1,5km de profondeur permet d’exploiter le potentiel thermique d’une eau à 70°C. C’est ce qu’on appelle la géothermie basse enthalpie, ou basse température.
- La géothermie profonde pour produire de l’électricité s’est malencontreusement illustrée dans l’actualité récente avec le séisme ressenti à proximité de Strasbourg fin 2020. Dans ce cas, même si l’Alsace bénéficie d’un gradient géothermique élevé, il faut quand même forer à 5km pour avoir une température de 150°C.
La technologie qui nous occupe dans le cadre de cet article est souvent désignée comme une « géothermie », s’éloignant un peu de l’étymologie car son objet n’est pas d’extraire la chaleur terrestre. En effet, aux profondeurs auxquelles les forages sont effectués, typiquement quelques dizaines de mètres, la température du sol est proche de la moyenne des températures saisonnières. Cette température constante, entre 12°C et 15°C en France, est ainsi plus fraîche que l’air extérieur en été, et plus chaude en hiver. Et c’est bien sa valeur tempérée qui fait tout son intérêt pour le confort thermique d’un bâtiment, qui aura de plus en plus besoin d’être rafraîchi en été, et non plus seulement chauffé l’hiver.
Ainsi, nous préférons la désigner par le mot de géo-énergie qui est d’étymologie plus neutre, ἐνέργεια / enérgeia signifiant « force en action » en grec ancien. Outre son principe différent, la géo-énergie nécessite pour sa mise en œuvre des foreuses bien plus compactes que celles des plateformes pétrolières utilisées en géothermie profonde. Elle n’utilise pas non plus les techniques de fracturation hydraulique telles celles employées en Alsace ne sont jamais utilisées.
2. Les techniques de géo-énergie
Entre l’exploitation de la température du sous-sol et le chauffage ou la réfrigération d’un local, plusieurs techniques sont mises en œuvre.
2.1. La partie des techniques en sous-sol
Deux techniques, illustrées figure 1 ci-dessous, sont classiquement utilisées pour exploiter la température constante du sous-sol.
La première n’est possible que si le sous-sol du bâtiment est au dessus d’une nappe d’eau, ce qui est en général le cas dans les centres-villes. Elle consiste à forer deux puits de typiquement 25 à 50 cm de diamètre, l’un servant à extraire de l’eau de la nappe, et l’autre à la remettre après avoir prélevé son énergie via un échangeur (Lire : Les échangeurs de chaleur). La législation impose de restituer toute l’eau prélevée, afin de ne pas assécher la nappe. Ces forages peuvent être facilement réalisés en zone dense, parfois dans les parkings. Avec ce principe, c’est l’écoulement naturel de l’eau dans la roche qui permet sa thermalisation, d’où son qualificatif de « système ouvert ». Une estimation de la puissance et de l’énergie disponible grâce à ces nappes pour la région parisienne a été réalisée par le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) pour l’ADEME en 2012[6] : en lien avec les besoins des bâtiments, elle est estimée à 20 000GWh/an (environ 1,7 Mtep/an) pour l’Ile de France, dans le « scénario 2020 ».
La deuxième technique, de « systèmes fermés », consiste à fabriquer artificiellement un échangeur thermique avec le sous-sol. Cela consiste à réaliser plusieurs forages, appelés « sondes », de 15 cm de diamètre. Chacun de ces forages contient un tube en U, gainé de ciment. On fait circuler de l’eau glycolée dans ces tubes, le glycol servant à empêcher le gel de l’eau en cas de températures négatives. Sur ce schéma, nous illustrons la configuration où les forages sont verticaux, qui permet de maximiser les échanges avec le sous-sol, donc l’énergie extraite. Il faut les espacer de 10m pour qu’ils n’interagissent pas les uns avec les autres, ce qui fait que cette technologie est classiquement utilisée à l’écart des centres-villes, dans des zones où l’on trouve peu d’eau souterraine.
