Le futur des déchets radioactifs issus des réacteurs est un sujet d’inquiétude de notre société, souvent évoqué. Pour aborder le sujet, essayons de répondre aux questions que se posent nos concitoyens. Qu’est-ce que la radioactivité ? Qu’appelle-t-on déchets radioactifs et d’où viennent-ils ? Quels sont les déchets les plus radioactifs, leurs caractéristiques, leur évolution ? Et surtout comment les gère-t-on ? Cet article complète celui de Hervé Nifenecker : Le stockage des déchets nucléaires.
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1. La radioactivité
La matière qui nous entoure est constituée de minuscules atomes. Si l’on se rappelle la valeur du nombre d‘Avogadro (6.02×1023), les atomes de toutes les matières sont innombrables. Ce nombre est défini comme le nombre d’atomes dans 12 grammes de carbone : il y aurait ainsi 33 millions de milliards de milliards d’atomes d’oxygène dans un litre d’eau.
Dans les années 1900, de grands physiciens, comme Pierre et Marie Curie en France, Ernest Rutherford en Angleterre, découvrirent la structure des minuscules atomes. Rutherford montra que les atomes ressemblaient à des systèmes solaires miniatures. Presque toute leur masse est concentrée autour d’un noyau, autour duquel orbitent des électrons légers.
Certains atomes n’étaient pas stables. Ils émettaient des rayons. Les physiciens les appelèrent radioactifs.
1.1. Quels dangers présentent la radioactivité ?
Les atomes radioactifs émettent trois types de rayonnement : Alpha, Bêta et Gamma. Très peu pénétrants, les rayons alpha sont arrêtés par une feuille de papier. Les rayons, bêta bien que plus pénétrants, sont aussi facilement arrêtés par quelques millimètres d’aluminium. Les rayons gamma, quant à eux, sont pénétrants mais moins nocifs. On s’en protège en interposant des écrans (plusieurs mètres d’eau, un mètre de verre au plomb). Les rayons alpha et bêta deviennent dangereux si l’atome radioactif s’est fixé dans la matière vivante.
Même s’ils sont rares en proportion, les atomes radioactifs peuvent être innombrables (figure 1). Ainsi un humain de 80 kg émet naturellement 8000 rayons par seconde, sans que cela lui fasse grand mal.
Néanmoins, à forte dose, l’exposition à la radioactivité peut aller d’une augmentation des probabilités d’avoir un cancer jusqu’à des lésions fatales en quelques jours ou semaines.
Figure 1. Exemples d’exposition à la radioactivité en millisievert
1.2. Quelle durée de vie pour les atomes radioactifs
Au cours du temps, la radioactivité diminue. Une substance radioactive est caractérisée par sa demi-vie, c’est-à dire, la durée au bout de laquelle elle aura perdu la moitié de sa radioactivité. Cette demi-vie varie énormément d’une espèce à l’autre, allant de la fraction de seconde à 4,5 milliards d’années, l’âge de la terre, pour l’uranium-238. Cet atome radioactif naturel entre dans la composition du combustible des réacteurs nucléaires.
2. Les déchets radioactifs
A côté de la peu dangereuse radioactivité naturelle, existe une radioactivité résultant des activités humaines. L’imagerie médicale utilise des radioéléments, comme les installations de recherche des physiciens, les accélérateurs de particules. L’extraction de l’uranium est la source de résidus miniers légèrement radioactifs (Lire : Nucléaire : rayonnements, radioactivité et radioprotection). Il y a les activités liées à la fabrication des bombes atomiques, les retombées des essais nucléaires. Il y a enfin le démantèlement de certaines installations et de vieux réacteurs nucléaires (Lire : Les réacteurs nucléaires). Les résidus de ces applications sont à l’origine de déchets en majorité à vie courte (demi-vie inférieure à 31 ans), dont la gestion et le stockage dans des lieux sûrs en surface le temps que la radioactivité décroisse (de quelques dizaines d’années à plusieurs siècles) est bien maîtrisée par l’ANDRA (l’agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) (Lire : la sureté nucléaire).
