De l’énergie pour l’Afrique non raccordée au réseau : solutions

De l’énergie pour l’Afrique non raccordée au réseau : solutions

L’accès aux formes d’énergie modernes des populations péri-urbaines et rurales passe par le développement de deux filières : celle des combustibles, à partir notamment d’une biomasse performante et celle de l’électrification hors sentiers battus, donc en appui sur des techniques et des modalités d’organisation renouvelées.


Au départ, la lutte contre la déforestation (Lire : De l’énergie pour l’Afrique non raccordée au réseau : diagnostic) a motivé des actions concernant la biomasse. Puis, on a vu se développer des stratégies d’économie d’énergie et de promotion des énergies de substitution. En parallèle, des programmes d’équipements électriques à base d’énergies renouvelables ont également été développés, en misant principalement sur l’énergie solaire photovoltaïque.

Il y a donc lieu de distinguer deux filières d’approvisionnement énergétique qui, certes, peuvent concerner les mêmes populations mais qui relèvent de deux sphères d’activités bien distinctes, tant pour les usagers que pour les professionnels du secteur :

l’énergie de la biomasse et autres combustibles, principalement pour satisfaire les besoins domestiques (comme la cuisine) ainsi que l’artisanat (restauration, transformation de produits alimentaires) et la petite industrie (utilisant fours et chaudières à bois) ;

l’électrification, en réponse à une demande croissante pour l’éclairage, la télévision et la téléphonie – médiocrement satisfaite par des batteries ou des piles qui se révèlent très onéreuses, ramenées au coût unitaire du kWh – ainsi que pour la motorisation de faible puissance.

 

1. La biomasse et les combustibles

Trois stratégies complémentaires ont été déployées pour mieux équilibrer l’offre et la demande :

– gérer l’offre en accroissant la production de bois de feu et en valorisant les résidus agricoles excédentaires ;

– économiser la matière ligneuse, au niveau de sa combustion dans des foyers améliorés et de sa transformation pour la production de charbon de bois ;

– diminuer la demande par une promotion des énergies de substitution (GPL en particulier, briquettes végétales).

Ces trois composantes gagnent à s’intégrer dans une démarche globale.

1.1. La gestion et l’accroissement de la production de bois de feu, en améliorant son exploitation

Les forêts naturelles représentent la première source d’approvisionnement pour les combustibles ligneux. Compte tenu des volumes mobilisés, du chiffre d’affaires de la filière, de l’enjeu économique pour les collectivités locales et de l’impact du déboisement sur l’environnement, de nombreux programmes forestiers ont été mis en œuvre, dès les années 1970 :

– les opérations de reboisement, le plus souvent avec des essences à croissance rapide, ont rencontré de sérieuses difficultés chaque fois que les populations locales n’étaient pas associées (problème du code forestier et du statut foncier des terres) et ne suffisent pas à compenser les pertes liées au déboisement anarchique ;

– les aménagements des formations naturelles, dans le cadre d’une gestion contrôlée en concertation étroite avec les collectivités locales, ont donné de bien meilleurs résultats.

Des marchés ruraux du bois se sont organisés en s’appuyant sur un ensemble de mesures appropriées, développées à partir d’expériences conduites notamment au Niger et au Mali : contrôle du trafic routier à l’entrée des villes, taxation différentielle selon la provenance et reversement d’une quote-part de la taxe aux communes rurales. Dans le cadre du processus de décentralisation en cours, les projets de gestion de terroirs, notamment dans le Sud-Mali en liaison avec les interventions de la société cotonnière dans cette région, ont contribué à la définition d’un cadre institutionnel, à la formation des élus et de gestionnaires et à la mise en place de systèmes financiers (caisses paysannes et fonds d’investissements, entre autres). Ces approches globales offrent des perspectives prometteuses dans la mesure où elles parviennent à associer les partenaires impliqués à différents niveaux : ministères de l’Agriculture et de l’Énergie, collectivités locales, professionnels du secteur et bailleurs de fonds (Figure 1).

Fig. 1 : Maîtriser la gestion forestière. Source : Journal de Brazza

1.2. Les mesures d’économie de biomasse

Les programmes de diffusion de foyers améliorés n’ont pas atteint les objectifs sans doute trop ambitieux qu’ils s’étaient fixés, pour diverses raisons.