Notons que d’autres géométries sont possibles, certaines étant en cours de développement :
- Les forages déviés quand la totalité du sous-sol n’est pas directement accessible, inspirés des forages pétroliers qui partent d’un même point, et permettant d’exploiter des systèmes fermés même dans des zones urbaines denses ;
- Les échangeurs souterrains en forme de « corbeilles » ou de « murs » pour de plus petits bâtiments, que ne nécessitent pas de foreuse pour leur installation ;
- Les échangeurs horizontaux dans lesquels on fait circuler habituellement de l’air, qui ne nécessitent pas non plus de foreuse : ils nécessitent de disposer d’un terrain de deux fois la surface du bâtiment qu’on cherche à chauffer/rafraîchir – ce qui explique leur développement plus important au Canada que dans les agglomérations européennes ; on les appelle « puits canadiens »…
2.2. Les techniques côté bâtiment (pompe à chaleur et émetteurs)
Quelle que soit la technologie utilisée dans le sous-sol, le transfert de calories depuis la « boucle primaire », qui permet d’extraire l’énergie du sous-sol, se fait via un échangeur : l’eau du sol ne circule jamais dans tout le bâtiment. Après cet échangeur, on utilise une pompe à chaleur, généralement réversible, pour amener l’eau de 12-15°C au régime de température adapté au bâtiment.
Ce régime de température est important, car le rendement des pompes à chaleur est d’autant plus élevé que la différence de température entre source froide et source chaude est faible. En effet, pour fixer les idées, on appellera quelques notions de base de thermodynamique : une pompe à chaleur est un dispositif permettant, à l’aide d’un travail W de transférer de la chaleur d’une source froide, qui échange une quantité de chaleur Qf à la température Tf, vers une source chaude, qui échange une quantité de chaleur Qc à la température Tc. (Lire : Sadi Carnot face à la fin de la civilisation thermo-industrielle, Thermodynamique : énergie et entropie, Thermodynamique : les lois).On déduit alors directement de l’écriture des deux premiers principes que le rendement (idéal de Carnot), quotient de Qc par W, est inversement proportionnel à la différence des températures Tc-Tf :
Cette spécificité des pompes à chaleur a deux conséquences qu’il faut souligner :
- Tout d’abord, pour un même bâtiment, une pompe à chaleur géo-énergétique est plus efficace qu’une pompe à chaleur aérothermique, car la température du sous-sol est plus élevée que celle de l’air en hiver et plus fraîche en été.
- De plus, un système avec pompe à chaleur est d’autant plus efficace que la température utilisée pour chauffer le bâtiment est basse.
Les « émetteurs » dits à basse température, comme des planchers ou des plafonds rayonnants, sont donc privilégiés par rapport aux systèmes à haute température, comme des vieux radiateurs classiques, en fonte, adaptés à des chaudières fonctionnant aux hydrocarbures. Nous estimons que les rendements (ou coefficients de performances) sont de l’ordre de 400% : avec un 1kWh électrique, on produit 4kWh de chaleur ou de froid. On trouve dans la littérature des valeurs plus élevées[7] (de 800 à 1200%) mais celles-ci sont obtenues dans des conditions particulièrement favorables, avec des émetteurs basse température, que l’on ne trouve pas classiquement dans des bâtiments existants.
En été, dans le cas où l’on utilise des planchers ou des plafonds rayonnants pour rafraîchir le bâtiment, nous pouvons même envisager une dérivation (by-pass) de la pompe à chaleur, afin d’utiliser directement les frigories en les récupérant par un échangeur (Lire : Le froid : usages et production). On parle alors de « free cooling » ou de « geocooling », les rendements pouvant dans ce cas s’élever jusqu’à 5000%[8] car la consommation électrique ne sert alors qu’à faire circuler l’eau.
Les pompes à chaleur et les « émetteurs » sont des technologies matures, mais des travaux de recherche sont encore nécessaires, notamment sur les fluides frigorigènes. Certains travaux identifient des fluides de plus en plus performants, pour maximiser les rendements obtenus[9] et pour utiliser d’autres composants que ceux émettant des gaz à effet de serre comme les fluides traditionnels (notamment l’hexafluorure de chlore HFC et le HCFC) qui sont à très fort pouvoir d’effet de serre (pouvoir réchauffant de 140 à 11 000 fois plus puissants que le CO2). On envisage d’utiliser le CO2, voire l’eau, comme fluides réfrigérants.
2.3. Évaluer le rendement sur l’ensemble du système
Pendant une saison donnée, une exploitation géo-énergétique a tendance à modifier la température du sous-sol : en hiver, on le rafraîchit alors qu’en été on le réchauffe. Si les besoins du bâtiment sont équilibrés entre chaud et froid, leurs effets s’annulent sur une année. L’inertie thermique du sous-sol permet un stockage inter-saisonnier, qui augmente encore la puissance accessible par rapport à un scénario dans lequel on ne rechargerait pas le sol d’une saison sur l’autre.
Ainsi il est important de coupler les modèles thermiques du sous-sol et du bâtiment pour pouvoir déterminer les ressources disponibles. Ce résultat, un peu contre-intuitif, rappelle la nécessité d’une approche systémique pour analyser finement le sous-sol. Et symétriquement, avec une perspective bâtiment, il montre qu’on ne peut pas faire l’économie d’une analyse incluant le sous-sol. Il implique également la mise à disposition d’outils permettant de le faire.
