L’extraction à grande échelle depuis les années 2000 des huiles de schistes a bouleversé le marché pétrolier mondial. Comment s’est-il formé et où le trouve-t-on ? Quels sont les gisements accessibles par fracturation hydraulique ? Comment est-il extrait et que peut-on faire pour protéger son environnement ?
Au lendemain des chocs pétroliers des années 1970, la perspective récurrente d’un prochain épuisement du stock en terre des hydrocarbures est redevenue d’actualité, notamment sous la plume des défenseurs de la thèse du peak oil. Les choses ont évolué différemment avec la mise en exploitation de gisements moins conventionnels (Lire : Géologie et géodynamique des hydrocarbures), dont les gaz de schistes (Lire : Le gaz de schiste et La formation du gaz de schiste et son extraction) et les pétroles de schistes.
1. La formation du pétrole ou huile de schistes
Parallèlement à la production du gaz de schistes par fracturation hydraulique, en effet, s’est développée celle du pétrole de schistes provenant de formations peu perméables dans lesquelles les hydrocarbures sont encore proches de l’endroit où ils ont été initialement générés c’est-à-dire bien souvent, mais pas exclusivement, dans des roches-mères que les pétroliers appellent des oil shales. Il est parfois assez difficile de séparer ce ce pétrole au sens strict ou « huile de schistes » de celui obtenu par fracturation de mauvais réservoirs (tight oil). La difficulté est d’autant plus grande que la fracturation hydraulique est de plus en plus utilisée pour améliorer la productivité des puits forés sur les gisements conventionnels. On utilisera donc l’appellation de tight oil, au sens large, pour l’ensemble de ces ressources récupérables par fracturation, comme le fait maintenant l’administration américaine.
Typiquement, les sédiments riches en matière organique d’origine marine se sont déposés en milieu réducteur et peu profond. Les bassins et plateformes intra ou péricontinentales (États-Unis, Canada, Sahara) ou les marges passives des continents sont des lieux d’accumulation préférentielle. La répartition verticale des oil shales dans l’échelle stratigraphique est très large, comme celle des gas shales puisque généralement ce sont les mêmes formations riches en matière organique qui donnent, selon leur histoire géologique, soit l’une soit l’autre de ces deux types d’hydrocarbures soit encore l’un et l’autre dans des proportions variables. Les oil shales contenant du pétrole sont généralement situées à moindre profondeur ou ont été moins enfouies dans le passé que les gaz shales d’où le moindre niveau d’évolution de leur matière organique. On constate donc dans les grands bassins sédimentaires l’existence de régions à gaz et de régions à huile. Les oil shales et les autres roches-mères soumises à ce processus thermique ne relâchent qu’une fraction de l’huile produite, le reste restant piégé faute de perméabilité ou en raison des effets capillaires dans les micropores et ne pourra être extrait que par fracturation hydraulique. Cette dernière technique a permis de transformer des bassins peu productifs ou considérés auparavant comme épuisés, en eldorados pétroliers. Il en est ainsi de la Bakken Formation du bassin de Williston, dans le Dakota du Nord, de l’Eagle Ford Formation au Texas et plus récemment de la Niobrara Formation dans le nord-est du Colorado.
1.1. Rappel sur la génération thermique des hydrocarbures liquides
Deux facteurs agissent sur la matière organique enfouie dans les sédiments que l’on appelle kérogène: la température qui croit en moyenne de un degré Celsius tous les 33 m et la pression qui augmente avec le poids des roches sus-jacentes. Les oil shales, dont les « schistes carton » du Toarcien du Bassin Parisien sont un bon exemple, sont des sédiments argileux de teneur variées en carbonate et éléments siliceux contenant des quantités exceptionnelles de matière organique (de 3 à 12 % de carbone organique total ou COT). Elles sont considérées comme les premiers fournisseurs d’hydrocarbures d’où leur nom courant de roches-mères. Les amas de molécules complexes qui forment le kérogène, subissent d’abord une dégradation biogénique qui génère du méthane. Puis avec l’enfouissement croissant on voit se former des molécules plus légères qui forment des hydrocarbures liquides. À partir d’une température d’environ 150°C les molécules de pétrole commencent à se dissocier (cracking naturel) et donnent d’abord des gaz dit humides (hydrocarbures saturés gazeux dits alcanes, comme l’éthane, le butane ou le propane, de formule CnH2n+2) qui condensent facilement et ont une grande valeur commerciale. L’huile de schistes associée à ces gaz humides est un pétrole léger qui bénéficie de prix plus élevés. Finalement, on ne trouve plus que du méthane qui reste stable jusqu’à des profondeurs d’enfouissement pouvant atteindre 10.000 m mais qui varient en fonction de l’intensité du flux géothermique (Figure 1).