– En fait d’économie, il faut distinguer entre les performances mesurées en laboratoire (25 à 40% d’économie) et les économies constatées dans les familles (de l’ordre de 10 à 20 %) car le fourneau n’est qu’un des éléments d’une gestion plus efficace du combustible : un foyer amélioré mal utilisé n’économise que peu de combustible voire pas du tout (Figure 2).

– Les motivations des ménagères ne sont pas dictées par le seul impératif de l’économie. D’autres facteurs comptent également : d’abord la commodité d’utilisation mais aussi la qualité du design. Or, les foyers proposés sont certes peu coûteux mais aussi peu attrayants. Le prix du bois et du charbon de bois n’a pas flambé comme prévu et la part du combustible dans le budget des ménages n’est pas toujours aussi élevée qu’on le pensait. Au Burundi, il suffisait de 7 à 9 Francs burundiens (Fbu) pour préparer 1 kg de haricots valant 75 Fbu (après 2h 30 de cuisson !), soit environ 10% du coût de revient total du plat. Et en utilisant massivement des casseroles en aluminium à fond plat, adoptées spontanément sans l’appui d’aucun projet, les ménagères réalisent déjà de réelles économies.

-L’intérêt des circuits commerciaux ne coïncide pas toujours avec celui des ménagères ni avec celui des pouvoirs publics dont les campagnes de sensibilisation, assez peu convaincantes, s’accompagnent parfois de mesures impopulaires.

Fig. 2 : Les foyers améliorés. Source : VOA Afrique

1.3. Les sources d’énergie de substitution

L’utilisation du gaz butane, encouragée dès les années 1970, a connu un nouvel essor en 1990 avec le Programme régional gaz (PRG) financé par l’Union Européenne dans huit pays sahéliens. Sa promotion s’est appuyée sur la diminution du prix du gaz par le biais de subventions et de détaxations, sur l’amélioration des réseaux de distribution, sur la mise au point de réchauds adaptés et sur des mesures incitatives dictées par une politique volontariste.

Ce programme de butanisation s’était fixé pour objectif de faire passer la consommation de gaz dans ces 8 pays sahéliens de 27 000 t en 1987 à 92 000 t en 1995[1],  ce qui devait permettre d’économiser 673 000 t de bois. Les résultats les plus spectaculaires ont bien été enregistrés au Sénégal où le GPL est devenu le principal combustible à Dakar : 67% des ménages dakarois étaient équipés d’un réchaud à gaz en 1987, leur proportion atteignait 90% en 1997 et 76% d’entre eux utilisaient le gaz comme combustible principal. Sa progression n’a pas été aussi importante dans les autres pays. Il semblerait même que son utilisation stagne voire régresse dans certains cas, pour diverses raisons dont la principale est la baisse de pouvoir d’achat liée à la conjoncture. Et à partir du moment où le prix du gaz n’est plus subventionné, le charbon devient plus avantageux que le butane dans nombre de localités.

Le débat soulevé par la butanisation porte donc essentiellement sur le bien-fondé de la subvention, soit 7 milliards de Francs CFA au Sénégal pour la seule année 1996 et un montant cumulé de 42 milliards sur la période 1987-1998, d’où la suppression de cette subvention en 2009 en raison de son poids trop élevé. Mais il porte aussi sur le coût en devises des importations d’hydrocarbures, sur la dépendance de l’approvisionnement, pour les pays non-producteurs de pétrole, ainsi que sur ses impacts sur le changement climatique. Ce coût est à mettre en rapport avec les avantages attendus, par ailleurs, d’une amélioration des conditions de vie et de l’adoption du gaz butane, mieux adapté à l’habitat urbain.

Le pétrole lampant ou kérosène, surtout répandu en Afrique de l’Est (Kenya, Soudan), n’a guère trouvé preneur dans les autres pays africains malgré la mise sur le marché de fourneaux adaptés et même fabriqués sur place. La raison principale en est sans doute qu’il ne se démarque pas suffisamment du charbon de bois en termes de propreté, de commodité et de coût. Sa promotion n’a pas non plus bénéficié d’un soutien comparable à celui du gaz.

