Les réformes du secteur de l’électricité au Mexique

Les réformes du secteur de l’électricité au Mexique

Comme celle du pétrole, l’industrie électrique mexicaine a été l’objet de plusieurs réformes entre 1992 et 2013. Leur connaissance est indispensable à la compréhension de l’évolution du système électrique de ce grand pays latino-américain.


Cet article publié en espagnol : México : las reformas al sector eléctrico, a été traduit par Sébastien BONFANTI et Camille GONDRAL, sous la supervision de M. Thierry NALLET. Formation : Master LEA Traduction spécialisée multilingue, Université Grenoble Alpes.

 


Au Mexique, jusqu’en 1960, le secteur de l’électricité était principalement composé d’entreprises privées étrangères. Tout a commencé dans la deuxième moitié du 19ème siècle, avec la première ville qui a eu accès à ce service, celle de León (État de Guanajuato) en 1879. En 1910, la capacité de production était de 50 MWe, dont 80% étaient entre les mains de la Mexican Light and Power Company, qui dépendait principalement d’actionnaires d’origine canadienne. Cette entreprise se trouvait implantée dans le centre du pays et notamment sa capitale. D’autres entreprises étrangères étaient présentes dans les différentes villes du Mexique comme le consortium The American and Foreign Power Company qui détenait trois systèmes interconnectés dans le nord du pays. La Comisión Nacional para el fomento y Control de la Industria de Generación y Fuerza, plus tard transformée en la Comisión Nacional de Fuerza Motriz fut créée durant le premier tiers du 20ème siècle, avec pour objectif de tenter de mettre de l’ordre dans cette nouvelle industrie croissante. Le 2 décembre 1933, il était décrété que la production et la distribution d’électricité étaient des activités d’utilité publique.

 

1. Fondation de la Commission fédérale de l’électricité (CFE)

Étant donné que les entreprises privées concentraient leur activité dans les centres urbains pour des raisons de rentabilité et, qu’à cette époque, 62% de la population résidait dans des zones rurales, le président Lázaro Cárdenas a créé le 14 août 1937 la Commission fédérale de l’électricité (CFE), afin de développer un système électrique national. Le Journal officiel publie le décret le 24 août de la même année. Au cours des années suivantes, la CFE a augmenté ses activités de production, de transport et de distribution de telle sorte qu’en 1946, elle exploitait déjà 46 MWe dans diverses usines à travers le pays. À cette époque, elle cohabitait avec les entreprises étrangères qui étaient essentiellement présentes dans les villes, et une grande partie de ses efforts visait à la réalisation d’activités d’électrification rurale, dans des lieux où une entreprise privée ne pouvait pas forcément avoir une activité rentable.

 

2. Nationalisation du système électrique

Pendant les années qui ont suivi, dans le contexte de la CFE, des cadres des ressources humaines furent formés pour gérer toutes les étapes d’un système électrique, c’est-à-dire la production, le transport et la distribution depuis le point de vue de la planification, ainsi que la conception, la construction, l’exploitation et l’entretien du système. Pour des raisons conjoncturelles, le président Adolfo López Mateos réalise par décret le 27 septembre 1960 la nationalisation du système électrique et négocie avec les entreprises privées les conditions d’achat de leurs actifs. C’est ainsi que, à partir de cette date, le secteur de l’électricité mexicain devient un système national sous la responsabilité de la CFE, exception faite du système central (la capitale du pays et quelques villes voisines) restant sous la responsabilité de l’entreprise, elle aussi gouvernementale, Luz y Fuerza del Centro (issue de l’entreprise Mexican light and Power Company), car son système opérait à une fréquence de 50 hertz alors qu’ailleurs la fréquence utilisée était de 60 hertz.

Jusqu’en décembre 1992, toutes les activités du secteur de l’électricité orientées vers le service public appartenaient exclusivement à l’État. 27 GWe étaient alors installés : 61,1% provenaient du fioul et du gaz naturel, 29,3% de l’hydroélectricité, 4,4% du charbon, 2,7% de la géothermie et 2,5% de l’énergie nucléaire. 8,3 GWe étaient en construction et 8 autres GWe étaient programmés. Cette année-là, la CFE vendait 100 GWh, dont 55% à l’industrie, 24,6% au secteur résidentiel, 9,5% au secteur commercial, 5,8% au secteur agricole et 5% au secteur des services concernant 17,6 millions d’usagers. Presque tout le pays était relié à travers 28 200 km de lignes de transmission de 230 et 400 kV et plus de 300 000 km de lignes de transmission de moins de 230 kV.

