Les pico-turbines hydrauliques : application aux réseaux de distribution d’eau

Les pico-turbines hydrauliques : application aux réseaux de distribution d’eau

L’alimentation énergétique des réseaux d’eau peut être satisfaite par de pico-turbines hydrauliques. Cette solution répond à l’ampleur du marché et à l’inadaptation aussi bien du réseau électrique dans le cas des usages décentralisés qu’au recours aux batteries. La machine proposée par Save Innovations présente donc un intérêt certain.


Les moyens de stockage de l’électricité sont dans une phase de recherche et développement active. Ils répondent à un besoin d’autonomie de certains dispositifs ou à un besoin de stabilité du réseau. Toutefois, une seconde voie est aussi prospectée : début de changement de paradigme, elle délaisse la constante augmentation des volumes de production pour une amélioration de l’efficacité des systèmes.

Cette voie durable repose sur le concept de production décentralisée de l’énergie juste nécessaire, directement sur le lieu sa consommation. Le côté durable ne constitue cependant  qu’une condition nécessaire à l’émergence d’une nouvelle technologie, puisque la viabilité économique reste essentielle. Doivent donc être reliés les aspects techniques et économiques de l’une des technologies respectant cette approche : les pico-turbines.

La dénomination pico-turbine concerne les turbines hydrauliques fournissant une puissance nominale comprise entre quelques watts et plusieurs centaines de watts. Elle s’adapte donc à un approvisionnement électrique d’appareils autonomes. Après une présentation du besoin actuel, des utilisations possibles ainsi que des acteurs, sera étudiée plus en détail l’application aux réseaux de distribution d’eau de la pico-turbine développée par la start-up grenobloise Save Innovations.

 

1. Usages décentralisés

Le besoin en approvisionnement électrique permanent de certains systèmes décentralisés de faible puissance ne correspond pas au cadre d’application classique du réseau électrique.

1.1. La consommation d’électricité décentralisée

La séparation entre le producteur d’électricité (EDF) et le transporteur-distributeur (ERDF) a fondamentalement changé le coût du raccordement des installations au réseau électrique. Auparavant, une solution unique de raccordement était proposée moyennant un prix forfaitaire pour tous les utilisateurs. En 2016, ERDF propose des solutions aux coûts proportionnels à la distance au réseau ainsi qu’à la complexité des procédés utilisés (souterrains, aériens).

En pratique, lorsque la puissance dépasse quelques centaines de watts, le réseau est généralement à proximité. En revanche, l’approvisionnement électrique des dispositifs décentralisés de faible puissance fait problème et nécessite généralement des moyens de stockage, notamment sous forme de batteries. Ces solutions ne semblent cependant pas durables, tant en termes de maintenance que de contraintes économiques (remplacement) ou d’empreinte environnementale.

La solution d’une production décentralisée, par des turbines, sur le lieu de consommation, est une alternative séduisante. Elle permet, sous condition de maturité des technologies, de limiter la maintenance et de diminuer les contraintes économiques. Toutefois, l’empreinte environnementale de l’énergie produite ne présente pas obligatoirement d’amélioration, quand on la compare à une solution centralisée de production par des énergies renouvelables. L’intérêt environnemental des pico-turbines développées pour les réseaux d’eau publics, ou les réseaux industriels, réside dans l’énergie exploitée et l’absence de recours au réseau électrique. En effet, l’électricité est produite à partir de la récupération d’une énergie jusque-là perdue, sans recourir à des infrastructures de raccordement électrique, dont on connait les inconvénients (déperditions thermiques et coût élevé de construction), ou à des infrastructures de concentration de puissance (barrages, conduites forcées).

