La passionnante histoire de la compagnie vénézuélienne PdVSA est riche d’enseignement. Elle illustre le dualisme traversant toute société nationale pétrolière, tour à tour, gérée à l’image des grandes compagnies internationales et utilisée comme simple instrument au service de la politique nationale d’un gouvernement. Son étude est indispensable à la compréhension des liens entre l’industrie pétrolière et les États pétroliers.
Petróleos de Venezuela, sociedad anonima de capital variable (S.A. de CV), la société pétrolière nationale du Venezuela fait l’objet, depuis déjà de nombreuses années, de nouvelles alarmantes concernant tant sa santé comme productrice de brut que sa situation financière. Il semblerait que, suite au contre choc pétrolier (une chute du cours des prix du brut de 76 % entre août 2014 et août 2015), la situation se soit nettement dégradée. Cette chute a particulièrement affecté la nation caribéenne qui est devenue la caricature d’un pays rentier : son économie est totalement dépendante du pétrole qui représente 96 % des exportations ; elle importe quasiment tout ce qu’elle consomme (8.69 % de son PIB) ; sa dette excède de loin ses recettes ; elle semble en défaut de paiement imminent. Si l’on ajoute la gestion très critiquable de l’industrie des hydrocarbures depuis le début du 21ème siècle, on comprend très vite les difficultés auxquelles elle est confrontée face à une telle dégringolade des cours.
En effet, en octobre 2017, pour la première fois depuis 28 ans, la production pétrolière a été inférieure à deux millions de barils par jour (2 Mbj), ce qui situe le Venezuela au 13ème rang mondial, après le Mexique[1]. Par ailleurs, la productivité par travailleur a énormément baissé tandis que les problèmes de maintenance sont à l’ordre du jour[2]. L’entreprise nationale est surendettée ce qui fait écho à la situation extrêmement critique d’un pays au bord de l’asphyxie qui affiche aujourd’hui – outre une dette pharamineuse – une hyperinflation qui dépasse 800 %[3]. Le 14 novembre 2017, El Nacional titrait : “PdVSA en défaut de paiement”. Ce désastre est la conséquence des multiples rôles que l’État vénézuélien fait jouer à sa compagnie nationale : outre ses attributions légitimes en tant qu’entreprise pétrolière, elle doit aider le gouvernement à financer les plans sociaux, à acheter et à distribuer les aliments ou encore à soutenir financièrement les différents programmes d’aide aux pays amis (appuis électoraux ou énergie à bon marché, entre autres)[4].
Cette image est bien éloignée de celle que la société nationale offrait encore en 1998, période où elle était considérée au plan international comme un véritable modèle. C’était alors une entreprise prospère et saine qui occupait le cinquième rang mondial avec une production annuelle de 3.4 Mbj.
Comment cette entreprise en est-elle arrivée là ? Quels sont les facteurs qui expliquent une telle décomposition, en l’espace de 20 ans, de son fonctionnement et de ses résultats ? Est-ce la conséquence du brusque virage opéré par le gouvernement Bolivarien sous l’égide du Commandant Hugo Chávez (1998-2013) puis de son successeur, Nicolás Maduro ? Ou bien est-ce le produit de forces latentes qui existaient déjà en puissance dans le modèle d’entreprise publique qui a été façonné au milieu des années 1970 (1975) ? Pour répondre à cette question, une évolution de l’industrie pétrolière vénézuélienne depuis le début du 20ème siècle et de son entreprise nationale PdVSA, à partir de 1976, doit être reconstituée sous un angle historique (chronologique) croisé avec une analyse organisationnelle.
1. La naissance d’une industrie
Bien que l’existence du pétrole ait été connue depuis longtemps au Venezuela, ce n’est qu’à partir du début du 20ème siècle que cet hydrocarbure prendra une grande importance. De fait, la naissance officielle de l’industrie a coïncidé avec la découverte par la Royal Dutch Shell du puits Zumaque I dans le champ de Mene Grande longeant le lac de Maracaibo. Le 2 décembre 1922, Barroso, un puits en exploration, va soudain éjecter à l’air libre des milliers de barils, et ce, durant plus de dix jours. La réputation du Venezuela, pays pétrolier extrêmement prometteur, débutait[5]. Les compagnies se précipitèrent vers ce nouvel Eldorado alors que le pétrole commençait à remplacer le charbon comme combustible au niveau mondial. Le Venezuela entama une ascension fulgurante : en 1928, dépassant le Mexique, il se hissait au rang de deuxième producteur, juste derrière les États-Unis[6] (Lire : Pétrole : les anciennes concessions pétrolières du Venezuela et du Moyen Orient).
