Le dioxyde de carbone (CO2) n’est pas le seul gaz à effet de serre (GES). Le méthane (CH4) et, à un moindre degré, l’oxyde nitreux (N2O) contribuent aussi au réchauffement climatique. Comment apprécier les conséquences des politiques de réduction du méthane sur la température terrestre ? Ce qui suit propose une méthode basée sur les derniers scénarios du GIEC.
La sortie des États-Unis des accords de Paris vient de remettre spectaculairement sur l’avant de la scène la question du climat. On savait en effet déjà que les contributions des États actuellement associées à ces accords, même avec une présence active des États-Unis, n’étaient pas suffisantes pour espérer maintenir l’augmentation de la température de la surface terrestre en dessous de 2°C à l’horizon 2100 par rapport à la période préindustrielle, et donc a fortiori pour la maintenir en dessous de 1,5°C, valeur considérée par un très grand nombre d’acteurs, comme nécessaire pour éviter des phénomènes trop dangereux pour l’humanité.
Le défaut des États–Unis dont les émissions représentent 15% des émissions totales de gaz à effet de serre (GES) rend, évidemment, l’équation encore plus difficile à résoudre. Dans ce contexte il devient nécessaire, avant le dialogue de facilitation de 2018, d’examiner à quelles conditions, chacun pourrait aller plus vite et plus loin dans la limitation de ses émissions de GES.
Depuis le début des années 1990, les préoccupations de la communauté scientifique et des négociateurs sur la lutte contre le changement climatique ont porté principalement sur la question de la réduction des émissions de gaz carbonique. Il y avait, et il y a encore, d’excellentes raisons à cette priorité.
- Le CO2 est le premier GES par l’importance de ses émissions et de ses conséquences dans le réchauffement. Dans son dernier rapport, le GIEC[1] estime en effet que de 1750 à 2010 le forçage radiatif attribuable aux émissions de CO2 représente 56 % du forçage radiatif imputable à l’ensemble des GES[2] .
- Sa durée de vie dans l’atmosphère dépasse largement la centaine d’années, une longévité qui donne aux politiques (ou à l’absence de politiques) concernant ce gaz un caractère d’irréversibilité, critère majeur du risque encouru, qui doit à juste titre faire réfléchir.
- On sait enfin quantifier avec une précision raisonnable les quantités d’émission des principales sources de CO2.
Il est donc tout à fait normal que les objectifs de réduction d’émission de CO2 aient toujours occupé le devant de la scène scientifique et politique. Le phénomène a été amplifié par l’habitude qui s’est rapidement instaurée chez les économistes d’user d’un vocabulaire de substitution aux quantités physiques des autres GES, la tonne équivalent CO2 (teqCO2), pour comptabiliser leurs émissions par référence au gaz dominant CO2, comme on le fait pour la production d’énergie avec la tonne équivalent pétrole (tep) où le pétrole, dominant depuis plus de 50 ans, sert de référence aux autres sources d’énergie[3].
Cette attention compréhensible commence à porter ses fruits. Depuis quelques années on assiste à un ralentissement de la progression des émissions de CO2 mondiales. D’autre part, les politiques affichées au titre de l’accord de Paris, les premiers effets des campagnes de désinvestissement du charbon engagées par de grandes organisations non gouvernementales (ONG) et une série d’initiatives locales portant sur le désengagement des énergies fossiles et le développement des renouvelables peuvent faire raisonnablement espérer une décroissance significative des émissions de CO2 d’origine énergétique dans la décennie qui vient.
1. Qu’en est-il des gaz à effet de serre autres que le CO2 ?
Les deux autres principaux GES, le méthane CH4 et l‘oxyde nitreux N2O ne bénéficient pas de la même attention.
Pour ce qui est du méthane, le rapport du GIEC déjà cité rappelle pourtant son importance puisqu’il serait responsable, de manière directe ou indirecte, et sur la même période 1750–2010, de 32,3% du forçage radiatif total (Figure 1).
Le méthane présente une série de caractéristiques qui peuvent expliquer l’importance moindre qu’on lui accorde dans la plupart des analyses économiques :
- Sa durée de vie dans l’atmosphère est beaucoup moins élevée que celle du CO2, de l’ordre d’une douzaine d’années[4]. Au terme de réactions complexes, il se transforme en effet en différents gaz (vapeur d’eau, ozone, CO2), qui sont eux-mêmes à l’origine de réchauffement climatique.
- En revanche, son efficacité radiative par unité de poids est de l’ordre de 120 fois plus élevée que celle du CO2.