1.2. Les marchés et leurs acteurs

Les applications des pico-turbines peuvent être scindées en deux catégories principales : l’approvisionnement d’appareils fixes et l’approvisionnement d’appareils mobiles. Au sein de la première catégorie, les solutions d’alimentation électrique entrant en concurrence avec les pico-turbines sont à la fois les systèmes de production d’énergie renouvelable classiques (éoliennes, panneaux solaires), les moyens de stockage ainsi que le réseau électrique. La concurrence au sein de la seconde catégorie est relativement similaire, à l’exception de la possibilité de recourir au réseau. Le choix de l’utilisateur dépend alors de plusieurs facteurs : la puissance requise pour ses appareils, la proximité du réseau et la complexité du raccordement, ainsi que sa situation géographique (soleil et vent pour les énergies renouvelables).

Les marchés ouverts par les opportunités de développement de ces deux catégories d’applications  sont les suivants[1] :

  • les équipements de contrôle et de régulation des réseaux de distribution d’eau, de gaz ou autres,
  • les systèmes d’irrigation,
  • les équipements de contrôle et de sécurité fluviaux,
  • l’éclairage autonome,
  • l’équipement d’installations ou d’habitations isolées.
  • les équipements de contrôle des filets de grande pêche,
  • les équipements de sécurité et de confort des voiliers,
  • les équipements électriques des camping-cars.

Au sein de la catégorie regroupant les appareils fixes, les solutions de pico-turbines demeurent au stade du développement. Il existe toutefois une première application avancée sur le marché des équipements de contrôle et de régulation des réseaux de distribution d’eau puisque l’entreprise Save Innovations prévoit de commercialiser quelques unités au cours de l’année 2017[2].

La catégorie regroupant les appareils mobiles présente des marchés plus matures, notamment celui du nautisme. Ce dernier représente, pour la seule catégorie des voiliers de 7 à 15 mètres, dont le besoin électrique moyen est de 120 W, un marché d’environ 1 million de voiliers d’occasion et 10 000 à 20 000 voiliers neufs par an. Plusieurs entreprises interviennent sur ce marché et proposent des solutions adaptées à plusieurs usages tant pour le loisir  que pour la course.

L’entreprise Watt & Sea décline sa turbine selon des usages en croisière ou en course au large. Elle présente ainsi différents matériaux (aluminium, inox, carbone) et différentes plages de vitesses de fonctionnement[3], ce qui lui permet d’assurer une production satisfaisant l’approvisionnement des systèmes de sécurité (30 watts à partir de trois ou quatre nœuds pour le modèle croisière d’une puissance nominale de 300 watts) ou une autonomie complète à haute vitesse.

Une autre entreprise créée en 2009, Seamap, propose une turbine immergée d’une puissance nominale de 100  W adaptée au nautisme ainsi qu’à une utilisation sur les équipements sismiques remorqués. Disposant d’une vitesse de démarrage de 1,5 m/s, elle atteint son régime de production nominale à 4 m/s (de l’ordre de 8 nœuds)[4].

Enfin, Save Innovations décline aussi sa turbine en un modèle adapté au nautisme, l’hydrogénérateur H240, avec un usage exclusif pour la croisière puisqu’elle exploite les faibles vitesses des fluides. À l’inverse des autres modèles présentés ci-dessus, sa vitesse de démarrage se situe à 1 m/s, mais sa production reste faible à vitesse réduite, de l’ordre de 20/30 W à trois nœuds[5]. L’augmentation du rendement dans cette gamme de vitesses constitue donc l’un des principaux  champs de recherche de Save Innovations.

 

2. Le marché des réseaux d’eau

L’application aux marchés des réseaux d’eau offre des perspectives de marché sans commune mesure avec  celles ouvertes par les usages mobiles pour des raisons tenant aussi bien à la récupération d’énergie qu’aux impératifs de protection de l’environnement.

2.1. Besoins et accès à l’eau

Parmi les objectifs de développement durable, l’eau cristallise les tensions. Les organisations internationales ont entamé une réflexion autour de sa  future pénurie et des moyens d’actions pour la prévenir. Les Nations-Unies estiment que, sans nouvelles mesures,  la demande en eau va continuer à augmenter au cours des prochaines décennies et que le stress hydrique mondial  atteindra 40% en 2030, soit une disponibilité inférieure à 1700 mètres cubes par personne par an. Le rapport Water for a SustainableWorld estime que 748 millions de personnes n’ont pas accès à une « eau améliorée »[6], et que près de 2,5 milliards de personnes ne disposent pas d’une eau propre à la consommation humaine.

