Les hydroliennes fluviales

Les hydroliennes fluviales

L’hydrolienne fluviale est l’une des dernières technologies permettant l’exploitation des ressources énergétiques des cours d’eau. Comment fonctionne cette machine ? Où faut-il en implanter ? L’expérience de la firme Hydroquest apporte des réponses.


L’eau est une source d’énergie très importante à l’échelle mondiale et pourtant 20% son potentiel est utilisé. Dans le domaine de l’énergie, on pense d’abord aux grands barrages, mais les innovations qui exploitent des volumes d’eau moins importants et qui nécessitent des travaux moins gigantesques se multiplient. C’est notamment le cas des hydroliennes que l’on développe pour exploiter l’énergie marine et fluviale. Prometteuse, cette seconde filière permettrait de répondre à de nombreux besoins actuels et futurs.

 

1. Différences technologiques avec les hydroliennes marines

La principale différence avec les hydroliennes marines réside dans la capacité de production : la puissance des hydroliennes marines est de l’ordre de 2 GW alors que celle des hydroliennes fluviales varie entre 40 et 80 kW. Dès lors, les premières peuvent peser jusqu’à quatre tonnes et sont très volumineuses, alors que les secondes se veulent adaptables au milieu dans lequel elles sont implantées.

Par ailleurs, la plupart des hydroliennes possèdent un axe horizontal mais on voit se développer des machines à axe vertical dans les deux secteurs[1].

 

2. Présentation du fonctionnement d’un type d’hydrolienne fluviale

Le fonctionnement détaillé d’une hydrolienne fluviale peut être décrit à partir d’une machine déjà mise en place en deux endroits bien différents : celle sur le fleuve Oyapock en Guyane pour alimenter le village de Camopi à la frontière avec le Brésil (Figure 1), et celle sur la Loire à Orléans qui est la première reliée au réseau français (Figures 2 et 3).

Fig. 1: Localisation du village de Camopi et mise en évidence de son isolement – Source : Google maps

Ces hydroliennes sont développées par la start-up grenobloise Hydroquest[2], créée en 2010. La gamme des Hydroquest River, ainsi que des hydroliennes marines et estuariennes aussi développées par l’entreprise, relèvent de technologies brevetées. Le domaine fluvial étant encore moins exploité que le domaine marin et sa technologie étant relativement récente, l’entreprise, du fait de ses brevets (au nombre de neuf, ils sont partagés à part égale avec EDF), s’estime comme le leader mondial dans le domaine fluvial.

Fig. 2 : Hydrolienne « Hydroquest River » - Source : HydroquestFig. 3 : Hydrolienne partiellement immergée à Orléans – Source : Hydroquest

2.1. Fonctionnement de la machine

Pour transformer l’énergie mécanique des cours d’eau en énergie électrique, les hydroliennes possèdent un double axe vertical et un carénage adapté afin de maximiser la puissance. En effet, la puissance est proportionnelle au cube de la vitesse (P=KV3). Pour obtenir la vitesse la plus grande possible, il est nécessaire d’avoir un carénage adapté. L’axe de rotation est ici vertical, le flux est transverse dans la machine : c’est un carénage de type « diffuseur » qui est privilégié. Son profil d’aile caractéristique (sur la Figure 3, la machine est relevée) favorise l’entonnement de l’écoulement autour de la turbine. Sans carénage, le rendement d’une machine serait de 20 à 35%, alors qu’avec carénage, il est estimé à environ 60%.

De plus, pour obtenir la plus grande vitesse possible, il est idéal qu’elle soit exploitée en surface. En effet, le profil de vitesse, qui est représentatif des vitesses dans une rivière où la hauteur d’eau est h, met en évidence l’importance de la vitesse en surface par rapport au fond (voir Figure 4 sur laquelle z est la côte de mesure de la vitesse U). C’est pourquoi une barge située en surface permet à la machine de s’accrocher en dessous. Au-delà de l’aspect rendement, cette installation facilite le nettoyage (la machine peut être remontée facilement, comme le montre la Figure 3), la rapidité d’installation. Elle évite, en outre, l’accumulation de sédiments qui se trouvent plutôt au fond.

