L’approvisionnement en énergie compte parmi les enjeux politiques, économiques et environnementaux décisifs pour l’avenir de la planète. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit une augmentation de la demande mondiale de plus de 35% d’ici 2035, en dépit des économies d’énergie qui doivent être recherchées. La satisfaction de cette demande et le respect des objectifs internationaux de lutte contre le réchauffement climatique imposent de développer les énergies décarbonées que sont les énergies renouvelables et l’énergie nucléaire, avec pour cette dernière le respect des exigences prioritaires de sûreté qui lui sont associées, ce que l’accident de Fukushima a rappelé en 2011.
À l’origine, les réacteurs électronucléaires étaient de petits réacteurs. Mais ils ont suivi une tendance générale en direction vers de plus grande puissance, en raison d’une économie d’échelle liée à la taille des installations et d’une demande toujours croissante d’énergie. Aujourd’hui, les réacteurs commercialisés sont, en très grande majorité, des réacteurs de forte puissance.
Pourtant depuis quelque temps, plusieurs pays concepteurs de réacteurs, notamment les États-Unis, la Russie, la Corée du Sud, la Chine développent une gamme de réacteurs électrogènes de puissance inférieure à 300 MWe, les Small Modular Reactors (SMR). Les promoteurs des SMR mettent en avant des ruptures technologiques, une construction modulaire s’inspirant notamment des techniques de construction navale, la standardisation et l’effet de série pour abaisser les coûts. En outre, l’investissement initial est réduit, donc moins risqué, et progressif (pour un site multi SMR), ce qui rend l’accès au nucléaire possible pour des compagnies d’électricité de taille moyenne ou des pays contraints économiquement. Outre la fourniture d’électricité, les SMR peuvent fournir de la chaleur industrielle et contribuer à la production d’eau douce. Leur utilisation pour la propulsion navale civile est également envisagée à plus long terme. La France, reconnue dans le monde pour sa filière électronucléaire d’excellence et appartenant au club très fermé des concepteurs et exploitants de réacteurs de faible puissance de propulsion navale, a produit des études de faisabilité et s’apprête à lancer le développement de SMR.
1. Une nouvelle architecture de réacteurs
L’objectif d’une nouvelle offre nucléaire complémentaire à celle des centrales de puissance et disponible au plus vite a conduit l’ensemble des acteurs dans le monde à retenir une filière de réacteur éprouvée, celle des réacteurs à eau pressurisée ou filière REP, la plus répandue dans le monde pour les centrales électrogènes et les réacteurs de propulsion navale (Lire : Les réacteurs nucléaires). L’autre filière, mature, celle des réacteurs à eau bouillante ou filière REB, souvent économiquement bien positionnée, n’est pas retenue comme application pour les SMR principalement pour les raisons suivantes :
- une conception présentant des inconvénients comme le confinement étendu à la partie conventionnelle (avec risque de contamination), les mécanismes sous cuve (avec traversées en fond de cuve), un pilotage avec des domaines d’instabilités ;
- une perception de la filière moins bonne depuis l’accident de Fukushima.
Les solutions de type réacteurs à haute température et réacteurs à neutrons rapides ont été également écartées compte tenu des enjeux calendaires.
L’architecture d’origine des REP qui s’est imposée pour les réacteurs électrogènes de puissance est celle des réacteurs à boucles où la cuve contenant le cœur et les mécanismes de commande des absorbants de contrôle est raccordée aux générateurs de vapeur par des boucles (jusqu’à 4 boucles sur l’EPR), sur lesquelles sont montées les pompes primaires et sur l’une d’entre elles le pressuriseur. D’autres architectures compactes avec suppression des boucles primaires ont été retenues notamment pour la propulsion navale.
La compétitivité des SMR impose de rechercher des ruptures en design et en réalisation pour contrebalancer le facteur d’échelle défavorable aux réacteurs de faible puissance. Sont aussi recherchées des conceptions et réalisations modulaires, standardisées et produites en série, en usine, qui permettraient de réduire les durées de construction sur site. Il s’agit là du levier économique principal pour abaisser le coût de réalisation des SMR. Par ailleurs, leur faible puissance est un atout et permet d’envisager des systèmes de sauvegarde simplifiés et passifs pour évacuer la puissance résiduelle et maintenir l’intégrité du réacteur en cas d’accident. Les systèmes passifs utilisent la gravité ou la circulation naturelle mise en œuvre du fait de la différence de densité par le chauffage d’un fluide en zone basse et son refroidissement en zone haute. Ces systèmes passifs fonctionnent sans intervention humaine pendant plusieurs jours et ne nécessitent aucune source d’énergie externe ce qui représente un avantage significatif au plan de la sûreté. Deux architectures se dégagent.