La situation de certaines régions pourrait rapidement devenir catastrophique, notamment en Afrique Subsaharienne qui présente la disponibilité la plus hétérogène des ressources en eau. Afin de prévenir les futures crises hydriques, le rapport insiste sur l’urgence du développement d’infrastructures permettant un accès à l’eau ainsi qu’une meilleure gestion de celles existantes. La gouvernance publique de l’eau et l’investissement des acteurs privés constituent les clés de cet enjeu  comme l’illustre le cas de la ville de Phnom Penh dans laquelle les pertes sur le réseau d’eau sont passées de 60% en 1998 à 6% en 2008, sans interruption de l’extension du dispositif[7].

2.2. Les réseaux d’eau : une gestion complexe

En France, en 2013, près de 18,5 millions de mètres cubes d’eau potable étaient prélevés chaque jour au sein d’un réseau public de 906 000 kilomètres. Installées au cours du 20ème siècle, les canalisations ont un âge moyen d’environ 35 ans et bénéficient d’un taux de renouvellement annuel moyen de 0,6% qui coûte de 1 à 2 milliards d’euros par an[8].

En vieillissant, les infrastructures françaises occasionnent des pertes de plus en plus élevées.  Si l’eau retourne dans le milieu naturel, l’énergie nécessaire à son prélèvement, son traitement et sa distribution est perdue. La SAUR estime que près de 25% de la production est ainsi perdue à cause d’une gestion inefficace des réseaux d’eau potable. En pratique, le rendement des réseaux dépend fortement de la concentration urbaine des territoires, ce qui se traduit par d’importantes différences entre les villes françaises. Rennes et Paris, par exemple, ont des pertes par fuites de l’ordre de 4% et 8%, alors que Nîmes atteint 37%[9]. Une illustration du rendement selon les départements est présentée sur la Figure 1.

Fig. 1: Rendement moyen du réseau de distribution d'eau potable par département en 2012. Source : EauFrance

Les canalisations constituent un patrimoine public. Leur gestion, cependant, est majoritairement déléguée à des entités privées. En 2013, elle se divise en deux services : eau potable et assainissement (Figure 2)[10].

Fig. 2 : Répartition des services par opérateur du service eau potable en pourcentage de la population desservie. Source : Rapport BIPE/FP2E 2015

Les pertes françaises annuelles d’eau potable par fuites représentent près de 1300 milliards de litres[11], facturés au consommateur[12]. Un second type de pertes, par volumes non comptés, est dommageable pour l’exploitant. Ces « volumes d’eau consommés sur le réseau de distribution qui ne font pas l’objet d’un comptage » constituent une perte financière pour le gestionnaire, à hauteur de 50 centimes le mètre cube, soit le coût de « fabrication » de l’eau potable[13]. Les pertes financières handicapent la viabilité économique du service eau potable et entachent l’image des opérateurs qui peinent à détecter et à localiser ces pertes. Ces derniers s’emploient donc activement à mettre en place un mode de détection des pertes qui passe, en particulier, par une sectorisation des réseaux de distribution des eaux.

2.3. La sectorisation des réseaux de distribution d’eau

Ce procédé consiste en une division du réseau en portions, fonction du nombre d’abonnés, contrôlées à l’entrée et à la sortie. Les volumes circulants sont alors « mesurés, enregistrés et transmis quotidiennement à un poste central »[14]. Les dispositifs de mesures installés, sous forme notamment de débitmètres, capteurs de pression, transmetteurs ou  automates, permettent une meilleure détection et localisation des pertes. La diminution des pertes permise par la sectorisation est estimée entre 10 et 15%.