Dans les bassins sédimentaires on peut définir pour chaque grande formation des zones à huile et des zones à gaz et bien sûr des zones mixtes. Un enfouissement plus important, la proximité de chaînes de montagne (Appalaches, Rocheuses) et l’activité volcanique pouvant accélérer le processus.
1.2. Où se trouve l’huile dans la roche ?
Il existe généralement une fracturation naturelle donnant des fissures ouvertes perpendiculaires à la direction de contrainte tectonique minimum. Ces fissures sont le plus souvent de faible extension. Il peut exister plusieurs directions de fracturation si l’histoire géologique est compliquée. Cette fracturation peut être étudiée dans les forages, à l’affleurement sur le terrain et, de plus en plus, en trois dimensions, par la géophysique. Les fractures ouvertes constituent la porosité en grand qui délivrera ses hydrocarbures très rapidement. Elle dépend de l’aptitude de la roche à se fracturer qui augmente avec son induration, celle-ci étant fonction de son histoire géologique et aussi de la proportion de carbonates ou de silice.
L’extraction par fracturation hydraulique du pétrole contenu dans les oil shales ou dans les formations carbonatées ou argilo-sableuses riches en matière organique est facilitée par la présence de gaz humides sous haute pression (Figures 2 et 3). Les formations qui ont montré le plus de potentiel ne sont pas des formations argileuses pures mais des formations carbonatées fracturables ou comprenant des niveaux plus ou moins perméables non connectées comme de fines intercalations sableuses. Il existe aussi ce que l’on appelle les tight-reservoirs qui ne sont pas des roches-mères mais des réservoirs peu perméables où le pétrole a migré mais ne peut être extrait économiquement par les procédés conventionnels. Notons que l’on assiste aussi à la reprise d’anciens gisements abandonnés où les sondages horizontaux et la fracturation permettent de retirer encore des quantités substantielles d’hydrocarbures que les méthodes précédemment utilisées n’avaient pas permis d’extraire.
2. Géographie du pétrole accessible par fracturation dans le monde
Alors que les gisements d’hydrocarbures conventionnels sont ponctuels, ce qui rend leur recherche difficile et coûteuse, les formations riches en matière organique s’étendent sur des milliers de km2 et un forage les traversera à coup sûr. Bien que l’inventaire ne soit pas encore exhaustif on voit déjà que de nombreux pays sont concernés sur tous les continents, même si c’est surtout aux États-Unis que ces ressources sont exploitées à grande échelle (Figure 4). Les périodes géologiques favorables sont celles qui ont vu de grandes plateformes péricontinentales envahies par des mers peu profondes plus ou moins fermées. Actuellement si des phénomènes géologiques et océanographiques comparables se produisent, c’est à une échelle très limitée.
Les grands pays pétroliers renferment certainement d’immenses réserves compte tenu de leur richesse en roches-mères du pétrole. C’est le cas du Sahara algérien qui possède trois niveaux d’oil shales potentiels capables d’avoir produit et de contenir encore des quantités très importantes de pétrole et de gaz. L’Arabie saoudite est dans le même cas. Dans ces deux pays, la présence de grands gisements conventionnels rend peu probable avant longtemps le recours aux oil shales ou aux réservoirs de médiocre qualité. Par contre, en Russie, de nombreux gisements, sibériens en particulier, sont déjà exploités par fracturation hydraulique. À l’inverse, aux États-Unis, les bassins du Sud et de l’Ouest-Texas où les grands gisements conventionnels qui ont fait la richesse de cet état sont presque épuisés, on s’attaque maintenant par fracturation aux oil shales qui furent les roches-mères de ces gisements parfois gigantesques et aussi à des réservoirs tight (beaucoup moins perméables), le tout donnant des productions très importantes en particulier à partir du Permien.
2.1. L’huile de schiste en France
La cible la plus évidente est le Bassin Parisien où les formations jurassiques se trouvent dans le créneau « à huile » de l’évolution de la matière organique mais nulle part dans la zone de formation du gaz faute d’un enfouissement suffisant (Figure 5). Il existe d’ailleurs de petits gisements pétroliers conventionnels dans le Jurassique moyen (calcaires du Dogger) et une roche-mère intéressante, dans le Jurassique inférieur (schistes cartons du Toarcien). Le Toarcien et les formations calcaires du Dogger surmontant ce niveau (ces dernières s’apparentant plutôt au type tight oil, au sens strict), seraient sans doute susceptibles de donner des productions très intéressantes si on y appliquait la fracturation hydraulique. Pour l’instant des obstacles de tous genres, administratifs et politiques voire psychologiques, souvent sans justification scientifique rationnelle, empêchent d’effectuer les essais limités de fracturation qui permettraient une première évaluation du potentiel pétrolier de ces formations. On en saurait aussi plus sur d’éventuels problèmes environnementaux et comment leur trouver des solutions acceptables. Une loi récente interdit désormais ces essais.