- L’architecture intégrée (Figure 1) qui réduit le circuit primaire à une seule cuve contenant le cœur, les mécanismes de commandes des absorbants de contrôle, les générateurs de vapeur, les pompes primaires et le pressuriseur. Cette architecture présente de sérieux atouts pour une construction modulaire poussée en usine et offre des avantages significatifs vis-à-vis de la sûreté (suppression des boucles primaires, grande inertie primaire et ratios volume-puissance offrant des marges confortables pour garantir le maintien du cœur en cuve en cas de fusion, conception en élévation facilitant le recours à des systèmes de sauvegarde passifs, entre autres). Cette architecture est celle des designs des projets SMR américains (mPower, Nuscale, Westinghouse) et des projets coréens (SMART), chinois (CAP 100) et argentins (CAREM). C’est aussi l’architecture retenue par la France pour son projet de SMR.
- L’architecture compacte ou multipots qui se caractérise par la suppression des boucles primaires et le raccordement à la cuve des générateurs de vapeur et des pompes primaires par des tubulures courtes dont la non rupture peut-être garantie. Cette architecture se prête également à une construction modulaire et permet sous certaines conditions la mise en œuvre d’une convection naturelle dans le circuit primaire et le recours à des systèmes de sauvegarde passifs. Cette architecture est celle des designs russes (réacteurs KLT 40S de la barge russe en cours de réalisation et des VBER) et américain (Holtec). Cette architecture a aussi été étudiée dans le passé par AREVA TA pour des projets électrogènes de faible puissance (projets CAS 2G et NP 300).
2. Les marchés visés
Pour la production d’électricité sur les grands réseaux interconnectés des pays industrialisés ou en développement, la réponse la plus appropriée en termes d’investissements nucléaires reste le réacteur de grande taille (> 1000 MWe) mais une part de SMR (plus souples que les réacteurs de puissance) pourrait toutefois être pertinente dans un réseau doté d’une part élevée de sources de production intermittentes. En revanche, les SMR répondent bien à la demande du marché électrogène sur les deux segments suivants :
- le segment des réseaux contraints par la taille et/ou l’économie : on y trouve les réseaux dont la taille ne permet pas d’ installer des centrales unitaires de forte puissance lesquelles ne doivent pas dépasser 10% de la taille du réseau, des réseaux exploités par des électriciens soucieux d’équilibrer leur production (mix énergétique), conscients du renchérissement à venir des énergies fossiles qu’accentueront des taxes carbone et n’ayant pas les capacités financières d’investir dans des centrales de puissance (coût de l’investissement initial renchéri par les intérêts élevés et la durée de réalisation) ; la réalisation sur un même site de plusieurs SMR est également envisagée et offre une flexibilité financière attractive en échelonnant, dans le temps, les investissements en fonction des capacités de financement ou de la demande du réseau dans un pays ou une région en croissance économique ou en renouvellement progressif de son parc de production électrique ;
- le segment des zones isolées ou insulaires pour lesquelles la réserve d’énergie d’un réacteur nucléaire présente un atout différenciant, ce qui est également le cas des bases militaires et des sites industriels isolés ; pour ce segment, la demande d’électricité peut aussi être couplée avec une demande de vapeur (production d’eau douce par dessalement de l’eau de mer, chauffage urbain ou chaleur industrielle).
3. Les concepts proposés dans le monde
On observe actuellement dans le monde un certain nombre de projets SMR de type REP qui sont à des stades de développement plus ou moins avancés.
- En Russie, une barge flottante (Akademik Lomonosov) équipée de deux réacteurs KLT-40S de 35 MWe chacun est en construction pour une mise en service en 2016 en Sibérie (Figure 2). La technologie des réacteurs (REP d’architecture type multipots) est dérivée de la propulsion des brises glaces nucléaires. Sont raccordés à la cuve 4 générateurs de vapeur et 4 pompes primaires d’embarquement d’un des deux réacteurs dans la barge (Figure 3). D’autres projets de technologie similaire mais de niveaux de puissance plus élevés sont également à l’étude chez ROSATOM/OKBM (projets RITM 200 de 50 MWe et VBER de 150 à 300 MWe).
