Les microgrids sont des écosystèmes énergétiques capables de fournir des réponses concrètes aux défis de la transition énergétique. Quelles sont les problématiques de cette transition énergétique et en quoi les microgrids peuvent-ils lui répondre ? Cet article est extrait d’une série de livres blancs publiés par Schneider Electric sur ce sujet.
Les microgrids permettent un accès optimisé à une énergie fiable, verte et résiliente. Ils intègrent des charges, des sources d’énergie décentralisées, du stockage et un système de contrôle. Pour comprendre ces bénéfices, la présentation préalable d’un microgrid s’impose.
1. Qu’est-ce qu’un microgrid?
Un microgrid est un système énergétique interconnecté local qui agit à l’intérieur de frontières électriques clairement définies (Figure 1). Un microgrid est constitué :
- de charges et des sources d’énergie décentralisées incluant le stockage,
- de sources d’énergie multiples ou électriques seulement,
- une connexion au réseau ou non,
- une entité unique avec son propre système de contrôle dans les deux modes,
- un spectre de puissance compris entre quelques kW jusqu’à quelques MW et un niveau de tension pouvant atteindre la moyenne tension.
Au début du 20éme siècle, la centralisation de la production électrique a fait un bond considérable, permettant de réaliser des économies d’échelle significatives et d’améliorer ses performances. Le 21ème siècle fait face à de nouveaux défis que des solutions décentralisées pourraient aider à résoudre.
2. Le contexte de la transition énergétique
La transition énergétique comporte nombre de défis dont le premier est une augmentation mondiale de la demande d’électricité.
2.1. Un accroissement attendu de la demande mondiale d’énergie électrique
Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), il faut s’attendre, sur la base de la consommation en 2012, à un accroissement mondial d’énergie électrique d’approximativement 40% d’ici à 2030[1]), ce en prenant en compte la réduction de consommation qui résulte des efforts en matière d’efficacité énergétique. Il va de soi que l’évolution à court terme devrait varier en fonction du climat économique et des régions, mais la tendance globale est bien présente, entrainée par des paramètres significatifs tels que :
- la croissance démographie de 18% attendue d’ici 2030, principalement dans les pays en voie de développement, soit à cet horizon une population mondiale de 7,1 milliards[2],
- le besoin d’accès à l’énergie dans les pays en voie de développement,
- la croissance continue des nouveaux usages électriques,
- le transfert attendu de certains usages de l’énergie vers l’énergie électrique, comme la mobilité électrique,
- l’urbanisation croissante qui demande de nouvelles sources d’énergie et une extension de l’infrastructure de réseaux électriques.
Une telle croissance devrait aller de pair avec la réduction des émissions de CO2.
2.2. Une réduction nécessaire des émissions de CO2 et des énergies fossile
Les émissions de CO2, dues à la génération d’électricité, sont responsables à hauteur de 45% des émissions mondiales totales de CO2. Ces émissions de carbone dépendent à la fois de la quantité d’électricité produite et du mix énergétique, ou du type de sources d’énergie utilisées[3]. La quantité d’électricité produite est directement liée à la demande qui devrait augmenter globalement. Il en résulte que réduire la quantité de CO2 émise passera nécessairement par un changement dans le mix énergétique en faveur de sources d’énergie plus propres. De plus, dans les zones isolées, les habitants, qui s’appuient essentiellement sur l’électricité produite par des groupes diesel, dépensent des sommes considérables pour se procurer des produits pétroliers, ce qui fait de la génération d’électricité renouvelable une solution compétitive.
Dans ce passage aux énergies renouvelables, la fiabilité de l’énergie électrique ne doit pas être oubliée.
2.3. Un besoin de résilience
Dans certains pays industrialisés, le réseau électrique vieillissant manque de résilience face à des interruptions ou à des instabilités, surtout lorsqu’ils sont soumis à des aléas climatiques sévères. Le nombre de pannes électriques durant plus d’une heure a augmenté de manière constante durant les dernières décennies. Cela est particulièrement préoccupant aux États Unis[4] [5] où, selon le département de l’énergie américain, les blackouts coûtent plus de 100 milliards de dollars par an, nombre d’interruptions imputables aux aléas climatiques étant les plus onéreuses. La raison principale de l’augmentation des blackouts associée aux aléas climatiques est le vieillissement des infrastructures. Au cours des cinq dernières années, 68 à 73% de toutes les plus grandes pannes ont été dues à des évènements climatiques. On s’attend à ce que leur nombre augmente dans le futur. Même si les interruptions de fourniture d’électricité sont liées pour la plupart à des événements locaux, leur impact conduit souvent à des problèmes nationaux voire internationaux.
Le besoin de résilience constitue donc une attente clef, indissociable d’un droit à l’accès à l’énergie.
2.4. Un besoin d’accès à l’énergie pour 1,2 milliards de personnes
On estimait, en 2013, à 17% de la population mondiale, soit environ 1,2 milliards d’êtres humains, le nombre de personnes n’ayant pas l’accès à l’électricité, par manque d’infrastructures appropriées (Lire : De l’énergie pour l’Afrique non raccordée au réseau : diagnostic et De l’énergie pour l’Afrique non raccordée au réseau : solutions).
