L’autoconsommation photovoltaïque (PV) bouleverse la façon de consommer de l’énergie pour les particuliers et les entreprises. Ces acteurs que l’on nomme prosumers (producer-consumer) produisent eux-mêmes et localement de l’énergie PV pour leurs propres besoins. Le phénomène de l’autoconsommation est apparu en Europe au début des années 2010 à la suite de la baisse des coûts de production PV. Cette baisse a été telle que les coûts de production PV sont inférieurs au tarif de détail ce qui a incité de nombreux ménages à substituer leur approvisionnement d’énergie assuré par un fournisseur par de la production PV (Lire : Solaire photovoltaïque, les technologies et leurs trajectoires).
Néanmoins, le développement de l’autoconsommation a suscité de nombreuses questions de la part des pouvoirs publics, notamment sur la tarification des services rendus par les réseaux électriques aux prosumers [1, 2]. Celle-ci est basée, en Europe, principalement sur l’énergie consommée sans différenciation temporelle fine alors que les coûts réseaux sont essentiellement fixes. Dès lors, si les autoconsommateurs ne paient pas la facture réseau sur les kilowattheures (kWh) autoconsommés alors qu’ils n’induisent pas une baisse identique des coûts pour les gestionnaires de réseau, ces derniers devront augmenter les tarifs pour tous les consommateurs pour combler le déficit. Cette situation crée des subventions croisées des consommateurs vers les prosumers puisque les premiers financent une partie des coûts induits par les seconds[1] [3, 4]. Cette inquiétude a conduit la commission de régulation de l’énergie (CRE) à organiser des ateliers de travail en 2017 pour réfléchir à la mise en place d’un tarif spécial autoconsommateur[2].
La rentabilité de l’autoconsommation pour un ménage tient en partie à ce qu’il ne paie pas des services que lui rendent les réseaux de distribution et de transport. Mais qu’en serait-il si le tarif est principalement basé sur la capacité souscrite ou s’il est différent selon des plages horaires ? Avant d’aborder ce sujet, les différentes politiques de soutien à l’autoconsommation en Europe seront présentées. Suivront l’examen de la rentabilité de l’autoconsommation résidentielle en France, selon différents tarifs réseaux. Sera examiné enfin l’intérêt de s’équiper de batteries en réponse au signal prix envoyé par une tarification des réseaux qui serait rectifiée pour bien refléter le coût des services offerts par le réseau aux prosumers[3].
1. Les mécanismes de soutien au développement de l’autoconsommation photovoltaïque en Europe
L’autoconsommation PV a été soutenue à travers différents mécanismes. Quels sont-ils dans les divers pays européens, en commençant par la France, après définition des concepts relatifs à l’autoconsommation ?
1.1. Situation actuelle en France
Selon l’ordonnance n°2016-1019 du 27 juillet 2016, l’autoconsommation d’électricité « est le fait pour un producteur, dit autoproducteur, de consommer lui-même et sur un même site tout ou une partie de l’électricité produite par son installation ». Cette ordonnance, ratifiée par l’Assemblée Nationale et le Sénat le 15 février 2017, a permis de créer un cadre réglementaire pour favoriser le développement de l’autoconsommation.
Selon la figure 1, l’autoconsommation est représentée par l’aire bleue. Cette aire peut être calculée via le taux d’autoconsommation défini comme la part de la production qui est consommée soit : autoconsommation / production. A travers cet exemple, on constate qu’il y a constamment des échanges de flux avec le réseau électrique, étant donné que la production PV est rarement équivalente au volume d’électricité consommée. Lorsque la consommation est supérieure à la production, une partie de la consommation est achetée via un fournisseur. Inversement, lorsqu’il y a un surplus de production, celui-ci est injecté dans le réseau.
En France, les prosumers bénéficient d’une prime pour l’achat des panneaux PV réduisant le coût d’investissement[4]. Ils bénéficient également d’un tarif d’achat garanti (TAG) sur 20 ans pour la production injectée dans le réseau (tableau 1). Ce tarif leur garantit un revenu stable dans le cas où le taux d’autoconsommation est faible.