Environ 10% du réseau est actuellement équipé de capteurs. En pratique, le nombre de capteurs dépend du nombre d’utilisateurs sur la portion du réseau. Ils peuvent ainsi se situer tous les 5, 10, 20 km ou plus. Ils permettent de comparer la différence sortie/entrée avec la somme des consommations affichées sur les compteurs des usagers de la portion. Le but des opérateurs est d’identifier les fuites d’eau et d’intervenir à partir d’un certain seuil.

Les grands exploitants proposent ainsi des solutions de gestion des réseaux d’eau aux collectivités qui ne possèdent pas les moyens d’investissement. Le contrat de vente consiste à assurer un rendement négocié sur une portion de réseau donnée. À partir de ce contrat, les entreprises mettent en place des solutions de capteurs en fonction des conditions du réseau (kilométrage, pression). Leur marge d’exploitation dépend des performances associées à la mise en place de ces systèmes. En effet, les rendements atteints, supérieurs à ceux des contrats, permettent la viabilité économique de cette gestion.

Ce procédé représente un investissement conséquent pour les opérateurs. Cependant, les contraintes actuelles des réseaux des eaux (vieillissement, aspect environnemental, coût des pertes) participent à son développement, ainsi qu’à l’amélioration des dispositifs de mesures utilisés. Cela permet en outre aux opérateurs de vendre leur produit : une eau potable de qualité sanitaire au meilleur prix.

2.3.1. Le marché des capteurs

Il se vend dans le monde, pour les réseaux d’eau, 10 milliards d’euros par an d’équipements de procédés en ligne sous forme de débitmètres, capteurs de pression, vannes d’isolation, sans compter les systèmes lourds tels que les pompes. En réponse à une recherche d’amélioration des performances des réseaux d’eau, ce marché connait une croissance estimée à 6,6% par an. Le marché  de 2016 pourrait avoir doublé en 2024.

Parmi les équipements de procédés en ligne, le seul marché des débitmètres représente plus d’un milliard d’euros. En 2014, il s’est vendu environ 780 000 débitmètres uniquement pour les sites disposant d’un accès aisé.  Les prévisionnistes tablent sur  1,4 millions vendues  au cours de la décennie 2015-2025. Le coût d’un débitmètre atteint 1500 à 2000 € suivant le diamètre, à quoi s’ajoute une batterie possédant une durée de vie inférieure à celle du débitmètre. Le remplacement des batteries est en général effectué en même temps que la maintenance du dispositif, afin de diminuer les coûts relatifs à l’intervention physique. La part variable du coût regroupe donc les nouvelles batteries ainsi que la maintenance[15].

2.3.2. Les batteries : une solution non durable

L’alimentation des capteurs constitue l’une des contraintes dans d’optimisation de la sectorisation. L’éloignement des dispositifs du réseau d’électricité ainsi que la faible puissance requise contraignent  à utiliser des solutions de stockage locales car les coûts de raccordement demandés par ERDF sont très élevés. Ces solutions sont en un recours massif aux batteries, avec les contraintes de maintenance que leur usage implique.

Certains fabricants, ABB ou Siemens, par exemple, qui ont compris les débouchés  potentiels que représente l’équipement des réseaux d’eau, commercialisent des capteurs de débit intégrant une batterie. Sa durée de vie est limitée par la puissance nécessaire à la transmission des données à travers des ouvrages en béton et métal. Celle qui est annoncée, de l’ordre de 10 ans, est à relativiser avec l’utilisation intensive des batteries pour l’extraction régulière de données, en théorie toutes les 15 minutes[16]. L’usage actuel se limite donc à quelques transmissions journalières afin d’allonger la durée de vie des dispositifs. Dans une perspective d’amélioration de la sectorisation et d’augmentation de la fréquence d’extraction des données, cette limitation  devient problématique.

Finalement, le coût élevé imputable à une durée de vie limitée et aux dépenses de  maintenance/remplacement, associé aux conditions d’utilisation actuelle qui ne correspondent pas au processus standard des grands exploitants, ne fait pas de la batterie une solution d’avenir.

