Tous les réacteurs nucléaires ne sont pas des réacteurs de puissance dont l’unique objectif est la récupération de la chaleur issue de la fission. Plusieurs centaines d’autres réacteurs, dits de recherche, ont pour objectif majeur l’utilisation des neutrons disponibles. Ils sont une source irremplaçable de connaissances et d’expérimentations.
Cette appellation générique couvre tous les réacteurs nucléaires utilisés comme sources de neutrons pour la recherche fondamentale en sciences de la matière et la recherche technologique en support des filières de réacteurs de puissance (Lire : Les réacteurs nucléaires).
Tous les réacteurs nucléaires sont conçus pour créer et entretenir par une réaction en chaîne contrôlée la fission d’atomes fissiles. Seuls quelques rares atomes lourds sont fissiles sous certaines conditions. C’est le cas de l’uranium 235, l’un des isotopes de l’uranium présent à raison de 0,7% dans l’uranium naturel extrait des mines, alors que l’uranium 238 présent à raison de 99,3% n’est pas fissile. Chaque fission générée par un neutron incident émet en moyenne deux à trois neutrons dont un seul doit pouvoir provoquer une nouvelle fission pour entretenir une réaction en chaîne stable. Chaque fission libère aussi une énergie de 200 MeV, il faut ainsi 3,1.10¹⁰ fissions pour produire une énergie de 1 joule. Autrement dit, la fission de tous les atomes contenus dans 1g d’uranium 235 délivre une énergie de 24.000 kWh qui se manifeste in fine par l’échauffement du combustible nucléaire au sein duquel se produisent les fissions.
La fission est donc à la fois source de neutrons et source de chaleur. La récupération de cette chaleur constitue l’unique objectif des réacteurs de puissance où elle est ensuite transformée de façon classique en électricité tandis que l’utilisation des neutrons disponibles constitue l’objectif majeur des réacteurs de recherche, l’échauffement du combustible étant alors considéré comme une contrainte et, dans certains cas, une limite à l’obtention de flux intenses de neutrons.
Selon leur puissance nominale et leur conception, les réacteurs de recherche peuvent délivrer des flux de 1.10¹⁰ à 1.10¹⁵ neutrons/cm2.s utilisables pour effectuer des recherches dans plusieurs domaines. Sur ces critères, on les classe généralement de la façon suivante :
- les réacteurs à faisceaux sortis dédiés à la recherche fondamentale, comme le Réacteur à Haut Flux (RHF) de 57 MW de l’Institut Laüe-Langevin à Grenoble ;
- les réacteurs d’irradiations et d’essais pour l’étude des matériaux et des combustibles nucléaires des différentes filières de réacteurs de puissance, tel que le réacteur Osiris de 70 MW du CEA à Saclay ;
- les réacteurs d’essais de sûreté pour l’étude des situations accidentelles des centrales nucléaires tel que le réacteur Cabri de 25 MW du CEA à Cadarache ;
- les assemblages critiques comme Eole (100 W) à Cadarache pour les études et mesures de physique des cœurs et la validation des modèles et des codes de calculs neutroniques ;
- les réacteurs universitaires pour l’enseignement ou la formation des personnels de conduite des centrales nucléaires avant leur instruction sur des simulateurs de conduite.
La puissance des réacteurs des trois premières catégories peut dépasser 100 MW tandis que celle des deux dernières catégories est faible, rarement supérieure à quelques kW. Des missions secondaires dont la plus connue est la production de radio-isotopes pour la médecine, sont généralement prises en charge par les grands réacteurs des deux premières catégories.
Depuis le début des années 1950, environ 650 réacteurs de recherche ont été construits dans le monde mais seulement 240 sont encore en service. Moins de 50 ont une puissance comprise entre 10 et 250 MW parmi lesquels 30 environ peuvent être considérés comme d’importantes installations nucléaires avec de forts taux d’utilisation annuels. Enfin, trois grands réacteurs sont en cours de construction, le RJH (Réacteur Jules Horowitz) de 100 MW au CEA à Cadarache, le réacteur PIK de 100 MW à Saint-Pétersbourg en Russie et le réacteur RES (Réacteur d’Essais au Sol) de 100 MW pour la propulsion navale dont la construction s’achève à Cadarache tandis que quelques projets en sont encore à des stades plus ou moins avancés. Ce qui suit concerne principalement les réacteurs des premières catégories.
1. Conception générale des réacteurs de recherche
Le cœur d’un réacteur se compose d’un combustible nucléaire à base d’uranium 235 fissile contenu dans une gaine étanche, d’un modérateur qui ralentit les neutrons rapides de forte énergie (E = 2 Mev) issus de la fission car ce sont les neutrons lents de faible énergie (E= 0,025 ev) qui ont la plus forte probabilité de produire des fissions, d’un réflecteur qui réduit les fuites de neutrons hors du cœur en les renvoyant dans le cœur, d’une source de neutrons pour assurer le démarrage, enfin de barres de contrôle constituées de matériaux absorbant les neutrons et dont la position dans le cœur est réglée en permanence pour ajuster et contrôler la réaction en chaîne. L’eau lourde (D2O) est le meilleur modérateur devant, par ordre décroissant, le graphite, le béryllium et l’eau légère (H2O). Après ralentissement, les neutrons lents (v=2.200 m/s) sont le plus souvent appelés neutrons thermiques car leur vitesse est alors identique à celle qui résulte de l’agitation thermique des atomes du milieu dans lequel ils se déplacent et diffusent.
L’eau lourde et l’eau légère sont par ailleurs également utilisables comme caloporteurs pour extraire par convection forcée la chaleur produite par les fissions dans le cœur. Enfin, l’ensemble est entouré de protections biologiques sous forme de blindages (acier, béton) qui absorbent et limitent les rayonnements à l’extérieur de l’installation.
Alors que l’énergie libérée dans le cœur dépend du nombre total de fissions dans tout le volume du cœur, le flux de neutrons (nombre de neutrons qui traverse 1 cm² en 1 sec dans toutes les directions) dépend de la densité de fissions dans le cœur, c’est-à-dire du nombre de fissions par unité de volume.
