Pas de transition vers un système énergétique soutenable sans croissance de la part de l’électricité dans le bilan énergétique car elle se révèle, de très loin, le meilleur vecteur des sources d’énergie non carbonées, au premier rang desquelles le solaire et l’éolien qui sont les plus abondantes. Que sait-on de cette croissance ? Pourquoi son rythme diffère-t-il d’un pays à l’autre ?
Depuis la maîtrise du feu jusqu’à l’avènement de l’électricité, l’énergie est devenue au cours de l’histoire de l’humanité un moteur essentiel de son développement. L’électricité-énergie a émergé à la fin du 19ème siècle et s’est progressivement révélée comme une forme idéale d’énergie en ce sens qu’elle peut assurer avec un excellent niveau de qualité la plupart des services énergétiques et qu’elle apparaît de plus en plus comme la forme d’énergie capable de convertir massivement les ressources renouvelables.
Il n’y a guère que dans les transports qu’elle tarde encore à s’imposer car les performances massiques de son stockage restent très en deçà de celle des combustibles. La solution alors utilisée, dans les navires, les trains non électriques, et désormais les automobiles hybrides, consiste à embarquer un combustible à base d’hydrocarbures (fossiles aujourd’hui, d’origine renouvelable demain) puis à produire de l’électricité à bord pour exploiter pleinement les possibilités de l’électricité en termes d’efficacité globale. L’électricité dont il est question dans ce qui suit est donc celle produite stationnairement pour des usages généralement fixes, mais parfois aussi mobiles lorsque l’on charge des batteries électrochimiques pour des « usages déconnectés ».
1. Demande mondiale d’électricité : une comptabilisation délicate
Bien que ses services s’étendent à la santé, l’éducation et la culture, l’électricité ne bénéficie toujours pas à un peu plus de 1 milliards d’êtres humains, restés piégés dans une situation de précarité extrême[1]. En dépit de nombreux programmes d’aide contribuant à réduire la pauvreté énergétique, le problème reste de grande ampleur.
En milliard de tonnes d’équivalent pétrole (Gtep)[2], le bilan énergétique mondial de l’année 2016 (Figure 1) décrit la répartition des ressources primaires consommées (plus de 13,76 Gtep) et de l’énergie finale commercialisée (9,55 Gtep). La différence entre énergie primaire et énergie finale (4,2 Gtep) correspond aux usages non énergétiques du charbon (sidérurgie) et du pétrole (pétrochimie) et aux pertes dues à l’extraction des matières premières énergétiques, à leur transformation en énergie exploitable et à leur distribution. Actuellement, c’est l’électricité, très majoritairement produite à partir de ressources non renouvelables, avec des rendements médiocres, qui est à l’origine de la plus grande partie des pertes de transformation. On peut également remarquer que la consommation de ressources primaires est fondée à plus de 86 % sur les non renouvelables.
L’électricité a représenté, en 2016, 18,8% de l’ensemble de l’énergie finale (commercialisée) au niveau mondial, soit 20 800 TWh, mais ce sont près de 25 000 TWh qui sont sortis des différents outils de production, la différence résidant dans les pertes de transports et de distribution jusqu’au client final. En France, en 2017, l’électricité représentait 24,7% de la consommation finale nationale.
L’interprétation des répartitions de ces évaluations est délicate notamment parce que la construction des bilans énergétiques est largement fondée sur des conventions (Lire : Le bilan énergétique). La comptabilité de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) minore en effet la place des énergies renouvelables dans le mix d’énergie primaire, car chaque kWh d’énergie finale renouvelable est compté pour un kWh d’énergie primaire. D’autres analyses, comme celles du BP Statistical Review of World Energy[3], comptent différemment la place des énergies solaire et éolienne, en leur affectant un coefficient 2,63 pour représenter la substitution aux énergies non renouvelables qui seraient converties avec un rendement de 38%. Tant que les renouvelables étaient marginales, ces écarts de comptabilité restaient insignifiants, mais compte tenu de leurs taux de croissance très élevés, des réflexions sont en cours pour parvenir à un accord sur une comptabilité plus représentative[4].