Le gouvernement de Juan Vicente Gómez (1908-1935) jouera un rôle non négligeable dans la promotion de l’industrie. Tout en créant les mécanismes nécessaires pour attirer les compagnies étrangères disposées à risquer leur capital et leur réputation, il chercha à déployer une série de lois et de règlements destinés à mieux assumer le contrôle des ressources en terre[7]. En d’autres termes, il s’employa à définir les droits et les obligations des deux principaux acteurs : l’État et les compagnies privées, bénéficiaires des concessions. Certes, la nouvelle régulation – concernant les conditions d’accès aux ressources, les mécanismes de création et de distribution des revenus pétroliers et la politique pétrolière – favorisait encore largement les concessionnaires. Néanmoins, à la mort de Juan Vicente Gómez, le pétrole était devenu la principale source de revenus du fisc (Figure 1).
Quant aux concessionnaires, s’il est vrai que les compagnies anglaises dominèrent dans un premier temps, leurs rivales américaines leur livreront bien vite une lutte sans merci. Ainsi, en 1937, trois compagnies se partageaient le marché : la Standart Oil of New Jersey (avec environ la moitié de la production via la Creole), la Shell (un tiers) et la Gulf pour le restant (à Mene Grande).
À partir de l’administration du Général Eleazar López Contreras (1936-1941), les différents gouvernements vont chercher à moderniser l’industrie pétrolière tout en augmentant progressivement la participation de l’État dans sa gestion.
Le 5 août 1936, la Loi sur les hydrocarbures et autres combustibles va inclure des mesures fiscales et juridiques, obligeant les concessionnaires à améliorer les conditions de travail des employés, à assurer la “vénézuélisation” du personnel (une mesure sans précédent dans les autres pays producteurs)[8] ainsi que sa formation technique. Parallèlement, l’article 127 de la Constitution de 1936 établit que seuls les tribunaux vénézuéliens pourront juger les conflits d’ordre commercial[9]. Ces mesures nationalistes n’empêchèrent nullement le Venezuela de caracoler à la troisième position en tant que producteur au cours des années 1940. Pour des raisons budgétaires, le gouvernement suivant (Medina Angarita, 1941-1945) va instruire une nouvelle Loi des hydrocarbures pour, entre autres mesures, augmenter la participation de la nation dans l’exploitation des richesses pétrolières et contraindre les concessionnaires à raffiner localement un dixième de leur production de pétrole. Par ailleurs, la loi de reconversion fixa un terme aux concessions en leur assignant une année butoir – 1983 – ce qui data d’une certaine façon la nationalisation de l’industrie (Lire : Pétrole : réformes et renégociation du régime de l’amont pétrolier au Venezuela et au Moyen Orient).
Jusqu’à la fin des années 1950, le Venezuela sera un pays producteur prospère. En 1948, non seulement il était le plus grand exporteur de brut mais, en même temps, sa politique pétrolière restait attrayante pour les investisseurs. En outre, il possédait des réserves prouvées intéressantes et de grandes zones à explorer.
Les gouvernements suivants vont adopter trois mesures qui modifieront le visage de l’industrie. La loi du fifty-fifty (50-50 %), l’adhésion à l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), promue par le Venezuela, et la mise sur pied de la Compagnie vénézuélienne du pétrole (CVP).
Invention vénézuélienne, le principe du fifty-fifty appliqué aux contrats de concessions (art. 31 de la Loi des impôts sur la rente, 1948) rompit avec les règles fiscales en répartissant de manière plus équitable les bénéfices obtenus entre les concessionnaires et l’État. À l’exception de la Grande-Bretagne, la plupart des pays producteurs l’adopta immédiatement. À partir de 1958, l’administration de Rómulo Betancourt (1958-1963) prit des mesures avec une orientation nationaliste : on fixa le governement take à 67 % et le Venezuela joua un rôle important dans la création de l’OPEP[10]. Parallèlement, suivant les préceptes de cette organisation, fut créée en décembre 1960 la première entreprise d’État soumise à l’autorité du ministère des Mines – la Corporation vénézuélienne du pétrole (CVP) -, destinée à être un observatoire chargé de connaître les activités des compagnies privées et de mettre à profit leur expérience (Figure 2).
Bien que ces mesures aient permis de mieux contrôler prix, impôts (sur la rente) et production du pétrole, elles alertèrent les compagnies qui, dès lors, commencèrent à rogner leurs dépenses en capital, ce qui conduisit rapidement à une stagnation de la production, aux alentours de 3 Mbj. La relation de force entre concessionnaires et propriétaire des ressources en terre se modifia rapidement. La nationalisation s‘avérait inévitable ; il suffisait d’attendre 1983.
Dans cette ambiance tendue, le gouvernement devait contrôler la relation production / réserves et empêcher la détérioration des usines et des infrastructures. La Loi de restitution pétrolière (30 juin 1971) visa à garantir que soient restitués intégralement à la nation les actifs de l’industrie et les concessions qui n’auraient pas été exploitées[11]. Le boom des cours du pétrole, suite à l’embargo pétrolier des pays arabes en 1973, va accélérer la date de la nationalisation, qui était déjà en soi une idée admise par tous. Dans ce cadre, il s’agissait surtout de définir ses modalités en vue de ne pas affecter la rente.