La taille du cœur des centrales nucléaires est ainsi beaucoup plus importante que celle des réacteurs de recherche mais les densités de puissance et les flux de neutrons y sont plus faibles comme l’indique, à titre d’exemple, le tableau suivant :
Réacteur à eau pressurisée
Type Bugey |
Réacteur à Haut Flux
Grenoble |
|
Puissance thermique | 2.775 MW | 57 MW |
Puissance électrique | 925 MW | —- |
Volume du cœur | 25 m³ | 45 litres |
Nature du combustible | UO2 | UAl |
Masse du combustible | 72,5 t | 9,2 kg |
Enrichissement en 235U | 3,5 % | 93% |
Masse 235U | 2.800 kg | 8,6 kg |
Densité moyenne de puissance | 110 kW/l | 1.300 kW/l |
Pression de fonctionnement | 155 bars | 14 bars |
Température entrée/sortie | 286°/323° | 39°/47° |
Flux de neutrons thermiques | 3.1013 n/cm².s | 1,5.1015 n/cm².s |
L’enrichissement de l’uranium en ²³⁵U permet de diminuer la masse critique et de réduire la taille du cœur.
Pour obtenir un bon rendement thermodynamique, les centrales nucléaires fonctionnent à des températures les plus élevées possibles alors que les réacteurs de recherche sont, sauf exception, des réacteurs froids ce qui autorise l’usage de l’aluminium pour le gainage du combustible et pour les structures internes du réacteur, l’aluminium ayant de bien meilleures caractéristiques neutroniques que l’acier mais de moins bonnes propriétés mécaniques.
Les flux de neutrons thermiques utilisables pour les programmes expérimentaux doivent atteindre des valeurs de 1.10¹³ à plus de 1.10¹⁵ neutrons/cm2.s . Plus précisément, le flux de neutrons qui règne dans un réacteur est composé de neutrons rapides directement issus des fissions, de neutrons thermiques après ralentissement dans le modérateur et enfin de neutrons intermédiaires en cours de ralentissement (le ralentissement s’effectue par chocs successifs des neutrons sur le noyau des atomes du modérateur). Selon que le réacteur sera bien modéré ou sous-modéré, le spectre des neutrons comportera une composante rapide plus ou moins importante ce qui peut être préjudiciable ou parfois souhaitable selon les objectifs des programmes expérimentaux.
Enfin, la répartition spatiale des neutrons n’est pas uniforme et décroît du centre vers la périphérie du cœur en présentant des perturbations locales dues, entre autres, au mouvement des barres de contrôle et à la présence des expériences. Ceci entraîne une répartition spatio-temporelle variable de la puissance calorifique générée et donc la présence de points chauds qui doivent être bien identifiés et traités du point de vue thermo-hydraulique pour éviter toute surchauffe du combustible au-delà des limites de sécurité fixées pour empêcher sa dégradation (rupture de gaine et fusion localisée avec relâchement de produits de fission radioactifs dans le réacteur). On mesure ainsi l’importance des réacteurs de 4ème catégorie, assemblages et maquettes neutroniques, pour déterminer expérimentalement les caractéristiques neutroniques des cœurs de réacteurs et valider les codes et les méthodes de calculs neutroniques.
La conception d’un réacteur de recherche très performant doit donc rechercher le meilleur compromis entre plusieurs impératifs contradictoires :
- définir un cœur compact pour atteindre des densités de fission élevées,
- assurer un volume expérimental suffisant pour implanter toutes les expériences,
- extraire des densités de puissance importantes sans nuire aux performances neutroniques du cœur ni gêner son utilisation expérimentale.
Le coût d’investissement d’un réacteur de recherche dépend de son type et de sa puissance mais aussi de l’importance des moyens associés pour la réalisation des expériences et des examens post-irradiations. Il peut atteindre plus d’un milliard d’euros. Leur durée de vie, en général de 40 à 50 ans, dépend de différents facteurs dont le vieillissement n’est pas toujours le plus déterminant. La capacité à prendre en compte l’évolution des programmes expérimentaux ou celle des critères de sûreté dans un sens de plus en plus contraignant, place beaucoup d’installations dans une situation difficile à traiter aussi bien sur le plan technique que financier.
Les réacteurs de recherche en France sont soumis par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) à la même réglementation que les réacteurs de puissance pendant toutes les étapes de leur vie : autorisations de création, d’exploitation, de modification, réévaluation décennale de sûreté, inspections régulières. Ils présentent cependant beaucoup moins de risques potentiels pour l’environnement car l’inventaire des produits de fission dangereux présents dans leur cœur est bien plus faible. Après l’accident de Fukushima, l’ASN a durci les dispositions existantes afin de renforcer la résistance de tous les réacteurs aux situations accidentelles ultimes. À titre d’exemple, le RHF de Grenoble doit désormais prendre en compte un séisme majoré de sécurité qui entraînerait la rupture des 4 barrages situés sur le Drac, en amont de Grenoble et du RHF, avec comme conséquence l’inondation du site du RHF sous 6 mètres d’eau (Lire : La sûreté nucléaire).
En matière de politique de sûreté nucléaire, comme sur les autres grands sujets nucléaires, la concertation internationale s’effectue sous l’égide de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Aux pays dont l’importance des programmes nucléaires ne justifie pas la mise en place d’une organisation de sûreté disposant de toutes les compétences, l’AIEA peut apporter son concours pour procéder à des expertises et des revues de sûreté INSARR (Integrated Nuclear Safety Assessement of Research Reactors) ou OSART (Operational Safety Review Team) pour les réacteurs de puissance.
2. Principaux types de réacteurs de recherche
Dans le cadre limité de cet article, on se bornera à décrire les caractéristiques générales des deux grandes familles qui représentent la quasi-totalité des réacteurs de recherche tout en sachant que plusieurs variantes peuvent coexister au sein de chaque famille.