Tableau 1. Subventions appliquées aux installations en autoconsommation (secteur résidentiel)
1er trimestre – 2021 | [0 – 3] kW | ]3 – 9] kW |
Prime installation PV | 380 €/kW | 280 €/kW |
TVA appliquée | 10% | 20% |
Raccordement au réseau | 0€ | 0€ |
Tarif d’achat surplus | 0,10€/kWh | 0,10€/kWh |
S’ils le souhaitent, les ménages peuvent également vendre toute la production (vente en totalité) à un TAG garanti sur 20 ans (17,93 cts€/kWh). C’est ce type d’incitation qui a permis l’essor de la technologie PV (figure 2, gauche). Mais, depuis 2016, date à laquelle les subventions pour l’autoconsommation ont été mises en place, la part des installations en autoconsommation sont plus importantes (figure 2, droite). Les installations dites en autoconsommation partielle bénéficient d’un TAG sur la production excédentaire, tandis que les installations dites en autoconsommation totale injectent le surplus dans le réseau sans rémunération, ce dispositif particulier étant défini pour inciter à l’installation de batteries[5].
1.2. Situation en Europe : Allemagne, Royaume-Uni, Danemark, Espagne
L’Allemagne a fait le choix en 2009 d’appliquer une prime pour chaque kWh autoconsommé. Celle-ci était égale à 25 cts€/kWh pour les installations avec une capacité inférieure ou égale à 30 kW. Cette prime variait selon la puissance installée et le taux d’autoconsommation (tableau 2). En plus de cette prime, le surplus injecté dans le réseau était valorisé par un TAG et les prosumers étaient exemptés du paiement des taxes et du tarif réseau sur les kWh autoconsommés [8].
Tableau 2. Montants des primes (cts€/kWh) à l’autoconsommation en Allemagne [9]
Capacités PV | 100 à 500 kW | 30 à 100 kW | 30 kW | |||
Taux autoconsommation | 30% | 30% | 30% | 30% | 30% | 30% |
2009 | 0 | 0 | 0 | 0 | 25,01 | 25,01 |
Janvier 2010 | 0 | 0 | 0 | 0 | 22,76 | 22,76 |
Juillet 2010 | 14,27 | 18,65 | 16,01 | 20,39 | 17,67 | 22,05 |
Octobre 2010 | 13,35 | 17,73 | 15,04 | 19,42 | 16,65 | 21,03 |
Janvier 2011 | 9,48 | 13,86 | 10,95 | 15,33 | 12,36 | 16,74 |
Janvier 2012 | 8,63 | 12,61 | 9,96 | 13,95 | 11,25 | 15,23 |
Janvier 2013 | 7,85 | 11,48 | 9,06 | 12,69 | 10,24 | 13,86 |
Janvier 2014 | 7,14 | 10,44 | 8,25 | 11,55 | 9,31 | 12,61 |
L’objectif de cette prime était d’inciter les ménages à autoconsommer alors que les coûts de production PV étaient supérieurs au tarif de détail. La prime était calculée de sorte à ce que la somme de l’économie du tarif et de la prime soit supérieure au coût de production (bien entendu, le montant du TAG était inférieur à celui de la prime à l’autoconsommation). En 2012, les pouvoirs publics ont décidé de supprimer cette prime puisque l’autoconsommation était devenue rentable. En 2013, une prime à l’investissement dans une batterie est introduite pour les installations PV inférieures à 30 kW. Les bénéficiaires pouvaient recevoir jusqu’à 600€ par kWh installé mais l’aide devait couvrir au maximum 30% des coûts de l’installation. Ce seuil sera abaissé à 25% en 2016 et jusqu’à 10% en 2018. Pour bénéficier de cette prime, la batterie devait diminuer la puissance d’injection à hauteur de 60% de l’installation PV. Entre 2013 et 2016, 17 000 batteries ont été subventionnées [10]. Au 1er août 2014, les pouvoirs publics ont décidé d’introduire une contribution pour chaque kWh autoconsommé afin de diminuer les transferts de charge des consommateurs standards vers les prosumers. Désormais, les prosumers doivent verser 30% du montant de l’EEG, l’équivalent de la partie renouvelables de la Contribution au Service Public de l’Electricité (CSPE) en France, sur les kWh autoconsommés, soit 1,9 cts€/kWh ; puis 35% entre 2016 et 2017 et 40% après le 1er janvier 2017, selon la loi EEG 2014, § 61, 1. En revanche, la contribution ne s’applique pas pour les installations inférieures à 10 kW, essentiellement des ménages.