3. L’extraction de l’huile de schistes
Contrairement à celle des pétroles conventionnels, l’extraction de l’huile de schistes passe par la mise en œuvre de techniques particulières.
3.1. Rappel sur la technique des forages horizontaux
La méthode est pour l’essentiel la même que pour le gaz de schistes. Pour exécuter un forage horizontal, on fore d’abord une section verticale jusqu’à l’objectif, situé généralement entre 1.000 et 3.500 m. Le forage débute habituellement en 22 pouces (56 cm) puis on tube en 18 pouces 5/8 (46,35 cm). On réduit ensuite progressivement les diamètres de forage et de tubage. Pour réaliser le coude correspondant au passage du forage vertical au tunnel horizontal on utilise une turbine articulée placée à l’extrémité du train de tige dont on peut régler l’angle d’inclinaison et l’azimut depuis la surface. Un trépan classique, ou un outil de forage diamanté, est vissé en aval de la turbine. La rotation de la turbine est assurée dans la plupart des cas par la pression de la boue de forage. De nouvelles turbines sont activées électriquement. On utilise aussi encore couramment la méthode classique où le trépan est actionné par le train de tige. Le tunnel qui va rester dans la formation sur environ deux à trois kilomètres sera toujours tubé et dans un diamètre pouvant se réduire à 3 pouces ½ (9 cm).
3.2. Préparation du puits en vue de la fracturation hydraulique
En principe pour fracturer un volume de roche en profondeur il faut exercer sur cette roche par l’intermédiaire d’un fluide que l’on injectera, une pression supérieure à la pression lithostatique (poids des roches sus-jacentes par unité de surface). La pression nécessaire de l’ordre de 500 bars est fournie par de puissantes pompes connectées au puits à laquelle s’ajoute la pression hydrostatique exercée par la colonne de fluide de forage ou de fracturation. Il doit aussi tenir compte de la pression des fluides interstitiels (gaz et eau de formation), souvent en surpression. Enfin il existe toujours un champ de contraintes paléo-tectoniques qui jouent un rôle dans la quantité et l’orientation des fractures existantes ou obtenues par fracturation hydraulique (Figure 5).
Les niveaux susceptibles de produire sont détectés par les capteurs installés dans le train de tiges à l’occasion des premiers puits d’exploration. Le long du train de tiges, le dispositif de fracturation consiste en une succession de manchons perforés d’une longueur de quelques mètres qui serviront à injecter le fluide sous pression. En amont et en aval des manchons sont placés des packers destinés à isoler la zone d’injection du reste du trou. Les packers sont actionnés depuis la surface : ils ont un diamètre initial identique aux manchons et on les gonfle mécaniquement pour les sceller contre les parois de la partie horizontale du trou. Le tubage est perforé au moyen de petites charges creuses au droit des manchons (opération plug and perf) ce qui permettra au fluide injecté sous haute pression de pénétrer dans la roche. Toutes ces opérations sont commandées depuis la surface par des moyens mécaniques (train de tiges), hydrauliques (pression de boue de forage) ou électroniques.
3.3. L’opération de fracturation
Après évacuation des appareils destinés au forage, on installe une tête de puits équipée de vannes connectées aux pompes par des tuyaux souples de haute résistance à la pression (Figures 5 et 6). On peut alors injecter le fluide sous pression soit en une opération unique soit le plus souvent en multistage. Le long du forage horizontal on créera ainsi un cylindre de perméabilité large de 100 à 300 mètres de diamètre. En utilisant d’autres forages on exploitera progressivement tout le volume de la formation cible, le play. Bien entendu, cette fracturation ne doit pas s’étendre jusqu’aux formations réservoirs d’eau potable ni même à aucun réservoir de la série ce qui entrainerait des pertes de fluides. On s’est donc assuré qu’il existe des formations imperméables d’une épaisseur suffisante au dessus de la formation-cible. Ce cas est d’ailleurs le plus souvent réalisé en raison de la profondeur à laquelle on effectue les fracturations hydrauliques (1.000 à 3.500 m).