A l’opposé, les mauvais rendements de transformation des ressources primaires non renouvelables en énergie finale, comme la conversion nucléaire (rendement conventionnel de 33%), contribuent à surévaluer leur place dans le mix d’énergie primaire et, parfois, par manque d’analyse, dans le mix d’énergie finale. En effet, sachant que la production d’électricité d’origine nucléaire représentait, en 2016, 10,4% de la totalité de la production électrique mondiale et que l’électricité pèse 18,8% de l’ensemble de l’énergie finale (celle réellement commercialisée pour réaliser des services énergétiques), il en résulte que la part du nucléaire dans la production d’énergie finale est de 10,4% x 18,8% soit 1,95%. La place réelle de l’énergie nucléaire dans le monde en 2016 était donc inférieure à 2%, proportion de l’ensemble des formes d’énergie commercialisée, alors que son poids dans le bilan d’énergie primaire était de 4,9%. Si la production électronucléaire avait eu un rendement de 10%, pour la même production d’énergie finale, elle aurait représenté près de 15% de la consommation d’énergie primaire (Lire : Les réacteurs nucléaires).
Ajoutons que, dans la comptabilité de l’électricité, comme énergie finale, n’apparaît pas toute l’électricité transformée à partir de combustibles dans les transports (trains diesel-électriques, navires à propulsion électrique, automobiles hybrides, entre autres) mais également l’électricité, surtout photovoltaïque, produite en sites isolés ainsi que, désormais, celle autoconsommée, qui se développe fortement avec la baisse fulgurante du prix des installations PV, et qui vient juste réduire la consommation en provenance des réseaux électrique. (Lire : Microgrids ; comment contribuent-ils à la transition énergétique et Communauté locale d’énergie).
La dynamique d’évolution des consommations est une donnée très importante. Le lissage des effets des soubresauts de l’économie pet être effectué par une analyse moyennée sur 10 ans (2006 à 2016). Tandis que la croissance annuelle moyenne de la consommation finale mondiale était de 1,7% (en très net ralentissement), celle de l’électricité finale était de 2,9% (en ralentissement également mais moins rapide que la totalité de l’énergie finale). Il en résulte un accroissement rapide de la place de l’électricité dans le mix énergétique mondial. Cette part, inférieure à 3% en 1940, atteignait 9,4% en 1973, s’établit à 18,8% en 2016 et voisinera probablement les 24% en 2030.
Sur cette même période (2006-2016), les taux d’évolution annuelle et moyennée sur 10 ans (période 2006-2016) varient selon les ressources primaires (Figure 2) et les différentes formes d’énergie finale (Figure 3).
2. Production d’électricité par sources primaires et par zones géographiques
Si elle est présente partout dans la nature, comme l’hydrogène d’ailleurs, l’électricité nécessite d’être extraite de formes primaires d’énergie pour être mise à disposition de services énergétiques. Comme son stockage est assez difficile et coûteux, on a tendance à la produire et à l’utiliser en flux tendu en la stockant au minimum, ce qui explique que l’on parle souvent de vecteur énergétique. Cette expression est cependant ambiguë, notamment parce qu’elle sous-entend l’impossibilité d’un stockage, pourtant pratiqué au quotidien sous diverses formes, essentiellement sous forme hydraulique gravitaire dans les réservoirs de centrales de pompage – turbinage (Lire : Les stations de pompage -STEP), mais également sous forme électrochimique dans des batteries, cette dernière étant en évolution extrêmement rapide (Lire : La percée du stockage électrique et Accumulateurs : le futur du stockage d’énergie).