Au Royaume-Uni, le gouvernement a mis en place des mesures incitatives en 2010 pour soutenir l’autoconsommation. Les prosumers disposaient de deux sources de revenus : un TAG appliqué sur toute la production, qu’elle soit autoconsommée ou non, un tarif dit export (export tarif) appliqué sur le surplus injecté dans le réseau, sans parler des économies de facture pour les kWh autoconsommés et non achetés à un fournisseur. L’autoconsommation du surplus potentiel était incitative puisque, le tarif à l’export étant inférieur au tarif de détail, les économies sur la facture étaient supérieures aux revenus engendrés par la vente du surplus. Ce mécanisme a été maintenu jusqu’en 2020 avec toutefois des révisions à la baisse des TAG pour les nouvelles installations. Pour les installations résidentielles, le mécanisme de TAG est supprimé le 31 mars 2020. Il est remplacé par un système appelé smart export guarentee pour lequel les fournisseurs ont l’obligation d’acheter la production excédentaire des prosumers, à un prix qu’ils sont censés fixer (Figure 3).
De 2006 à 2012, le Danemark a mis en place un système de net-metering pour inciter le développement de la filière PV sur son territoire qui revient implicitement à rémunérer le kWh au tarif de détail, toutes taxes comprises [11]. Ce mécanisme se traduit par la diminution de la consommation annuelle d’électricité facturée au prosumer. Ce système n’incite pas à l’autoconsommation puisque la consommation nocturne peut être compensée par la production diurne. En 2012, du fait de l’atteinte du seuil de rentabilité pour l’autoconsommation, la parité réseau, le gouvernement danois a réformé le système de subvention [12]. Le mécanisme de net-metering est maintenu, mais la période de compensation est modifiée, passant d’un an à une heure. Cela signifie que la production PV consommée dans l’heure qui suit est considérée comme autoconsommée et ne fait l’objet d’aucune facturation. Dès lors, ce mécanisme peut inciter à augmenter l’autoconsommation, mais il est difficile de mesurer précisément les volumes effectivement autoconsommés. L’exemple suivant le prouve : un ménage qui produit de 12h à 12h30 mais qui consomme de 12h30 à 13h verra sa facture diminuer alors que la période de production ne coïncide pas avec la période de consommation. C’est pourquoi le système de net-metering ne peut pas être considéré comme un système favorisant l’autoconsommation stricte.
En Espagne, les politiques de soutien au PV ont débuté en 1997, mais il faudra attendre le 10 octobre 2015 pour que les bases administratives, techniques et économiques soient définies pour l’autoconsommation. Le décret royal 900/2015 spécifie deux modèles d’installation sous autoconsommation. Le premier concerne les installations inférieures à 100 kW dont la production d’électricité est destinée uniquement à l’autoconsommation et qui ne sont pas enregistrées comme centrale de production. Ce modèle considère les prosumers comme de simples consommateurs et la production excédentaire n’est pas valorisée. Le deuxième modèle correspond à des plus grands producteurs, mais qui possèdent une seule unité PV. Dans ce cas-là, la production excédentaire vendue est rémunérée, mais comme elle considérée comme un profit, elle fait l’objet d’une taxation. De plus, une charge de backup toll qui rémunère les services de réseau s’applique sur les kWh autoconsommés ; il comporte d’une part fixe basée sur la capacité installée s’il y a un dispositif de stockage. Malgré un ensoleillement élevé, le taux de rentabilité interne était négatif pour les ménages [13] en raison de l’absence de rémunération du surplus et de la structure du tarif réseau composée à 84% d’une part fixe pour les ménages [14]. Pour répondre à ces problèmes, un nouveau décret pris en 2018 a supprimé toutes les charges dues par les prosumers et décidé d’une rémunération du surplus valorisé à hauteur de 90% du prix spot (Figure 4).