2.1. Les réacteurs à eau lourde
Le cœur de ces réacteurs est modéré et refroidi à l’eau lourde. Historiquement, les premiers réacteurs utilisaient les excellentes propriétés neutroniques de l’eau lourde ou du graphite comme modérateur et réflecteur pour pouvoir fonctionner avec de l’uranium naturel, seul combustible disponible à l’époque. Ce fut le cas par exemple des réacteurs NRX (42 MW) et NRU (135 MW) au Canada, Dido (20 MW) et Pluto (20 MW) en Grande-Bretagne dont les modèles ont été exportés ou reproduits en Allemagne, Australie, Danemark, Inde et Taiwan (Figures 1, 2 et 3).
Une dizaine de tubes horizontaux appelés canaux sont positionnés à 360 degrés autour du cœur placé au centre d’une cuve à eau lourde afin d’extraire du bloc réacteur des faisceaux collimatés de neutrons thermiques (beam tubes). Les canaux traversent les protections biologiques et à leurs extrémités, hors du bloc réacteur, sont installés les appareillages expérimentaux (diffractomètres et spectromètres). Les qualités modératrices de l’eau lourde permettent d’obtenir des faisceaux de neutrons thermiques très purs (absence de neutrons rapides considérés comme parasites), parfaitement adaptés aux études de physique de la matière condensée. Ces réacteurs étaient entourés de protections biologiques de forte épaisseur en acier et béton de sorte que l’accès aux parties internes imposait des manipulations lourdes au moyen de hottes blindées de chargement/déchargement qu’il fallait positionner sur des ouvertures à bouchon tournant prévues à cet effet dans le bouclier de protection supérieur.
Par la suite, la possibilité d’utiliser de l’uranium très enrichi en ²³⁵U a permis la réalisation de réacteurs à eau lourde très compacts et à très haut flux dont les principaux composants pouvaient être immergés dans une piscine avec une accessibilité plus aisée depuis la surface, l’eau remplaçant les protections biologiques imposantes antérieures. Le concept le plus abouti de cette génération est représenté par le RHF à Grenoble dont le cœur, modéré et refroidi à l’eau lourde, est constitué d’un unique élément combustible cylindrique formé de plaques très fines réparties en couronne et chargées en uranium enrichi à 93% en ²³⁵U (Figure 4).
L’emploi d’uranium très enrichi permet également de substituer l’eau légère à l’eau lourde comme caloporteur pour le refroidissement du cœur, au prix toutefois d’une baisse des performances compensée par une exploitation et une maintenance plus faciles et moins coûteuses du fait d’un inventaire en eau lourde moins important et de l’absence d’eau tritiée dans les circuits de refroidissement. La présence d’eau tritiée dans les circuits à eau lourde est due à la formation de tritium par activation neutronique des atomes de deutérium de l’eau lourde et impose leur parfaite étanchéité compte tenu des risques radiologiques propres au tritium. (Figures 6 et 7).
Les réacteurs à eau lourde ne sont pas très adaptés aux essais de matériaux du fait de la présence d’une cuve à eau lourde fermée et étanche qui rend difficile l’accès direct au cœur. Néanmoins, des emplacements d’irradiations peuvent être implantés en nombre restreint sous forme de doigts de gants à poste fixe pour la production de radio-isotopes, le dopage de silicium et l’analyse par activation.
2.2. Les réacteurs modérés et refroidis à l’eau légère
Ils constituent la très grande majorité du parc mondial de réacteurs de recherche. L’eau remplit alors plusieurs rôles : modérateur, réflecteur, caloporteur pour le refroidissement du cœur en convection forcée et enfin protection biologique contre les rayonnements gammas émis par le cœur. Ils utilisent de l’uranium enrichi ou très enrichi en ²³⁵U, la réaction en chaîne de fissions étant impossible à obtenir dans un réacteur à uranium naturel modéré à l’eau légère. On peut les regrouper en deux sous-catégories.
2.2.1. Les réacteurs piscine à cœur ouvert
Le bloc cœur est soutenu par des structures au fond d’une piscine d’environ 10 mètres de profondeur. Le refroidissement s’effectue par un circuit primaire ouvert qui aspire l’eau de la piscine à travers le cœur et des échangeurs de chaleur avant de la renvoyer par des diffuseurs au fond de la piscine. L’absence de pressurisation limite la puissance spécifique extractible mais l’accès direct au cœur présente beaucoup d’avantages :
- simplicité et sûreté intrinsèque (par exemple, refroidissement à l’arrêt par convection naturelle dans la piscine),
- visibilité et accessibilité du cœur pour le chargement-déchargement des expériences réacteur en fonctionnement,
- polyvalence et souplesse d’adaptation à l’évolution des programmes (facilité de modification ou de remplacement des structures internes).
Les premiers réacteurs piscine à cœur ouvert ont été construits en de très nombreux exemplaires partout dans le monde dès les années 1950 à partir d’un modèle américain conçu dans le cadre du programme Atom for Peace. À l’époque, leur puissance ne dépassait pas quelques MW. Ils comportaient généralement cinq faisceaux sortis placés au plus près du cœur, leur ouvrant une certaine polyvalence d’utilisation : études de physique, irradiations et production de radioéléments de base, analyses par activation, enseignement universitaire et formation.
Après la mise en service de deux réacteurs de ce type (Mélusine et Triton), la France a rapidement entrevu leur énorme potentiel de développement et a construit deux réacteurs aux performances supérieures d’un facteur 10 à 20 aux réacteurs précédents grâce à de nombreuses innovations et solutions techniques originales, pour la plupart adoptées et appliquées par la suite aux nouveaux projets ou à la modernisation de réacteurs existants. Il s’agit de Siloé qui a fonctionné à 35 MW de 1963 à 1997 (circulation forcée de l’eau en sens descendant) et d’Osiris (circulation en sens ascendant) qui fonctionne depuis 1966 à 70 MW en offrant des flux thermiques et rapides élevés d’environ 4.10¹⁴n/cm².s . Ces performances restent inégalées pour ce type de réacteurs (Figure 8).