En outre, d’autres personnes ont un accès à l’énergie peu fiable ou de piètre qualité. La plupart de celles qui vivent sans l’électricité vivent dans des zones rurales d’Afrique sub-saharienne et de pays d’Asie en voie de développement : elles y représentent 95% des habitants. (Lire : L’électrification rurale en Afrique sub-saharienne). Un accès à une énergie moderne constitue un enjeu majeur pour atteindre les objectifs de développement du millénaire des Nations Unies, qui devraient permettre aux pays en voie de développement les plus pauvres de s’engager dans une utilisation productive de l’énergie, et ainsi améliorer leur condition de vie[6]. (Lire : Quelles transitions énergétiques en Afrique subsaharienne ?)
La décentralisation pourrait aider à vaincre ces défis énergétiques du 21è siècle en créant un moyen optimisé d’ accès à une énergie fiable, verte et résiliente.
3. Le concept « microgrid »
Quelle est la place d’un microgrid dans les nouveaux systèmes énergétiques en émergence ?
3.1. Microgrid et tendances énergétiques
Les prospectives énergétiques envisagent une augmentation de la demande en électricité, une amélioration de l’accès à l’énergie et la réduction des émissions de CO2 donc des énergies fossiles. Ces tendances, associées au besoin de résilience, conduisent à de nouveaux écosystèmes énergétiques : les microgrids. Ils constituent des systèmes indépendants locaux de ressources énergétiques qui reposent généralement sur de multiples sources d’énergie (Figure 2).
Ainsi, les microgrids pourraient constituer l’une des pierres angulaires de la transition énergétique.
3.2. L’émergence de nouveaux systèmes énergétiques
La décentralisation est un développement majeur qui pourrait contribuer à affronter les défis énergétiques du 21ème siècle. Au début du 20ème siècle, la centralisation de la génération d’électricité à fait un bond considérable, permettant de nombreuses économies d’échelle et une amélioration de l’efficacité de la production. La centralisation du 20ème siècle a également conduit à une augmentation globale de l’utilisation de l’énergie électrique. Depuis, la situation a sensiblement évolué, les compagnies énergétiques étant dans l’obligation de fournir d’avantage d’énergie, plus propre, à une population plus importante, avec un haut niveau de résilience (Figure 3).
De nombreuses évolutions technologiques et économiques ont eu lieu au cours des seules dix dernières années. Le marché de l’énergie a changé de manière considérable (Lire : Les marchés électriques : complexité et limites de la libéralisation des industries électriques). Des progrès substantiels ont eu lieu dans la décentralisation des ressources énergétiques telles qu’énergie solaire et système de stockage. L’internet des objets est opérationnel conduisant à de nouvelles coopérations et des possibilités d’optimisation inédites (Lire : Le numérique au service d’une gestion dynamique de l’énergie). Ces systèmes permettent l’émergence de nouveaux systèmes énergétiques tels que les microgrids qui ouvre une voie permettant d’adresser les challenges énergétiques.
En outre, bien que dominante, la dimension électrique des microgrids n’est pas la seule car ces derniers peuvent aussi inclure d’autres sources d’énergie tels que gaz naturel, eau chaude ou vapeur dans la mesure où le contexte et la régulation locale le permettent.
4. Les bénéfices des microgrids
Les microgrids contribuent à la transition énergétique en fournissant des solutions pratiques et accessibles pour améliorer la fiabilité de l’énergie électrique, la résilience de l’approvisionnement, l’accès à l’énergie, l’indépendance énergétique, une énergie verte et fiable, une optimisation du coût de l’énergie, une flexibilité de l’énergie et la capacité à participer à des programmes de services réseaux.
4.1. Sureté énergétique
La résilience énergétique peut être obtenue grâce à la capacité du microgrid à s’îloter du réseau principal et d’être auto-suffisant. Lorsque le réseau principal subit des interruptions ou des instabilités, le microgrid est rapidement découplé et continue de fournir de l’énergie grâce à ses ressources énergétiques locales.
À l’aide du système de contrôle local, les priorités de charge et les stratégies de contrôle peuvent être appliquées et ajustées. De plus, lorsque les instabilités sont prévisibles, par exemple lorsque de sévères événements climatiques sont prévus, le microgrid peut être préparé en adoptant de manière automatique une stratégie de précaution. Il est en effet possible de réduire la consommation des charges non critiques et de charger l’unité de stockage de manière à améliorer la capacité de résilience du système. Si l’une des ressources décentralisées fait défaut, la microgrid permet d’activer une solution de secours et une reconfiguration dynamique.
4.2. Optimisation du coût de l’énergie et flexibilité
L’optimisation du coût énergétique peut être atteint grâce à la capacité du système de contrôle du microgrid à utiliser la meilleure combinaison de ses ressources énergétiques disponibles telles que le stockage de l’énergie, le programme de demand-response ou les systèmes de services au réseau.