La densification de résidus végétaux sous forme de briquettes semblait prometteuse, compte tenu du potentiel énergétique considérable que représentent les déchets agricoles. Sachant qu’un hectare de mil produit 1 à 3 tonnes de tiges, on a estimé que les 6,4 millions de tonnes de tiges de mil et de sorgho produites au Niger « suffiraient en théorie à satisfaire l’intégralité des besoins en énergie du pays ». Divers projets de valorisation des résidus agricoles (coques d’arachides, balles de riz, bagasse, pailles, tiges de coton, etc.) auront permis de mettre au point puis de tester un large éventail de matériels, de techniques et de stratégies de diffusion[2].

En dépit de progrès, la promotion des briquettes demeure cependant freinée par deux difficultés :

– l’agglomération des particules de résidus requiert l’apport d’une certaine quantité de chaleur ou l’adjonction d’un liant ; à ce coût peut s’ajouter celui d’un traitement préalable (broyage) voire d’une collecte quand ces déchets ne sont pas déjà concentrés sur un site, d’où un coût à prendre en compte dans l’économie de la filière ;

– la briquette présente certains inconvénients à l’usage : un pouvoir calorifique inférieur à celui du bois et une combustion plus difficile qui génère plus de fumées et de cendres, sans parler des risques de délitage dus à l’humidité ou aux chocs pendant le transport.

Malgré ces handicaps, les briquettes conservent leur intérêt pour certaines clientèles : les cantines, l’artisanat et la petite industrie pour un usage en four ou en chaudière quand l’approvisionnement peut s’effectuer à partir d’unités de briquetage associées à des sites agro-industriels où les déchets sont disponibles en abondance, voire coûteux à évacuer. La valorisation énergétique de la biomasse résiduelle excédentaire (déchets non récupérables par l’agriculture) mérite donc d’être relancée pour économiser les combustibles fossiles (Figure 3).

Fig. 3 : Briquettes végétales au Cameroun. Source : Agriculture au Cameroun

En résumé, la plupart des actions visant à économiser ou à substituer durablement le bois de feu se heurtent à une difficulté majeure : le bois de feu est exploité sur un mode minier qui n’assure pas son renouvellement. Le prix de vente du bois n’inclut ni le coût d’un reboisement ni même celui d’une gestion raisonnée du domaine forestier. Or, toute amélioration des équipements, qu’il s’agisse d’un foyer ou d’un four à carbonisation plus performants, s’accompagne fatalement d’un surcoût,  au moins pour l’investissement initial : on ne peut pas faire moins cher qu’un foyer « 3 pierres » en plein air ! Et compte tenu de la situation, les pouvoirs publics peuvent difficilement imposer une hausse sensible du prix d’un combustible aussi populaire que le bois.

 

2. L’accès à l’électricité : l’électrification rurale centralisée et décentralisée

Dans nombre de pays africains, une extension du réseau électrique n’étant plus envisageable à moyen terme, des solutions alternatives ont été recherchées, en faisant notamment appel à l’énergie solaire photovoltaïque, en particulier pour le pompage de l’eau. De 1990 à 1998, en s’inspirant du travail de l’ONG Mali Aqua Viva, le Programme régional solaire (PRS) financé par l’Union Européenne a ainsi implanté, dans les neuf  pays membres du Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS), quelques 600 installations de pompage et systèmes d’électrification communautaire (écoles et centres de santé), soit une puissance totale de 1 380 kWc pour un coût global de 34 milliards de Francs CFA.

En parallèle, de 1990 à 2000, divers projets ont commencé par une diffusion de kits solaires individuels avant d’envisager, à plus grande échelle, le développement d’une électrification rurale décentralisée. Plusieurs solutions techniques, avec leurs systèmes de gestion,  ont ainsi été testées pour doter les villages de générateurs photovoltaïques ou de mini-réseaux de distribution à partir d’un groupe électrogène. Mais on mesure aujourd’hui les lacunes dont pâtissent la plupart de ces installations : une extension insuffisante pour assurer la viabilité de l’exploitation, des dispositifs contractuels et des montages financiers qui ne garantissent pas le renouvellement des équipements sans une aide extérieure (Lire : L’électrification rurale de l’Afrique Sub-saharienne).