- La Corée du Sud a développé le projet SMART de 100MWe certifié depuis 2012 par son autorité de sûreté. Le réacteur est du type intégré équipé de plusieurs générateurs de vapeur hélicoïdaux à simple passe (le circuit secondaire circule à l’intérieur des tubes), de pompes primaires horizontales, et de commandes des mécanismes de contrôle du cœur externes. Le cœur est composé de combustibles type REP de puissance (assemblages de 17 X 17 crayons de hauteur réduite à 2 m et d’enrichissement inférieur à 5%) comme l’essentiel des designs (Figure 4). Une première réalisation pourrait voir le jour en Arabie Saoudite dans les prochaines années.
- Aux États-Unis, plusieurs projets sont en cours de développement avec le soutien de l’État fédéral (Department of Energy) pour deux d’entre eux (projets mPower et Nuscale). L’objectif de ce pays est de reprendre une place de leader dans le paysage nucléaire et relancer l’industrie américaine. On distingue :
- Le projet mPower de Babcock et Wilcock. Il s’agit d’un réacteur intégré de 125 MWe, dont la cuve très élancée contient au-dessus du cœur un générateur de vapeur à tubes droits (simple passe), un pressuriseur intégré sous le dôme, des commandes de mécanismes immergées et des pompes primaires disposées en partie supérieure. Avec une première réalisation envisagée sur le site de Clinch River, exploitée par l’électricien Tenessee Valley Authority (TVA), il est le projet le plus avancé (Figure 5).
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Le projet NuScale de la société du même nom. Elle a été créée en 2007 pour commercialiser ce projet universitaire (Oregon) et est associée au groupe Fluor. Il s’agit d’un réacteur de 45 MWe de conception intégrée et dont le niveau de puissance permet une circulation du fluide primaire entièrement en circulation naturelle ce qui conduit à la suppression des pompes primaires. Ses dimensions rendent possibles la réalisation en usine du réacteur et de son enceinte de confinement métallique, l’ensemble étant transportable. Nuscale envisage l’aménagement jusqu’à 12 réacteurs sur un même site dans une grande piscine jouant le rôle de source froide pour évacuer la puissance résiduelle en cas d’accident (Figure 6).
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Le projet Westinghouse de réacteur intégré de 225 MWe similaire dans sa conception au projet de mPower avec toutefois des écarts concernant le pompage primaire (pompes horizontales et générateur de vapeur à recirculation). L’enceinte de confinement métallique est prévue pour être pré-assemblée en usine (Figure 7).
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Le projet HI-SMUR de la société Holtecde 160 MWe dont l’architecture est un mix de l’architecture intégrée et de l’architecture multi pots avec toutefois un seul générateur de vapeur et des dimensions très élancées de l’ensemble procurant une hauteur motrice élevée et en conséquence la circulation du fluide primaire en circulation naturelle sans pompes primaires (Figure 8).
- La Chine a développé un projet de réacteur intégré l’ACP 100 de 100 MWe conçu par CNNC qui envisage une version poussée en puissance jusqu’à 150 MWe. Le lancement d’une première réalisation de deux ACP 100 est annoncé. La Chine communique aussi sur d’autres projets et sur le marché du chauffage urbain qui pourrait s’ouvrir aux SMR.
- En Argentine, le projet CAREM, réacteur intégré de faible puissance 27 MWe, équipé de générateurs de vapeur hélicoidaux et de mécanismes immergés hydauliques et fonctionnant en circulation naturelle est en construction sur le site d’Atucha. Il s’agit pour l’Argentine d’un prototype pour un projet de plus forte puissance de 120 MWe envisagé ultérieurement.
4. Les concepts étudiés en France
Les études conduites en France ont été réalisées au sein d’un consortium SMR réunissant le CEA et les partenaires industriels EDF, AREVA et DCNS. Une chaudière intégrée, étudiée par AREVA, est compatible avec deux types de centrale : une centrale classique terrestre et une centrale innovante immergée (le concept Flexblue).
L’architecture intégrée de la chaudière, proposée par AREVA, est caractérisée par une grande compacité. Les mécanismes de contrôle des absorbants peuvent être externes ou immergés (Figure 9).
Pour une centrale terrestre, le choix s’est porté sur une enceinte métallique de confinement, d’un volume assez réduit pour permettre une construction modulaire et un bâtiment réacteur semi-enterré pour simplifier le dimensionnement aux agressions externes (Figure 10). Un aménagement sur un même site jusqu’à 4 SMR a été retenu, avec mutualisation de certaines installations comme la piscine d’entreposage du combustible irradié (Figure 11). Les études ont pris en compte un objectif de modularité poussée de sous-ensembles réalisés en usine réduisant ainsi fortement les durées de montage sur site. Cette même démarche a été retenue pour l’îlot conventionnel en adoptant une conception simple, sur modules et à partir d’équipements éprouvés (Figure 12).