2. Une nationalisation particulière
Loin d’être un traumatisme, la nationalisation de l’industrie pétrolière vénézuélienne va chercher à préserver une grande continuité avec le mode de développement du secteur ce qui lui octroiera des caractéristiques sui generis.
Elle fut l’oeuvre d’un homme : le président Carlos Andrés Pérez (1974-1979). Brillant politicien, il décida de convoquer un ample débat parlementaire en vue de favoriser un large consensus, incluant deux ex-chefs d’État devenus sénateurs à vie, et opposés en tous points (Rómulo Betancourt et Rafael Caldera). Malgré une forte opposition, le 21 août 1975, fut voté et approuvé le projet de Loi qui réserve à l’État l’industrie et le commerce des hydrocarbures. La Loi entra en vigueur le 1er janvier 1976. D’après Juan Pablo Pérez Alfonso, l’ancien ministre des Mines et des Hydrocarbures et co-créateur de l’OPEP, l’intensité du débat et le vote extrêmement dispersé affaiblirent le contenu de la nationalisation (Figure 3).
De façon consensuelle, on admettait que la nationalisation ne devait pas affecter la production de pétrole ; la continuité de la gestion des hydrocarbures devenait ainsi un impératif. En effet, troisième exportateur de pétrole après l’Arabie Saoudite et l’Iran, en cette période de hausse phénoménale des prix le Venezuela engrangeait la somme conséquente de dix milliards de dollars par an. Dans cet esprit, différents articles de la Loi de nationalisation s’employèrent à éviter toute rupture dans le mode de fonctionnement de l’industrie. 13 compagnies remplaceraient les 22 concessionnaires en opération (art. 6), conserveraient le régime fiscal antérieur (art.7) et seraient régies par le code commercial (art.8). Rien ne fut laissé au hasard. En particulier la question des compensations fît l’objet de trois lois qui examinèrent minutieusement tous les cas de figure.
Le 30 août 1975, Petróleos de Venezuela, S.A. vit le jour. Bien qu’au départ il était prévu de créer un monopole d’État, PdVSA prit finalement la forme d’un holding qui adopta un modèle sui generis, très différent de celui des autres sociétés pétrolières nationales latino-américaines[12]. On décida également de ne pas laisser la politique s’immiscer dans la vie de l’industrie (Figure 4).
On organisa PdVSA en fonction des objectifs commerciaux qui guidaient l’entreprise. Selon une structure pyramidale, le holding intégra les 13 compagnies nationalisées, outre la CVP, et concentra les tâches financières, la planification générale et la coordination des activités pétrolières et gazières. Le ministère, en charge de la politique pétrolière, se situait au niveau supérieur. PdVSA occupait la strate intermédiaire tandis qu’ à la base, les filiales étaient chargées des opérations. Pour éviter toute influence politique, on décida que les membres du conseil d’administration de PdVSA seraient en poste durant quatre ans et qu’ils pourraient influencer les nominations des membres suivants. On conserva également la culture organisationnelle antérieure ainsi que les équipes de travail, à l’exception du haut personnel étranger qui réintrégra la maison mère. L’esprit de corps et l’identité entrepreneuriale de chaque filiale furent respectés tandis que, par ailleurs, on introduisait une saine compétition entre elles pour éviter la constitution d’un monopole.
Vu l’hétérogénéité des différentes filiales, il fut vite nécessaire de réduire leur nombre[13]. Débutant en juillet 1976, l’opération se déroula en plusieurs temps. Elle s’acheva avec la création de trois compagnies : Lagoven, Maraven et Corpoven, cette dernière intégrant CVP. Il fallait créer un état d’esprit commun sans affecter le style de chaque compagnie car chacune conservait jalousement ses caractéristiques managériales[14]. De cette façon, bien que chaque filiale conservait une relative autonomie de gestion et une certaine liberté au sein de ses activités, PdVSA chapeautait le tout et assignait leurs objectifs en termes d’investissements et de rentabilité.
En 1976, l’Institut de recherche et de développement devint une filiale de Petróleos de Venezuela et prit le nom d’Institut technologique vénézuélien du pétrole (INTEVEP). Pour éviter de tomber sous la dépendance étrangère, on favoriserait la recherche sur la transformation du pétrole et le développement de la pétrochimie. Pour compléter les activités d’INTEVEP, PdVSA et ses filiales fondèrent CAPET, un centre d’entraînement du personnel de l’industrie pétrolière et de la pétrochimie. En 1977, fut créée Pequiven, qui devint la filiale la plus importante de PdVSA après Lagoven, Maraven et Corpove [15]. Une autre filiale, la Raffinerie Isla, fut chargée de gérer le complexe de raffinage et les terminaux maritimes que PdVSA louait à Curaçao.