Pour résumer, les mécanismes de soutien à l’autoconsommation sont divers, tels que la prime pour chaque kWh autoconsommé ou celle à l’investissement PV ou celle à batterie. Néanmoins, il y a d’autres mesures qui favorisent ou limitent le développement de l’autoconsommation : d’une part, la mise en place de TAG appliqué au surplus de production permettant de garantir une rémunération stable ; d’autre part, la structure du tarif réseau et l’exemption des taxes pour les kWh autoconsommés. L’impact de ces paramètres, excepté le dernier, sur la rentabilité des installations en autoconsommation en France est étudié par la suite.
2. Le modèle économique de l’autoconsommation en France
Son évaluation implique au préalable la définition de la parité réseau.
2.1. Parité réseau
Une approche largement utilisée pour analyser la rentabilité de l’autoconsommation est le calcul du coût complet de production ou Levelized Cost Of Electricity (LCOE). Ce LCOE représente les coûts de l’investissement et de l’entretien divisé par la somme de la production actualisée sur la durée de vie des panneaux. Lorsque le LCOE est égal au tarif de détail (taxes comprises), la parité réseau est atteinte. Dès lors, tout consommateur serait en théorie indifférent entre investir dans des panneaux PV pour autoconsommer toute la production et acheter toute sa consommation via un fournisseur. De nombreux commentateurs ont avancé que, lorsque la parité réseau serait atteinte, l’autoconsommation serait rentable.
Cette affirmation masque de nombreux éléments sous-jacents à la rentabilité d’un tel investissement. En premier lieu, lorsque la parité réseau est atteinte, il faut que le ménage autoconsomme toute la production pour que l’investissement soit rentable. De plus, le tarif d’achat n’est pas pris en compte dans ce type d’analyse. Soit l’exemple simple suivant. Le tarif régulé de l’électricité est actuellement de 15,82 cts€/kWh, hors prix de l’abonnement. Si le LCOE est égal à 15,82 cts€/kWh alors la parité réseau est atteinte. Cependant, si on suppose que le ménage autoconsomme 80% de sa production et que le surplus de production n’est pas rémunéré, alors ces revenus sont égaux à 15,82*80%=12.66 cts€/kWh, soit inférieurs au coût de production.
Le taux d’autoconsommation est un facteur déterminant pour estimer la rentabilité. Il dépend de l’ensoleillement et de la courbe de consommation du ménage. Ce taux est généralement faible en France. La société Monabee qui suit les courbes de charge de ses clients a observé un taux d’autoconsommation moyen de 55%[6]. C’est pourquoi, les pouvoirs publics mettent en place des TAGs appliqués au surplus de production pour assurer un revenu supplémentaire. Ce paramètre doit être inclus dans la comparaison avec la parité réseau.
Soit à nouveau un exemple. Selon [5], le LCOE dans le sud de le France en 2020 est de 11,75 cts/kWh sans subvention. Supposons un tarif de détail égal à 15,82 cts/kWh et un tarif d’achat du surplus égal à 4 cts/kWh (qui correspond au prix moyen du marché horaire certaines années), il faut que les prosumers aient un taux d’autoconsommation d’au moins 66% pour que l’investissement soit rentable [(66% x 15,82) + (34% x 4) = 11,8 cts/kWh]. Si le TAG est inférieur, il faut augmenter le taux d’autoconsommation. Ce résultat signifie que la parité réseau est atteinte sans subvention, ce qui serait le cas dans le sud de la France à condition d’avoir un taux d’autoconsommation au minimum de 66%.
Toutefois, la comparaison se pose de façon différente si le tarif est défini avec une différenciation par plage horaire, par exemple un tarif heures pleines, heures creuses et par saison. Dans ce cas, c’est le taux d’autoconsommation lors de chaque période tarifaire qui doit être considéré. En outre, la part puissance (la capacité souscrite) risque de changer dans les années à venir, pour avoir un meilleur alignement, notamment en France où la part puissance va augmenter dans l’objectif d’avoir un meilleur alignement de cette politique avec l’efficience économique d’ensemble (éviter trop de développement des productions individuelles) et l’équité (évite les subventions croisées des ménages vers les prosumers) [15]. Le tarif à la puissance est proposé pour limiter les subventions croisées des consommateurs vers les prosumers. L’idée sous-jacente est d’aligner la tarification des services rendus par les réseaux avec les coûts qu’engendre chaque usager. Si les coûts réseaux sont essentiellement à partie fixe pour les prosumers pour les faire payer les vrais coûts qu’ils engendrent pour le système à court et à long terme, alors une tarification à la puissance semble pertinente.