Les déchets radioactifs les plus délicats à gérer (déchets de haute activité (HA) et de moyenne activité à vie longue (MAVL)) proviennent du combustible usé déchargé des réacteurs nucléaires (figure 2) (Lire : Le cycle du combustible nucléaire).L’exploitation des réacteurs nucléaires et le retraitement de ces combustibles usés sont en France à l’origine de l’essentielle de la radioactivité des déchets (99.99%).
Figure 2 : Classification des déchets radioactifs selon leur durée de vie et leur activité
3. Le cas des déchets les plus radioactifs à vie longue
Déchets HA – Les combustibles usés sortis des réacteurs français sont transportés, après une période de refroidissement, dans une grande usine, à la Hague, près de Cherbourg. Là, grâce à des procédés chimiques, l’uranium et le plutonium valorisables sont séparés des produits de fission et des actinides mineurs, des atomes radioactifs lourds générés dans le réacteur. Ces atomes radioactifs sont mélangés à haute température, à une matière vitreuse. Ces verres fondus sont ensuite versés dans des conteneurs en acier. Une fois les conteneurs refroidis, produits de fission et actinides mineurs se retrouvent prisonniers au sein de la structure vitreuse. Celle-ci se comporte comme une pieuvre dont les tentacules piègent les atomes. Au moment de leur fabrication, la radioactivité émergente de ces colis est intense, voire mortelle si l’on reste quelques dizaines de secondes à moins d’un mètre de ces colis sans protection. Ces déchets vitrifiés sont refroidis dans des puits ventilés à l’usine de la Hague, en attendant de pouvoir de les stocker en profondeur.
Les évolutions des produits de fission et des actinides mineurs sont très différentes. L’activité des deux principaux produits de fission, le césium-137 et le Strontium-90 est divisée par 2 tous les 30 ans, par 1000 tous les 300 ans. Avec elle diminue la dangerosité des rayons gamma sortant des colis. Au bout d’un millier d’années, elle sera donc beaucoup moins mortelle. Par contre, sur le très long terme, sera encore présente, la radioactivité des actinides mineurs. Néanmoins ces déchets pour autant n’en demeureront pas encore inoffensifs…
Déchets MAVL – À côté déchets de haute activité, sont produits des déchets de moyenne activité, beaucoup moins dangereux mais dont les durées de vie peuvent dépasser la centaine de milliers d’années. C’est le cas des gaines des éléments combustibles des réacteurs, fortement irradiés lors du séjour de 3 ans en réacteur. Une fois massicotées, les coques et embouts de ces gaines sont compactés à l’usine de la Hague, pour être placés dans d’autres conteneurs.
4. Histoire de leur gestion
La France est, avec la Suède et la Finlande, le pays le plus avancé dans la gestion des déchets les plus radioactifs (Lire : Histoire de l’énergie nucléaire et Production et gestion des déchets radioactifs des industries électronucléaires). Elle s’est dotée dès 1991 d’une loi pour organiser cette gestion, la loi Bataille. Dans ce cadre, a été lancé un important programme de recherches organisées selon trois axes, qui s’est terminé par le choix du stockage géologique (loi de 2006) :
– La séparation et la transmutation
– L’entreposage de longue durée
– Le stockage en formation géologique profonde
4.1. La séparation et la transmutation
Les recherches sur la séparation avaient pour objet d’aller plus loin que les séparations pratiquées aujourd’hui à la Hague. En triant produits de fission et actinides mineurs, on pourrait obtenir des solutions adaptées à chaque type de déchet. Par exemple, une fois séparés, on pourrait chercher à détruire les actinides mineurs qui prédominent aux échéances lointaines. C’est la transmutation qui nécessiterait le recours à de nouveaux types de réacteurs, dits de 4ème génération. La transmutation est difficile, car la destruction de ces noyaux se fait individuellement par capture d’un neutron et que le nombre de noyaux d’actinides à détruire est très élevé (en raison du nombre d’Avogadro) même pour des échantillons de faible masse.