 

3. Modification de la Loi sur le service public de l’électricité en 1992

En décembre 1992, la Loi sur le service public de l’électricité a été modifiée au Congrès sur proposition du président Salinas pour permettre la participation du secteur privé à certaines des activités du secteur de l’électricité. Les modifications ont touché les domaines suivants.

– Production indépendante d’électricité

La production d’électricité réalisée par des investisseurs privés devra être vendue dans sa totalité à la CFE ou destinée à l’exportation. Les producteurs devront être des citoyens mexicains ou des entreprises légalement établies dans le pays. Les projets correspondants doivent être envisagés dans les plans d’expansion de la CFE. La totalité de la production doit donc désormais être vendue à la CFE qui est dans l’obligation de l’acheter sur la base de contrats de long terme. Les termes et conditions de ces contrats seront négociés au cas par cas.

– Autoproduction

Dans le document officiel, l’auto-approvisionnement est défini comme l’électricité produite pour satisfaire les besoins du producteur lui-même. L’autorisation pour auto-approvisionnement sera accordée à un ou plusieurs individus ou entreprises copropriétaires de l’installation, ou formant une société destinée à produire de l’électricité et à satisfaire les besoins des associés. L’entreprise ou la société propriétaire de l’installation ne pourra pas vendre l’électricité à des tiers et la capacité de production qui excède les besoins des associés devra être mise à la disposition de la CFE. Si la puissance de l’unité est inférieure à 500 kWe, aucune autorisation n’est nécessaire.

– Cogénération

Cette forme de production consiste à produire de l’électricité et de la chaleur en même temps, à produire de l’électricité via des processus thermiques en utilisant la récupération de la chaleur ou à produire de l’électricité en utilisant un combustible produit par un procédé industriel (par exemple dans les usines sucrières, la combustion du biogaz issue des décharges sanitaires pour produire de l’électricité). La production d’électricité et de chaleur doit satisfaire les besoins du propriétaire du système. La production électrique excédentaire devra être mise à la disposition de la CFE.

– Usages propres prolongés et petits producteurs

Des particuliers ou des entreprises différents de la CFE pourront produire moins de 30 MWe d’électricité, à condition que le site de l’installation soit déterminé par le secrétariat d’État à l’énergie (SENER). Ceux qui en font la demande doivent être de nationalité mexicaine ou bien des entreprises établies légalement dans le pays. Toute la production devra être vendue à la CFE. Dans le cas où celle-ci est livrée à des communautés rurales isolées ou n’ayant pas accès au réseau électrique, la puissance ne devra pas excéder 1 MWe.

– Production destinée à l’exportation

Les particuliers ou les entreprises désirant développer leur capacité de production dans le but de l’exporter pourront le faire après demande d’autorisation préalable, et ce sans aucune limite.

– Importation pour auto-approvisionnement

Les particuliers ou les entreprises pourront importer de l’électricité sous certaines conditions après demande d’autorisation préalable.

– Transport de l’électricité par le réseau de transport

Les entreprises privées pourront temporairement utiliser le réseau électrique avec l’accord préalable de la CFE.

Un an après, le 1er octobre 1993, est créée la Commission de régulation de l’énergie (CRE) comme organe consultatif pour soutenir la SENER en matière de normalisation et de supervision de la participation du secteur privé dans le réseau électrique national. Ses fonctions ont été élargies, et elle s’est vu accordée une autorité plus importante dans les fonctions précédemment décrites à l’occasion de la loi de la Commission du 30 octobre 1995. À la suite de ces réformes, la CRE a été le principal organisme public à réguler et superviser la participation du secteur privé dans les activités du réseau national d’électricité décrites plus haut, et autorisées par amendements apportés à la loi sur le service public de l’énergie électrique. Cela confère à la CRE un caractère légal en tant qu’organe décentralisé du ministère de l’Énergie. Il convient de préciser qu’elle n’a pas le statut d’organe autonome du pouvoir exécutif, comme dans la majorité des pays où existent des organes de ce genre.