Le bénéfice de se mettre en autoproducteur avec un investissement en PV va alors dépendre en partie de la capacité des ménages à diminuer leur capacité souscrite via l’autoconsommation. Le LCOE par kWh n’est donc pas une mesure pertinente pour comparer la rentabilité des installations entre pays et régions lorsque les taux d’autoconsommation peuvent varier fortement (figure 5).
2.2. Rentabilité de l’autoconsommation
Pour analyser la rentabilité des installations en autoconsommation, la Valeur Actuelle Nette (VAN) semble plus appropriée. Une étude réalisée au sein de la Chaire Economie du Climat a montré que la rentabilité dépendait du tarif souscrit (Tableau 3). Les quatre tarifs considérés sont les suivants[7] :
- Tarif uniforme de base : tarif sans différenciation temporelle ;
- Tarif HP/HC : tarif réglementé de vente avec option heures pleines heures creuses ;
- Tarif horosaisonnier à 4 plages : tarif avec une saison été et une saison hiver,
- Tarif à dominante puissance : le tarif réseau est essentiellement basé sur la puissance souscrite du ménage.
Tableau 3. Montant des tarifs en 2020. [Source : CRE et auteur]
Tarifs en 2020 | Base | HP/HC | Puissance | |
HP | HC | |||
Part variable (€/kWh) | 0,1546 | 0,1781 | 0,1337 | 0,1186 |
Part fixe (€/kW) | 5,24 – 7,67 | 5,24 – 7,67 | 39 | |
Périodes | [7h to 14h]
[17h to 2h] |
[2h to 7h]
[14h to 17h] |
Tableau 3 bis. Tarif à 4 plages temporelles sans la part fixe du tarif réseau (données basées sur 16)
TOU_4P (€/kWh) | Décembre à Avril | Avril à Décembre | ||
Hiver HP | Hiver HC | Eté HP | Eté HC | |
Energie | 0,072 | 0,052 | 0,072 | 0,052 |
Taxes | 0,061 | 0,054 | 0,061 | 0,054 |
Réseau | 0,056 | 0,033 | 0,013 | 0,010 |
Total | 0,189 | 0,139 | 0,145 | 0,116 |
La rentabilité d’une installation en autoconsommation selon la capacité PV, le tarif réseau et deux profils sous le mécanisme de soutien actuel, prime PV + TAG, peut être représentée (Figure 6). Il s’agit de profils simulés dans le sud de la France avec une consommation annuelle d’environ 4 600 MWh, moyenne nationale. Les résultats montrent que l’autoconsommation PV est rentable avec les subventions actuelles, y compris avec des taux d’autoconsommation faibles (Annexe 1). Pour chaque tarif, la capacité optimale est 3 kW. Au-delà, la prime à l’investissement est plus faible diminuant la rentabilité de l’installation. La VAN est plus élevée pour le tarif HP/HC car les heures pleines, dont le tarif est plus élevé qu’en base, se concentrent principalement pendant les heures d’ensoleillement. En revanche, le volume d’autoconsommation est plus important l’été. C’est pourquoi le tarif 4 plages est moins incitatif que le tarif HP/HC car les tarifs estivaux sont plus faibles que ceux hivernaux. La rentabilité sous un tarif à la puissance est la plus faible car l’autoconsommation ne permet pas de diminuer la pointe de consommation, ou très faiblement (0,3kW).
3. L’intérêt de s’équiper de batteries
En termes de rationalité économique collective, l’autoconsommation peut diminuer les coûts des gestionnaires de réseau si les périodes de consommation correspondent aux périodes de tension pour le système. Néanmoins, la production PV ne peut couvrir la consommation du soir que si elle est stockée. Dès lors, il serait intéressant de reconsidérer les aides à l’autoconsommation pour favoriser des technologies de stockage afin que les prosumers soient en mesure de répondre aux signaux tarifaires et fournir des bénéfices au réseau.