2.2.2. Les réacteurs piscine à caisson
Dans les réacteurs piscine à cœur ouvert, c’est la hauteur d’eau au-dessus du cœur qui constitue la référence de pression du circuit primaire (soit à l’entrée du cœur en écoulement descendant, soit à la sortie du cœur en écoulement ascendant) et qui détermine, par voie de conséquences, les limites des paramètres thermo-hydrauliques du cœur et finalement le flux calorifique maximum évacuable. Pour franchir ces limites, il faut augmenter la pression dans le cœur et l’installer dans un caisson constitutif du circuit primaire qui, dès lors, n’est plus ouvert sur la piscine mais peut fonctionner en boucle fermée sous pression. Il devient ainsi possible d’extraire des puissances spécifiques plus élevées et d’augmenter les flux de neutrons disponibles. En revanche, les emplacements d’irradiation situés dans le cœur sont plus difficilement accessibles et doivent se faire par des traversées étanches ménagées dans le caisson tandis que les emplacements périphériques situés dans le réflecteur hors du caisson présentent des flux un peu plus faibles car ils sont atténués par l’absorption des neutrons dans les parois du caisson. Le choix de l’aluminium (plus rarement du zircaloy) comme matériau de construction des caissons réduit cette atténuation mais limite leur tenue en pression (généralement autour de 10 bars à comparer aux 150 bars des cuves de pression en acier des réacteurs de puissance à eau pressurisée).
La conception du réacteur à caisson fermé BR2 de 100 MW est particulièrement originale. Le caisson en aluminium sous pression à 22 bars se présente sous la forme d’un diabolo dont le cœur occupe la partie rétrécie, son couvercle supérieur d’un diamètre environ deux fois plus grand, laissant ainsi plus d’espace pour implanter les manchettes de pénétration des dispositifs d’irradiation qui sont légèrement inclinés par rapport à la verticale.
Pour permettre l’extraction de flux calorifiques importants, les réacteurs piscine utilisent des éléments combustibles feuilletés, constitués de plaques fines (épaisseur de 1,3 à 1,5 mm) serties parallèlement dans des boîtiers en aluminium pour constituer les canaux de refroidissement, chaque plaque étant constituée d’un sandwich de matériau fissile (composé d’aluminium et d’uranium enrichi en ²³⁵U) gainé d’aluminium. Toutes choses égales par ailleurs, cette technologie à plaques fines présente des performances thermo-hydrauliques supérieures à celles de tubes cylindriques employés dans quelques réacteurs et notamment dans les premiers réacteurs à eau lourde (Figure 9).
Les réacteurs à eau légère sont très bien adaptés aux essais de combustibles et de matériaux pour les différentes filières de réacteurs de puissance mais ne peuvent égaler les réacteurs à eau lourde pour la recherche fondamentale bien que certains d’entre eux comportent un nombre réduit de faisceaux sortis et offrent ainsi une certaine polyvalence d’utilisation.
2.2.3. Autres types de réacteurs à eau légère
Construits à une trentaine d’exemplaires, les réacteurs TRIGA constituent une variante des réacteurs piscine à cœur ouvert. Ils utilisent pour combustible un composé d’uranium et d’hydrure de zirconium (U-ZrH) sous forme de pastilles empilées dans des tubes d’aluminium. Ce combustible offre une très bonne contre-réaction en cas d’élévation de température ouvrant ainsi, pour certaines expériences particulières, la possibilité d’effectuer en toute sûreté des transitoires de puissances (jusqu’à 1.000 MW) pendant des fractions de seconde. En régime stable, leur puissance n’excède généralement pas quelques MW.
2.2.4. Réacteurs expérimentaux à neutrons rapides
Très peu nombreux, ils occupent une place particulière car ils utilisent du plutonium 239 comme combustible. Ils sont totalement dédiés au développement de la filière des réacteurs de puissance à neutrons rapides. Parmi eux, citons Rapsodie (40 MW) utilisé jusqu’en 1983 à Cadarache, FBTR (Inde, 40 MW) construit en coopération sur le modèle de Rapsodie, BOR 60 (Russie, 60 MW) et CEFR (Chine, 65 MW). La Russie a lancé le projet MBIR de 150 MW qui disposera d’une très grande capacité expérimentale pour remplacer BOR 60 à partir de 2017.
Le plutonium n’existe pas à l’état naturel mais il est produit dans les réacteurs à neutrons thermiques par transformation de l’uranium 238 qui n’est pas fissile en plutonium 239 fissile. Le plutonium 239 présente en particulier la caractéristique de subir la fission par les neutrons rapides avec une très bonne probabilité d’occurrence ce qui dispense de la nécessité d’avoir un modérateur. Ceci permet d’envisager des configurations où la production de plutonium à partir d’une couverture d’uranium naturel disposée autour d’un cœur compact à neutrons rapides serait plus importante que la quantité de plutonium consommée pour le fonctionnement du réacteur (réacteur surgénérateur). La densité spécifique très importante du combustible des cœurs de réacteurs rapides impose l’utilisation de caloporteurs très efficaces tels que les métaux liquides et en particulier le sodium liquide.
Par ailleurs, certains réacteurs RNR prototypes conçus prioritairement pour produire de l’énergie offrent également la possibilité de réaliser quelques irradiations technologiques analogues à celles des réacteurs de recherche et d’essais en bénéficiant de flux de neutrons rapides très supérieurs. C’était le cas de Phénix à Marcoule (1973-2009), réacteur à neutrons rapides de 250 MW, qui comportait plusieurs emplacements pour réaliser des essais complémentaires des essais analytiques effectués dans Rapsodie, Siloé et Osiris. Le nouveau projet de réacteur à neutrons rapides ASTRID (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration, 600MWe) en cours d’étude au CEA dans le cadre de la 4ème génération de centrales nucléaires et dont la construction est envisagée sur le site de Marcoule, devrait également comporter des capacités d’irradiations avec des moyens d’examens pour tester des nouveaux combustibles et matériaux de gainage et de structure.
3. Principales utilisations des réacteurs de recherche
Elles vont de la recherche fondamentale aux recherches appliquées dans nombre de domaines.