Finalement, pour que la nouvelle société nationale jouisse d’une pleine autonomie de gestion, il fut décidé qu’elle serait régie par le code du Commerce ; et, pour qu’elle soit autonome au plan financier, on lui attribua un Fonds d’investissements doté au départ d’un capital de 500 millions de dollars, étant entendu que chaque filiale devait par la suite alimenter ce Fonds en versant 10 % des revenus issus des exportations du mois antérieur.
Ainsi, PdVSA offrait une structure unique : un holding avec trois filiales verticalement intégrées, qui avaient conservé le style administratif des compagnies internationales et récupéré les meilleures pratiques des concessionnaires. Elles empruntèrent à Shell International les coordinateurs, et à Exxon les comités qui constituaient de précieux instruments d’analyse et d’évaluation.
Cette organisation permit de créer des générations entières de professionels : des cadres supérieurs et des techniciens extrêmement bien formés, très pointus et dotés d’une forte culture entrepreneuriale[16]. La méritocratie était au fondement du succès de la nouvelle entreprise. En outre, des accords techniques furent signés avec les concessionnaires, les Contrats d’assistance technique (CAT) pour conserver la capacité d’exécution antérieure[17]. Comme il fallait constituer un marché d’exportation pour le pétrole brut vénézuélien (très lourd), on négocia des accords commerciaux avec les grandes compagnies internationales. En effet, à cette époque, seule Maraven disposait d’une certaine expérience en trading. Sans nul doute, ces divers accords ont aplani le chemin de la transition. Par ailleurs, les relations entre le ministère des Mines et des Hydrocarbures et PdVSA furent empreintes de respect, du moins entre 1975 et 1979[18].
Certains aspects laissaient néanmoins présager la possibilité de conflits ultérieurs. C’était le cas du Décret 832 qui attribuait au ministère un pouvoir énorme, ou encore de l’article 5 de la Loi nationale du Pétrole, qui interdisait la participation du privé sauf pour les champs marginaux et les huiles lourdes ou extra lourdes. En période de prix hauts, les revenus issus de l’exportation étaient évidemment suffisants pour que le gouvernement puisse consolider sa politique de développement national et que le holding puisse renforcer son programme d’investissements et accroître ses activités en amont et en aval. Mais en sera-t-il de même en période de vaches maigres?
3. Une entreprise en étau entre mission nationale et objectifs commerciaux (1982-2016)
Entre 1980 et 2016, l’évolution de l’industrie pétrolière et de sa compagnie d’État, PdVSA, ne sera pas linéaire. Guidée d’abord par une logique entrepreneuriale où la création de valeur était centrale, à partir des années 2000 la mission nationale (et sociale) orientera les grandes définitions de l’entreprise et de la politique pétrolière.
3.1. Un intermède : la reprise en main de l’industrie par l’État (1979-1986)
Alors que l’acte de nationalisation avait octroyé à PdVSA une grande capacité d’action (financière, administrative, opérationnelle, notamment), à partir de 1981 les différents gouvernements vont mettre sous chape l’entreprise d’État en s’appuyant sur certaines déficiences légales. Comme la Loi de Nationalisation n’avait pas éliminé le décret 832, son existence et son statut devenaient objets d’interprétations multiples. Avait-il été aboli ipso facto avec l’émission de la nouvelle Loi ou bien subsistait-il ? La nouvelle Législation en effet était muette à cet égard. Plus tard, la formulation ambigue de l’article 5 posera un autre problème.
Par ailleurs, le contre choc pétrolier amplifia les tensions latentes entre le ministère et l’opérateur. Le premier portait une double casquette : d’un côté, il était actionnaire unique de l’entreprise et, comme tel, il devait assurer sa rentabilité. Mais, en même temps, comme représentant du gouvernement, il ne pouvait échapper au rôle politique (électoral),économique et social que sa fonction exigeait de lui. En période de baisse des cours de l’or noir, ces deux rôles pouvaient entrer en collision et provoquer des conflits d’intérêt. Ainsi la politique reprit ses droits dans le système pétrolier vénézuélien (Figure 5).
Pour faire parade à la grave crise économique et financière du pays[19], le 28 septembre 1982, par le truchement de la Banque centrale du Venezuela, le gouvernement fit main basse sur le Fonds d’investissement pétrolier de PdVSA. Cette mesure rappelait que PdVSA n’était finalement qu’une entreprise d’État. Le Diario de Caracás mentionna : “ Par cet acte, le gouvernement a détruit l’accord politique qui avait protégé l’industrie pétrolière du destin que subissent les autres sociétés nationales de pétrole. Il a fait fi de l’esprit et de la lettre de cet accord“[20]. On instaura un système de contrôle des changes, ce qui empêchera la société nationale d’avoir accès à ses revenus issus des exportations[21]. PdVSA perdit ainsi sa capacité d’autofinancement et donc son autonomie. Du coup, la crédibilité dont elle jouissait auprès de ses créanciers s’affaiblit et on commença à confondre l’endettement de la société avec celui du pays. Parallèlement, elle devint un instrument au service des finances publiques, permettant à l’État de résoudre ses problèmes d’endettement et de rééquilibrer la balance des paiements , et une arme pour la diplomatie.