Parmi ces réacteurs, on s’intéresse ainsi aujourd’hui aux réacteurs dits à sels fondus (Lire : Les réacteurs à sels fondus), dont le combustible serait un liquide à température élevée. Des actinides mineurs pourraient y être introduits et y rester ad vitam aeternam jusqu’à ce qu’ils soient brûlés. Le principe est séduisant, mais la réalisation se heurte à de multiples obstacles techniques, par exemple le caractère corrosif qu’auraient ces combustibles liquides. D’autres projets concurrents sont encore lointains comme des réacteurs à neutrons rapides. Citons encore le projet européen Mhyrra d’un réacteur associé à un accélérateur de particules qui pourrait incinérer des actinides mineurs.
Si nos gouvernants et l’opinion publique leur prêtent vie de tels réacteurs ne verraient pas le jour avant 2040. Cette solution de gestion n’a pas été retenue par les parlementaires dans la mesure où elle ne s’appliquait pas aux déchets déjà produits, que sa faisabilité technologique n’était pas acquise et qu’elle reposait sur la mise en place d’un hypothétique parc nucléaire de 4èmegénération.
En tant que déchets, produits de fission et actinides mineurs ont des comportements différents. En dehors de la transmutation, on pourrait les séparer dans le futur pour les gérer de manière différente. Les principaux produits de fission très radioactifs au départ disparaissent au bout de quelques siècles. Ces échelles de temps sont longues pour nous, mais courtes pour les déchets. En revanche pour les actinides mineurs, il faut envisager une radioprotection de durée beaucoup plus longue. Ainsi, le principal actinide mineur, le neptunium-27 possède une demi-vie de 2,15 millions d’année. Il dilue donc sa radioactivité à petit feu sur des milliers d’années.
4.2. L’entreposage de longue durée
L’entreposage intervient déjà dans la gestion des combustibles usés sortis des réacteurs, celle des déchets radioactifs. Mais ces entreposages utiles ne sont pas destinés à se perpétuer.
L’idée de l’entreposage de « longue durée » était de construire des entrepôts temporaires allant jusqu’à 300 ans. Cet axe de recherche n’a pas été retenu non plus dans la mesure où il supposait de reprendre régulièrement les entreposages (reportant ainsi la charge sur les générations futures), et où sa sureté à long terme n’était pas garantie.
Qu’adviendrait-il de tels entrepôts en cas par exemple de crise et d’effondrement de nos civilisations ? Ainsi, aux États-Unis, les combustibles usés déchargés d’une centaine de réacteurs sont entreposés à proximité dans les piscines ou des puits ventilés. Les entreprises propriétaires de ces réacteurs le seront-elles encore dans 100 ans ? Qui s’occupera alors des matières radioactives. Comment prévenir aussi le risque des guerres, celui du terrorisme ?
La guerre en Ukraine a rappelé que le risque était bien réel. En mars 2022, des troupes russes occupèrent brièvement le site de Tchernobyl. Un sujet de préoccupation fut la grande piscine d’entreposage des combustibles usés provenant des trois unités non accidentées de la centrale, arrêtées avant 2000. Environ 22000 assemblages y sont entreposés. Au bout de 22 ans ou plus, la chaleur qu’ils dégagent a beaucoup diminué, mais s’ils avaient été touchés par un obus, les rejets de radioactivité auraient été très dangereux. Heureusement, en l’absence de combats sur place, il n’y eut pas de rejets radioactifs, mais on a eu peur !
L’entreposage cependant présente beaucoup d’intérêt. En France, il permet de refroidir les déchets de haute activité pour permettre leur stockage ultérieur. Mais il ne saurait être éternel. Rappelons à ce propos le mot de Bernard Tissot, premier Président de la Commission Nationale d’Évaluation, « à trop se prolonger, le meilleur des entreposages devient le pire des stockages ».