3.1. Recherche fondamentale
L’utilisation de faisceaux intenses de neutrons thermiques collimatés est particulièrement bien adaptée aux études de la matière condensée (études des milieux solides ou liquides ainsi qu’à toutes les formes de matière intermédiaire, matière molle) en raison des caractéristiques propres du neutron. Ce dernier, en effet, ne porte pas de charge électrique ce qui lui donne un grand pouvoir de pénétration dans la matière pour interagir directement avec le noyau des atomes (diffusion élastique et inélastique, absorption, fission). Il possède un moment magnétique (spin ½) et interagit également avec les moments magnétiques des atomes. Comme toutes les particules, les neutrons ont une onde associée, appelée onde de L. de Broglie, qui est une fonction de leur vitesse. Avec une vitesse moyenne de 2.200m/sec, les neutrons thermiques ont une longueur d’onde associée λ = 0,18 nm (nanomètre) parfaitement adaptée à l’étude des structures cristallines par diffraction puisqu’elle est du même ordre de grandeur que les distances réticulaires dans les cristaux.
L’emploi de sources froides permet d’obtenir des longueurs d’onde associées supérieures à λ = 0,3 nm et d’élargir ainsi le champ des recherches. Les sources froides sont des dispositifs de haute technologie conçus pour maintenir un volume de 15 à 25 litres de deutérium liquide à -250°C ou d’hydrogène liquide à – 253°C dans une cellule intercalée sur le parcours des neutrons dans le réflecteur, devant le nez des canaux. A l’inverse, avec des sources chaudes (bloc de graphite porté à 1250 °C) on obtient des longueurs d’onde plus faibles, de l’ordre de λ = 0,08 nm.
Enfin, l’implantation, à l’intérieur des canaux, de guides de neutrons de section rectangulaire revêtus de miroirs multicouches (couches très minces de nickel et de titane déposées par pulvérisation magnétron) permet la propagation des neutrons thermiques sans atténuation sur des longueurs allant jusqu’à 100 mètres avec des gains de sensibilité notables. Cette technologie permet ainsi une augmentation importante du nombre d’expériences réparties le long des guides qui débouchent alors dans un bâtiment spécifique accolé à l’enceinte de confinement du réacteur (Figure 10).
Le neutron constitue donc une sonde d’investigation unique pour les études de physique du solide, l’étude des structures et des excitations magnétiques, la détermination des structures cristallines et, plus récemment, pour les recherches en physico-chimie moléculaire et macromoléculaire, biochimie et biologie moléculaire. Ces recherches s’effectuent au moyen d’instruments expérimentaux très sophistiqués : diffractomètres à cristal ou à poudre, spectromètres à deux ou trois axes, spectromètres à temps de vol, appareils de diffusion aux petits angles, etc. dont la qualité et les performances s’avèrent aussi importantes que la qualité et l’intensité des faisceaux de neutrons (Figure 11).
Parmi les grands réacteurs entièrement dédiés à la recherche fondamentale, le RHF à Grenoble, avec 40 instruments installés à la sortie des faisceaux, est sans conteste le plus recherché et utilisé par les physiciens du monde entier qui y réalisent environ 700 expériences par an.
3.2. Recherche appliquée et technologique
Les besoins à satisfaire, bien que moins nombreux depuis 10 à 15 ans, restent cependant d’une très grande importance par la diversité et la complexité des essais à réaliser en support des programmes de développement des différentes filières de réacteurs de puissance :
- amélioration régulière des performances des combustibles et des matériaux utilisés dans les centrales en service (Lire : Le cycle du combustible nucléaire) ;
- sélection, caractérisation et qualification de nouveaux matériaux et combustibles pour les réacteurs de nouvelles générations,
- amélioration des connaissances en matière de sûreté (études analytiques d’évolution et de vieillissement des matériaux, comportement en transitoires, études d’accident).
Viennent s’ajouter à cette liste d’autres besoins d’irradiations plus ponctuels pour la qualification des matériaux des réacteurs de fusion et l’étude de la transmutation des déchets nucléaires de période longue (Lire : L’homme, les rayonnements, la radioprotection).
Les flux de neutrons des réacteurs d’essais, plus importants que ceux rencontrés dans les centrales, permettent de réduire la durée de la plupart des expériences et de gagner un temps précieux dans l’analyse et l’interprétation des résultats. Ces essais consistent à effectuer des irradiations d’échantillons dans des dispositifs instrumentés de haute technologie, appelés capsules ou boucles, qui reproduisent fidèlement les conditions d’utilisation et d’environnement rencontrées en centrales que ce soit en situations normales, transitoires ou limites de fonctionnement. Ces échantillons peuvent être de différentes natures ou géométries : par exemple, éprouvettes de traction et de résilience pour les matériaux, crayons ou grappes de crayons de différents types de combustible. Ils sont équipés d’une instrumentation très complète (capteurs de mesures dimensionnelles, pression, température, flux neutroniques) afin de suivre leur comportement en ligne pendant toute la durée des irradiations. Les essais courants ont pour objectifs l’étude et le suivi des caractéristiques mécaniques des aciers de cuve et des matériaux de gainage des combustibles, les interactions thermomécaniques combustible-gaine, les relâchements et migrations des produits de fission, les essais à fort taux de combustion, les comportements en transitoires lents ou rapides de puissance, entre autres.
L’irradiation ne représente qu’une étape, certes la plus importante d’un essai, mais elle doit être suivie d’une série d’examens post-irradiations qui font eux-mêmes appel à des techniques et des moyens importants. Ceux-ci sont effectués dans des laboratoires d’examens appelés «Laboratoires chauds» situés dans des bâtiments spécifiques (Figure 12). Ces Laboratoires chauds sont constitués de cellules blindées pouvant recevoir les échantillons irradiés afin de procéder à l’aide de télémanipulateurs à toute une gamme d’examens post-irradiation : examens métallographiques, tests mécaniques, mesures dimensionnelles, mesures physico-chimiques, notamment.