D’autres épisodes tels que la double réélection d’Alfonzo Ravard à la tête du holding, à l’encontre des règles de l’entreprise, et l’intromission de Calderón Berti dans ces désignations soulignent le fait que la rationalité politique cherchait à s’imposer au détriment de la logique des affaires.
3.2. Libéralisme et industrie pétrolière (1988-1998)
Face à la perte de vitesse de PdVSA, à partir de 1986, les dirigeants de l’entreprise élaborèrent une série de stratégies pour récupérer l’autonomie au plan financier et opérationnel que la société nationale avait perdue.
Progressivement, ils commencèrent par le secteur aval et le gaz naturel, segments moins sensibles politiquement, pour s’attaquer ensuite au core business, l’exploration et la production de pétrole brut. Ces stratégies se sont insérées dans un contexte propice au libre marché, caractérisé par le Consensus de Washington. Parallèlement, la forte chute des cours du pétrole (50 %)[22] et l’importante crise financière et économique qui avait discrédité les gouvernements en place accompagnèrent l’ouverture de l’industrie nationale. En 1989, Carlos Andrès Pérez fut élu pour un deuxième mandat. En vue de palier les effets de la crise, il signa une lettre d’intention avec le Fonds monétaire international (FMI), contraignant ainsi le pays à se plier aux exigences du nouveau paradigme d’inspiration néo-libérale. Ceci marqua le début d’une ère qui fut baptisée “ Le grand virage ”. Bien que les recommendations du FMI étaient destinées d’abord à l’économie du pays, elles influencèrent aussi l’orientation de la politique pétrolière.
L’ouverture des différents segments de l’industrie aux investissements privés se réalisera en deux moments : d’abord dans le secteur aval, le raffinage (1986 à 1989), puis dans le secteur amont (1989à 1998).
3.2.1. L’ ouverture du segment aval
Plusieurs raisons ont présidé à l’internationalisation de l’industrie du raffinage : l’étroitesse du marché national et l’importance d’une intégration verticale pour écouler sur les marchés européens et états-uniens le brut lourd ou extra lourd, sans compter que c’était la suite logique de l’expansion de l’entreprise. Bien entendu, il s’agissait aussi d’une riposte au contrôle des changes de 1982. En acquérant des actifs à l’étranger, PdVSA exporterait une partie de ses dividendes (bénéfices), ce qui lui permettrait de recouvrer partiellement son autonomie (Figure 6) Entre 1986 et 1989, PdVSA va ainsi acquérir 11 raffineries qui la doteront d’une capacité de raffinage de 1.8Mbj (Figure 6). CITGO aux États-Unis représentera son acquisition majeure, outre la capacité de transport dans des gasoducts américains[23].
Bien que cette internationalisation de l’aval pétrolier dépassait les limites constitutionnelles puisqu’elle autorisait un transfert de pouvoir au-delà des frontières, le Congrès l’approuva, malgré l’opposition de la gauche[24] .
Les résultats de cette opération furent mitigés : d’un côté, PdVSA récupéra son cash flow et son autonomie opérationnelle et financière sur ce segment au niveau international. Mais, de façon ironique, vu que la production nationale était insuffisante, l’entreprise dût importer du pétrole brut pour l’exporter ensuite à ses centres de raffinage à l’extérieur. Par ailleurs, l’acquisition de la deuxième moitié de CITGO (en 1989) fut extrêmement coûteuse (675 millions de dollars) alors que le pays était fortement endetté. Enfin, ces nouvelles raffineries, qui étaient destinées à transformer du brut léger ou moyen, vont obliger l’entreprise à surexploiter ses réserves de pétrole conventionnel.
L’internationalisation de l’aval posa la question de la nature et la mission d’une entreprise d’État : une société nationale de pétrole doit-elle privilégier la création de valeur ou bien maximiser la rente en vue de développer la nation ?
Ainsi, en 1989, on se trouvait face à une situation paradoxale. D’un côté, on avait deux entités indépendantes : l’une fonctionnait dans le cadre légal national et l’autre répondait aux lois du pays où se trouvaient les installations. Par ailleurs, l’indépendance opérationnelle que PdVSA gagna aux dépens de l’État, elle la perdit face à ses partenaires et aux consommateurs internes[25]. Ce dualisme alimenta une forte tension entre l’upstream et le downstream.