Notons également la complémentarité avec d’autres sources d’énergies renouvelables, en fonction des besoins du bâtiment. Par exemple, pour un bâtiment résidentiel qui a, à ce jour, exclusivement des besoins de chauffage, et afin d’éviter que le sous-sol ne perde en efficacité au cours du temps, on peut combiner l’installation géo-énergétique avec une installation solaire thermique. Celle-ci peut alors subvenir aux besoins en eau chaude sanitaire et servir à « recharger » le sous-sol en été : en la dimensionnant pour l’hiver, l’excès de calories produit en été peut être stocké dans le sous-sol (Lire : Cogénération et stockage saisonnier de la chaleur pour habitat-tertiaire).
Il est également intéressant économiquement parlant d’envisager une couverture partielle des besoins par la géo-énergie. En effet, les appels de puissance élevée, à la fois en chaud et en froid, se font sur une courte période : pour maximiser les temps de retour sur investissement, il est alors généralement plus intéressant de dimensionner l’installation pour une couverture de 50% des besoins de puissance, car cela permet de couvrir plus de 80% des besoins énergétiques. Le reste de la puissance est alors fourni par une installation complémentaire, notamment un chauffage électrique. Cela permet une optimisation économique qui peut être un levier essentiel pour certains clients.
2.4. Bénéfices environnementaux
Outre les économies d’énergie par production locale d’énergie renouvelable, une installation géo-énergétique peut présenter d’autres intérêts environnementaux.
Tout d’abord, elle permet de diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Pour faire un bilan carbone global, on commence par estimer l’impact des forages en eux-mêmes, en incluant leur fin de vie (rebouchage). Pour deux puits de 65m de profondeur, celui-ci est de l’ordre de 30 teqCO2, avec près de la moitié pour les matériaux eux-mêmes (ciment, acier inox). En exploitation, il faut ensuite faire des hypothèses sur la consommation du bâtiment et son mode de chauffage/rafraîchissement. Par exemple, un bâtiment de 10 000m2 ayant initialement une consommation de 3,15GWh/an, passe à 0,8 GWh/an avec de la géo-énergie couvrant la totalité des besoins. Si celui-ci était initialement chauffé au gaz naturel et rafraîchi avec un climatiseur classique, on passe d’émissions de l’ordre de 500 teqCO2/an à 65teqCO2/an, soit une diminution de 87%.
Cette économie rentabilise en un seul mois le « coût » carbone de la construction des puits. Ce gain provient d’une part de la diminution de consommation (de 75% dans ce cas), et d’autre part de la non-utilisation de gaz fossile, qui émet 0,25 kgeqCO2/kWh thermique, au profit de l’électricité, qui émet 0,08kgeqCO2/kWh[10] électrique en France. Notons que ce bilan carbone est fonction à la fois de la source d’énergie initialement installée, et de l’empreinte carbone de l’électricité. Il est donc variable d’un bâtiment à l’autre, et d’un pays à l’autre selon le mix électrique en place.
L’impact de la géo-énergie sur la biodiversité concerne principalement celui du forage. Mais même avec des puits suffisamment profonds (entre 10 et 200 m de profondeur), et en restant dans le cadre réglementaire, on ne s’attend pas à perturber de façon importante les écosystèmes. De plus le fait d’enterrer les moyens de production permet, en zone dense, de ne pas intensifier les phénomènes d’îlots de chaleur contrairement aux systèmes aérothermiques.
2.5. La rentabilité économique et sociale des projets
L’étude de projets de géo-énergie dans des bâtiments de types variés (bâtiments de logements, bureaux, centres commerciaux, établissements scolaires…) montre des temps de retour satisfaisants, comme on le voit dans le tableau 1 ci-dessous[11].
Tableau 1. Différents cas de projet de géo-énergie en semi-collectif et tertiaire
Résidence Rouget de L’Isle[12] | Ikea Tourville[13] | PlacoSefalog[14] | |
Type d’usage | 151 logements | Tertiaire | Industriel |
Surface | 10 000m2 | 30 000 m2 | 7800 m2 |
Investissement | 300 k€ | 688 k€ | 785k€ |
Temps de retour | 6 ans | 8 ans | 5 ans |
Bénéfices environnementaux | 230 teqCO2/an économisées | 630teqCO2/an économisées | 103teqCO2/an économisées |
On notera que des temps de retour sur investissement courts peuvent être obtenus pour des bâtiments de taille importante, même si la géo-énergie ne couvre qu’une partie des besoins énergétiques, parce qu’elle est pleinement utilisée toute l’année.