 

3. La solution proposée par Save Innovations

Au sein des canalisations, l’eau possède une énergie due au caractère gravitaire des réseaux. Dans certaines villes équipées d’un réseau très gravitaire, des réducteurs de pression sont installés afin de protéger les canalisations. L’idée de récupérer cette énergie émerge progressivement,  notamment en Suisse,  à l’aide de turbines installées en amont des villes afin de réduire la pression, mais ce dispositif  reste encore limité[17]. En outre, ces récupérations demeurent des cas particuliers car la vitesse moyenne de l’eau dans les réseaux de distribution d’eau potable varie entre 0,2 et 0,5 m/s, ce qui est trop faible pour permettre le fonctionnement des turbines de technologie conventionnelle.

L’entreprise Save Innovations, créée en 2012, a conçu une pico-turbine fonctionnant à très faibles vitesses ce qui rend  son utilisation possible par insertion directe sur des portions de canalisations horizontales. Par conception, elle ne vise pas à assurer une production de masse destinée au réseau électrique, mais le juste approvisionnement local de certains appareils. Si le stockage d’énergie par batteries dans les réseaux d’eau potable présente des contraintes de maintenance et de remplacement, une production locale ajustée pourrait répondre aux attentes. Cette solution, durable, repose sur le concept séduisant de production de l’énergie juste nécessaire sur le lieu de sa consommation, à l’aide d’une source d’énergie disponible jusqu’alors inexploitée.

En se positionnant sur un créneau de la production électrique,  entre quelques watts et quelques centaines de watts, où aucune autre solution d’alimentation électrique n’est satisfaisante, cette pico-turbine s’adapte parfaitement aux besoins des équipements en ligne[18]. Elle n’entre donc pas en concurrence avec le réseau électrique, le prix brut de son  électricité plus élevé du fait des petites quantités produites, étant plus que compensé par les faibles coûts d’infrastructure et de réseau. De plus, les autres solutions d’approvisionnement, y compris les sources renouvelables comme le solaire photovoltaïque, sont limitées par d’importantes contraintes de maintenance et présentent des coûts totaux d’exploitation supérieurs.

3.1. La pico-turbine de Save Innovations

Le concept de la pico-turbine développée par Save Innovations s’appuie sur un générateur annulaire à plage de fonctionnement étendue ainsi que sur l’intégration des pâles au rotor (Figure 3). Cela permet « un fonctionnement à faible vitesse de rotation, sans couple résistant et sans système mécanique de réduction de vitesse », ainsi qu’une utilisation du fluide en tant que lubrifiant et régulateur de température[19].

Ce système présente plusieurs avantages pour une utilisation autonome. En premier lieu, le rendement se situe entre 60% et plus de 90% dans des conditions optimales, soit des  performances hors d’atteinte par les technologies conventionnelles dans les conditions d’utilisation en  réseaux d’eau. En deuxième lieu, la simplicité du dispositif permet de limiter les contraintes de maintenance, et d’optimiser la durée de vie des composants, notamment par l’absence de joints de friction[20]. Enfin, la technologie du rotor ainsi que l’adaptation du générateur permettent d’étendre la plage de vitesses de fonctionnement, ce qui constitue un aspect déterminant pour une utilisation dans les conditions de vitesses variables des réseaux d’eau. La turbine peut ainsi fonctionner à partir de 0,2 m/s, contre 1,5 m/s pour les appareils traditionnels.

Fig. 3 : La pico-turbine de Save Innovations en version écorchée de présentation

En réponse à des conditions d’utilisation différentes, Save Innovations développe sa technologie en une famille de pico-turbines qui se déclinent en plusieurs diamètres, de 80 à 600 mm, selon la taille des canalisations, mais aussi en plusieurs matériaux  selon le fluide utilisé. Cette adaptabilité est déjà observable, selon une utilisation pour le nautisme ou pour les réseaux d’eau. Les pico-turbines peuvent ainsi, selon les conditions (carénage ou pas, vitesse du fluide, diamètre et état de l’appareil consommateur), atteindre une puissance comprise entre 10 et 500 watts.