3.2.2. L’ ouverture de l’amont (1989-1998)
Contrairement à l’ouverture de l’aval, celle de l’amont fut plus qu’une simple stratégie d’entreprise : ce fut une réponse à l’état déplorable de l’économie du pays après la chute des cours de l’or noir qui accentuait les problèmes financiers de l’entreprise[26]. En effet, comme la production pétrolière stagnait, il devenait nécessaire d’investir d’avantage pour maintenir la production[27]. Face aux deux solutions possibles, réduction des impôts ou bien ouverture au capital privé de certains segments de l’industrie, l’establishment politique adopta la seconde. Outre les questions financières, on voulait aussi renforcer les prérogatives du holding dans le jeu national.
Comme pour le processus antérieur, cette ouverture se réalisa en plusieurs étapes.
Elle débuta avec le gaz naturel pour éviter de heurter trop fortement la sensibilité et le patriotisme des vénézuéliens. Pour exploiter les importantes réserves de gaz naturel qu’elle avait découvertes en 1978, Lagoven en 1989 chercha à former un joint venture avec Exxon, Shell et Mitsubishi[28]. Ce projet était illégal puisqu’il s’agissait de produire du gaz pour le liquéfier et le transporter. Mais les dirigeants de PdVSA pianotèrent sur plusieurs registres : ils mirent à profit la confusion légale pour interpréter de façon créative la loi et ils passèrent outre le Congrès en présentant le cas à la Cour suprême de justice. Celle-ci émit un avis favorable (23 avril 1991)[29].Ce projet permit de tester la possibilité de libéraliser le reste du secteur amont. En ce sens, il fut “ l’épine dorsale de l’ouverture ”.[30]
Les étapes suivantes se concentrèrent sur l’ouverture pétrolière. Vu que le Plan d’expansion de PdVSA, 1991-1996 visait à doubler la production de pétrole en l’espace de dix ans, il fallait augmenter la capacité d’investissements de l’entreprise, acquérir les technologies spécialisées et développer les niches de marché, surtout pour le brut extra lourd. Seule l’ouverture aux investissements privés pouvait aider à résoudre le problème. Suivant le type de gisement, ses difficultés, ses risques et ses coûts, trois types de contrats furent proposés.
Pour les champs marginaux[31], on offrit des contrats de service opérationnels. Cela ne posait aucun problème puisque le pétrole et le marché resteraient entre les mains de PdVSA et la rémunération se ferait sur la base d’un prix fixe par baril produit. Sur les trois appels d’offre, seul le dernier fût réellement couronné de succès car les conditions avaient été modifiées sous l’angle du type de remunération et de la taille des aires proposées[32]. D’une certaine façon, ils devenaient ainsi des concessions. À la fin des années 1990, les 33 contrats produisaient à eux-seuls plus de 500. 000 bj.
Les contrats de Profit Sharing constituèrent l’épicentre de l’ouverture. Ils furent conçus pour l’exploration et la production de bruts léger et moyens, situés dans certaines des aires les plus prometteuses[33]. Pour cette raison, ils allaient à l’encontre de l’article 5 de la Loi organique des Hydrocarbures. Cependant, le projet se développa vu les conditions financières déplorables du pays[34]. Corpoven, chargée de ces contrats, utilisa la même stratégie que Lagoven dans le cas de Cristobal Colón et interpréta l’article 5 de manière créative. Par ailleurs, elle négocia directement avec les compagnies, reléguant le ministère des Mines et du Pétrole à la deuxième place. Il est vrai que cette stratégie protégeait l’État : en cas de conflit, il ne serait pas soumis à l’arbitrage international, la responsabilité étant assumée par Corpoven. PdVSA retrouvait ainsi une place centrale et obtenait des informations privilégiées, à l’instar du gouvernement. Par ailleurs, on révisa le régime fiscal en faveur des compagnies[35].
En juillet 1995, ces contrats furent approuvés par le Congrès. Comme représentante de PdVSA, Corpoven pouvait acquérir au maximum 35% des parts. L’appel d’offre (22-26 janvier 1996) fut un succès, alliant une très forte participation et une très grande maîtrise du processus[36].
Finalement, on proposa des associations stratégiques pour développer le Bassin de l’Orénoque (Figure 7) et son pétrole lourd et extra lourd [37]. Il fallait attirer les très grandes compagnies pétrolières qui seules disposaient du capital, du know how et de la technologie nécessaires. PdVSA divisa la Faja Petrolera del Orinoco (FPO) en quatre aires. Chaque filiale en reçut une (Corpoven et Meneven furent considérées comme deux filiales séparées)[38] et elle s’associa avec une ou plusieurs compagnies étrangères[39]
D’un côté, cette ouverture favorisa une nette augmentation des réserves (de 59.794 millions de barrils en 1989 à 71.700 millions en 1998), de la production des huiles (de 1.6 à 3.5 Mbj), des exportations (d’1 Mbj en 1989 à 2.5 en 1998) et donc des revenus[40]. En même temps, la position de PdVSA se renforça, notamment son rôle et l’influence politique de ses dirigeants, au détriment du ministère de l’Énergie et des Mines. Mais, par ailleurs, les dépenses doublèrent tandis que la production n’augmentait que de moitié. En outre, l’augmentation des réserves était surtout due à une réévaluation des réserves déjà existantes grâce aux nouvelles technologies de prospection et d’extraction. Par ailleurs, cette ouverture intempestive fut loin d’être consensuelle et une opposition conséquente s’érigea à l’encontre d’un processus qui, considérait-on, violait la Loi organique du Pétrole de 1975.