3.4. Les fluides de fracturation
Quand la pression est exercée, la roche claque donnant des mini-secousses sismiques indécelables par les humains mais qui peuvent être enregistrées par des géophones disposés en surface ou dans des puits voisins. On obtient ainsi une image de la fracturation obtenue. Le fluide de fracturation (de 5 000 à 20 000 m3) est injecté dans les fissures (Figure 7). Ce fluide est composé à 84 % d’eau, 15 % de sable ou microbilles et 0,5 à 1% d’additifs chimiques. Il faut ensuite maintenir ouvertes les fractures en y faisant pénétrer le sable ou les microbilles (le proppant). La consommation de proppant est très variable selon les formations avec une moyenne de 3 000 à 6 000 t par puits. La viscosité du fluide doit permettre leur transport. Parmi les additifs (0,5 % du fluide) figurent donc des composés viscosifiants à base de gomme de guar ou de polymères. Une fois introduits dans les fissures (qui font le plus souvent moins d’un millimètre d’ouverture) ces petits éléments doivent y rester alors que dès que cesse le pompage, le fluide est évacué rapidement vers la surface, poussé par le gaz et l’eau de la formation. En jouant sur les débits on peut faire pénétrer le proppant dans les plus petites fissures.
Au début on utilisait exclusivement du sable mais des produits plus élaborés ont été mis au point en particulier à base de céramique. Les microbilles de céramique ont une résistance beaucoup plus grande à la compression que le sable garantissant ainsi une plus longue durée de vie des fractures. La consommation de proppant varie d’une formation à l’autre ; dans le Dakota (Bakken Formation) elle est beaucoup plus faible qu’au Texas (Eagle Ford Formation) d’une part parce que l’huile est accompagnée de gaz sous haute pression dans la Bakken, d’autre part en raison de la plus grande dimension des fractures dans les niveaux carbonatés de l’Eagle Ford. Pour qu’il reste en place quand le fluide se retire on joue alors sur l’abaissement de la viscosité, en diminuant le pH ou par des agents chimiques ad-hoc appelés breakers.
D’autres agents, en quantités minimes, ont pour but de diminuer les frottements. De l’acide chlorhydrique est utilisé à diverses fins dont le nettoyage des filtres d’injection; cet acide sera rapidement neutralisé par les carbonates toujours présents dans les formations. Il faut aussi éviter le développement de bactéries sur les installations de fond de trou et des agents bactéricides sont injectés dans ce but. Dans la phase initiale, des essais ont été faits avec une multitude d’additifs (Figure 8).
La tendance actuelle est d’en limiter le nombre à une dizaine et de s’efforcer de diminuer la toxicité éventuelle de certains d’entre eux ; ils doivent en outre faire l’objet d’une déclaration. Pour injecter ces fluides avec le débit nécessaire il faut des pompes développant jusqu’à 5.000 CV par puits. Aucune pollution des nappes superficielles par ce procédé n’a été pour l’heure prouvée malgré des millions de fracturations hydrauliques. Des pollutions localisées ont pu advenir par accident non prévisible ou par non respect des procédures dans la partie verticale des puits ou en surface ou encore sur les voies d’accès comme dans toutes les opérations industrielles ou de transport. Il faut en avoir conscience pour les éviter ou en limiter les conséquences et ne jamais sortir du cadre des bonnes pratiques.
3.5. Le dégorgement ou flow-back
Quand on baisse la pression exercée par les pompes, sous la poussée du gaz libéré, de 35 à 70 % des fluides injectés reviennent en surface avec de l’eau de formation qui accompagne généralement le pétrole. Ils sont récupérés dans de grands bassins étanches. On ne peut évidemment pas les rejeter dans les cours d’eau avant une purification suffisante. Des unités de traitement mobiles permettent d’atteindre un niveau satisfaisant aux normes de potabilité mais des traitements relativement simples permettent de les réutiliser pour d’autres injections. Ces précautions expliquent l’extrême rareté des pollutions par effluents enregistrées par des opérations de surface aux Etats-Unis malgré le grand nombre de puits forés. Des composés organométalliques très stables parfois radioactifs sont fréquents dans les shales et peuvent remonter en quantités minimes sans incidence sur la santé avec les fluides d’injection; leur concentration doit néanmoins être surveillée. Une autre solution est l’injection des effluents dans des aquifères profonds contenant des eaux de formation sur-salées s’ils existent à proximité.
3.6. Les fluides accompagnants la production de pétrole
La figure bien connue représentant un gisement de pétrole comme la superposition de trois fluides : en haut le gaz, en dessous le pétrole puis, à la base, l’eau est globalement réaliste. Il s’ensuit que l’exploitation du gaz produit peu d’eau de formation alors que celle du pétrole en produit beaucoup et que la proportion d’eau par rapport au pétrole augmente au fil de la vie du gisement jusqu’à devenir trop importante, auquel cas on arête la production. Le gaz présent dans les gisements conventionnels est produit avec le pétrole. Il sert aussi à augmenter la pression des fluides ce qui permet une exploitation plus complète du champ.