La combinaison de ces deux particularités conduit à une variation importante de l’effet du CH4 sur le climat en fonction du temps qui s’écoule entre l’instant de l’émission et l’horizon des effets auquel on s’intéresse. Pour en tenir compte, les climatologues ont développé un indicateur, le Pouvoir de réchauffement global (PRG) qui permet de comparer tout au long du temps qui s’écoule après une émission ponctuelle d’une tonne d’un GES déterminé son influence sur le climat par rapport à l’émission, à la même date d’une tonne de CO2.[5]
L’amplitude de variation des valeurs du PRG du méthane, très particulière à ce gaz, en est l’illustration : un facteur 4 sur 100 ans. L’abaque en annexe montre par exemple qu’une émission d’1 tonne de méthane en 2020 « vaut », en teqCO2 : 28,5 pour l’année horizon 2120 (100 ans plus tard), 48,4 pour l’horizon 2070, 68,1pour l’horizon 2050, 104,2 pour l’horizon 2030 et 119,6 pour l’horizon 2020. Il n’est donc évidemment plus possible d’utiliser un coefficient d’équivalence CH4-CO2 fixe pour caractériser les efficacités relatives de mesures portant sur le méthane et le CO2 selon l’horizon des conséquences auquel on s’intéresse[6].
En outre, l’origine des émissions du CH4 est beaucoup moins bien renseignée que celle du CO2. Rares sont ceux qui savent que si l’agriculture et l’élevage sont effectivement responsables de l’ordre de 40% des émissions mondiales de méthane, les 60% qui restent se partagent entre les émissions du système énergétique (grisou des mines de charbon, fuites des puits de pétrole et de gaz, en particulier gaz de schistes, fuites de transport et distribution), les déchets ménagers et agricoles, les feux de forêt (Figure 2).
Le méthane est donc victime d’une image brouillée : sa dangerosité est vite oubliée au motif de sa faible durée de vie, ses émissions sont associées dans l’esprit du public et des media à l’alimentation (en particulier carnée), un secteur tabou, et la quantification de ses émissions reste un mystère pour la plupart des acteurs. La notion de PRG, généralement restée incomprise, conduit à des erreurs d’interprétation qui peuvent être graves. Cette complexité et cette incompréhension assez générale expliquent largement pourquoi la croissance des émissions anthropiques de méthane à un rythme inquiétant depuis 2005, de 318 à 360 millions de tonnes (Mt) en huit ans, ne suscite guère de commentaires ni de recherche sur les déterminants sectoriels ou technologiques de cette hausse.
Un profond décalage persiste ainsi entre les efforts des chercheurs sur le climat consacrés à la compréhension, à la fois expérimentale et théorique, du comportement du méthane[7] et sa prise en compte en tant que tel dans les études économiques comme dans les messages envoyés aux décideurs, et donc dans l’élaboration de politiques de réduction des émissions spécifiques à ce gaz.
Le N20, quant à lui, est principalement issu des pratiques agricoles qui recourent de façon excessive aux engrais azotés. Son efficacité radiative est très élevée (de l’ordre de 300 fois celle du CO2) mais, sa durée de vie dans l’atmosphère étant élevée, cette efficacité reste pratiquement constante sur 100 ans. Entre 1750 et 2010 sa contribution au forçage radiatif global n’a été que de 5,9%. Au total, CO2, CH4 et N20 contribuent à près de 95% du forçage radiatif des GES qui se mélangent de façon homogène dans l’atmosphère,
On connait désormais l’importance particulière du méthane, sur la période qui s’étend de 1750 à 2010, même si elle reste encore très en deçà de celle du CO2, surtout au cours d’une période d’explosion de l’utilisation des fossiles et en particulier du charbon. Cette période semble aujourd’hui dépassée car les émissions de CO2 issues de l’énergie fossile vont décroître fortement dans les décennies à venir si les efforts entrepris sont couronnés de succès. Sans effort spécifique de réduction, le méthane, va donc mécaniquement devenir rapidement prépondérant, d’autant qu’on a découvert récemment que sa nocivité était plus importante qu’on ne l’imaginait. Myhre Etminan, Highwood, Shine et alii ont en effet montré récemment que l’impact de l’absorption dans les courtes longueurs d’onde infra-rouge (1-5m) sur le forçage radiatif produit par une élévation de concentration de méthane atmosphérique, augmentait de l’ordre de 30% le forçage radiatif attribuable à l’absorption des grandes longueurs d’onde (aux alentours de 1300 cm-1) [8].