Un nouveau déséquilibre se créait ainsi entre les deux principaux acteurs de l’industrie nationale, ce qui laissait augurer un possible renversement de situation à un moment ou à un autre.
3.3. Le nationalisme bolivarien des hydrocarbures (1999-2017)
La crise politique, crise des partis, issue de l’impuissance des gouvernements antérieurs à promouvoir la croissance économique et à atténuer les disparités sociales, conduisit au pouvoir, le 6 décembre 1998, une petite formation politique, le Mouvement Cinquième République, chapeautée par le commandant Hugo Chávez (Figure 8), qui l’emporta avec 56.20 % des voix[41].
Le projet bolivarien qu’Hugo Chávez proposa prit le contrepied des politiques libérales émanant du Consensus de Washington. Empreint d’une connotation populaire et nationale, il chercha à replacer l’État au centre des mécanismes de création et d’appropriation de la rente pétrolière et à assujettir PdVSA qui, selon le nouveau gouvernement, était devenue un “État dans l’État ”. En outre, il s’assigna comme but d’utiliser les dividendes de l’industrie pétrolière pour transformer les structures économiques et sociales du pays en faveur des classes défavorisées.
Cette longue période, qui n’est pas encore achevée, peut être décomposée en trois grandes phases. La première débuta avec l’administration d’Hugo Chávez et se conclut avec la grève générale menée par PdVSA contre le gouvernement (1999 à 2003). Redonner à l’État les moyens de récupérer ses prérogatives, en tant que représentant de la nation et propriétaire des ressources du sous-sol, fut son principal but. Le deuxième moment, qui ira jusqu’à la mort du commandant Chávez, visa un contrôle absolu de PdVSA et du secteur pétrolier. La gestion de Nicolás Maduro constitue la dernière période.
3.3.1. Replacer l’État au centre de l’échiquier du système pétrolier
Deux textes vont définir la place et le rôle de l’État dans l’industrie pétrolière : la Constitution Bolivarienne (1999) et la Loi organique des Hydrocarbures (2001).
En réaffirmant le contrôle de l’État sur les mécanismes de création de la rente, la Charte de 1999 mit fin aux méthodes employées par les dirigeants de PdVSA. La Constitution Bolivarienne rétablit l’article 127 de la Constitution de 1936, spécifiant que les désaccords seraient soumis au verdict des seuls tribunaux vénézuéliens[42]. Bien que PdVSA continuera à être régi par le code comercial, il fut précisé que le holding ne pourrait jamais être privatisé[43]. Enfin, le gouvernement de Chávez rétablit la discipline envers les consignes de l’OPEP, abandonnées par les administrations antérieures. Pour sa part, la nouvelle politique pétrolière incita à développer au plan national une industrie de transformation du pétrole et à promouvoir l’exploration, l’exploitation et la commercialisation du gaz naturel, un secteur encore peu développé malgré l’abondance des réserves[44].
De son côté, la Loi organique des Hydrocarbures de 2001 va instaurer un cadre règlementaire. Annulant les trois types d’association antérieurs, elle redéfinit les conditions d’opération avec les tiers : la majeure partie des activités devra se réaliser dans le cadre d’entreprises mixtes où l’État se réservera au moins 51 % du capital social. Néanmoins, ces clauses ne touchèrent pas l’industrie du gaz naturel non associé ni les nouvelles capacités de raffinage. Sur ces segments, les compagnies privées pourront détenir l’exclusivité des projets ; en outre, ces activités seront exemptées de l’impôt pétrolier et seront dôtées du même statut fiscal que les entreprises non productrices de pétrole. En outre, la loi établissait des contrôles plus stricts concernant la comptabilité interne, tant de PdVSA que des compagnies privées.
L’opposition se dressa très vite contre un tel programme, au moment où la hausse constante des cours du baril attisait une véritable lutte de pouvoir[45]. Le putsch d’avril 2002 et la grève générale entreprise par PdVSA (décembre 2002-février 2003) pour déstabiliser le régime ont marqué l’apogée de cette rébellion mais aussi son extinction (Figure 9). Sorti vainqueur des coups portés, Hugo Chávez va désormais radicaliser sa position en mettant sous cloche PdVSA dont le pouvoir, selon lui, était devenu exhorbitant[46]. Muselée et placée sous la tutelle du ministre du Pétrole et de l’Énergie, Rafael Ramírez, la compagnie nationale perdra toute autonomie. Le limogeage de la moitié de son personnel, 18.000 employés sur 42.000, l’affaiblira énormément. Selon Ramón Espinasa, l’entreprise créée en 1975 disparut[47].