4. Les opérations de production
Au sortir du puits, l’huile se sépare automatiquement du gaz dans un réservoir pour minimiser les fuites dans l’atmosphère. Par la suite le gaz passe dans un condenseur qui restera à demeure pour séparer les condensats de haute valeur. Le pétrole et le gaz de la Bakken au Dakota du Nord sont riches en condensats. Le pétrole est généralement accompagné d’eau qu’il faut séparer de l’huile, en utilisant leur différence de densité, il est ensuite stocké dans des citernes. L’évacuation du pétrole dans les régions non connectées aux raffineries pose un problème de transport. Il est résolu à court terme au Dakota par des nuées de camions et de wagons-citernes. Il existe un projet d’oléoduc mais des obstacles politiques bloquent pour l’instant sa réalisation. La nouvelle orientation de l’administration suite à l’élection de Donald Trump permettra sans doute de réaliser ces oléoducs. Au Texas la présence de nombreux gisements conventionnels fait qu’il existe déjà une infrastructure d’oléoducs et de gazoducs.
4.1. La protection des aquifères d’eau potable
Depuis le début des forages pétroliers au 19ème siècle on a cherché à protéger efficacement les nappes souterraines pour maintenir la potabilité de leurs eaux (Figure 9). Il fallait aussi éviter que les hydrocarbures sous pression se perdent dans les réservoirs recoupés par les sondages et c’est dans ce but que les techniques de tubage et de cimentation furent développées. Lorsque l’on fore la section verticale du puits, celle-ci est au et à mesure de l’avancement du forage parfaitement isolée des terrains traversés, et en particulier des aquifères, par une série de cuvelages ou tubages, de diamètre décroissant, que l’on cimente sous pression dans l’espace annulaire compris entre le tubage et les terrains traversés. La composition du ciment tient compte de la nature de ces terrains. Une fois l’étanchéité latérale du puits assurée, les fuites à partir des niveaux fracturés sont pratiquement impossibles vu la profondeur de ceux-ci et la présence d’épaisses formations écrans qui les surmontent. Il n’existe pour l’instant aucun cas prouvé de fuite dans les aquifères d’eau potable due à la fracturation malgré des centaines de milliers de puits forés. Si malgré tout il s’en produisait une de quelques mètres cubes, on peut facilement démontrer que sa dilution rapide dans un aquifère proche de la surface la rendrait pratiquement sans danger. Il est d’ailleurs toujours possible de réparer un intervalle où la cimentation serait défectueuse.
5. La consommation d’eau, le traitement des effluents et la séismicité induite
La mise en production des oil shales (gaz ou pétrole) consomme de l’eau, entre 10 000 et 22 000 m3 d’eau par puits, essentiellement en phase de forage et de fracturation. Pour des raisons géologiques, il existe cependant de grandes différences entre les bassins et entre les formations. Dans tous les cas on cherche à réduire cette consommation d’eau. Pour relativiser le problème, il faut rappeler que seules la production d’énergie solaire et d’énergie éolienne consomme moins d’eau que la production non conventionnelle d’hydrocarbures dont la consommation reste faible vis-à-vis de celles du nucléaire et des biocarburants. Rappelons aussi que dans un pays comme la France, l’irrigation d’un seul hectare consomme 2300 m3 par an (non recyclés) et que 600.000 hectares de maïs sont irrigués en France consommant près de cent fois plus que la production éventuelle de gaz de schiste ou d’huile de schistes dans notre pays. Dans les régions arides ou très peuplées, il faut néanmoins répartir l’eau entre les parties prenantes : besoins humains, forages pétroliers, élevage et cultures irriguées.
5.1. Eau produite à partir des puits
Si le forage et la fracturation consomment de l’eau, durant la production il s’en produit sous deux formes.
1) L’eau de dégorgement. Elle provient essentiellement de la remontée de l’eau injectée qui dégorge pendant un à 10 jours. Un traitement local peu poussé permet sa réutilisation partielle pour d’autres fracturations (seulement 5 à 10 % sont actuellement réutilisés); il existe des unités mobiles de traitement plus poussé permettant souvent de rejeter de l’eau d’une pureté suffisante dans les cours d’eau après analyse. Le reste est expédié vers des usines de traitement.
2) L’eau de formation. Elle occupe la presque totalité des réservoirs sur toute leur étendue. Elle accompagne la production de pétrole et parfois de gaz pendant toute la vie du puits ; elle peut être de légèrement saumâtre à sur-salée (jusqu’à 150 g par litre). Ces saumures contiennent divers métaux extraits des formations et il est généralement impossible de les traiter économiquement. On cherche donc à les réinjecter telles quelles dans des aquifères profonds contenant des eaux impropres à la consommation s’ils existent à proximité ce qui est souvent le cas. Cette méthode à des limites qui sont dues d’abord aux caractéristiques de ces aquifères. Désormais, il faut également tenir compte de la séismicité induite par ces injections profondes comme on l’a vu dans l’Oklahoma où après de multiples alertes, une faille profonde a été réactivée par des injections provenant surtout de l’industrie pétrolière conventionnelle en faisant des dégâts notables. Nous avons vu plus haut que la fracturation hydraulique peut également créer une très faible séismicité qui n’a encore jamais produit de dommages.