3.3. Les essais de sûreté
L’objectif est d’étudier pour les différentes filières de centrales nucléaires, les situations accidentelles consécutives à une perte de réfrigérant primaire ou à une injection positive de réactivité suite, par exemple, à l’éjection d’une barre de contrôle et d’en analyser les conditions initiales, le déroulement et les conséquences sur le comportement du combustible, les circuits de refroidissement, les rejets dans les enceintes de confinement et l’environnement (Lire : Retour d’expérience sur les accidents nucléaires).
Ces essais sont réalisés dans des réacteurs dédiés qui servent de cœurs nourriciers à des boucles autonomes instrumentées dans lesquelles des éléments de combustible représentatifs des centrales sont soumis à des conditions de fonctionnement accidentelles. Il s’agit d’expérimentations complexes nécessitant de longues périodes de conception, de préparation, d’analyse et d’interprétation. Seul un très petit nombre de réacteurs dans le monde sont conçus pour réaliser ces programmes qui s’effectuent dans le cadre de collaborations internationales comme c’est le cas à Cabri au CEA à Cadarache.
3.4. Autres utilisations
Elles intéressent des domaines scientifiques ou technologiques très variés et dans le domaine particulier de la santé, elles apportent une contribution essentielle dans l’établissement des diagnostics par imagerie médicale et le traitement de certains cancers.
- Production de radio-isotopes pour la médecine et pour l’industrie :
- Les réacteurs de recherche assurent la quasi-totalité de la production mondiale de radio-isotopes à usage médical hospitalier. En France, par exemple, il se pratique chaque année plus d’un million de diagnostics in vivo par scintigraphie en utilisant principalement le technétium 99m et l’iode 131 tandis que plus de 100.000 patients sont traités par radiothérapie (cobalt 60 et iridium 192).
- La continuité de cette production est actuellement assurée par huit réacteurs dont cinq en Europe. Avec l’arrêt annoncé de plusieurs réacteurs dans un avenir proche, la menace d’une pénurie est réelle. C’est dans ce contexte qu’un nouveau réacteur européen de 50 à 80 MW totalement consacré à la production de radio-isotopes est à l’étude. Sa construction est envisagée sur le site Euratom de l’Union Européenne à Petten aux Pays-Bas pour remplacer le réacteur HFR de 45 MW, âgé de plus de 50 ans.
- Dans l’industrie, les radio-isotopes tels que le carbone 14, le sodium 24, l’or 198 sont utilisés comme traceurs radioactifs tandis que les sources radioactives scellées (iridium 192) sont employées pour les contrôles non destructifs in situ.
- Analyse par activation neutronique d’éléments présents sous forme de traces à très faibles concentrations, jusqu’à une partie par milliard, dans des échantillons prélevés dans le cadre de recherches sur les matériaux ultra purs, en géologie, archéologie, sciences de l’environnement, biomédecine, pharmacologie ou encore pour des expertises médico-légales.
- Examens non destructifs par neutronographie de pièces et d’assemblages comportant des éléments légers (H, Li, Be, B, etc.) qui, très schématiquement, sont transparents aux rayons X et gammas mais opaques aux neutrons thermiques alors que les éléments lourds (comme le Pb) sont opaques aux rayons X et gammas et transparents aux neutrons thermiques. Cette technique est utilisée pour le contrôle non destructif de pièces pour l’aéronautique et l’espace (structures en nid d’abeille, dispositifs pyrotechniques, boulonnerie explosive des lanceurs Ariane par exemple).
- Dopage de lingots monocristallins de silicium par capture de neutrons thermiques et transmutation d’une faible partie (1 à 10 ppm) des noyaux de l’isotope Silicium 30 en Phosphore 31 (dopage de type N). Ce procédé est mis en œuvre dans une dizaine de réacteurs pour produire 150 t/an de silicium dopé nécessaire à la fabrication de transistors de puissance utilisés pour des applications industrielles, en particulier les transports (trains, tramways).
- Le tableau ci-dessous, sans être exhaustif, donne cependant une image globale représentative du parc mondial actuel de réacteurs de recherche et d’essais et permettra d’étayer les quelques réflexions sur les perspectives d’avenir qui sont proposées en guise de conclusion de cet article.
Réacteurs de recherche et d’essais | ||||
A. Réacteurs à faisceaux sortis pour la recherche fondamentale | ||||
Allemagne | FRM2 | eau lourde/eau légère | 20 MW | 2001 |
Australie | OPAL | eau lourde/eau légère | 20 | 2006 |
Chine | CARR | eau lourde/eau légère | 60 | 2010 |
Etats-Unis | NBSR | eau lourde/eau lourde | 20 | 1967 |
France | RHF | eau lourde/eau lourde | 57 | 1971 |
ORPHEE | eau lourde/eau légère | 14 | 1980 | |
Japon | JRR 3M | eau lourde/eau légère | 20 | 1990 |
Russie | IVV-2M | eau légère/béryllium | 15 | 1966 |
PIK | eau lourde/eau lourde | 100 | en construction | |
B. Réacteurs d’essais de matériaux | ||||
Belgique | BR2 | piscine caisson | 100 MW | 1966 |
Canada | NRU | eau lourde | 135 | 1957 |
Chine | HFETR | piscine caisson | 125 | 1979 |
Corée | HANARO | eau lourde/eau légère | 30 | 1995 |
Etats-Unis | ATR | piscine caisson | 250 | 1967 |
HFIR | piscine caisson | 85 | 1965 | |
France | OSIRIS | piscine à cœur ouvert | 70 | 1966 |
RJH | piscine caisson | 100 | en construction | |
Inde | DHRUVA | eau lourde | 100 | 1985 |
Japon | JMTR | piscine caisson | 50 | 1968 |
Pays-Bas/UE | HFR | piscine caisson | 45 | 1961 |
Norvège/OCDE | HBWR | eau lourde bouillante | 25 | 1959 |
Russie | SM-3 | caisson | 100 | 1961 |
MIR | piscine tubes de force | 100 | 1966 | |
BOR 60 | rapide sodium | 60 | 1969 | |
Nota: Certains des réacteurs de cette catégorie B comportent des faisceaux sortis et pourraient être inscrits dans les 2 catégories.