2. Évaluation de l’impact du méthane et des gaz autres que le CO2 sur l’évolution de la température de l’atmosphère
Elle peut l’être à partir des scénarios prospectifs du GIEC.
2.1. Les trajectoires d’émission de GES à l’horizon 2100
Les climatologues ont développé des familles de modèles qui permettent d’estimer la température de l’atmosphère à partir d’une description de l’évolution en termes physiques des émissions de GES aux différents horizons de scénarios contrastés, non seulement en termes de quantité globale des GES émis annuellement mais aussi de proportion des différents gaz dans cette évolution[9]. Ils fournissent des trajectoires d’émission des trois principaux GES (CO2, CH4,N20) qui servent aujourd’hui de référence à de nombreuses études[10] (Figures 3, 4 et 5).
2.2. Des trajectoires d’émissions au réchauffement climatique
À partir des trajectoires, des propriétés physiques et chimiques des gaz et des constantes de temps qui gouvernent leur évolution dans l’atmosphère, les climatologues reconstituent l’évolution des concentrations de chacun des GES considérés, accèdent à une concentration équivalente CO2 (exprimée en ppm éqCO2) [11] définie comme la concentration en CO2 qui produirait les mêmes effets à tout instant sur le climat que le mix de GES étudié, et enfin aux températures de l’atmosphère au cours du temps pour chacun des scénarios envisagés.
Ils parviennent ainsi à quatre classes de scénarios considérés comme des scénarios de référence qui aboutissent à des concentrations, des forçages radiatifs et des augmentations de température contrastés en 2100 (Tableau 1) qui peuvent être comparés[12] (Figure 6) [13].
Tableau 1 : Les familles de scénarios du GIEC
Scénarios RCP[14]
|
2,6–2,9 W/m2**
|
4,5 W/m2
|
6 W/m2
|
8,5 W/m2
|
Concentrations en ppm éqCO2
|
430 à 530
|
530 à 720
|
720 à 1000
|
1000
|
Augmentations de température* en °C
|
1,5 à 2
|
2 à 3
|
3 à 4
|
5
|
* Par rapport aux années 1880. ** Forçage radiatif
|
Pour être comprise cette figure exige des explications. Elle retrace l’augmentation de la température moyenne à la surface du globe en fonction du total cumulé des émissions de CO2 dans le monde, calculé à partir de plusieurs sources de données. Les résultats de différents modèles climatiques et cycle du carbone sont représentés pour chaque scénario RCP jusqu’en 2100 (lignes de couleur). Les résultats de modèle sur la période historique (1860-2010)sont indiqués en noir. La zone colorée représente la dispersion des différents modèles pour les quatre scénarios RCP et s’estompe à mesure que le nombre de modèles disponibles diminue dans le RCP 8,5. Les points correspondent aux moyennes décennales, certaines décennies étant indiquées. Les ellipses illustrent le réchauffement total d’origine anthropique en 2100 par rapport aux émissions cumulées de CO2 entre 1870 et 2100. Elles sont établies à partir d’un modèle climatique simple (réponse médiane du climat) et pour les catégories de scénarios employés par le GT III. Les changements de température sont toujours indiqués par rapport à la période 1861-1880 et les émissions sont cumulées depuis 1870. L’ellipse noire illustre les émissions observées jusqu’en 2005 et les températures observées jusqu’en 2005 au cours de la décennie 2000-2009 avec les incertitudes connexe (GT I RID.8, RT AT.8, figure 1, RT.SM.10, 12 5.4, figure 12.45, GT III tableau RID.1, tableau 6.3).
Cette figure est assortie des commentaires suivants : « le cumul des émissions de CO2 détermine dans une très large mesure la moyenne du réchauffement mondial à la fin du 21ème siècle et au delà. De nombreux éléments d’observation attestent d’une relation étroite et systématique, quasi linéaire dans l’ensemble des scénarios étudiés entre les émissions cumulées nettes et le changement prévu de température en 2100. Les émissions passées et le réchauffement observé confirment cette relation dans la marge des incertitudes. ». La courbe noire « Réchauffement provoqué par le CO2 » quasi linéaire qu’on observe sous les courbes de couleur associées aux différents scénarios atteste de l’étroitesse de cette liaison cumul CO2-température.
On peut donc considérer que la droite y = 0,444/1000*x, y étant exprimé en degrés C et x en Gt de CO2 représente, avec une bonne marge de certitude, l’évolution de la température moyenne à la surface du globe en fonction du cumul des émissions de CO2 des différents scénarios. Dans la suite du texte, cette droite sera appelée « droite CO2« .