2.1. L’électricité accessible pour tous

L’électrification consiste à mettre à disposition des usagers un système de production/distribution de l’électricité, assorti de modalités d’accès et de règles de fonctionnement, adaptées aux trois  principaux types de zones concernées dans les pays en développement (PED) :

– les zones urbaines connectées au réseau électrique national ;

– les zones suburbaines, qui regroupent les centres secondaires et bourgs non connectés, certains étant dotés de centrales diesel, fonctionnant de manière plus ou moins satisfaisante ;

– les zones rurales proprement dites où les villages et l’habitat dispersé regroupent l’essentiel de la population dans la majorité des pays africains.

Trois modes d’électrification sont aujourd’hui utilisés :

l’extension du réseau interconnecté, qui permet de distribuer l’électricité produite par des centrales de puissance et qui bénéficie d’une péréquation nationale dans la plupart des pays ;

 la distribution par un réseau local, alimenté par une  centrale isolée : le service peut être aligné sur celui du réseau interconnecté, et dans ce cas déficitaire, ou différencié avec un tarif plus élevé et un niveau de service plus limité ;

Les kits solaires individuels dont les modules photovoltaïques sont associés à des batteries ; deux  modes de distribution sont envisageables : distribution d’un service électrique, le service étant facturé selon le niveau d’équipement et payé à échéances régulières, avec un service après vente (SAV) plus ou moins structuré ou distribution d’un bien d’équipement durable,  l’équipement étant payé comptant ou à crédit.

Pour électrifier les populations et zones non raccordées, les plans d’investissement peuvent se structurer autour de ces trois modes.

L’électrification des zones périurbaines, via la densification/renforcement du réseau existant et son extension, qui nécessite une politique de branchements adaptée. La rentabilité économique est assurée sous réserve que la population solvable soit suffisamment dense.

L’électrification des centres secondaires et bourgs non raccordables au réseau principal, en faisant évoluer le système centrale/réseau local. Il s’agit de limiter l’usage du carburant fossile trop cher et les solutions hybrides intégrant du renouvelable (éolien, solaire) ou valorisant, dans certaines zones, la biomasse ou la petite hydroélectricité sont maintenant compétitives.

L’électrification individuelle pour les villages et l’habitat hors réseau, principalement par kits photovoltaïques. L’équipement individuel de familles capables d’acquérir des kits solaires connait  un début de diffusion dans certains pays, sans toutefois excéder quelques pour cent (%). Des délégations de gestion à des entreprises intervenant sur un territoire ont également été développées (Figure 4).

Dans la mise en œuvre de ces différentes solutions, on peut souligner que :

–  la distance du site à électrifier par rapport au réseau, actuel ou programmé, et la densité de la demande sont déterminantes pour le choix du mode d’électrification ;

–  le réseau interconnecté, modèle dominant et le seul actuellement véritablement structuré, impose ses règles (tarifs, niveau de service) ; il sert de référence et son extension vient progressivement se substituer aux réseaux locaux et aux solutions individuelles ;

– les deux dernières configurations s’inscrivent dans des modes d’équipement décentralisés encore très peu développés ; elles gagnent à s’intégrer dans des plans d’électrification globale, en recherchant des complémentarités et des péréquations entre les modes d’électrification centralisée et décentralisée (Lire : L’hydraulique villageoise dans les pays en développement).

Fig. 4 : Des systèmes différenciés à faire "co-habiter"

2.2. Comment développer une électrification globale ?

La haute valeur d’usage de l’électricité pour des applications en passe de s’universaliser telles que radio, télévision, téléphonie ou éclairage permet d’envisager l’extension de l’électrification des zones rurales en partant d’une meilleure compréhension de ses coûts/bénéfices et en s’appuyant sur le développement de techniques appropriées, avec ou sans réseau, en fonction de la densité de l’habitat et du niveau des consommations.

L’électrification rurale représente un double défi pour les États, pour les banquiers et pour les opérateurs intéressés : (i) comment mobiliser la ressource financière au regard des critères bancaires en vigueur ? (ii) comment répartir les risques entre les parties pour les rendre acceptables ?