L’arrêt à court terme de plusieurs réacteurs est annoncé (NRU en 2016, Osiris en 2015, HFR). Le réacteur HFR est supporté par Euratom, le réacteur HBWR par l’OCDE. |
4. Les réacteurs de recherche et la non prolifération
Tous les pays signataires du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) établi en 1968 s’engagent à déclarer leurs installations nucléaires à l’AIEA et à les soumettre à son contrôle afin de vérifier leur usage pacifique. Les rares pays non signataires font l’objet de pressions permanentes pour ratifier le traité et fournir des informations complètes et vérifiables sur leurs installations nucléaires (Lire : Non-prolifération des armes nucléaires ?).
Les réacteurs de recherche peuvent devenir des vecteurs de prolifération s’ils sont détournés de leur usage civil pour obtenir directement de l’uranium 235 (sans passer par l’étape de l’enrichissement) ou produire du plutonium 239, utilisables dans les deux cas pour la fabrication d’armes atomiques.
Dès les années 1960, le combustible des réacteurs de recherche était à base d’uranium très enrichi à 90% ou 93% en uranium 235 fourni sous contrôle par les États-Unis (en moyenne 700 Kg/an dans les années 1970) et dans une moindre mesure par la Russie. La possibilité de détournement de cet uranium très enrichi à des fins militaires a conduit les États-Unis à lancer en 1978 un vaste programme appelé RERTR (Reduced Enrichment for Research and Test Reactors) pour limiter ses fournitures à de l’uranium enrichi à 20% considéré comme non proliférant. Bon gré mal gré, les exploitants ont accepté de participer à ce programme qui conduisait inévitablement à une baisse des performances de leurs installations, sous peine de ne plus pouvoir s’approvisionner en uranium enrichi, la Russie ayant adopté la même position que les États-Unis.
La réalisation de ce programme RERTR a nécessité la qualification d’un nouveau type de combustible uranium-silicium d’une densité plus élevée que le combustible classique uranium-aluminium afin de conserver si possible la même charge d’uranium 235 par unité de volume et limiter la baisse des performances. Ce programme de substitution a été progressivement appliqué dans tous les réacteurs de recherche, à quelques exceptions près, depuis environ 30 ans et devrait se terminer en 2020.
Par ailleurs, il faut également noter qu’après utilisation, les combustibles dits usés sont mis en stockage intérimaire pendant quelques années avant de pouvoir être transportés et retraités, mais ils contiennent encore environ 70% de l’uranium enrichi initial.
Malgré les mesures sévères de contrôle et de surveillance du combustible auxquelles sont soumises les installations détentrices d’uranium enrichi pendant toute la durée du cycle, l’éventualité de détournements habilement préparés et dissimulés ne peut être exclue.
L’autre possibilité consiste à produire du plutonium en procédant à des irradiations de dispositifs contenant de l’uranium naturel dont l’uranium 238 présent à 99,3% se transformera en plutonium 239. Après une durée d’irradiation optimisée, chaque dispositif sera déchargé du réacteur pour subir un traitement chimique et récupérer le plutonium. Le même processus peut s’appliquer si le combustible du réacteur est lui-même constitué d’uranium naturel ou faiblement enrichi comme c’est le cas pour certains réacteurs de recherche à eau lourde (ou graphite). Quel que soit le schéma, les réacteurs à eau lourde ont une capacité de production de plutonium plus importante que les autres et sont considérés comme plus proliférants. Un réacteur à eau lourde d’une puissance de 20 MW pourrait produire une quantité annuelle de plutonium de quelques kilogrammes suffisante pour alimenter un programme militaire.
Dans ce contexte, les suspicions qui pèsent actuellement d’une part sur la Corée du Nord qui a construit un réacteur de 25 MW à uranium naturel modéré au graphite associé à une installation d’extraction de plutonium et d’autre part sur l’Iran qui poursuit la construction d’un réacteur de 40 MW à eau lourde et uranium naturel ne sont pas infondées. D’autres pays avant eux ont présenté des situations similaires avant que, sous la pression de la communauté internationale, l’AIEA n’obtienne finalement leur régularisation.
5. Perspectives
Après la Seconde Guerre mondiale, les réacteurs de recherche ont connu un véritable essor et joué un rôle primordial dans le développement des sciences et des techniques nucléaires. Cette période est révolue. Depuis 20 ans, on assiste à une baisse régulière du nombre de réacteurs en service, tendance qui ne fléchira pas compte tenu du vieillissement du parc et du coût croissant de leur maintien en activité alors que les besoins exprimés par les programmes nucléaires sont globalement en décroissance. En Europe, la Grande-Bretagne, la Suède, le Danemark, l’Espagne, l’Italie n’ont plus de réacteurs de recherche.
On se dirige vers un parc réduit et très sélectif de réacteurs performants, financés et exploités dans le cadre de collaborations multinationales à l’instar de ce qui se pratique de plus en plus pour ce qu’on appelle les Très grands équipements de recherche (RHF, ITER, Grands accélérateurs, Sources de rayonnement synchrotron ou Sources à spallation).
En France, le CEA a lancé, au milieu des années 1990, le projet d’un réacteur de 100 MW dédié aux essais de matériaux et de combustibles pour assurer la relève des réacteurs d’essais français et européens en fin de vie. Ce projet connu initialement sous le nom de REX 2000 a ensuite été baptisé Réacteur Jules Horowitz (RJH) en hommage à l’homme de sciences hors pair que fut Jules Horowitz (Figure 13). Depuis son lancement, une dizaine de partenaires européens ainsi que l’Inde ont rejoint le projet en contribuant à son financement ce qui leur confère un droit d’accès correspondant. Du type piscine à caisson fermé, modéré et refroidi à l’eau légère avec une densité de puissance de 600kW/l, il devrait présenter des flux thermiques et rapides équivalents ou supérieurs à ceux des principaux réacteurs d’essais actuellement en service. Il pourra accueillir simultanément une vingtaine d’expériences disposées dans le cœur et dans une matrice de béryllium agissant comme réflecteur autour du cœur cylindrique. Sa construction est bien avancée et sa mise en service actif est prévue en 2018 (Figure 14).
