Dans la cadre d’une transition vers des systèmes énergétiques moins carbonée, l’énergie hydraulique occupe la première place parce qu’elle est renouvelable, flexible, stockable et pilotable. Mais toutes ces qualités n’ont-elles aucun revers ? L’identification des impacts environnementaux et sociétaux de l’hydroélectricité permet d’en prévenir certains et d’en atténuer d’autres.
Avec une part de l’ordre de 60 % de la production d’électricité d’origine renouvelable au niveau mondial, l’hydroélectricité est la première des sources renouvelables d’électricité. Elle est également considérée comme une énergie propre dans la mesure où son exploitation ne produit aucun déchet. Pourtant, plusieurs projets ont fait, ou font encore, l’objet de vives critiques. En effet, comme toute activité humaine, l’hydroélectricité n’est pas sans impacts sur l’environnement et les populations riveraines.
La grande diversité des aménagements hydroélectriques (Lire : Hydroélectricité : diversité et spécificités) entraîne une très grande variabilité en nature et en ampleur des impacts sociétaux et environnementaux. La grande majorité d’entre eux sont liées au changement de régime hydrologique du cours d’eau, tant en amont (création de la retenue) qu’en aval (programmes de débit liés aux impératifs de production). Plus le régime hydrologique est modifié par l’aménagement et son exploitation et plus les impacts environnementaux sont importants. Il importe donc qu’ils soient recensés et évalués au plus tôt lors des phases d’identification et de définition des nouveaux projets afin que la pertinence du projet soit confirmée et que les conséquences négatives en soient minimisées ou compensées.
1. Les phases du cycle de vie d’une installation
L’analyse du caractère propre et renouvelable d’un mode de production d’électricité doit être menée sur l’ensemble du cycle de vie des installations. Ce dernier comporte trois grandes phases : la construction des installations, leur exploitation qui est la période au cours de laquelle les installations produisent de l’électricité et, enfin, leur démantèlement.
Pour l’hydroélectricité, comme pour toutes les autres filières de production d’électricité, les phases de construction et de démantèlement ne peuvent pas être considérées comme propres et renouvelables. Parfois très gourmande en béton ou en matériaux (enrochements, sable, argiles, entre autres) et constituée de gros équipements (groupes turbines alternateurs, vannes, ou équipements de contrôle-commande), la construction des ouvrages nécessite de mobiliser des ressources naturelles qui ne seront pas nécessairement rendues à la nature, même en cas de démantèlement des installations. Même si, désormais, des normes sévères encadrent les chantiers de construction afin d’éviter le rejet d’effluents polluants lors de la construction, les grands volumes d’énergie requis, notamment par les transports de matériel et les engins de chantier, sont à l’origine de rejets polluants.
En cas de démantèlement d’une installation, les mêmes effets peuvent être attendus, mais ils sont atténués par la longue durée de vie des installations hydrauliques. Même après un siècle de fonctionnement, certains démantèlements ne sont toujours pas envisagés. Lorsqu’ils le sont, c’est le plus souvent,
- soit à l’occasion de travaux de modernisation, parfois pour en diminuer certains effets négatifs sur l’environnement, ou en améliorer la productivité (Lire : La réhabilitation des centrales hydroélectriques) ;
- soit dans le cadre de la restauration de la continuité écologique d’un cours d’eau, comme sur certains affluents de la Columbia River aux États-Unis ou, en France, sur les barrages de Vézins et la Roche qui boit sur la Sélune (travaux en cours), de Maisons Rouges sur la Vienne, de Saint-Etienne du Vigan sur l’Allier ou de Kernansquillec sur le Léguer.
Ces travaux, même s’ils ne représentent qu’une très faible part dans le cycle de vie d’ouvrages importants, ont évidemment, à leur échelle, des impacts similaires en termes de rejets ou d’utilisation de ressources non renouvelables.