Il existe plusieurs technologies de batterie pour des usages domestiques. Les batteries au plomb représentaient la plus grande part de marché car c’est une technologie qui est mature et dont les coûts étaient plus faibles que les autres types de batteries. Elles restent aujourd’hui la technologie dominante sur le marché mondial pour différents types d’usages (Lire : La percée du stockage électrique. Quelles techniques ? Quelles fonctions économiques ? Quel futur ?). Néanmoins, les batteries lithium-ion offrent actuellement de plusieurs avantages comparés aux batteries au plomb [17]. Elles ont une durée de vie plus élevée et elles n’ont pas besoin de maintenance ni d’être dégazées et leur installation est plus aisée [18] (Lire : Accumulateurs : le futur du stockage d’énergie). Ces avantages combinés à la baisse des coûts de production ont permis à cette technologie de s’imposer sur le marché pour les usages domestiques notamment lorsqu’elles sont couplées à des panneaux PV [19][8]. En France, le nombre d’installations en autoconsommation équipées d’une batterie est de 7330 au dernier trimestre 2020 soit 7,7% des prosumersrésidentiels[9].
3.1. Mesure et rentabilité des batteries, le Levelized Cost of Storage
Si on considère un tarif en base, l’investissement dans une batterie est intéressant si le coût de stockage, Levelized Cost of Storage (LCOS), est inférieur au solde du tarif de détail dont on soustrait le prix de revente du surplus qui, lui, constitue un coût d’opportunité pour le « futur stockeur ». En effet, le surplus qui n’est pas vendu est stocké et autoconsommé à une période différée. On peut en effet constater que le prix rémunérant le surplus a un impact significatif sur la rentabilité des batteries (Figure 7). Avec un TAG de 10 cts/kWh, le LCOS doit être de 5,8 cts/kWh (15,8 -10 €/MWh) pour atteindre la parité stockage. Or le coût complet du stockage se situe entre 40 et 60 cts€/kWh selon la capacité de la batterie[10]. Il est donc encore beaucoup trop élevé comparé au tarif de détail dont on soustrait la présence de tarifs d’achat du surplus.
Le LCOS est égal au coût d’investissement divisé par la somme totale actualisée de MWh d’électricité déchargée calculée à partir d’un nombre de cycles donné (un cycle représentant une charge et une décharge complète). Cette quantité est obtenue en multipliant le nombre de cycles avec la capacité de la batterie, le nombre de cycles nécessaire pour atteindre la parité stockage (5,82 cts/kWh) étant supérieur à 10 000 (Figure 8). Or, la batterie considérée[11] ne tolère que 5 100 cycles au maximum avant d’être obsolète. Avec 5 100 cycles, le LCOS est de 12,75 cts/kWh : il faudrait ainsi un TAG inférieur à 3 cts/kWh pour atteindre la parité stockage.
Figure 8. LCOS selon le nombre de cycles en €/kWh (Hypothèse sur coût de batterie = 650€/kWh). [Source : auteur]
3.2. Mesure et rentabilité des batteries, le Levelized Value of Storage
Comme pour le LCOE, la comparaison du LCOS avec le tarif uniforme de base n’éclaire pas sur l’efficience sociale du développement des prosumers. Pour ce faire il faut considérer des tarifs composés de différentes plages tarifaire et d’une forte composante puissance, seuls à même de permettre de valoriser l’intérêt de détenir une batterie. Avec celle-ci, on a intérêt de stocker lorsque les prix sont bas pour déstocker l’énergie lorsque les prix sont élevés, mais également d’aplatir la courbe de charge afin de diminuer les coûts réseaux.
Il est donc préférable, pour mesurer la rentabilité de s’équiper d’une batterie, d’utiliser un autre indicateur, celui des gains complets actualisés, le Levelized Value of Storage (LVOS). Celui-ci est composé de la somme totale des gains actualisés, divisée par le volume d’électricité déchargée [21]. Comparé le LVOS et le LCOS revient donc simplement à comparer la somme des gains et des coûts par kWh déstocké.