3.2. L’utilisation des pico-turbines dans les réseaux d’eau

Les solutions de turbinage utilisées actuellement sur les réseaux fortement gravitaires nécessitent une installation complexe (système de secours ou détournement vers la turbine) ainsi qu’une interruption du réseau plus longue que dans la solution proposée par Save Innovations. En effet, l’installation de sa pico-turbine se fait par simple changement d’une portion de canalisation : c’est une installation en ligne (Figure 4). Les exploitants évitant au maximum d’intervenir sur les conduites pour limiter les interruptions de service,les manipulations ne sont effectuées que si le dispositif présente des tests concluants ainsi que des procédures d’installations parfaitement établies. Une grande responsabilité repose ainsi sur cette start-up grenobloise, afin de garantir la viabilité de son système dans toutes les conditions de fonctionnement.

Fig. 4 : Intégration de la pico-turbine de Save Innovations au sein d'une canalisation

Le rendement de 90% n’est atteint que dans des conditions optimales, emplacement et vitesse nominale constante, entre autres. Dans les réseaux d’eau potable, les conditions varient en permanence, principalement à cause de la multitude d’usagers prélevant des débits différents. La vitesse de l’eau diffère sur chaque site, selon les usages et les saisons, mais en moyenne, elle est comprise entre 0,2 et 0,5 m/s, avec des pointes exceptionnelles à 3 m/s. Il faut donc concevoir  des systèmes de sécurisation de la turbine en vitesses de pointe, afin de protéger le réseau. Si les vitesses de pointe paraissent intéressantes en termes de possibilité de production, elles demeurent rares et leur exploitation nécessiterait un dimensionnement de la turbine totalement différent[21]. À l’inverse, les vitesses dans les réseaux d’eau sont trop faibles pour la turbine pendant environ 25% de la journée, notamment la nuit. En cas de besoin électrique permanent, Save Innovations propose de fournir une batterie, afin de restituer aux heures creuses la puissance supplémentaire accumulée aux périodes de forte consommation d’eau.

Une seconde condition d’utilisation et d’installation est la pression de service des réseaux d’eau. Malgré une variation permanente de la consommation d’eau, les opérateurs s’emploient à maintenir une pression de plusieurs bars la plus stable possible, avec une limite inférieure de 1 bar afin d’assurer le prélèvement dans les bornes à incendie. Il s’agit donc d’une contrainte supplémentaire pour les dispositifs installés au sein des conduites. Une  perte de charge par dispositif de 0,1 bar est donc une valeur maximale qu’il est conseillé de ne pas dépasser pour que les exploitants n’aient pas à s’en soucier. La conception des pico-turbines de Save Innovations respecte cette recommandation.

La pression de service constitue cependant une des contraintes de limitation du nombre de turbines installées en série. En effet, même si les pico-turbines de Save Innovations respectent bien la limitation individuelle, la multiplication des installations en série pourrait devenir problématique si la distance séparant les turbines devenait trop faible.

Enfin, le haut rendement de la pico-turbine de Save Innovations permet une production théorique d’électricité supérieure à la consommation d’un débitmètre. Il est donc possible, sans dépasser le prélèvement maximal de pression évoqué ci-dessus, d’alimenter en même temps d’autres appareils tels que capteurs de pression ou automates.

3.3. Les perspectives de développement de Save Innovations.

Le nautisme,  premier marché visé, présente l’avantage de répondre à un besoin clairement identifié mais  l’inconvénient d’être très concurrentiel. À l’inverse, Save Innovations n’affronte aucun concurrent direct sur le marché des réseaux d’eau potable mais, si les batteries constituent une solution par défaut, les pico-turbines doivent encore y faire leur preuve.