Le concept de SMR immergé Flexblue consiste à implanter une ou plusieurs unités jusqu’à 100 mètres de fond, à une distance plus ou moins éloignée de la côte, dans la limite des eaux territoriales. Ces unités sont surveillées et opérées depuis le rivage, avec présence à bord du module (permanente ou pas) d’une équipe d’intervention. Le concept se caractérise par la disponibilité d’une source froide illimitée permettant d’optimiser le fonctionnement de la centrale (notamment en situation accidentelle), par le fait que la mer assure une protection intrinsèque contre certaines agressions externes. En outre, elle représente un niveau de protection supplémentaire des populations face au risque radioactif et limite au maximum tout impact sur le paysage. Les unités Flexblue sont entièrement modulaires, assemblées en usine et intégralement transportées sur le site de production. Le rechargement en combustible, les opérations de maintenance lourdes et le démantèlement en fin de vie sont réalisés dans des installations terrestres dédiées (Figure 13).
Les premières analyses ont pris en compte les aspects sûreté en tenant compte des enseignements de l’accident de Fukushima. La fabrication modulaire en usine ou chantier procure un niveau de qualité particulièrement élevé. Par ailleurs, les dispositions prises en matière de systèmes de sauvegarde passifs et de prévention des agressions externes permettent de garantir une très faible probabilité de fusion du cœur. Au titre de la défense en profondeur, les accidents graves conduisant à la fusion du cœur ont néanmoins été analysés. Les caractéristiques des SMR (faible puissance, ratios puissance versus volume primaire et volume primaire versus surface primaire) permettent de garantir le maintien du cœur en fusion en cuve, grâce à des systèmes de sauvegarde passifs de réfrigération de la cuve par l’extérieur, éliminant ainsi le besoin de récupérateur de corium (nécessaire dans les cas des réacteurs de puissance). Le traitement du risque d’explosion H2 lors d’une fusion du cœur est assuré par l’inertage de l’enceinte de confinement. L’impact sur l’environnement est minimisé dans toutes les situations, tant en termes d’empreinte sur le paysage que de rejets radioactifs. Les marges de sûreté rendent possible une zone d’évacuation en cas d’accident (EPZ) limitée aux contours du site ou à une zone maritime rapprochée dans le cas de Flexblue.
Pour mesurer la compétitivité des SMR et ainsi les comparer aux autres sources de production concurrentes, le coût actualisé de production d’électricité ou LCOE (Levelized Cost of Electricity) est l’indicateur le plus pertinent. Le LCOE se définit comme le rapport des dépenses d’investissement, d’exploitation/maintenance et de combustible à la production d’électricité actualisées sur une durée allant de l’ouverture du site jusqu’à l’arrêt définitif. Les évaluations de LCOE aboutissent à des valeurs d’environ 100 €/MWh pour des taux d’actualisation de 8%. À ce niveau, les SMR sont compétitifs par rapport aux sources de production décarbonnées, éoliennes et solaires. Leur compétitivité par rapport aux sources de production fossiles (charbon et gaz) dépend du cours de ces matières, de leur évolution dans le temps et des taxes carbones qui seront mises en place au cours des prochaines décennies.
Actualisation de mars 2023 : pour aller plus loin sur les SMR, un papier de Michel Belakhovsky sur l’état de ce secteur en février
2023 : http://confrontations.org/wp-content/uploads/2023/03/Les-reacteurs-nucleaires-SMR-dans-le-monde-Entre-engouements-et-realites-Michel-Belakhovsky-1.pdf
Actualisation de mai 2023 : Parmi les nouvelles filières de production en gestation début 2023, les plus avancées sont les petites tailles, de type Small Modular Reactor (SMR) . En France, NUWARD, filiale d’EDF, propose un avant-projet détaillé de deux réacteurs type EPR de 170 MW, soumis à demande d’autorisation fin 2026, pour début de construction en 2030 et mise en service en 2035. Retenue dans la stratégie « France 2030 », cette technologie qui veut remplacer les économies de taille par des économies de série (plusieurs centaines d’installations en 2050) attend un signe d’intérêt de la Direction Générale de l’Energie de la Commission Européenne, alors même que la Suède, la Finlande et la Tchéquie s’y intéressent.
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