La question du financement peut se résoudre en combinant plusieurs ressources :

– en faisant jouer une péréquation entre ceux qui bénéficient de l’électricité et ceux qui veulent y accéder ;

– en négociant des prêts concessionnels de long terme octroyés à des entités assurant une gestion patrimoniale des immobilisations (réseaux et modules photovoltaïques) ;

– en demandant aux bénéficiaires une contribution initiale significative, en proportion des avantages obtenus ;

– en pratiquant des tarifs adaptés, assortis de dispositifs de recouvrement rigoureux.

Quant aux risques encourus, l’expérience recommande les principes d’allocation suivants :

– risques financiers : ils sont principalement assumés par des entités publiques ad hoc et par les banques de développement ;

– risques commerciaux et d’exploitation : par les opérateurs privés ;

– risques de rupture d’abonnement : par les usagers (à travers une caution incluse dans la contribution initiale).

Une expérience probante a été conduite au Maroc avec l’appui de l’Agence française de développement (AFD), du Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM) et d’autres bailleurs de fonds[3]. Dans ce pays où le taux d’électrification rurale n’était que de 18 % en 1995, le Programme d’électrification rurale global (PERG) mis en œuvre par l’Office national de l’électricité (ONE), a fait passer ce taux à 95% en 2007, en développant le réseau sur une base économique et en le complétant par une électrification solaire décentralisée (soit 7% des familles et 20% des villages). Cette électrification décentralisée fait l’objet d’une délégation de service qui mobilise des opérateurs privés en leur laissant le soin de prospecter la clientèle, d’installer les équipements, de collecter les redevances et d’assurer l’exploitation sur une période de 10 ans. Les opérateurs ont mis en place des structures de gestion performantes qui se caractérisent par leur proximité : les agences implantées localement assurent une présence régulière dans les souks avoisinants (Figure 5).

Fig. 5 : L'électrification solaire décentralisée au Maroc. Source : Bladi.net

Dans le domaine de l’électricité, la leçon des échecs rencontrés a été retenue et on observe une évolution sensible dans les approches en matière de fourniture d’énergie : on est passé d’une logique de vente d’un équipement à une logique de paiement pour un service rendu, dont les modalités d’application restent en débat. Ce service doit garantir la pérennité du fonctionnement mais aussi intégrer des facilités, notamment financières, pour permettre au plus grand nombre d’y accéder.

On retrouve ici l’opposition déjà soulignée entre les deux composantes de la fourniture d’énergie aux ménages : d’un côté la biomasse  sous-tarifée, encore disponible et donc peu économisée, et de l’autre, l’électricité, fort coûteuse et manquante. Le défi à relever s’articule donc autour d’un véritable paradoxe, s’agissant de populations qui d’une part exploitent la biomasse sur une base non durable mais qui, d’autre part, paient leur énergie beaucoup plus cher que les abonnés au réseau  et ce pour chaque kWh ou chaque thermie que consomme leur équipement actuel à base de piles et de pétrole lampant. D’où l’argument financier utilisable pour promouvoir le changement, en s’appuyant sur la motivation pécuniaire : les améliorations réelles de leurs conditions de vie, sont ajustables en fonction des ressources des ménages et des contraintes d’investissement des pays.

In fine, l’électrification globale des pays africains passe par une politique d’arbitrage conciliant des contraintes techniques, financières et sociales fortes :

– au plan technique, il y a lieu d’articuler la couverture du territoire par le réseau avec le développement de l’électrification sous ses diverses formes, mini-réseaux et kits individuels ;

– au plan social et politique, il s’agit d’imposer des arbitrages financièrement acceptables, notamment par le biais de la fiscalité, de la régulation et de la tarification,  qui prennent en compte tous les éléments du coût de revient de l’énergie, les intérêts économiques des filières et les revenus dont disposent les ménages, soit une tâche particulièrement ardue, dans les pays les plus pauvres, sans le soutien d’apports extérieurs.

 

3. Conclusion

Quelques principes de base s’appliquent pareillement à ces deux domaines, par ailleurs bien différents, que sont d’une part  la fourniture de combustibles domestiques, qui pose question surtout dans les grandes agglomérations urbaines, d’autre part l’électrification en milieu rural et suburbain.