Comme pour les autres formes d’énergie finale, les ressources primaires, à partir desquelles l’électricité est extraite, sont de deux natures : non renouvelables (fossiles et fissiles) et renouvelables. Outre la déplétion des matières premières énergétiques non renouvelables, les impacts environnementaux associés à leurs conversions conduisent à se tourner progressivement vers les renouvelables, celles qui ont le plus grand potentiel d’assurer les besoins futurs de l’humanité. Ces dernières sont disponibles en quantité largement suffisante : l’énergie solaire et ses dérivées reçues annuellement dans la troposphère représentent près de 8000 fois la consommation d’énergie primaire (Lire : Energie solaire, les bases théoriques pour la comprendre). En outre, ces sources sont désormais convertibles, notamment en électricité, grâce aux progrès technologiques récents (Lire : Solaire photovoltaïque : les technologies et leurs trajectoires et Energie éolienne).
En 2018 (Figure 4), l’électricité a été produite à hauteur de 74,7% à partir de ressources non renouvelables (fossiles et nucléaire) d’abord converties en chaleur puis en électricité avec un relativement faible rendement (30 à 60 %) via des cycles thermodynamiques. Les 25,3% d’électricité restants sont issus des ressources renouvelables, la première ressource étant l’hydraulique, les deux suivantes étant l’éolien et le solaire, dont les taux de croissance moyens très élevés vont sans doute rapidement les porter en tête avant 2030. Sur la période 2008-2018, la production éolienne a crû à un taux annuel moyen (tcam) de 20% et le solaire (surtout photovoltaïque) de près de 50%.
En ce qui concerne la production d’origine fossile (plus de 64,7% de l’ensemble), les ordres de grandeur de la répartition par combustible sont : 38,1% pour le charbon, 23,3% pour le gaz et 3% pour le pétrole. La production d’électricité contribue ainsi grandement aux émissions de gaz à effet de serre (GES), ceci d’autant plus que les combustibles sont carbonés. Or le prix du charbon (ramené à sa valeur énergétique) étant très bas, il est, avec ses variantes (de l’anthracite au lignite), le combustible dominant. (Lire : Economie et politique du charbon minéral). Compte tenu de ce bas prix associé à des pénalités d’émissions de GES très insuffisantes, dans un contexte de marchés concurrentiels, les producteurs d’électricité font plus de profits en écoulant de l’électricité produite à partir de charbon. Le pétrole, sous forme de fioul lourd ou de fioul ordinaire, quant à lui, n’est plus beaucoup utilisé pour produire de l’électricité, sinon dans d’anciennes turbines à combustion très flexibles ne fonctionnant qu’en pointes extrêmes, ou encore dans des groupes diesel, par exemple en zones insulaires. Le pétrole est en effet aujourd’hui le combustible fossile le plus cher ramené à sa valeur énergétique.
Sur le terrain de la production d’électricité, la dynamique de croissance est essentielle. Celle d’origine fossile et fissile (non renouvelable) a connu une croissance de 1,8% par an entre 2008 et 2018, en forte baisse, alors que celle d’origine renouvelable évolue avec un taux bien supérieur, égal à 5,9% par an, qui plus est, en augmentation. Ainsi, contrairement à ce que l’on entend souvent, la part des renouvelables dans la production d’électricité est bien en croissance et l’on peut même affirmer que l’électricité est désormais la forme finale d’énergie porteuse d’espoir. Connaissant tout son potentiel de satisfaire la plupart des services énergétiques, elle présente ainsi le plus fort potentiel de soutenabilité pour le développement de l’humanité.
Quelle a été la progression de la production mondiale d’électricité par zones géographiques et par sources primaires (Figures 5 et 6) ? La part des renouvelables pour la production d’électricité progresse à un rythme soutenu. Au niveau mondial, cette part (hydroélectricité et « nouvelles » renouvelables) qui était de 17,5% en 2003, a atteint 25,3% en 2018. Dans la même période, la part du nucléaire est passée de 15,7% à 10,2% (décroissance amorcée avant la catastrophe de Fukushima Daïchi en 2011).
La production d’électricité est sensiblement stagnante dans l’ensemble des pays développés (OCDE) mais elle subit une croissance très rapide dans les pays en développement (Chine et Asie hors Chine, en particulier).