De manière à favoriser l’autoconsommation d’énergie verte, des ressources d’énergie locale peuvent être utilisées pour remplacer partiellement ou totalement l’électricité fournie par le réseau ou par des sources d’énergie fossile ce qui permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ajouter un système de stockage local d’énergie peut aussi aider à maximiser l’usage de ces ressources renouvelables en stockant l’énergie produite pendant le jour (énergie solaire) et en consommant l’énergie stockée pendant la nuit lorsqu’il n’y a plus de soleil.
Par ailleurs, il est possible d’utiliser les microgrids comme des ressources flexibles et distribuées au vu du réseau principal. Par exemple, le microgrid peut répondre à des programmes de demand- response ou fournir des services au réseau principal en jouant sur la génération locale, le stockage, et la gestion des charges tout en prenant en compte les contraintes des utilisateurs ou des considérations tarifaires.
4.3. Indépendance énergétique et énergie verte
Le système de contrôle du microgrid permet d’intégrer une énergie renouvelable abordable, de renforcer la sûreté, de réduire les émissions de CO2 et de diminuer la facture de fuel.
Dans bien des situations, les besoins énergétiques des nations sont satisfaits par l’importation de produits pétroliers. Le diesel utilisé pour la génération d’électricité provoque des émissions substantielles de CO2 et une dépendance énergétique importante qui impacte l’économie locale. Par exemple, dans les îles Tonga, environ 97% de la génération totale d’énergie électrique provient de groupes diesel, ce qui représentait 12 millions de litres (3,2 millions de gallons) de fuel-oil en 2012. Seuls 3% de la génération restante provient de l’énergie photovoltaïque. Les microgrids peuvent largement améliorer de telles situations en fournissant un système de contrôle intelligent permettant une large pénétration de renouvelable qui, jusque-là, était limitée par des problèmes d’instabilité.
4.4. Accès à l’énergie
L’accès à l’énergie est un droit humain. Les microgrids permettent un accès à l’énergie à un coût raisonnable lorsqu’une zone à électrifier se trouve dans un lieu isolé ou loin des infrastructures de réseau.
Les microgrids pourraient de manière significative accélérer le déploiement des réseaux électriques intelligents dans les zones isolées et accélérer l’accès à l’énergie dans les pays en voie de développement. L’implémentation d’un réseau électrique intelligent est complexe et demande des adaptations considérables d’ infrastructures, ce qui prendra du temps. Les microgrids constituent une alternative à court terme : ils permettent de profiter dès maintenant d’un système intelligent de ressources énergétiques distribuées. Dans les pays en voie de développement qui manquent d’infrastructure de réseau, la décentralisation de ressources énergétiques distribuées pourrait s’inspirer de l’expansion de la téléphonie mobile qui s’affranchit des obstacles liés aux investissements dans les infrastructures de communication. De même, à court terme, les microgrids peuvent constituer des solutions pragmatiques pour produire et fournir de l’énergie.
5. Conclusion
La décentralisation de l’énergie constitue un développement majeur qui pourrait aider à affronter les défis énergétiques du 21ème siècle. Des évolutions technologiques et économiques permettent en effet des progrès substantiels en matière de décentralisation énergétique incorporant photovoltaïque et stockage (Lire : La percée du stockage électrique. Quelles techniques ? Quelles fonctions économiques ? Quel futur ?). L’internet des objets est aussi opérationnel et ouvre la porte à de nouvelles coopérations et de nouvelles possibilités d’optimisation. Les microgrids constituent une réponse à la transition énergétique et leurs bénéfices incluent la fiabilité énergétique, l’accès à l’énergie, l’indépendance à travers la pénétration du renouvelable, et l’optimisation de la facture énergétique.
Le futur des microgrids est difficile à prédire en l’état, mais il semble possible que nous allions vers une ère où les microgrids seront la règle et non l’exception. Les études prospectives montrent que ce futur est techniquement faisable et pourrait être une façon d’adopter à grande échelle des ressources intermittentes telles que le solaire ou l’éolien[7]. Les microgrids pourraient ainsi être l’ une des pierres angulaires de la transition énergétiques[8].
Notes et références
[1] Forecast of electricity production and use, International Energy Agency
[2] ‘The Impact of Electricity Access on Economic Development: A Literature Review’, Productive Use of Energy (PRODUSE)
[3] ‘Carbon emissions from electricity generation for the top ten producers (2012)’, International Energy Agency
[4] ‘The Smart Grid: An Introduction’, U.S. Department of Energy
[5] ‘Think Microgrid, a Discussion Guide for Policymakers, Regulators and End Users,’ International District Energy Association, Schneider Electric, Microgrid Knowledge
[6] ‘The Impact of Electricity Access on Economic Development: A Literature Review’, Productive Use of Energy (PRODUSE)
[7] ‘Think Microgrid, a Discussion Guide for Policymakers, Regulators and End Users,’ International District Energy Association, Schneider Electric, Microgrid Knowledge
[8] BOUTIN Véronique, FEASEL Mark, CUNIC Kevin, WILD Jean: White paper series from Schneider Electric: How Microgrids Contribute to the Energy Transition http://download.schneider-electric.com/files?p_Doc_Ref=9982095_12-01-16A_EN
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