4.3. Le stockage en formation géologique profonde
Le stockage en formation géologique profonde est l’option retenue par la France (Lire : Le stockage des déchets nucléaires). Il s’agit d’éviter tout contact avec la radioactivité des déchets sur de très longues durées, pratiquement jusqu’à sa disparition.
Il consiste à stocker définitivement les déchets à grande profondeur, loin des intrusions humaines et des aléas naturels sur plusieurs centaines de milliers d’années (permafrost, érosion des sols, chute de météorite…), dans des couches géologiques stables. Il s’agit d’éviter que les espèces radioactives qui subsisteront à très long terme puissent migrer dans l’environnement.
La matière vitreuse qui piège les atomes radioactifs des colis de déchets de haute activité n’est pas éternelle. Quand, dégradée, elle ne pourra plus remplir ce rôle (au bout d’une dizaine de milliers d’années) ; on demande à la couche géologique qui héberge le site de stockage de prendre le relais. Il s’agira alors d’empêcher la migration des ultimes atomes radioactifs survivants, comme certains actinides mineurs à très longue durée de vie.
Les recherches ont abouti au choix d’un milieu de stockage, puis d’un site. La France a choisi une couche argileuse vieille de 160 millions d’années, à 500 mètres de profondeur, à l’est du Bassin-Parisien. Pourquoi ce choix ? Le seul agent naturel à même de ramener en surface un peu de matière est la circulation d’eau. Or l’argile est imperméable. Les couches d’argilite dites du Callovo-Oxfordien où serait installé le centre de stockage proviennent de sédiments marins aujourd’hui vieux de ces 160 millions d’années. Des études y ont montré des traces d’eau salée qui n’avaient pas bougé depuis leur création. Un tel milieu, interdirait la migration des ultimes atomes radioactifs.
Sur le site choisi à Bure à la limite de la Meuse et de la Haute-Marne, un laboratoire a été créé, dont les recherches ont été à l’origine du projet Cigéo (Centre industriel de stockage géologique). L’installation des déchets MAVL pourra se faire dès la fin de la construction. Par contre, pour les déchets de Haute-Activité, il faudra attendre qu’ils aient été refroidis suffisamment lors d’un entreposage, pour limiter leur température à moins de 100°C pour ne pas trop chauffer et dégrader la couche argileuse.
Le fonctionnement d’un site comme Cigéo (figure 3) est envisagé sur une centaine d’années. Cigéo sera réversible durant cette phase de remplissage, afin qu’il soit possible notamment d’adapter le stockage aux évolutions technologiques ou au changement de politique énergétique. Sur une échéance aussi longue, les colis de déchets évolueront sans doute, par exemple du fait des progrès à venir sur la séparation et la transmutation.
Une fois fermée, les concepteurs du projet ont prévu d’en assurer la préservation de la mémoire à travers des dispositifs comme des marqueurs de surface. Néanmoins, de par sa conception reposant sur la géologie, Cigéo permet de confiner la radioactivité sur le très long terme, le temps qu’elle décroisse, même si l’installation est oubliée ou que nos civilisations disparaissent, ce qui aura toutes les chances d’arriver à de telles échéances de temps …
Figure 3. Le projet de Centre industriel de stockage géologique – Coupe 3D du projet Cigéo
Quelques images d’illustration :
Pour en savoir plus
- Les déchets nucléaires : une approche globale, par Jean-Paul Bouttes https://www.fondapol.org/etude/les-dechets-nucleaires-une-approche-globale-4
- Un long article de l’Andra pour comprendre le sujet en infographie https://www.andra.fr/dechets-radioactifs-fini-les-idees-recues
- Une sélection des vidéos réalisées par des youtubers, médias et autres institutions externes à l’Andra sur le sujet de la gestion des déchets radioactifs : https://www.andra.fr/comprendre-la-gestion-des-dechets-radioactifs-en-videos