Le bilan 2018 de cette production et l’évolution qui l’a précédée depuis 2008 varient très sensiblement entre des pays tels que la Chine (premier producteur mondial d’électricité), les Etats-Unis, l’Allemagne ou la France (Figures 7, 8, 9, 10). Pour bien comprendre leurs différences, on n’oubliera pas que leur production d’électricité n’est pas leur consommation intérieure (l’Allemagne et la France sont largement exportatrices), qu’il s’agit des productions nettes (hors consommation propre des centrales) et non des productions brutes. Seul le cas de la Chine est incertain, car cette précision n’est pas fournie, mais le calcul des tcam sur 10 ans repose sur des statistiques cohérentes.
La situation de la France avec plus des deux tiers de sa production d’origine nucléaire est exceptionnelle. La Chine, en plus d’être le premier industriel mondial dans les technologies de l’énergie électrique renouvelable, est aussi le premier marché pour leur développement avec des niveaux de croissance exceptionnels, 38% et 103% par an respectivement pour l’éolien et le solaire, en moyenne sur la période 2008-2018. Si la production électronucléaire s’y développe comme nulle part ailleurs dans le monde, elle a été dépassée par l’éolien depuis 2011 et le sera également par le solaire photovoltaïque d’ici quelques années (Lire : L’énergie en Chine: le tournant de Xi Jinping).
En Allemagne, contrairement à ce que l’on lit très fréquemment, la production d’électricité au charbon (anthracite et lignite) n’a pas augmenté pour compenser la baisse de la production nucléaire (Lire : Allemagne, faisabilité d’un mix électrique à base d’énergies renouvelables). Cette dernière a été plus que compensée par la montée en puissance des renouvelables et si la production au charbon n’a hélas pas autant décliné qu’il le faudrait, c’est le fait d’une économie de marché dans laquelle le pouvoir politique peine à imposer des règles. Début 2019, l’Allemagne s’est cependant engagée à sortir totalement du charbon avant 2038 tandis que l’intensité carbone de son électricité (en gCO2/kWh) diminue bien, de 700 (en 1990) à 480 en 2015, à comparer avec la diminution de 507 à 331 dans l’Union Européenne à 28[5].
Conclusion
Parmi toutes les formes d’énergie finale, l’électricité progresse inexorablement car elle offre une qualité de service inégalée. Sa production, encore très majoritairement issue de sources primaires non renouvelables et polluantes, est désormais en phase d’évolution rapide vers une exploitation massives des sources renouvelables, portée par l’éolien et le solaire photovoltaïque. Sur la base de leur immense potentiel, de leurs faibles impacts environnementaux et de leurs rapides baisses de coût, l’électricité se présente comme un formidable vecteur de développement durable. En outre, les besoins de matières premières, pour assurer une transition énergétique à l’échelle mondiale, restent tout à fait modestes, comme montré dans le cas de l’éolien[6] [11]. L’utilisation de terres rares n’est pas indispensable et n’entravera pas leur progression.
Notes et références
[1] B. Multon, G. Moine, J. Aubry, P. Haessig, C. Jaouen, Y. Thiaux, H. Ben Ahmed (2011). Ressources énergétiques et solutions pour l’alimentation en électricité des populations isolées. Colloque Electrotechnique du Futur, Belfort 14-15 décembre. Article et diaporama téléchargeable : http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00674833/
[2] Gtep = gigatep = 1 milliard de tonnes équivalent pétrole, soit une valeur énergétique de 11 600 TWh (1 TWh = 1 térawattheure = 1 milliard de kWh).
[3] BP (2019). Statistical Review of World Energy 2019, 68th edition, June.
[4] BP (2019). Statistical Review of World Energy 2019, 68th edition, June.
[5] Commissariat général au développement durable (2019). Datalab. Chiffres clés du climat – France, Europe et Monde. Novembre.
[6] B. Multon (2019). Développement mondial de l’éolien et criticité des matières premières. EchoSciences Grenoble et Encyclopédie de l’énergie, 17 juin, https://www.echosciences-grenoble.fr/articles/xcx
Bibliographie complémentaire
[1] RTE (2008 et 2018). Bilans électriques.
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