En conséquence des amendement apportés à loi de 1992 sur le service public de l’énergie électrique, les résultats obtenus en 2012 étaient les suivants (Tableau 1) :

 

Tableau 1 : Puissance installée et production annuelle

 

Puissance installée

(MWe)

Production annuelle

(TWh)

Réseau électrique national 63,745 262,0
Producteurs d’énergie indépendants 13,616 81,1
Auto-approvisionnement 4,753 14,7
Cogénération 2,914 11,2
Exportation 1,330 5,6

4. Les réformes de 2013-2014

Le 20 décembre 2013, le décret où sont publiées les modifications apportées aux articles 25, 27 et 28 de la Constitution mexicaine a été publié au Journal officiel. Dans ces articles, est rappelée l’hégémonie totale qu’a le secteur public sur le contrôle et la planification du réseau électrique national et sur le service public de transport et de distribution d’électricité, au contraire de la production et de la commercialisation de l’électricité, lesquelles sont ouvertes aussi bien au secteur privé que public, exception faite du nucléaire. C’est-à-dire qu’un système réunissant des acteurs des secteurs public, privé et social est créé en relation avec le sous-secteur de la production. Dans ce même contexte apparaît la figure de fournisseur, équivalente à celle des négociants en électricité, lesquels travaillent directement auprès des usagers dits éligibles. En somme, il s’agit de la mise en place d’un marché de l’énergie de gros. De même, un Centre national de contrôle de l’énergie (Centro Nacional de Control de Energía) est créé. Il est chargé du contrôle opérationnel du réseau électrique national et d’assurer le bon fonctionnement du marché électrique de gros, ainsi que d’assurer l’accès ouvert et non discriminatoire au réseau national de transport et de distribution.

Le 30 avril 2014, la présidence de la République a fait parvenir au Sénat neuf propositions de loi et 12 amendements aux lois en vigueur afin de réglementer les modifications apportées aux articles 25, 27 et 28 de la Constitution qui avaient été approuvées au mois de décembre de l’année précédente. Elles concernent aussi bien les hydrocarbures que l’électricité. Le contenu de ces lois secondaires, en ce qui concerne le seul secteur de l’électricité, est résumé ci-après.

La planification et le contrôle non seulement du réseau électrique national mais aussi du service public de transport et de distribution, en tant que domaines stratégiques, demeurent des compétences de l’État. Le service public de transport et de distribution s’occupe des activités nécessaires à l’acheminement et à la distribution d’électricité sur le réseau national de transport ainsi que sur le réseau général de distribution, et un accès ouvert non discriminatoire à ces derniers est garanti. Par ailleurs, seules les activités de production et de commercialisation d’électricité sont des services proposés à un système de libre concurrence. Toutes ces activités sont reconnues d’utilité publique et sont soumises à la loi. En somme, un marché compétitif de la production et de la commercialisation, alimenté par des entreprises tant publiques que privées, est mis en place. Un Centre national de contrôle de l’énergie (CENACE) gère le réseau dans sa totalité en se basant sur les contrats conclus entre les producteurs, les négociants et les usagers éligibles, ainsi que sur les résultats obtenus lors des appels d’offres effectués sur le marché au comptant. Le CENACE sera désormais l’entité chargée d’assurer la distribution de base de l’électricité aux usagers non éligibles, c’est-à-dire ceux qui se fournissent à un tarif réglementé et qui ne sont pas soumis au régime de libre marché. Les usagers éligibles doivent être enregistrés à la Commission de régulation de l’énergie (CRE). De plus, des systèmes de certificats pour les énergies propres sont mis en place afin de réguler les émissions de gaz polluants à l’intérieur du réseau électrique national. Tout le réseau est encadré par la Commission de régulation de l’énergie.

 


L’Encyclopédie de l’Énergie est publiée par l’Association des Encyclopédies de l’Environnement et de l’Énergie (www.a3e.fr), contractuellement liée à l’université Grenoble Alpes et à Grenoble INP, et parrainée par l’Académie des sciences.

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