En phase d’exploitation, une installation hydroélectrique en bon état de maintenance, peut être considérée comme propre et renouvelable dans la mesure où elle ne consomme aucune ressource naturelle et ne produit aucun rejet polluant. Sont cependant possibles ceux liés à des incidents de fonctionnement, principalement rejets de produits pétroliers suite à des fuites accidentelles d’huiles ou de graisses, ou ceux imputables à la perte de graisses utilisées pour la lubrification des organes de manœuvres des vannes de barrage. Aujourd’hui, les rejets accidentels sont supprimés par l’utilisation de technologies ne nécessitant pas de tels produits : turbines Kaplan équipées de roue avec moyeu sans huile, paliers hydrostatiques et matériaux autolubrifiants ; graisses biodégradables utilisées pour la lubrification des organes de manœuvre des vannes de barrage.
Au total, l’hydroélectricité peut être comparée aux autres filières de production d’électricité à l’aide des critères retenus par le Centre inter-universitaire de recherche sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG) de Polytechnique Montréal [1], à savoir :
- destruction de la couche d’ozone par quantification des émissions de substances appauvrissant la couche d’ozone ;
- acidification par quantification des rejets de substances contribuant à l’acidification des sols, des eaux souterraines ou de surface, des écosystèmes et des organismes ;
- eutrophisation par quantification des rejets de matières azotées ou phosphatées contribuant à l’accélération du phénomène naturel d’eutrophisation ;
- toxicité humaine par quantification des rejets de substances ayant des effets toxiques sur l’environnement humain ;
- oxydation photochimique par quantification des substances néfastes pour la santé humaine, les écosystèmes et les cultures ;
- extraction des ressources minérales par quantification des ressources minérales consommées ;
- utilisation d’énergies fossiles.
Sur la base des valeurs moyennes observée, moyennant une grande variabilité pour certaines filières, l’hydroélectricité
- occupe la première place au regard des critères 1 (effet quasi nul), 2 (effet quasi nul), 3 (effet quasi nul en moyenne mais grande variabilité selon les projets), 5 (effet quasi nul),
- et la seconde pour les autres, avec des effets très faibles.
2. Les émissions de gaz à effet de serre (GES)
Depuis le milieu des années 1990, la question des émissions de GES liées aux grandes retenues alimente des controverses sur le bien-fondé du développement de l’hydroélectricité dans la lutte contre le changement climatique.
Les étapes de construction des aménagements hydroélectriques et de leur éventuel démantèlement, sont émettrices de GES : fabrication du béton, réalisation d’ouvrages souterrains par tunnelier[2], utilisation d’engins mus par des moteurs thermiques, entre autres. Ces émissions restent toutefois marginales compte tenu de la durée de vie des installations.
En phase d’exploitation, l’hydroélectricité a longtemps été considérée comme n’émettant pas de GES, mais, à partir des années 1990, des études menées au Canada puis aux États-Unis et au Brésil ont montré que les grands réservoirs pouvaient être émetteurs. Depuis, les enjeux liés au réchauffement climatique ont suscité de nombreuses études visant à évaluer les émissions de GES des milieux naturels (forêts, rivières ou lacs) et des réservoirs artificiels, sous différentes latitudes.
Qu’elles soient issues de retenues destinées à la production d’électricité ou à d’autres usages tels que l’irrigation ou la gestion des crues, les émissions de GES doivent être évaluées en valeurs nettes, c’est à dire en différentiel par rapport à la situation avant création de la retenue. En l’état actuel des connaissances, on peut retenir que :
- le bilan net de GES des écosystèmes naturels varie dans des proportions considérables selon le type de milieu mais également en fonction de la période du cycle végétatif (croissance, maturité, décomposition) et des perturbations climatiques ; pour être significatif, un bilan devrait prendre en compte une période longue, de l’ordre du siècle, selon certaines recommandations ;
- même si la répartition du carbone entre le sol et la végétation varie selon la latitude, et s’il peut arriver qu’elles soient à certains moments émettrices de GES, les forêts restent globalement des puits de carbone, qu’elles soient situées en région boréale ou tropicale ;
- les lacs naturels et les rivières sont globalement des sources de GES[3]; leurs émissions sont fonction des apports du bassin versant (et donc de sa caractérisation: nature des sols, couverture végétale), de la profondeur, du taux d’oxygénation, du vivant qu’ils abritent (bactéries, plancton). Les émissions sont généralement plus élevées en milieu tropical.