La même Figure 6 montre également que les trajectoires de température associées aux différents scénarios se situent systématiquement au dessus de la courbe CO2/ cumul CO2, ce qui est a priori logique puisque les scénarios en question cumulent à la fois un historique d’émissions de CO2 et des historiques d’émission des autres gaz à effet de serre, en particulier de CH4 et deN20.
2.3. Calcul des augmentations de température pour cinq scénarios représentatifs
Les augmentations de température entre les « années 2000 » et les « années 2090 » de la Figure 6 pour les cinq scénarios de trajectoires ont été calculées en utilisant la « droite CO2 « , de la façon suivante :
a) Les figures 3, 4 et 5 fournissent les valeurs en unités physiques (Gt et Mt) des émissions de chacun des trois GES pour chaque scénario.
b) Ces valeurs en unités physiques sont ensuite traduites en GteqCO2, directement pour CO2, avec un PRG constant pour N2O et, en ce qui concerne CH4, en utilisant l’abaque en annexe qui donne la valeur du PRG, par pas de cinq ans, pour chaque émission de 2000 à 2120 et chaque année horizon de 2000 à 2120.
c) Sont ensuite calculés les cumuls en GteqCO2 pour chaque gaz, entre « années 2000″ et » années 2090″.
d) Ces cumuls calculés, peuvent être déduites les augmentations de température causées par les émissions de chacun de ces gaz selon le scénario étudié par la formule :
Augmentation de température (en °C) = 0,444*Cumul de « années 2000 » à « année 2090 » /1000 (en GteqCO2).
Les tableaux 2 et 3 présentent les résultats de ces calculs.
Tableau 2. Cumuls des émissions de GES, en teqCO2, entre « années 2000 » et « années 2090 »
GteqCO2
|
Image 2,6
|
Image 2,9
|
MiniCAM 4,5
|
AIM 6,0
|
MES-A2R 8,5
|
CO2
|
802
|
1273
|
2776
|
3982
|
6483
|
CH4
|
987
|
987
|
1825
|
1584
|
3445
|
N2O
|
234
|
234
|
244
|
375
|
539
|
CO2+CH4+N2O
|
2023
|
2493
|
4844
|
5941
|
10467
|
Part CH4-%
|
49
|
40
|
38
|
27
|
33
|
Tableau 3. Augmentations de température, en °C, entre « années 2000 » et « années 2090 »
°C
|
Image 2,6
|
Image 2,9
|
MiniCAM 4,5
|
AIM 6,0
|
MES-A2R 8,5
|
CO2
|
0,36
|
0,57
|
1,23
|
1,77
|
2,88
|
CH4
|
0,44
|
0,44
|
0,81
|
0,7
|
1,53
|
N2O
|
0,1
|
0,1
|
0,11
|
0,17
|
0,24
|
CO2+CH4+N2O
|
0,9
|
1,11
|
2,15
|
2,64
|
4,65
|
Part CH4 – %
|
49
|
40
|
38
|
27
|
33
|
On constate en particulier l’importance du rôle du CH4 dans l’augmentation de la température à l’horizon 2100. Cette importance est d’autant plus grande que les scénarios affichent des réductions ambitieuses de CO2.
2.4. Calcul d’une variante adaptée aux conditions de la figure 6
Le calcul précédent repose sur l’utilisation, pour CH4, des valeurs les plus récentes données par le GIEC pour les PRG entre l’année d’émission et l’année horizon (valeur de 28,5 à 100 ans, par exemple), alors que la Figure 6 a été établie sur la base de propriétés du méthane telles qu’elles étaient connues au début des années 2000, soit à des valeurs du PRG inférieures à celles de l’abaque utilisé précédemment, avec un PRG à 100 ans de 21 au lieu du 28,5 dans celle-ci.
L’utilisation des valeurs de cet abaque multipliées par 21/28,5 pour calculer les cumuls de CH4, permet de vérifier de façon approximative que la méthode de calcul employée respecte la règle de la figure 6 qui indique que l’augmentation de température pour les trois GES est une fonction quasi linéaire du cumul des émissions de CO2 seul. De fait, pour les cinq scénarios étudiés, la droite « Température en °C = 0,677*Cumul des émissions CO2 en 1000 Gt » est respectée avec un écart maximum de + ou – 0,24°.