Le marché reste donc à créer et la viabilité des solutions à prouver. S’imposer sur ce terrain est un défi pour Save Innovations du fait notamment  de la différence de vitesse d’évolution entre des grandes entreprises qui font preuve d’inertie et la dynamique d’une startup. Pour combler cette différence, Save Innovations travaille en open innovation  avec Suez avec le développement d’un prototype dont les essais pilotes sont prévus au courant de l’année 2016. La commercialisation de quelques unités est ensuite attendue au cours de l’année 2017, suivie d’une forte expansion au cours des années suivantes. Selon les prévisions de l’entreprise, les ventes atteindraient  quelques centaines d’unités dans deux  ans (2018), avec un objectif annuel  de 50 000 unités dans 10 ans. À cet horizon, la société pourrait employer une centaine de personnes.

Cet objectif ne  représenterait encore que 4% du marché des réseaux d’eau tel que prévisible à un horizon de 10 ans. À plus long terme, l’hypothèse d’une pico-turbine tous les 10 kilomètres de conduites de réseau de distribution d’eau permet d’obtenir des ordres de grandeur des débouchés. Dans le cas des 2000 km de canalisations d’eau potable de Grenoble Alpes Métropole, par exemple, ce sont 200 turbines qui devraient être installées afin d’éviter les 28,2 m3perdus par jour et par kilomètre de canalisation[22].

L’exemple démontre la taille du marché, et le défi en termes de capacité de production pour une start-up. En pratique, Save Innovations doit déjà s’équiper pour pouvoir satisfaire le seul besoin de l’opérateur Suez, estimé à 3000 unités par an. Afin de répondre aux besoins du marché, l’entreprise devra à terme soit investir soit délivrer des licences d’exploitation de ses pico-turbines.

Enfin, le prix des premières turbines se situe entre 1500 et 5000 euros hors taxes suivant la configuration, mais la diminution des coûts liés à l’optimisation technique du système ainsi qu’à la mise en place d’une production en série permet d’espérer une division par deux à l’horizon de 10 ans ce qui  réduira le coût du kWh produit et ouvrira l’accès à de nouveaux marchés. De plus, la durée de vie annoncée (>10 ans) représente un avantage en termes d’amortissement du dispositif. Une étude menée par un client partenaire de Save Innovations a ainsi démontré la viabilité du modèle sur 10 ans, avec un coût total d’exploitation inférieur à celui d’un raccordement au réseau électrique situé à proximité[23].

3.4. L’utilisation des turbines pour une production électrique de masse

Une autre application des turbines aux réseaux d’eau consiste à récupérer l’énergie contenue dans le fluide en vue d’une production électrique de masse. La consommation des systèmes urbains de distribution de l’eau potable est estimée à 2 ou 3% de la consommation mondiale d’énergie, certaines portions de réseaux dégageant un excédent d’énergie[24]. Une équipe de chercheurs de l’École polytechnique fédérale de Lausanne a ainsi mené une étude afin d’élaborer un algorithme permettant de déterminer la répartition optimale des turbines sur un réseau d’eau potable, sans en diminuer la fiabilité. En appliquant les résultats de cette étude sur son réseau d’eau potable, la ville de Lausanne pourrait récupérer environ 5% de l’énergie consommée lors du pompage, avec seulement trois turbines sur 17 kilomètres.

L’une des entreprises proposant une turbine destinée à cet usage est Lucid Energy[25](Figure 5). Cette entreprise américaine propose des turbines d’un diamètre compris entre 60 et 150cm pour les réseaux d’eau potable, dont la puissance se situe entre 14 et 100kW. Une telle utilisation, toujours basée sur le caractère gravitaire du réseau, nécessite des vitesses plus élevées et présente l’inconvénient d’exercer une forte pression économique sur l’entreprise puisque celle-ci entre en concurrence directe avec le réseau électrique[26].

Fig. 5 : Turbine Lucid Energy. Source: Lucid Energy

 

Conclusion

La perspective d’un développement des systèmes de production électrique dans des conditions de fonctionnement jusqu’à présent techniquement inaccessibles ouvre de vastes possibilités. L’exploitation de cette énergie gratuite, disponible sur les lieux de consommation, répond aux attentes environnementales, urbaines ou économiques. En outre, elle permettrait de limiter l’expansion du réseau électrique aux zones nécessaires.