Notons aussi que les éléments de rentabilité financière ne sont pas le seul paramètre de la rentabilité globale de l’investissement. En effet dans un cadre plus large tenant compte de la valorisation immobilière d’un bâtiment, d’autres arguments peuvent entrer en considération : la prise en compte de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ou carbone par les investisseurs, la transformation de surfaces techniques de toiture en terrasses arborées, ou encore le caractère silencieux et invisible de la technologie.
3. Politiques et incitations
La chaleur représente en France 42,3 % de la consommation finale d’énergie (en 2017); le secteur résidentiel-tertiaire y contribue à hauteur de 65% de la consommation et l’industrie 30 %. Les pompes à chaleur satisfont moins de 2% des besoins du résidentiel, à côté des 13 % du chauffage électrique direct. La loi sur « la transition énergétique pour la croissance verte » a fixé un objectif de 38 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale de chaleur en 2030. Quelles mesures faudrait-il prendre pour accroître la contribution des pompes à chaleur et notamment pour faire décoller la géo-énergie considérée comme une EnR dans cet effort ?
3.1. L’exemple de la Suède
L’exemple du succès du développement des pompes à chaleur (PàC) géothermiques en Suède pourrait servir à guider la définition d’une politique favorable. Le développement des pompes à chaleur ne date pas d’hier en Suède puisque les premières mesures datent de la fin des années 70. Il n’a pas connu les freins rencontrés en France du fait des mauvaises performances des installations dues au manque de compétences des installateurs et des défauts de fabrication. En Suède, tout un solide réseau d’installateurs compétents a pu se développer, notamment dans le domaine des pompes à chaleur géothermiques qui correspondent à un tiers de la capacité totale des PàC installées, ce qui a entretenu une dynamique de succès dans un environnement de sélection très favorable (politiques et mesures, connaissances technologiques et savoir-faire).
Outre l’application d’une taxe sur le carbone assez élevée depuis les années 90, la Suède a mis en place un ensemble d’incitations économiques pour passer à des technologies à faibles émissions de carbone dans le domaine du chauffage des locaux. Cela passe d’abord par l’utilisation extensive du chauffage urbain alimenté essentiellement par des biocarburants issus de la sylviculture (70 %) et des déchets municipaux. Lorsque le développement d’un réseau de chauffage urbain n’est pas possible, les pompes à chaleur à haut rendement sont largement utilisées dans les bâtiments tertiaires (16 % des besoins), les logements collectifs (8 % des besoins) et les maisons individuelles (48 % des besoins) (Gehlin, Andersson, 2016; IEA, 2019,p.69)[15]. Un tiers des pompes à chaleur fonctionne avec la chaleur géothermique (« bergvärme » en suédois) par des forages à quelques dizaines de mètres de profondeur.
L’effort de déploiement des pompes à chaleur a fait partie intégrante de la rénovation énergétique du parc immobilier suédois existant. Cet effort a nécessité des coups de pouce par le biais des codes de construction dans le neuf, de réglementations judicieusement définies (obligation de raccordement, etc.) et un certain nombre de subventions bien ciblées (rénovation poussée incluant l’installation de pompes à chaleur par exemple), sans parler d’investissements publics directs pour le chauffage urbain.
3.2. Lever les obstacles en France
Pour développer cette filière en France, il faudrait d’abord articuler le système d’aides à la géo-énergie aux dispositifs d’appui à la rénovation thermique des logements comme en Suède, ce qui n’est pas vraiment le cas en France pour les pompes à chaleur en général. Ceci dit, les projets de géo-énergie sont éligibles aux aides du « fonds chaleur » mis en place pour, dans le cas de la géothermie de surface[16], inciter les propriétaires à s’équiper d’une pompe à chaleur géothermique, en remboursant le surcoût dû au forage par rapport à une installation traditionnelle.
En plus des aides du fonds chaleur, plusieurs énergéticiens proposent de financer ces installations, se rémunérant sur la vente de chaleur et de froid. Par ailleurs, dans le cas des projets dans le tertiaire, la diminution des consommations du bâtiment du fait de l’installation d’une pompe à chaleur géothermique permet d’être éligible aux aides du décret relatif aux obligations d’actions de réduction de la consommation d’énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire[17].
Pour parvenir aux objectifs gouvernementaux en matière de part d’EnR en 2030 en tablant sur la géo-énergie, on doit aussi chercher à lever quelques obstacles.