Remarquons enfin que la combustion des hydrocarbures fournit du CO2 et de l’eau sous forme de vapeur qui contribue à alimenter le cycle de l’eau.
6. Aperçu sommaire sur les évolutions techniques
L’industrie pétrolière est caractérisée par une innovation constante résultant des travaux des laboratoires privés ou universitaires toujours en liaison avec les opérateurs. Les grandes sociétés aussi disposent de centres de recherches. Tous les aspects de l’exploration et de la production sont constamment réexaminés en vue d’une meilleure productivité et de la diminution des impacts environnementaux, comme le prouvent les exemples ci-après.
On s’est aperçu assez vite que la productivité des forages avec fracturation hydraulique n’est pas homogène. Comme dans le cas du gaz, il existe des sweet spots où elle est plus élevée, ce qui permet l’exploitation même en cas de baisse des cours. Encore faut-il les délimiter ce qui demande des études géologiques géophysiques et géochimiques poussées ainsi que le développement de nouvelles techniques. Les causes de cette productivité accrue sont diverses : plus forte teneur des sédiments en matière organique, porosité accrue donc plus de pétrole en place, meilleure fracturabilité pouvant se combiner à une fracturation préexistante, pression de gaz ou d’eau supérieure.
La micro-sismique réflexion en 3D joue un rôle croissant dans la détermination des cibles et dans l’évaluation des quantités d’hydrocarbures susceptibles d’être produits. On obtient en effet un volume enveloppe des micro-miroirs créés par la fracturation. On peut aussi délimiter les zones d’accidents importants que l’on souhaite éviter. Le débit des puits, important la première année, diminue ensuite rapidement puis lentement sur quatre à six ans. On cherche d’ailleurs à améliorer cette deuxième phase, en particulier par de nouvelles fracturations. Cette méthode n’a rien à voir avec l’exploitation d’un gisement conventionnel quasiment ponctuel qui peut durer plusieurs dizaines d’années. Il faut la comparer à l’exploitation minière méthodique d’un gisement stratiforme pouvant s’étendre sur des milliers ou des dizaines de milliers de kilomètres carrés. C’est un nouveau métier qui semblait avant la crise actuelle, convenir aux sociétés de taille petite ou moyenne plutôt qu’aux grands groupes. On extrait de 15 à 25 % des hydrocarbures contenus dans la formation ce qui laisse de la marge pour des progrès futurs.
Actuellement, il est courant de grouper jusqu’à 6 à 10 sondages et parfois plus à partir du même site (sondages en grappe) ce qui diminue considérablement l’emprise au sol. Une telle grappe permet d’exploiter de 300 à 1.000 hectares ce qui rend les sites assez distants pour ne pas causer de grandes perturbations dans le paysage durant forage et fracturation. La perturbation finale ou modification permanente visible en surface est minime puisqu’elle consiste en la tête de puits et ses vannes, un condenseur des gaz humides, des citernes pour le pétrole extrait et les eaux de formation et la voie d’accès. Elle atteint 1 % sur un des comtés les plus productifs dans la Marcellus Formation. C’est beaucoup et peu à la fois. Des sondages horizontaux plus longs permettront de diminuer encore cette emprise. Actuellement, les records de longueur atteints pour la partie horizontale d’un forage sont de 12 km. C’est le cas du développement par Rosneft selon la technologie d’Exxon-Mobil, d’un gisement conventionnel au large de l’île de Sakhaline. Un champ de recherche quasiment illimité s’ouvre aussi pour l’amélioration des techniques de fracturation, tant sur le proppant que sur les fluides par exemple en utilisant du gaz propane ou d’autres fluides ; mais la fracturation hydraulique devrait rester pour longtemps la plus économique et la mieux maîtrisée.
Reste la question du CO2, liée à l‘attribution à l’homme de l’essentiel du réchauffement climatique actuel,. Elle sous-tend les oppositions farouches à la fracturation hydraulique beaucoup plus que ses effets propres supposés pervers. Si l’on ne peut échapper au fait que la consommation de produits carbonés produit nécessairement du CO2, le gaz naturel et le pétrole ne sont pas toujours les plus mal placés des combustibles surtout si on rapporte les émissions à l’énergie rendue disponible. Sa réinjection dans des réservoirs profonds est probablement une des voies les plus intéressantes pour se débarrasser de ce gaz encombrant. Ceci étant dit, il faut reconnaître que la prise de conscience par les politiques et l’opinion d’une certaine urgence climatique influera à terme sur les développements de la production d’hydrocarbures.