Les réservoirs artificiels anciens sont similaires, en fonctionnement et en bilan, aux lacs naturels (Figure 1). En revanche, au cours des premières années suivant la mise en eau d’un réservoir, la submersion de la végétation et des sols conduit à des émissions élevées de méthane[4]. Dans les régions boréales, on constate que ces émissions supplémentaires diminuent graduellement au cours du temps et qu’à partir d’une dizaine d’année, le réservoir se comporte comme un lac naturel. Dans les régions tropicales, ces émissions peuvent perdurer sur de plus longues périodes.
Comme pour les lacs naturels, les émissions d’un réservoir seront d’autant plus importantes que la surface inondée sera grande et la profondeur faible, une profondeur importante favorisant l’oxydation du méthane lors de sa remontée vers la surface. Les émissions se partagent entre émissions à la surface du réservoir et en aval par dégazage des eaux turbinées, prélevées en profondeur, donc avec des taux de méthane élevés.
D’une étude à l’autre, les résultats sont extrêmement variables car les émissions de GES sont spécifiques à chaque projet : pour les centrales d’Hydro Québec, elles sont de 6 g éq.CO2/kWh (fil de l’eau) et 17 g éq. CO2/kWh (réservoirs)[5]. Dans le cas d’aménagements aux caractéristiques particulièrement défavorables (grande surface inondée relativement à la puissance installée, faible profondeur, zone tropicale, mise en eau récente), les valeurs brutes sont similaires, voire supérieures, aux émissions de centrales thermiques[6]. En revanche, certains aménagements en zone tropicale apparaissent comme des puits de carbone[7] : en moyenne, par comparaison avec d’autres moyens de production, l’hydroélectricité génère très peu de GES. Au total (Figure 2), une comparaison des émissions comparées des différents modes de production existants ou en développement, sur leur cycle de vie et en valeur brute (sans déduction des émissions avant aménagement), est très favorable à l’hydroélectricité[8].
La complexité des phénomènes biochimiques et physiques en jeu et la grande variabilité des émissions en fonction de nombreux paramètres ne permettent pas, actuellement, de modéliser de manière fiable le fonctionnement d’un aménagement du point de vue des émissions de GES. La détermination des émissions nettes d’un aménagement reste donc incertaine. Pour autant, la conception d’un aménagement en région tropicale devra systématiquement viser à minimiser la surface inondée. Du moins jusqu’à la disponibilité de technologies de collecte du méthane des réservoirs tropicaux proposées[9]. Utilisé comme combustible de centrales à gaz, le méthane collecté permettrait de réduire l’impact du réservoir sur le climat et de générer une production supplémentaire d’électricité, évaluée entre 15 et 55 % selon les aménagements étudiés.
3. Le transit sédimentaire
Un cours d’eau, ce n’est pas seulement de l’eau qui s’écoule, ce sont aussi des matériaux solides : sable, sédiments, cailloux, entre autres, ce que l’on appelle le transport solide ou transit sédimentaire. En fonction principalement de la vitesse d’écoulement de la rivière et de la granulométrie des matériaux, on distingue :
- le transport par charriage qui concerne les matériaux les plus lourds, qui roulent sur le fond, à une vitesse inférieure à la vitesse d’écoulement,
- du transport par suspension qui concerne les matériaux les plus légers qui sont transportés en suspension à la vitesse du courant.
Un cours d’eau à l’état naturel résulte d’un équilibre entre matériaux transportés et matériaux déposés, équilibre évoluant au fil des saisons selon les variations de débit du cours d’eau. La construction d’un ouvrage dans le lit du cours d’eau perturbe cet équilibre. En effet, la modification des sections d’écoulement et donc des vitesses d’écoulement, entraîne une modification du transit sédimentaire. Dans le cas d’un barrage avec création d’une retenue, le transit sédimentaire est totalement interrompu, entraînant des conséquences multiples.