Dans les deux cas, un diagnostic initial approfondi permet de quantifier l’offre existante, les demandes, les ressources financières mobilisables et les principales contraintes de mise en œuvre.

Des plans d’action à l’échelle du pays, biomasse/combustible d’une part, électrification rurale/suburbaine d’autre part, tenant compte des diversités régionales, peuvent alors être élaborés et négociés avec les différentes parties après hiérarchisation des priorités.

Leur mise en œuvre nécessite de s’inscrire dans la durée, une à deux décennies, qui excède celle des mandats politiques ou administratifs.

Il s’agit finalement d’apprécier convenablement l’importance de cette population non raccordée et de la considérer comme prioritaire en raison de son poids, de sa dynamique dans la société et de son impact sur l’environnement. On pourrait même soutenir que ce n’est pas cette population qui vit en marge du réseau mais que les réseaux conventionnels ne desservent qu’une frange de la société. Or, jusqu’à présent, elle n’a bénéficié que de mesures ponctuelles et palliatives, non coordonnées, soumises aux aléas d’initiatives internationales dont les discours généreux ne sont pas toujours suivis d’effets : les financements et les moyens humains ne sont pas à la hauteur des besoins.

Comment concevoir une stratégie opérationnelle pour fournir de l’énergie à cette population à un prix qui soit abordable et sur une base durable ? Tirons d’abord tous les enseignements des expériences les plus probantes dans le domaine des combustibles domestiques et de l’électrification rurale décentralisée, deux domaines où la réflexion a progressé sur les conditions de pérennité des services, de leur accessibilité et de leur viabilité d’exploitation. À partir de ces acquis pourront se développer de véritables programmes de Biomasse/Énergie domestique et d’Électrification globale susceptibles d’une adhésion politique pour étendre la fourniture d’énergie à une population  en forte croissance dont l’évolution conditionne le futur des pays et l’équilibre de la planète.

    Annexe : Énergie de la biomasse, ratios et ordre de grandeur

 

 

L’actualisation ci-dessous provient de Baudoin de Petitville (2022). Transition énergétique : le secteur extractif mauritanien à l’assaut des énergies vertes. La Tribune, 7 octobre 2022.

Au cours des dernières années, plusieurs expériences illustrent les réponses possibles à la question « comment développer l’électrification
globale » qui conclut l’article publié en 2015. Parmi elles, l’essor du solaire et de l’éolien en Mauritanie qui pourrait devenir « le fleuron des
énergies renouvelables de l’Afrique de l’Ouest » grâce :
– à son potentiel d’ensoleillement de 2 000 à 2 300 kWh/m2/an qui produirait 458 GW d’énergie solaire,
– et ses conditions de vent très favorables en zones côtières, soit 9m/s à Nouadhibou, qui autoriseraient 47 GW d’énergie éolienne.

Ces perspectives sont intégrées dans le Programme Prioritaire Elargi du Président doté d’une enveloppe de 24 162 millions de MRU
(628 160€) tout en faisant appel à plusieurs firmes étrangères pour développer les énergies renouvelables.

Au-delà de ce qu’a déjà construit l’entreprise nationale SNIM, à savoir le parc éolien de Nouadhibou (4,4 MWh) et la centrale solaire de
Zouerate (3 MWh), sont à l’étude :
– deux très grands projets de production d’hydrogène vert : AMAN par l’australien CWP ; NOUR par le français TOTAL EREN et le
britannique CHARIOT ;
– la production d’électricité solaire par le canadien KINROSS sur le site de Tasiast, soit 34 MWh (20% de la consommation nationale
d’électricité).


Notes et références

[1] Dont pour le Sénégal , 60.000 t de butane  et  450.000 t  d’économie de bois escomptée.

[2] Louvel Roland (1990). La densification des résidus végétaux. Fiche technique ABF. Bois de feu et Energie, 26, Juin.

[3] Butin V., de Gromard C. – L’Electrification rurale globale – L’expérience marocaine.


L’Encyclopédie de l’Énergie est publiée par l’Association des Encyclopédies de l’Environnement et de l’Énergie (www.a3e.fr), contractuellement liée à l’université Grenoble Alpes et à Grenoble INP, et parrainée par l’Académie des sciences.

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