Fig. 4 : Profil de vitesse dans une rivière

Par ailleurs, les hydroliennes présentées ici sont modulables en fonction de la profondeur du cours d’eau dans lequel elles sont installées puisqu’elles peuvent comporter un ou deux étages. L’hydrolienne Hydroquest River 1.40 (à un étage) fournit une puissance de 40 kW, ce qui correspond à l’alimentation en électricité résidentielle de 75 personnes en France et 1500 en Afrique. Pour deux étages, Hydroquest River 2.80 double les capacités de production.

Particulièrement respectueuses de l’environnement, ces machines restent discrètes dans leur lieu d’implantation tant visuellement que phonétiquement. De plus, leur fonctionnement à un impact moindre sur la vie aquatique puisque les poissons peuvent passer à travers la turbine et le débit du cours d’eau n’est pas perturbé. Une preuve de ces propriétés exemplaires est l’installation d’une hydrolienne de ce type dans une zone classée Natura 2000 à Orléans. Dans la phase de fonctionnement, la machine est donc intéressante pour l’environnement, mais aussi au-delà puisqu’elle est intégralement recyclable, après une durée de fonctionnement estimée à 25 ans.

2.2. Choix du site d’implantation

La puissance des hydroliennes ciblées ici étant comprise entre 40 et 80 kW, il faut, pour les installer, choisir un site adapté. Les deux installations déjà réalisées révèle l’adaptabilité des machines, tant en milieu hostile qu’en milieu classé.

Tout d’abord, des profondeurs d’eau minimales sont requises : 2,2 mètres pour les hydroliennes à un étage et 4,2 mètres pour celles à deux étages.

Cette condition étant remplie, il faut évaluer l’énergie que pourra produire une hydrolienne. Dans ce but, des études préliminaires sont faites sur le site potentiel. Un cours d’eau à fort débit ne sera pas nécessairement intéressant si la surface de passage de l’eau est trop importante, car la vitesse est alors faible. En effet, le débit, la vitesse et la section de passage sont reliés par Q=VS. Ainsi, il est nécessaire d’étudier les deux paramètres que sont le débit et la vitesse pour évaluer la pertinence du site. Ce type d’étude dure plusieurs années car, au cours d’une année, un cours d’eau connaît plusieurs régimes (étiage, hautes eaux dues à des fortes précipitations ou à la fonte des neiges), régimes qui peuvent varier d’une année à l’autre.

Une fois les relevés effectués, les débits (et donc, par déduction, les vitesses) sont classées par occurrence en fonction du temps comme on peut le voir sur la Figure 5. Celle-ci montre qu’un débit supérieur à 100m3/s ne sera atteint que 45% du temps. Le débit étant relié à la vitesse, elle-même étant reliée à la puissance produite par la machine, l’étude permet de prévoir sa production au cours du temps.

Fig. 5 : Courbe des débits classés

 

3. Marchés visés et perspectives

Encore aux premiers stades de son développement, le marché de l’hydrolienne fluviale devrait s’étendre. Si les installations effectuées jusque là ne contiennent qu’une machine, le but est pourtant bien d’en former des fermes, à l’image des éoliennes. La puissance délivrée pourrait varier de 120 kW à quelques MW. En effet, l’installation permettrait alors de subvenir à des besoins plus importants et les coûts d’installation et de maintenance seraient plus intéressants puisque les frais seraient mutualisés.

On estime que les cours d’eau à travers le monde ont une capacité de production de 3 à 10 GW. Par ailleurs, le marché marin est estimé à être vingt fois plus important que le marché fluvial, mais est géographiquement plus limité. En effet, les principaux sites de production identifiés se concentrent dans la Manche et au large du Canada, ces derniers étant limités par la puissance des courants marins. De plus, les différences technologiques évoquées dans la première partie impliquent un espace plus important pour implanter une hydrolienne fluviale et une plus forte demande en électricité.

L’adaptabilité de la technologie de l’hydrolienne fluviale permet donc d’envisager une implantation très étendue. Deux types de marchés sont alors visés : le marché des pays industrialisés et celui des pays en voie de développement.

Sur le premier, l’hydrolienne permettrait de réaliser la transition énergétique en passant d’une énergie carbonée à une énergie renouvelable. Le marché est prometteur par exemple en Europe. L’Union européenne s’est fixé comme objectif de porter la part des énergies renouvelables à au moins 27% d’ici 2030[3], alors qu’en 2013 celle-ci s’élevait à presque 12%. Il reste donc encore des efforts à effectuer en la matière, et l’hydrolienne pourrait être un facteur de réussite aux côtés des autres technologies décarbonées déjà existantes.