3.1. Conséquences en amont
À l’amont du barrage, la vitesse d’écoulement diminue progressivement depuis l’extrémité amont de la retenue jusqu’à l’amont immédiat du barrage, point où la vitesse peut être considérée comme nulle. On observe donc un dépôt des matériaux les plus grossiers en amont du réservoir, puis des matériaux de plus en plus fins vers le barrage (Figure 3).
Cette accumulation de matériaux a pour conséquences :
- La diminution de la capacité utile du réservoir réduisant progressivement la capacité de modulation de la production d’électricité et, le cas échéant, la capacité utile des autres usages tels que l’irrigation ou l’écrêtage de crue ;
- le relèvement des lignes d’eau en amont, en particulier lors des épisodes de crue, pouvant entraîner l’inondation de régions normalement non affectées par la crue ;
- à terme, lorsque l’accumulation atteint le niveau des prises d’eau, l’entraînement de fortes concentration de sédiments conduisant à une érosion importante des ouvrages d’amenée (galeries, conduites forcées) et des turbines ; à ce stade, les fortes concentrations rejetées dans le cours aval peuvent avoir des conséquences néfastes à la survie de la faune aquatique ;
- le stockage de substances toxiques (polluants issus du bassin versant) dans les sédiments, lesquels peuvent être relargués lors d’opération de chasse ou de vidange.
3.2. Conséquences en aval
En raison du blocage des sédiments dans la retenue, on observe en aval un déficit de matériaux qui se traduit par le creusement du lit du cours d’eau pouvant s’accompagner d’une érosion des rives. Dans les cas les plus graves, le déficit de sédiments transportés se fait sentir jusqu’à l’embouchure du fleuve et se traduit par une érosion du littoral (régression du trait de côte).
La modification du régime hydrologique, qu’influence la gestion du réservoir, joue également un rôle sur l’équilibre morphologique du cours d’eau conduisant généralement à un appauvrissement, une uniformisation des milieux et à un impact sur la biodiversité.
3.3. Cas des aménagements en dérivation
Dans le cas particulier des aménagements en dérivation, le tronçon court-circuité, du fait de la réduction de débit, perd sa capacité d’entrainement des sédiments apportés par les affluents, conduisant à la formation de cônes de déjection dans le lit du cours d’eau. Lors des épisodes de crue, ces cônes de déjection font obstruction à l’écoulement de la crue, ce qui entraîne des risques accrus d’inondations en amont.
3.4. Continuité sédimentaire
Afin d’éviter les conséquences négatives des ouvrages sur le transit sédimentaire, plusieurs mesures doivent être considérées, d’une part lors de la conception de l’aménagement, d’autre part tout au long de l’exploitation, avec pour objectif d’assurer le transit sédimentaire d’une manière respectueuse de l’environnement.
Les études préliminaires à l’aménagement d’un cours d’eau pour la production d’électricité doivent comporter un volet hydro-morphologique visant à déterminer le volume d’apport, les zones de production de sédiments et à caractériser leurs modes de transport afin d’en tenir compte dans la localisation et la capacité des futures retenues. Au niveau de chaque aménagement, des ouvrages doivent être prévus afin de permettre le transit sédimentaire : bassins de décantation avec ouvrages de chasses et de dérivation, vannes à différentes hauteurs de la retenue permettant la réalisation de chasses contrôlées, notamment.
Par la suite, l’exploitation devra tenir compte des périodes d’apport en sédiments (périodes de crue sur le cours d’eau aménagé où sur ses affluents) et s’adapter de façon continue afin de retenir le moins possible les sédiments. Les volumes accumulés dans les retenues peuvent être évacués régulièrement par des chasses (Figure 4), éventuellement complétées par des dragages. Dans tous les cas, ces opérations doivent faire l’objet d’un suivi environnemental afin de respecter des concentrations acceptables pour la faune et éviter le relargage de sédiments pollués. Une vision économique à long terme est généralement cohérente avec la préservation de l’environnement.