- Ainsi, en 2015, le code minier a déjà été revu afin de faciliter les démarches administratives. Dans les zones qui ne présentent pas de risque géologique particulier, et pour des puissances inférieures à 500kWet des profondeurs limitées à 200m, il est possible de forer des installations sur simple déclaration de travaux. En revanche pour de plus fortes puissances ou dans des zones présentant des risques, comme certains types de formations argileuses qui gonflent en présence d’eau, il faut demander une autorisation préfectorale.
- Un second obstacle est la méconnaissance du potentiel de la géo-énergie. Pour le surmonter, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), le Syndicat des Énergies Renouvelables (SER)[18] et l’Association Française des Professionnels de la Géothermie (AFPG)[19] multiplient les campagnes de sensibilisation.
Conclusion
Pourquoi les énergies renouvelables intermittentes tiennent-elles le haut du pavé par rapport à la géo-énergie ? Sans doute parce que celle-ci ne se voit pas alors qu’elle constitue un potentiel de décarbonation important, trop ignoré et facile d’accès économiquement parlant. Il reste beaucoup de chemin à parcourir, avant d’équiper une grosse partie des besoins des secteurs résidentiels et du tertiaire, comme la Suède l’a fait depuis 1990, avec le développement à très grande échelle des pompes à chaleur dans le chauffage des bâtiments, dont un tiers en géo-énergie[20]. En France, la filière a besoin d’être structurée, en termes de législation, d’aides financières, de communication et d’appui technique aux propriétaires.
[1]Une version plus courte de cet article a été publiée en français dans la Revue de l’Énergie, n°655, Mars-avril 2021 sous le titre : » La géo-énergie, l’oubliée du mix énergétique français? » Elle est reproduite en partie ici avec l’autorisation de la Revue de l’Énergie que nous remercions.
[2]Rénover mieux: leçons d’Europe — Haut Conseil pour le Climat (hautconseilclimat.fr)
[3]Direct Utilization of Geothermal Energy 2020 Worldwide Review (geothermal-energy.org)
[4]Géothermie au Dogger en Ile-de-France – SIGES Seine-Normandie – ©2021 (brgm.fr)
[5]Geotrainet Training Manual for designers of geothermal systems, Project: IEE/07/581/SI2.499061
[6]BRGM 2012 Étude préalable à l’élaboration du schéma de développement de la géothermie en Île-de-Francehttps://www.enrchoix.idf.ademe.fr/ressources/geothermie/etude-geothermies-idf-srcae.pdf BRGM/ RP-60615-FR
[7]https://www.syndicat-energies-renouvelables.fr/wp-content/uploads/basedoc/guide-methodologique-geothermie-de-surface.pdf
[8]http://www.afpg.asso.fr/wp-content/uploads/2015/04/Residence_tertiaireLePapillon.pdf
[9]Advances in Mechanical Engineering 2019, Vol. 11(1) 1–14
[10]Arrêté du 15 septembre 2006 relatif au diagnostic de performance énergétique pour les bâtiments existants proposés à la vente en France métropolitaine – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
[11]https://www.geothermies.fr/viewer/?al=autolayer_operation_surface: En cliquant sur chacun des points représentés sur la carte, on a accès à une fiche descriptive complète indiquant les investissements, leur temps de retour sur baisse de charges, le montant des subventions obtenues, les bénéfices environnementaux des installations.
[12]https://www.geothermies.fr/sites/default/files/inline-files/pantin.pdf
[13]https://www.geothermies.fr/sites/default/files/inline-files/IKEA%20TOURVILLE.pdf
[14]https://www.geothermies.fr/sites/default/files/inline-files/dadonville%20placo.pdf
[15]IEA, 2019, Energy Policies of IEA Countries, The Sweden 2019 Review. Paris: OECD
- Gehlin, O. Andersson, 2016. Geothermal Energy Use, Country, Update for Sweden, https://media.geoenergicentrum.se/2017/02/Gehlin_Andersson_2016_-EGC-2016-CU-Sweden.pdf
[16]https://www.ademe.fr/expertises/energies-renouvelables-enr-production-reseaux-stockage/passer-a-laction/produire-chaleur/fonds-chaleur-bref
[17]Décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019 relatif aux obligations d’actions de réduction de la consommation d’énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
[18]Accueil – Syndicat des énergies renouvelables (syndicat-energies-renouvelables.fr)
[20]Direct Utilization of Geothermal Energy 2020 Worldwide Review (geothermal-energy.org)