7. Aspects économiques
Extraire des huiles de schistes est une chose, le faire à des coûts compétitifs avec leurs concurrents en est une autre.
7.1. Réserves potentielles de tight oil au sens large
L’US Energy Information Administration a donné et continue à donner de nouvelles évaluations, pays par pays, des réserves techniquement récupérables par fracturation (Tableau 1). Ces réserves sont encore non prouvées. Elles permettent de se faire au moins une première une idée des positions respectives des différents pays de la planète sur le plan des réserves potentielles récupérables avec fracturation. Quelques points de comparaison sont utiles pour les interpréter :
– un million de pieds cubiques de gaz est équivalent en énergie produite à 173 barils de pétrole soit 24 tonnes de pétrole (et un trillion de pieds cubiques à 24 millions de tonnes) ;
– le gisement de Lacq (épuisé) a produit 240 milliards de m3, soit 8,4 trillions de pieds cubiques de gaz sec (méthane) entre 1965 et 2013 ; l’Algérie produit 146 millions tonnes de pétrole par an sachant que le baril de pétrole équivaut à 159 litres et qu’ une tonne de pétrole représente 7,2 barils ; la France consomme 100 millions de tonnes de pétrole par an (soit 720 millions de barils) ;
– l’Arabie saoudite produit actuellement 10 à 11 millions de barils par jour ; les États-Unis en 2015 ont produit 8 à 12 millions dont 4,9 millions sont de tight oil, la Russie 10 à 12 également.
Tableau 1 : Réserves techniquement récupérables
Pays | Gaz humide de schistes | Tight oil lato sensu |
Trillions de pieds cubiques | Milliards de barils | |
Amérique du nord et Australie | ||
Canada | 573 | 9 |
Mexique | 545 | 13 |
USA | 622 | 78 |
Australie | 429 | 16 |
Amérique du Sud | ||
Argentine | 801 | 27 |
Brésil | 244 | 5 |
Venezuela | 167 | 13 |
Europe et Russie | ||
Pologne | 145 | 2 |
Russie | 284 | 74 |
Ukraine | 128 | 1 |
France | 137 | 5 |
Afrique | ||
Algérie | 706 | 5,7 |
Egypte | 100 | 4,6 |
Lybie | 121 | 26 |
Tchad | 44 | 16 |
Afrique du Sud | 389 | 0 |
Asie | ||
Chine | 1115 | 32 |
Inde | 96 | 4 |
Pakistan | 105 | 8 |
Kazakhstan | 27 | 10 |
Moyen-Orient | ||
Oman | 48 | 6 |
UAE | 205 | 23 |
Arabie saoudite | Non disponible |
Source : Rapports de l’US. EIA, 2013 et 2015
Ces chiffres ne préjugent pas du caractère réellement économique des réserves. Les réserves récupérables mondiale en tight oil au sens large ont été estimées à un trillion de barils, chiffre mais il est impossible de les connaître avec précision, notamment au regard de leur sensibilité au prix du baril. On peut cependant considérer que l’on sait de mieux en mieux déterminer ces réserves avec l’expérience acquise dans la dernière décennie. Il faudra cependant adapter les techniques de forage et de fracturation aux conditions locales qui peuvent être très différentes de celles rencontrées aux États-Unis.
7.2. Les coûts de production
Le coût d’un forage avec fracturation descendant à 2 500 m puis se continuant sur 1 800 m horizontalement est en moyenne de 2,5 millions d’euros aux États-Unis (3,8 millions d’euros pour un tunnel horizontal de 2. 500 m au Texas) mais il sera beaucoup plus élevé en Europe où les services parapétroliers sont peu développés. Le coût moyen d’extraction du pétrole de schistes aux États-Unis est au voisinage de 50 dollars. Le prix de revient final dépend des conditions géologiques locales mais surtout de la productivité des puits, de la possibilité de les connecter à un réseau d‘oléoducs et enfin du prix de vente du baril de pétrole. Conoco a pu exporter une première cargaison de brut léger de son terminal de Corpus Christi après l’avoir relié par un oléoduc à son shale play de la formation Eagle Ford, après qu’un embargo de 40 ans sur les exportations de brut ait été levé.