4. Les effets géologiques et hydrogéologiques
La création de retenues et de canaux de dérivation ou la modification du niveau des cours d’eau ne sont pas sans effets sur le niveau des nappes phréatiques. Lorsque ces derniers deviennent gênants par assèchement de puits ou, au contraire, inondation par relèvement de la nappe, des dispositions sont prises afin de contrecarrer ces conséquences : réalisation de contre canaux ou stations de relevage pour réalimentation de la nappe.
Certains séismes pourraient avoir pour origine la création d’une importante retenue[10]. De nombreux microséismes ont été bien identifiés, mais l’exemple le plus frappant serait le séisme de 2008 dans le Sichuan (Chine), de magnitude 7,9, causé par la retenue du barrage Zipingpu. Si une micoséismicité avait effectivement été bien reconnue après le remplissage, la relation de cause à effet pour le séisme majeur reste discutée car la retenue pourrait aussi n’avoir été qu’un effet accélérateur d’un séisme qui se serait produit même sans la retenue.
5. Les conséquences sur la faune
La construction des aménagements n’est pas sans effets sur la faune, tant au cours de la construction que durant son exploitation.
5.1. Lors de la mise en eau de la retenue
Lors de la mise en eau des grandes retenues, la submersion progressive des terres crée des ilots progressivement submergés, entraînant la noyade des espèces animales qui s’y retrouvent piégées. Dès les années 1960, des opérations de sauvetage d’animaux, de plus ou moins grande ampleur, ont été organisées lors de la mise en eau des retenues, avec plus ou moins de succès. La capacité à survivre au bouleversement de leur territoire varie selon les espèces, la remise en liberté des individus récupérés pouvant créer localement, et au moins temporairement, un phénomène de déséquilibre des espèces.
Dans la mesure où le suivi de ces opérations et des individus délocalisés au cours des années qui ont suivi la mise en eau n’a pas toujours été suffisant, l’intérêt de ces opérations est toujours discuté, mais elles sont souvent l’occasion d’un enrichissement considérable des connaissances scientifiques et de découvertes d’espèces nouvelles. La meilleure option de préservation de la faune reste cependant la limitation des surfaces inondées.
Sur la faune piscicole, les effets de la construction du barrage sont d’une grande variabilité en fonction de nombreux paramètres : existence d’espèces endémiques, d’espèces migratoires, régime hydrologique du cours d’eau, caractéristiques de la retenue et type d’exploitation, entre autres. La modification du régime hydrologique avec la création d’une retenue en lieu et place d’un fleuve libre et courant conduit nécessairement à une modification des espèces représentées, aussi bien en amont (dans la retenue et en amont de celle-ci) qu’en aval et, généralement, à une diminution de la biodiversité.
5.2. En exploitation
La gestion de l’aménagement induit, en aval, des variations de débit différentes du régime hydrologique naturel. Si ces variations de débit ne sont pas maîtrisées, elles peuvent avoir des conséquences négatives telles que la destruction de frayères par augmentation rapide du débit en période de reproduction ou le piégeage d’individus lors de baisse de débit.
Une gestion respectueuse de l’environnement doit s’appuyer sur des consignes d’exploitation établies à partir du résultat d’études environnementales spécifiques au site. Elles doivent tenir compte de l’ensemble des espèces présentes, de la morphologie du cours d’eau et de son contexte environnemental, et permettre de définir, pour chaque période de l’année, les valeurs de débit minimum et maximum ainsi que les gradients de débit autorisés en aval des aménagements et les valeurs de débit minimum à assurer dans les tronçons court-circuités.
Dans tous les cas, le débit en aval doit impérativement respecter une valeur de débit minimum. Il en est de même dans les tronçons court-circuités des aménagements en dérivation. Ce débit minimum, dit aussi débit réservé, ou débit écologique, doit respecter les valeurs éventuellement imposées par la législation[11] mais il devrait idéalement résulter d’une étude de débit minimum biologique permettant de définir, pour chaque période de l’année, une valeur minimale de débit à respecter.