Les pico-turbines sont des exemples de solution adaptés aux canalisations des réseaux d’eau publics et industriels. La turbine développée par Save Innovations pourrait aussi être utilisée sur des réseaux de gaz. En outre, la solution développée par Save Innovations a prouvé théoriquement la compétitivité économique de son modèle par rapport à un raccordement au réseau électrique, ce qui démontre la cohérence économique et technique du modèle avec les attentes des grands industriels.

 


Notes et références

[1] Cette liste non exhaustive a été établie par Save Innovations.

[2]Voir Partie 2.4.3.

[3] De 2 à 10 nœuds pour modèle croisière, et de 5 à 30 nœuds pour le modèle le plus avancé. Voir la fiche descriptive Watt&Sea, ainsi que la gamme de prix proposés.

[4] Voir la description détaillée du dispositif sur le site de Seamap.

[5] Voir le site de Save Marine. L’énergie produite est proportionnelle au cube de la vitesse du fluide. Les vitesses élevées restent donc les plus intéressantes, mais pas forcément les plus fréquentes.

[6] Ce qui signifie que cette eau n’est pas protégée des contaminations extérieures.

[7] Les prévisions estiment à 2,4 milliards la population d’Afrique Subsaharienne en 2030, contre 973,4 millions en 2014. Voir le rapport Water for a sustainable world, UNESCO 2015, page 59.

[8] Ce réseau représente un patrimoine d’environ 200 milliards d’euros selon le Ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer. Pour plus de détails sur le renouvellement, voir laFédération Professionnelle des Entreprises de l’Eau, 2010.

[9] Pour une étude détaillée, voir Eau : le grand gaspillage, 60 millions de consommateurs, 2014.

[10] Pour une définition détaillée des deux services, se reporter au site collectivites-locales.gouv.fr.

Sur la Figure 2, FP2E signifie Fédération Professionnelle des Entreprises de l’Eau.

[11] Soit 3,5 mètres cubes par kilomètre par jour. Plus de renseignements sur les statistiques liées à l’eau sur le site du Ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer.

[12] La part du prix moyen du mètre cube liée au service eau potable s’élève à 2 euros.

[13] Voir une description des services liés à l’eau sur le site de l’Observatoire National des services d’eau et d’assainissement.

[14] Rapport Mettre en place une sectorisation d’eau potable, département Gironde, 2014.

[15] Le prix d’une batterie est compris entre 100 et 200 euros.

[16] Elles possèdent une durée de vie réelle de 2 à 3 ans dans ces conditions.

[17] Voir par exemple l’installation de turbines sur le réseau d’eau potable de la ville de Nice.

[18] Même si elle n’y est pas destinée initialement, cette solution peut aussi convenir en pratique pour certains types d’installations avec des puissances supérieures.

[19] Cette technologie fait l’objet de 2 brevets accordés et plusieurs autres brevets publiés. Plus de détails sur le site de Save Innovations.

[20] La conception de la pico-turbine permet d’atteindre une durée de vie supérieure à 10 ans.

[21] Cela multiplierait par plus de 3000 la production d’électricité, celle-ci étant proportionnelle à la vitesse au cube.

[22] Le taux de fuites pour la ville de Grenoble est estimé à 19,98% selon l’étude Eau, le grand gaspillage, 60 millions de consommateurs, 2014.

[23] Les opérateurs dépensent de 450 à 1000 euros en moyenne par an pour se raccorder au réseau, contre un coût d’exploitation annualisé estimé à 400 euros pour la pico-turbine.

[24]Selon le relief du territoire, voir L’eau du robinet, source d’énergie pour les villes, École Polytechnique Fédérale de Lausanne, 2016.

[25]Pour plus de détails, consulter le site internet de LucidEnergy.

[26] En particulier, cette turbine n’entre pas en concurrence avec celle de Save Innovations puisque sa vitesse minimale de fonctionnement est de 1,3m/s.

 


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