3. Un algorithme simple d’appréciation des conséquences climatiques de scénarios diversifiés
Sur la base des conclusions et des commentaires effectués par le GIEC dans son dernier rapport, il est donc possible de mettre en place un algorithme d’une grande simplicité d’usage qui permet d’apporter une première appréciation des conséquences climatiques de stratégies de lutte contre le changement climatique diversifiées à des horizons de temps également diversifiés, sans avoir besoin d’engager des campagnes de calcul ambitieuses fondées sur l’exploitation de différents modèles climatiques.
3.1. Une relation linéaire entre cumuls et augmentation des températures
L’algorithme en question fondé sur une moyenne des résultats d’un très grand nombre de modèles consiste simplement en une fonction linéaire liant l’augmentation de température moyenne à la surface du globe à une date donnée au cumul des différents gaz à effet de serre émis jusqu’à cette date, comptabilisé en tonnes d’équivalent CO2 avec la règle des PRG entre l’année d’émission et l’année horizon à laquelle on s’intéresse
Y = 0,444/1000* X
où X est mesuré en GteqCO2 à partir des PRG des différents gaz disponibles sous forme d’abaques. En pratique, seul le CH4 présente un pouvoir de réchauffement global qui varie significativement dans le temps (un rapport 4 en 100 ans). C’est donc l’abaque en annexe relatif au CH4 qui est utilisé.
3.2. Un exemple d’utilisation
On se propose de comparer au scénario Image 2,6 un scénario analogue en tous points, à ceci près que les émissions de méthane qui atteignent aujourd’hui déjà 0,36 Gt restent constantes à ce niveau tout au long de la période. Cette hypothèse n’a rien de déraisonnable dans un contexte de croissance constante des émissions anthropiques de méthane depuis le début des années 2000 et d’absence de politique mondiale volontariste de réduction de ce gaz.
Le tableau 4 permet la comparaison des cumuls de CH4 dans les années 2090 et des augmentations de température qui y sont associées.
Tableau 4 : scenario Image 2,6 et Image 2,6 bis à émissions constantes de CH4 : années 2000 – années 2090.
Trajectoires
|
Image 2,6
|
Image 2,6 bis
|
Delta
|
Cumul (GteqCO2)
|
|||
CO2
|
802
|
802
|
0
|
CH4
|
987
|
1980
|
993
|
N2O
|
234
|
234
|
0
|
CO2+CH4+N2O
|
2023
|
3016
|
993
|
CH4 en %
|
49
|
66
|
17
|
Augmentation de la température (°C)
|
|||
CO2
|
0,36
|
0,36
|
0
|
CH4
|
0,44
|
0,88
|
0,44
|
N2O
|
0,1
|
0,1
|
0
|
CO2+CH4+N2O
|
0,9
|
1,34
|
0,44
|
CH4 en %
|
49
|
66
|
17
|
Dans la variante « CH4 constant » on voit que l’augmentation de température entre les années 2000 et 2090 provient principalement du CH4. L’augmentation de température depuis 1860 qui était limitée dans le scénario Image 2,6 à 1,70 degré environ (dont 0,8 déjà acquis en 2020) atteint alors 2,15 degrés, et dépasse nettement la limite de deux degrés considérée comme un objectif majeur par les climatologues. Les très considérables efforts consentis sur la réduction des émissions de CO2 dans le scénario Image 2,6 pourraient être ainsi totalement remis en cause par l’absence d’une politique suffisamment volontariste de réduction du CH4 sur la même période.
Eléments de conclusion
L’analyse entièrement fondée sur les résultats mis en évidence dans les rapports les plus récents du GIEC conduit à mettre en avant plusieurs points.
Il apparaît en premier lieu qu’à travers un algorithme d’une grande simplicité, il est possible d’apprécier les augmentations de température à l’horizon 2100 d’une grande variété de scénarios comportant des mix de gaz à effet de serre également diversifiés, chacun de ces gaz se voyant attribuer sa part dans le réchauffement attendu. La relation entre cette augmentation de température et le cumul en GteqCO2 sur l’ensemble de la période s’écrit : y = 0,444Sxi/1000, où xi représente le cumul en GteqCO2 sur la période considérée du gaz i.
L’analyse effectuée qui permet de discriminer la responsabilité de chacun des GES dans l’augmentation de température attendue d’un scénario d’émission déterminé, met à jour l’importance majeure à attribuer aux réductions d’émission de méthane dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Il est d’autant plus nécessaire d’être vigilant à cette question que la présentation retenue par le GIEC dans le rapport déjà cité, illustrée par la Figure 7 ci dessous, basée sur une comptabilité des différents gaz à effet de serre à 100 ans et non pas à une date déterminée (2050 ou 2100 par exemple) masque largement le phénomène.