Pour déterminer le montant de la prime nécessaire pour atteindre la rentabilité d’un stockage, ce montant est calculé de manière à égaliser le LVOS et le LCOS. On montre[12] que la prime doit être relativement élevée pour inciter à l’adoption d’une batterie. Sachant que le coût d’investissement est de 650€/kWh, il faut une prime couvrant environ la moitié des coûts de la batterie dans le cas d’un tarif uniforme en base et de 30% à 42% dans ceux de tarifs avec une différenciation temporelle. Mais, pour le tarif à la puissance, cela dépend du dimensionnement de l’installation et du profil (voir Figure 9). Le tarif a une influence sur la rentabilité des batteries et donc sur le montant de la prime.
Les tarifs avec des plages tarifaires sont plus attractifs que le tarif uniforme en base, ce qui correspond au résultat intuitif qui découle de l’idée que la batterie stocke lorsque les prix sont faibles et déstocke lorsque les prix sont élevés :
- avec le tarif à la puissance, les résultats sont très variables. En effet, pour le ménage CH45, l’installation d’une batterie ne lui permet de diminuer sa puissance que de 0,24 kW, ce qui génère de faibles économies sur la facture réseau. Pour le ménage CH05, l’installation d’une batterie lui permet de diminuer sa pointe de consommation de 4,7 kW à 3,4 kW ce qui lui permet de dégager un revenu non négligeable ;
- la prime minimale pour atteindre la rentabilité du stockage peut être atteinte avec un tarif à la puissance de 130€/kW (20% du coût d’investissement).
Si la batterie permet de diminuer suffisamment la puissance souscrite, le LVOS peut être supérieur au LCOS. Aucune subvention n’est alors nécessaire pour encourager l’adoption d’une batterie. Notons toutefois qu’il faut une approche globale et intégrative pour chaque type de tarif. En effet en se focalisant sur la seule rentabilité de l’adjonction d’une batterie lorsqu’on analyse la rentabilité de l’autoconsommation, on constate qu’un tarif à la puissance qui favorise l’installation de batteries diminue les économies pour tous les kWh autoconsommés hors stockage, c’est-à-dire la rentabilité de l’installation initiale de panneaux PV.
4. Messages à retenir
La tarification des réseaux a un impact majeur sur la rentabilité de l’autoconsommation. La comparaison du LCOE ou du LCOS avec le tarif uniforme en base n’est pas une mesure satisfaisante de la rentabilité de l’autoconsommation. De fait, comme la structure du tarif réseau va changer dans les prochaines années pour aligner. En France, la CRE a annoncé que la part puissance allait augmenter pour les ménages dès l’application du prochain Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics d’Electricité (TURPE 6). Des tarifs avec une forte composante puissance diminue la rentabilité de l’autoconsommation. Mais quel que soit le tarif considéré, le coût des batteries est encore trop élevé comparé aux tarifs pour inciter les prosumers à investir dans cette technologie. Il faudrait dans tous les cas renouveler l’analyse avec différents types de consommateurs et avec différents types de tarifs dans le futur, pour savoir si ce sera toujours le cas avec la baisse des coûts.
Annexe 1
Tableau 4: Taux d’autoconsommation selon la période et la capacité PV
CH05 | Base | HP | HC | Hiver/HP | Hiver/HP | Eté/HP | Eté/HC |
1,5 kW | 44% | 73% | 27% | 21% | 7% | 51% | 20% |
2 kW | 39% | 75% | 25% | 23% | 8% | 53% | 17% |
3 kW | 31% | 78% | 22% | 24% | 7% | 54% | 15% |
CH45 | Base | HP | HC | Hiver/HP | Hiver/HP | Eté/HP | Eté/HC |
1,5 kW | 71% | 79% | 21% | 22% | 6% | 57% | 15% |
2 kW | 53% | 80% | 20% | 23% | 6% | 57% | 14% |
3 kW | 41% | 80% | 20% | 24% | 6% | 56% | 14% |
Annexe 2
Tableau 5: Prime pour atteindre la parité stockage selon le tarif, le profil et la capacité PV-batterie
CH05 | CH45 | ||||||||