5.3. Continuité piscicole
Il existe environ 120 espèces de poissons migrateurs : espèces holobiotiques dont les zones de reproduction et les zones de croissance dans le cours d’eau sont distinctes et séparées ; espèces amphibiotiques dont les espèces potamotoques ou anadromes, vivant en mer mais se reproduisant en eau douce, ce qui est le cas des saumons ; espèces thalassotoques ou catadromes, vivant en rivière mais se reproduisant en mer, ce que font les anguilles.
Tout obstacle à la migration entraîne une baisse considérable des populations amphibiotiques et le confinement des espèces holobiotiques dans des portions réduites des cours d’eau. Le blocage à la montaison des poissons est résolu par l’installation de dispositifs de montaison : passes à poissons (Figure 5), écluses ou ascenseurs à poissons (Figure 6), capture et transfert par nasses. Ces dispositifs peuvent être équipés de dispositifs de visualisation et comptage permettant d’en contrôler leur efficacité.
Au blocage à la migration s’ajoute la mortalité dans les turbines lors de la dévalaison. Cette mortalité est, globalement, d’autant plus importante que l’on a affaire à des turbines de haute chute. Les turbines Pelton, dans lesquelles la mortalité est de 100 % ne posent toutefois pas de problème car elles sont, en principe, installées sur des cours d’eau n’abritant pas d’espèces migratrices. La mortalité dans les turbines Francis et Kaplan est très variable selon les espèces et en fonction de paramètres tels que la taille des turbines, leur vitesse de rotation, le tracé du conduit hydraulique et de ses organes tels qu’avant-directrices, directrices ou roue. Dans le cas des aménagements en cascade, cette mortalité s’additionne à chaque site, pouvant conduire à des taux élevés (Figure 7).
Cette mortalité est une préoccupation ancienne mais plus récemment de nombreuses études ont permis de mieux comprendre les phénomènes en cause et aux constructeurs d’améliorer la conception des turbines afin de réduire la mortalité. Si ces évolutions vont dans le sens d’une augmentation des coûts, elles sont souvent cohérentes avec une amélioration des performances : augmentation des rendements et diminution de la cavitation.
Dans certains cas, on évite le passage des poissons dans les turbines au moyen de grilles dirigeant les poissons vers une galerie collectrice et un canal de dévalaison (Figure 8).
6. Les conséquences sur la flore
La mise en eau de la retenue peut conduire à la disparition d’espèces protégées ou endémiques, la submersion de la végétation entraînant sa décomposition et le dégagement de méthane[12]. À l’inverse, dans certaines régions arides, la création de la retenue peut conduire à la création d’oasis utiles à la faune.
Dans certains cas, une végétation aquatique nouvelle peut se développer, ce qui est le cas de la jacinthe d’eau en région tropicale ou des roseaux en régions tempérées. Peuvent aussi proliférer de façon anarchique différentes variétés d’algues. Cette prolifération de végétaux aquatiques a des conséquences négatives telles qu’une dégradation des habitats pour la plupart des espèces aquatiques, la prolifération d’insectes propagateurs de maladies, une gêne pour la navigation ou la pêche ou l’obstruction des grilles de prise d’eau. Le développement de ce type de végétation représente une contrainte forte pour l’exploitation : enlèvement par moyens mécaniques, confinement par dromes.
7. Les impacts sociétaux
Directement, ou indirectement à travers leurs impacts environnementaux, les aménagements hydroélectriques affectent aussi les activités humaines de façon négative ou positive.
7.1. Déplacements de population
Ils représentent la conséquence la plus violemment ressentie. La limitation des zones inondées permet de limiter les déplacements de population et les relogements doivent s’effectuer en concertation avec les populations concernées. Les projets doivent éviter de toucher le territoire de populations autochtones dont le déplacement signifierait la perte définitive d’une civilisation, d’un mode de vie, d’une richesse culturelle unique (Lire : L’aménagement de Sélingué au Mali).