Dans le domaine de la recherche fondamentale, si l’Europe apparaît actuellement bien dotée avec trois réacteurs performants (FRM 2 à Munich, Orphée à Saclay et le RHF à Grenoble), la question de l’avenir se pose à l’horizon 2030 compte tenu de l’âge et du rôle prépondérant occupé sur le plan mondial par le RHF depuis plus de 40 ans. Le réacteur PIK de 100 MW, en période finale de construction à Saint-Pétersbourg (Figure 15) après de longues années d’avancement à cadence réduite et dont les performances annoncées sont voisines de celles du RHF, pourrait-il faire partie de la solution ?
Dans ce contexte, les sources à spallation qui constituent des sources pulsées intenses de neutrons, historiquement plus récentes que les réacteurs, peuvent-elles offrir une véritable alternative ? La spallation est une réaction nucléaire qui se produit lorsqu’un proton accéléré à une très forte énergie de 1GeV entre en collision avec une cible constituée de noyaux lourds (plomb, bismuth, tungstène) en éjectant 25 à 30 neutrons par noyau, neutrons très énergiques qui doivent être ralentis dans un modérateur pour obtenir des neutrons thermiques. La spallation présente l’avantage de dissiper beaucoup moins d’énergie que la fission ce qui facilite le refroidissement de la cible émettrice des neutrons mais la difficulté réside dans la réalisation d’un accélérateur de protons capable d’une puissance de faisceau suffisante pour obtenir des flux de neutrons équivalents à ceux des réacteurs. Ce n’est pas le cas des cinq sources à spallation actuellement en service dans le monde (États-Unis, Grande Bretagne, Suisse et Japon) dont la puissance de faisceau ne dépasse pas 1 MW.
Par contre, la nouvelle source ESS (European Spallation Source), en cours de réalisation à Lund en Suède avec 17 pays partenaires pour un coût de 1.840 millions d’euros, présentera des performances très supérieures aux sources existantes (Figure 16). Elle comportera un accélérateur linéaire de 480m de longueur capable d’envoyer un faisceau pulsé de 5 MW de protons à 2,5 GeV sur une cible de tungstène et de délivrer des pics de flux de 40.10¹⁵neutrons/cm².s d’une largeur de 3 ms avec une fréquence de répétition de 14Hz (les sources pulsées actuelles délivrent des pulses courts d’environ 1 microseconde et 10 fois moins intenses). Elle permettra d’alimenter 22 lignes d’expériences dans un premier temps et 44 à terme. Si ces performances se confirment avec une bonne fiabilité d’exploitation, sa mise en service à partir de 2020 pourrait ouvrir de nouvelles perspectives et assurer le relais du RHF dont la durée d’exploitation est prévue jusqu’en 2030.
Enfin, le projet MYRRHA étudié depuis plusieurs années par le SCK-CEN de Mol en Belgique consiste à réaliser un système hybride couplant une source à spallation à un réacteur pouvant fonctionner en mode critique ou sous-critique, constitué d’un cœur sans modérateur avec un combustible d’oxyde mixte plutonium-uranium refroidi au plomb liquide. Cette installation de 100 MW a pour objectif essentiel la transmutation des déchets très actifs à vie longue en déchets à vie plus courte par irradiation à des flux intenses de neutrons rapides. Le projet dont le coût est estimé à 960 millions d’euros se trouve dans la phase d’établissement d’un plan de financement international préalable au lancement de sa construction en vue d’une mise en service en 2024 (Figures 17 et 18).
Bibliographie complémentaire
AIEA Research Reactors Data Base, http://nucleus.aiea.org/RRDB
World Nuclear Association, Research Reactors, www.world-nuclear.org
Réacteurs de recherche et d’essais de matériaux,F. Merchie,Techniques de l’Ingénieur, 1996
Dossier CEA-Energie, www.cea.fr/energie/les-reacteurs-nucleaires-experimentaux
Dossier Les réacteurs nucléaires d’essais et de recherche, Revue RGN n°3, mai-juin 2002
Role of research reactors for fuel technology development, F. Merchie, Second Asian Seminar on Research Reactors, Jakarta, 1994
Role of multipurpose research reactors in the French nuclear program, F. Merchie, American Nuclear Society Topical Meeting, Boise, Idaho, 1990.
Journal de Physique IV, Vol.103, février 2003, Neutrons et Matériaux.
Cours sur la diffusion et la diffraction des neutrons, Laboratoire Léon Brillouin, Saclay, décembre 2010, http://www-llb.cea.fr/fanLLB/livret-fan-2010-V1.pdf
Les Armes Nucléaires, mythes et réalités, Livre de G. Le Guelte, Actes Sud, 2009
Nuclear Weapon Proliferation Indicators and Observables, Richard R. Paternoster, Los Alamos 12430 MS, 1992
REX 2000, A new Materials Testing Reactor Project, B. Barré, F. Merchie, P. Raymond, S. Frachet, B. Maugard, ENS Topical Meeting on Research Facilities for the Future of Nuclear Energy, Brussels, 1996
Le Réacteur RJH : polyvalence au service des matériaux, D. Iricane et P.Yvon, Revue Clefs CEA, n°55, 2007. Voir aussi le site RJH http://www-cadarache.cea.fr/rjh/fr
Research program on neutron reactors. Reactor PIK, V.V. Fedorov, 11th Anke/pax Worhshop, june 2012, Petersburg Nuclear Physics Institute, Gatchina, Russia
Reactor and Spallation Neutron Sources, Ken Andersen, European Spallation Source, Oxford School of neutron scattering, 2011
Les Systèmes Hybrides, M. Salvatores et M. Spiro, Revue Clefs CEA n°37, 1997-1998
MYRRHA, an innovative and unique irradiation research facility, H. Aït Abderrahim, SCK-CEN, Mol, Belgique, 2010
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