À la lecture de cette figure les décideurs peuvent en effet très bien choisir en toute bonne foi des stratégies qui s’expriment par un scénario d’émissions respectant le tracé figurant sur le graphique 7, sans se rendre compte que le mix de gaz à effet de serre qu’ils ont choisi conduit en réalité à des résultats[15] très différents de ceux attendus à l’horizon 2100. L’algorithme dont l’usage est préconisé devrait permettre d’éviter ce type de confusion et de garantir aux décideurs la cohérence de leur stratégie par rapport aux objectifs affichés.
Cet outil pourrait enfin, dans la perspective du dialogue de facilitation de 2018, contribuer à mettre mieux en avant, en les comptabilisant à leur juste valeur, les efforts de réduction des émissions de méthane souvent entreprises par certains pays, en particulier du monde en développement, et dont l’importance n’est pas aujourd’hui reconnue.
Notes et références
[1] Groupe d’Experts Intergouvernementaux sur l’Evolution du Climat (GIEC) ou Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC).
[2] Changement climatiques 2014, Rapport de synthèse, Résumé pour les décideurs : AR5_SYR_FINAL-SPM_fr
[3] La teqCO2, tout comme la tep pour l’énergie, ambitionne de fournir une information, dans une unité commune, sur l’ effet climatique, à un horizon donné, de l’émission ponctuelle une année donnée, d’une tonne d’un gaz à effet de serre quelconque, en le comparant à l’effet de l’émission ponctuelle d’une tonne de gaz carbonique (CO2) sur ce même climat, la même année et au même horizon.
[4] Cela ne veut pas dire, comme on le comprend souvent à tort, qu’au bout de 12 ans tout le méthane émis a disparu mais que sa décroissance suit une loi exponentielle du type e-t/12. Il ne reste que 37% du CH4 douze ans après son émission, mais encore 19% vingt ans plus tard et 1,6% cinquante ans plus tard.
[5] Le PRG d’un GES autre que CO2 est défini comme le rapport entre la perturbation du bilan radiatif de la terre pendant un temps déterminé qui suit l’émission ponctuelle d’un kg de ce GES et la perturbation sur la même période qui suit l’émission ponctuelle au même instant d’un kilogramme de CO2.
[6] En conséquence les plaidoyers sur l’intérêt relatif du choix d’un horizon de 20 ou de 100 ans pour la détermination du PRG d’un gaz comme le méthane n’ont pas grand intérêt. Le seul horizon qui compte est celui auquel on souhaite estimer l’influence de l’émission ponctuelle de ce GES. D’où la nécessité d’utilisation d’une abaque dans l’étude de scénarios prospectifs qui permet d’attribuer à chaque émission ponctuelle réalisée une année donnée l’influence réelle qu’elle aura par rapport au CO2 à l’horizon d’observation choisi.
[7] Notamment projet du satellite MERLIN ( Methane remote Lidar sensing mission ou Mission de télédétection du méthane ), développé par l’Allemagne et la France , qui a pour objet de mesurer la distribution spatiale et temporelle des émissions de méthane pour l’ensemble de la planète.
[8] http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/2016GL071930/abstract;jsessionid=91B669BD19C890A5FF94387648C593F2.f03t01
[9] Les émissions de GES sont exprimées généralement en Gt (gigatonne ou milliard de tonnes) pour le CO2 et Mt (mégatonne ou million de tonnes) pour CH4 et N2O.
[10] « http://cmip-pcmdi.llnl.gov/cmip5/docs/IPCC.meetingreport.final.pdf » – Towards new scenarios for analysis of emissions, climate change, impacts and response strategies », IPCC expert meeting report 19-21 September 2007. Pages 45 et suivantes.
[11] L’équivalence CO2 en concentration, exprimée en ppm eqCO2 ne doit pas être confondue avec l’équivalence en émissions, exprimée en teqCO2. Ce sont deux grandeurs différentes.
[12] https://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/syr/SYR_AR5_FINAL_full_fr.pdf – Page 68
[13] https://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/syr/SYR_AR5_FINAL_full_fr.pdf – Page 68
[14] RCP : Representative Concentration Pathway ou Profil représentatif d’évolution de concentration.
[15] Référence : « changements climatiques 2014, Rapport de synthèse, Résumé pour les décideurs : AR5_SYR_FINAL-SPM_fr.
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