7.2. Modifications des modes de vie
De nombreuses activités humaines liées au cours d’eau représentent souvent un moyen essentiel de subsistances des populations riveraines : pêche, irrigation, navigation. La construction de l’aménagement peut ainsi conduire à une perte de revenus pour ces populations ainsi qu’à une modification importante de leur mode de vie, ce qu’il importe d’évaluer afin de les compenser en totalité.
La création de grandes retenues peut également supprimer des voies de communication telles que routes ou réseau ferré, qui non remplacées, apportent des contraintes supplémentaires aux populations riveraines. Inversement, la construction du barrage peut créer un nouveau moyen de franchir le cours d’eau.
Dans de nombreux cas, la construction des grands barrages nécessite la mobilisation de nombreux travailleurs, plusieurs milliers pour les ouvrages les plus importants, non disponibles localement. La présence, même temporaire, de ces populations, dont une grande partie célibataire, perturbe parfois définitivement la vie des populations locales (Lire : L’impact de l’hydroélectricité en Beaufortain).
La création d’une grande retenue peut générer des phénomènes climatiques locaux, en particuliers des brouillards ou des pluies.
Les zones d’eaux stagnantes, dans les régions tropicales, peuvent également stimuler, localement, la prolifération d’insectes propagateurs de maladies telles que le paludisme. Elles peuvent aussi favoriser l’émergence de maladies telles que la dysenterie ou le choléra. Des mesures de prévention et d’information des populations doivent permettre d’éviter ce type de conséquences.
7.3. Autres effets
De nombreux aménagements hydroélectriques sont en réalité des aménagements dits « à buts multiples », soit qu’ils aient été conçus comme tels dès l’origine, soit que leur présence ait permis d’autres usages que la production électrique. Leurs usages ne se limitent donc pas à la production d’électricité. Ils servent aussi à :
- l’écrêtage des crues : la capacité de la retenue permet de stocker temporairement le volume d’eau du pic de crue pour le relâcher progressivement une fois le maximum de débit passé ;
- le soutien d’étiage qui permet d’assurer un débit minimal dans le cours d’eau afin de préserver les milieux aquatiques et la qualité des eaux, éventuellement d’autres usages tels que la navigation, les loisirs ou les usages agricoles ;
- la navigation, les barrages permettant de régulariser le débit du cours d’eau et de maintenir des lignes d’eau qui assurent un tirant d’eau suffisant tout au long de l’année, ainsi que des vitesses compatibles avec la navigation ;
- une réserve d’eau pour des usages agricoles, industriels ou d’approvisionnement en eau potable.
Plus précisément, de nombreuses retenues permettent de développer des activités touristiques et de loisir nautique, apportant une activité économique nouvelle parfois bienvenue dans certaines régions (Figure 9).
- Toutes ces activités peuvent être affectées, positivement ou négativement, par d’autres conséquences d’un aménagement, sous la forme,
d’une perte de valeur patrimoniale de sites naturels, archéologiques, historiques ou religieux ; - d’une modification importante du paysage, notamment dans le cas aménagements hydroélectriques de basse chute, associés à la mise en navigabilité des cours d’eau, alors que les ouvrages (galeries d’adduction, conduites forcées, centrales hydroélectriques) des aménagements de haute chute sont souvent entièrement souterrains et totalement invisibles de l’extérieur.
En conclusion
L’hydroélectricité possède encore un potentiel de développement important dans le monde, en particulier en Asie et en Afrique. Par son caractère renouvelable, ses faibles émissions de GES et ses atouts techniques en matière de flexibilité et de stockage d’énergie, elle représente un moyen essentiel de décarbonisation de la production d’électricité et d’accompagnement du développement des énergies renouvelables intermittentes, incontournables de la lutte contre le changement climatique. C’est pourquoi il est indispensable de développer notre connaissance des conséquences environnementales des projets afin permettre de réaliser des aménagements respectueux de l’environnement.