7.3. La crise du premier semestre 2015
La production excédentaire de pétrole et le début des exportations de brut léger américain ont entraîné un bouleversement rapide du marché que laissait déjà prévoir la production massive de gaz de schistes. Voyant sa part du marché pétrolier menacée et prévoyant la reprise des exportations iraniennes, l’Arabie saoudite a maintenu sa production dans un contexte de tassement de la demande (Lire Arabia Saudita y la OPEP). Du coup, de janvier à mai 2014 le prix du baril a chuté de 110 à 40 dollars, atteignant parfois les 30 dollars, ces mouvements étant bien sûr accentués par la spéculation. L’exploration ainsi que les investissements de mise en production se sont donc très rapidement arrêtés dans la plupart des États. Les formations Eagle Ford au Sud-Texas et Bakken au Dakota du Nord, plus rentables, et où le prix de revient peut descendre à 40 dollars/baril, concentrent actuellement 60 à 70 % de la production non conventionnelle de pétrole des États-Unis. Néanmoins, la production totale a déclinée plus lentement que prévu car des efforts considérables ont été fait pour tirer un meilleur parti des puits existants et pour diminuer les coûts. L’augmentation du nombre de fracturations le long de la partie horizontale des forages, l’utilisation de plus grandes quantités de proppant et une meilleure gestion de la production permettent déjà de prolonger la période initiale de hauts débits.
Quels que soient les efforts de l’Arabie saoudite et de l’OPEC pour maintenir leur part de marché, la concurrence américaine est désormais là et pourra reprendre dès que les prix remonteront. De nouveaux bassins entrent en production dans le Permien de l’Ouest-Texas et au Colorado où les coûts par baril sont moins élevés. En attendant, ce sont surtout les petites compagnies nées du boom des dix dernières années qui disparaissent et le secteur parapétrolier qui souffre pendant que l’on voit de grands groupes augmenter leurs participations dans les meilleurs plays. Dans le monde les plus grands perdants sont les pays à forte population dont l’économie dépend trop du pétrole comme la Russie, l’Algérie ou le Venezuela, ce dernier désormais plongé en pleine crise. À l’inverse, L’industrie chimique et les propriétaires de véhicules profitent de l’effondrement des cours. De nombreux projets d’investissements sont mis en attente ou revus à la baisse et certains gisements classiques sont mis en veilleuse. L’économie des matières premières énergétiques étant cyclique, tout cela laisse présager un retour à une situation de déficit et une hausse des prix dans l’avenir sans qu’une date puisse être avancée pour ce retournement de situation.
8. Peut-on croire aux prévisions de l’Energy Information Administration ?
Ces prévisions donnent une production potentielle américaine de 9,8 milliards de barils d’huile tight oil au sens large cumulée jusqu’à 2040 (une centaine d’années de consommation française de pétrole) dont 6,3 d’huile de schistes et 3,5 de tight oil, avec une nette décroissance par la suite. Aux yeux de certains, elles sont beaucoup trop optimistes. Ces critiques se fondent principalement sur la décroissance rapide de la production d’un puits de un à deux ans après la fracturation. Il faudrait forer des dizaines de milliers de puits pour la maintenir sur un play donné et on épuiserait assez vite la ressource. Selon ces critiques, bien avant 2040, l’huile de schistes ne jouerait plus un rôle important aux États-Unis dont l’indépendance énergétique nouvellement acquise serait du coup illusoire.
Ces vues pessimistes proviennent surtout de géologues et d’économistes habitués aux gisements et aux évaluations d’hydrocarbures conventionnels. Peu sensibles à la rapidité des évolutions techniques, ils sont très influencés par la crise de 2015 qui touche pourtant l’ensemble de l’industrie pétrolière sauf le raffinage. Il est vrai que tout gisement de matières premières doit s’épuiser un jour mais comme les prédictions précédentes sur la décroissance rapide de la production mondiale d’hydrocarbures, celles concernant le caractère complètement artificiel du boom du pétrole non conventionnel risquent d’être démenties. D’abord par les développements techniques : parmi ceux-ci citons des fracturations plus proches les unes des autres et une connaissance de plus en plus fine de la répartition spatiale de la productivité, ce qui permet une assez grande faculté d’adaptation aux vicissitudes du marché. Un autre facteur spécifique est l’immensité des formations à prospecter. La nécessité de forer des centaines de milliers de nouveaux puits n’est pas un obstacle fondamental même si cela pose toujours des problèmes d’occupation du sol. Nous avons vu que, d’année en années, le rayon d’action des pads de forage s’agrandit et nous ne sommes qu’au début de cette évolution. Le facteur principal reste le prix du baril. Nous vivons actuellement l’expérience de prix très bas incompatibles avec la plupart des investissements pétroliers. Inversement toute remontée des prix augmentera les ressources économiquement exploitables. On peut donc prévoir une longue vie au pétrole de schistes et aux tight oils en général (et a fortiori au gaz de schistes) même si le prix du baril passera sans doute encore par des hauts et des bas qui donneront des sueurs froides aux investisseurs.
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