Sur le second, l’objectif serait d’augmenter la production d’électricité et de permettre son accès à une plus grande partie de la population, comme celle d’Afrique dont les deux tiers n’ont pas accès à l’électricité. Les meilleures solutions pour relier les villages reculés résident dans les énergies renouvelables. En effet, un réseau construit comme dans les pays industrialisés n’est pas toujours envisageable, car les points d’alimentation sont trop dispersés. Ainsi, l’hydrolien, la petite hydroélectricité et le solaire sont les technologies aptes à remplir les besoins dans ces régions. Surtout lorsque 93% du gisement hydroélectrique n’est pas utilisé, comme en Afrique. Ce continent en croissance et avec de forts espoirs économiques est donc un marché prometteur. Plus concrètement, par rapport aux capacités de production des hydroliennes Hydroquest River 2.80 évoquées plus haut, une ferme de 100 machines de ce type pourrait alimenter environ 30 000 personnes en Afrique.

 

4. Les atouts d’Hydroquest

Le développement d’une telle technologie et la conquête de marchés ne peuvent se faire sans le dynamisme d’une nouvelle entreprise. C’est le cas d’Hydroquest, implantée dans la métropole grenobloise où elle perpétue les origines de l’histoire de l’hydroélectricité depuis Aristide Bergès[4]. Sur ce terrain familier à l’hydroélectricité, l’entreprise, pour développer sa technologie, s’appuie notamment sur l’expertise des laboratoires du LEGI et du G2ELAB qui font tous deux partie du réseau de Grenoble INP[5]. Par ailleurs, certains membres de l’équipe sont diplômés de ce réseau, notamment le directeur technique. Ses liens avec le territoire sont également renforcés par l’emploi de sous-traitants locaux.

Le premier prototype a été installé en 2010 à Pont-de-Claix – une commune au sud de Grenoble – et, les résultats étant concluants, les machines opérationnelles ont été installées à partir de 2012 à travers le monde. Une implantation d’hydroliennes est aussi prévue dans la région alpine au cours des années à venir tandis qu’un projet de ferme est en cours sur le Rhône. Encore dans une optique de développement et d’amélioration pour conserver son avance à l’échelle mondiale, la jeune entreprise s’est vue remettre le grand prix du jury des trophées de la transition énergétique par l’Usine Nouvelle en 2015[6]. Elle participe également à de nombreux salons qui amplifient son rayonnement, notamment la convention Seanergy[7] qui regroupe les professionnels des énergies marines renouvelables.

Commencée dans la capitale des Alpes, l’histoire d’Hydroquest s’écrit à travers la France et le monde : la première machine reliée au réseau à Orléans et une installation effectuée en Guyane l’illustrent. Par ailleurs, la prospection de nouveaux marchés incite l’entreprise à diffuser sa technologie sur des territoires divers et variés, notamment en Afrique : en 2015, elle a accompagné une visite d’État dans trois pays du continent afin d’y implanter ses machines. La COP21 a également été un support de diffusion grâce à l’atelier tenu pendant la conférence.

 


Notes et références

[1] Pour aller plus loin dans la comparaison, se reporter à MAÎTRE Thierry Les Hydroliennes (2015) https://www.encyclopedie-energie.org/les-hydroliennes

[2] Site de l’entreprise : http://www.hydroquest.net/

[3] Cadre pour le climat et l’énergie à l’horizon 2030 http://ec.europa.eu/clima/policies/strategies/2030/index_fr.htm

[4] Musée de la Houille Blanche – Aristide Bergès http://www.musee-houille-blanche.fr/874-aristide-berges.htm

[5] Voir l’organisation et les activités de ces laboratoires parmi les centres de compétence présentés dans l’Encyclopédie.

[6] Patrice DESMEDT Le lauréat du grand prix du jury des Trophées de la transition énergétique est Hydroquest pour son hydrolienne tout terrain (2015) http://www.usinenouvelle.com/article/le-laureat-du-grand-prix-du-jury-des-trophees-de-la-transition-energetique-est-hydroquest-pour-son-hydrolienne-tout-terrain.N330329

[7] Site de la convention Seanergy : http://www.seanergy-convention.com/

 


L’Encyclopédie de l’Énergie est publiée par l’Association des Encyclopédies de l’Environnement et de l’Énergie (www.a3e.fr), contractuellement liée à l’université Grenoble Alpes et à Grenoble INP, et parrainée par l’Académie des sciences.

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