C’est en tout premier lieu le choix du site d’implantation d’un aménagement hydroélectrique qui est déterminant pour obtenir ce caractère de respect de l’environnement et de compatibilité avec les objectifs de réduction de GES. Un choix judicieux du site associé à des mesures de suppression, réduction, compensation des effets permettra d’aboutir à un projet respectueux de l’environnement et socialement acceptable. Aucune mesure de compensation ne pourra rendre acceptable un projet construit sur un site résultant d’un choix inadéquat.
La réduction de la surface inondée est également un facteur important dans la limitation des conséquences négatives, de même que le choix d’un mode d’exploitation adapté qui doit minimiser les conséquences en aval de l’aménagement (Figure 10).
Des méthodologies d’évaluation des impacts ont été développées afin d’évaluer les projets aux différents stades de leur développement[13].
Bibliographie
[1] :Peteuil Christophe (2018). Sustainable management of sediment fluxes in the Rhône river cascade. Hydrolink 4/2018.
[2] : Ramos F. et al. (2009). Methane stocks in tropical hydropower reservoirs as a potential energy source.
[3] :Chanudet V. et al. (2011). Gross CO2 and CH4 emissions from the Nam Ngum and Nam Leuk sub-tropical reservoirs in Lao PDR. Science of the Total Environment, 409 (24), 5382-5391. ISSN 0048-9697
[4] :Mendonça R., Barros N., Vidal L., Pacheco F., Kosten S. and Roland F. (2012). Greenhouse Gas Emissions from Hydroelectric Reservoirs: What Knowledge Do We Have and What is Lacking ? in : Greenhouse Gases – Emission, Measurement and Management, Dr Guoxiang Liu (Ed.)p. 55-78. ISBN: 978- 953-51-0323-3.
[5] :Level Y., Richard P. (2011). Petite centrale hydroélectrique de Rochemaure : valorisation du débit réservé et franchissement piscicole. La Houille Blanche n°6, p. 17-21. Consultable ici :http://wikhydro.developpement-durable.gouv.fr/index.php/Petite_centrale_hydroélectrique_de_Rochemaure_:_valorisation_du_débit_réservé_et_franchissement_piscicole
Références
[2] Le projet européen Eco-Drilling vise à réduire de 50 % les émissions de GES de ce type de travaux.
[3] Borges A. et al. (2015). Globally significant greenhouse-gas emissions from African inland waters.
[4] Une déforestation préalable n’est a priori pas une bonne solution. Au-delà du critère économique, les moyens à mettre en œuvre sont eux-mêmes de forts émetteurs de GES et la durée d’une telle opération n’éviterait pas la repousse de nombreux végétaux avant submersion.
[5] Étude du CIRAIG citée plus haut.
[6] Kemenes A., Forsberg B., Melack J. (2007). Methane release below a tropical hydroelectric dam. Geophysical research letters, vol.34.
[7] Chanudet V., Descloux S., Harby A., Sundt H., Hansen B. H., Brakstad O., Serca D., GuérinFrédéric. (2011). Gross CO2 and CH4 emissions from the Nam Ngum and Nam Leuk sub-tropical reservoirs in Lao PDR. Science of the Total Environment, 409 (24), 5382-5391. ISSN 0048-9697
[8] Source : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)
[9] Ramos F. et al. (2009). Methane stocks in tropical hydropower reservoirs as a potential energy source.
[10] http://www.planseisme.fr/-Dossier-Quand-l-Homme-fait-trembler-la-Terre-.html
[11] En France, la loi sur l’hydroélectricité de 1919 introduit déjà cette notion de débit réservé. En 2020, la loi no 2006-1772 du 30 décembre 2006 (dite LEMA : loi sur l’eau et les milieux aquatiques) définit les règles de fixation de ce débit.
[12] Point traité plus haut en 2.
[13] https://www.hydropower.org/gres,
https://www.hydropower.org/topics/featured/hydropower-sustainability-assessment-protocol
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