Capacité PV/batterie | Base | HP/HC | 4 plages | Puissance | Base | HP/HC | 4 plages | Puissance | |
1,5kW/2kWh | 320 € | 206 € | 239 € | 123 € | 314 € | 204 € | 239 € | 360 € | |
1,5kW/3,5kWh | 363 € | 263 € | 292 € | 267 € | 376 € | 251 € | 282 € | 424 € | |
1,5kW/5kWh | 381 € | 287 € | 315 € | 346 € | 408 € | 307 € | 333 € | 459 € | |
2kW/2kWh | 309 € | 187 € | 220 € | 126 € | 284 € | 192 € | 227 € | 332 € | |
2kW/3,5kWh | 325 € | 236 € | 266 € | 255 € | 322 € | 243 € | 273 € | 383 € | |
2kW/5kWh | 353 € | 249 € | 278 € | 327 € | 362 € | 284 € | 310 € | 408 € | |
3kW/2kWh | 290 € | 185 € | 216 € | 109 € | 273 € | 200 € | 231 € | 319 € | |
3kW/3,5kWh | 315 € | 223 € | 251 € | 235 € | 310 € | 237 € | 263 € | 374 € | |
3kW/5kWh | 331 € | 250 € | 276 € | 303 € | 319 € | 272 € | 294 € | 389 € | |
4kW/2kWh | 289 € | 198 € | 224 € | 112 € | 274 € | 190 € | 218 € | 320 € | |
4kW/3,5kWh | 308 € | 224 € | 249 € | 251 € | 306 € | 242 € | 266 € | 371 € | |
4kW/5kWh | 322 € | 247 € | 271 € | 299 € | 329 € | 274 € | 294 € | 385 € |
Notes
[1] Les subventions croisées ne se limitent pas à l’autoconsommation mais également aux équipements comme le chauffage électrique.
[2] Commission de Régulation de l’Énergie, http://autoconsommation.cre.fr/index.html
[3] Les résultats sont issus de travaux effectués au sein de la Chaire Economie du Climat. Pour plus de détails, vous pouvez consulter ces références suivantes [5, 6]
[4]La France a également mis un mécanisme d’incitation destiné aux entreprises avec une installation supérieure à 100 kW (cf.[7]).
[5] Pour plus d’informations, voir : https://www.photovoltaique.info/fr/preparer-un-projet/vente-ou-autoconsommation/autoconsommation-partielle-ou-totale/#modeles_economiques_de_lautoconsommation
[7] Voir [5] pour le détail des calculs.
[8] Parmi les batteries lithium-ion, il existe plusieurs technologies différentes. Certaines sont encore trop coûteuses pour être largement commercialisées comme les batteries composées de nickel-cobalt-aluminium ou de titanate de lithium. Les plus répandues sont celles composées de nickel-manganèse-cobalt (NMC) et de phosphate de fer lithié (PFL) [20].
[9]https://data.enedis.fr/explore/dataset/evol_parc_trimestre_modalite/export/?refine.type_production=Photovolta%C3%AFque&refine.tranche=a-%5D0;36%5D
[10] Pena-Bello et alii., 2017.
[11] Une batterie NMC a été considérée et les hypothèses sont disponibles sur le lien suivant : https://www.irena.org/publications/2017/Oct/Electricity-storage-and-renewables-costs-and-markets
[12] Selon les hypothèses retenues (tableau 2 et 3), et avec un tarif pour le surplus fixé à 40 €/MWh (soit environ le prix moyen sur le marché spot) la stratégie de charge est simulée de façon à maximiser les gains du prosumer. On a alors calculé la répartition du montant de la prime selon la capacité PV-batterie (figure 7 et tableau 5, annexe 2).
Références
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Rebenaque, O.: Evaluation éconmique de l’autoconsommmation photovoltaïque en France : impac de la politique de soutien et de la structure tarifaire. Chaire Economie du Climat, Inofrmation et débats n°64, (2020)
CRE: Cahier des charges de l’appel d’offres portant sur la réalisation et l’exploitation d’installations de production d’électricité à partir d’énergies renouvelables en autoconsommation et situées en métropole continentale, (2017)
OFATE: Autoconsommation en Allemagne – Retour d’expérience, (2012)
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CRE: Délibération de la CRE du 21 janvier 2021 portant décision sur le tarif d’utilisation des réseaux publics de distribution d’électricité (TURPE 6 HTA-BT), (2021)
CRE: Open Data CRE – Outils de calcul des structures tarifaires [WWW Document]. https://www.cre.fr/Pages-annexes/Open-Data, (2017)
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