3.3.2. La Nouvelle PdVSA et le Plan d’expansion Semence du pétrole (2006-2013)
Pour soumettre définitivement l’opérateur national au ministère, il fallait restructurer le secteur[48].
3.3.2.1. La restructuration organisationnelle de l’industrie
La restructuration de l’industrie touchera plusieurs entités. D’un côté, le ministère est divisé en deux, sous prétexte que les mécanismes de création et de distribution de la rente différaient selon le type de ressources naturelles concernées[49]. De l’autre, le holding pétrolier, nommé désormais “ La Nouvelle PdVSA ”, voit sa mission se transformer en profondeur. Rafael Ramírez Carreño, une personne bénéficiant de l’entière confiance du président Chávez, va cumuler les fonctions de Directeur géneral de l’entreprise et de ministre du Pouvoir Populaire pour l’Énergie et le Pétrole[50].
D’emblée les difficultés vont se manifester. La Nouvelle PdVSA était incapable de récupérer le niveau de production antérieur à la grève : outre le fait qu’une large partie du personnel compétent avait été expulsée, la longueur du mouvement social rendait difficile et coûteux de réactiver les puits marginaux. Le gouvernement fut obligé de réouvrir pour les compagnies privées les vieux gisements de pétrole lourd et extra lourd et de mettre à leur disposition les nouveaux champs de pétrole conventionnel[51]. De son côté, PdVSA conservait l’exploitation des gisements les plus productifs, ceux qui requéraient un moindes volume d’investissements et peu de capacité technique. Ces stratégies échouèrent : les conditions offertes étaient moins avantageuses que celles de 1993[52]. Face à cet échec, le gouvernement chercha ensuite à modifier le régime fiscal des activités upstream du Bassin de l’Orénoque, sans plus de résultats.
De leur côté les opérateurs furent affectés. Affublée d’un régime fiscal très pénalisant, PdVSA verra diminuer d’autant sa capacité d’investissements tandis que ses décisions opérationnelles quotidiennes seront l’objet d’ingérences gouvernementales constantes. Pour leur part, à partir de 2006, les multinationales pétrolières seront mises au pas : à la suite d’une décision gouvernementale arbitraire, elles perdront leurs contrats dans l’amont et recevront l’ordre d’intégrer des entreprises mixtes sous l’égide de PdVSA. De l’autre, une série de décisions au plan économique renforcera le contrôle du gouvernement sur les devises (contrôle des changes et des prix) tandis qu’expropriations et nationalisations élargiront la sphère d’action de l’État[53]. Les recettes pétrolières extraordinaires que le pays engrangera jusqu’en 2014, environ 56.5 milliards de dollars par an, vont faciliter l’adoption de toutes ces mesures[54].
Intransigeant et sans concessions avec les compagnies privées, le gouvernement de Chávez chercha à attirer dans le Bassin de l’Orénoque les entreprises pétrolières d’État des pays amis[55].
Bien qu’en théorie le gouvernement s’était donné les moyens de contrôler les mécanismes de création de la rente, dans les faits cette stratégie s’avéra être un échec : les compagnies étrangères refusaient de jouer un jeu où elles étaient perdantes d’avance. Fidèle au précepte d’Arturo Usli, la manne pétrolière fut utilisée abondamment pour développer une politique sociale et diplomatique impressionante.
3.3.2.2. Le Plan Semence du pétrole de la Nouvelle PdVSA
Pour le gouvernement de Chávez, la formidable rente pétrolière, dûe à la hausse considérable des cours du baril entre 2004 et 2014, devait servir à développer, en interne, des programmes sociaux destinés aux couches défavorisées et, en externe, une vaste politique diplomatique dirigée vers les pays amis.
Une partie des sommes perçues va alimenter des fonds extra budgétaires constitués de façon obscure grâce à une sous-estimation systématique du prix du baril (environ 50 %) lors du vote du budget de l’année suivante[56]. Fort de ces dividendes impressionnants qui vont octroyer au pays une grande crédibilité financière, le gouvernement vénézuélien décida de s’endetter largement. Par ailleurs, Hugo Chávez va déployer une activité intense au sein de l’OPEP pour soutenir les cours, ce qui lui a permis de lisser les mauvais résultats de PdVSA en termes de production[57] .
Fondées sur une vision patrimonialiste de l’or noir, de multiples actions vont être engagées tant au plan national qu’international pour donner une assise définitive au “socialisme du 21ème siècle”.
Au plan national, l’argent du pétrole va permettre l’éclosion de multiples programmes, les « Missions sociales », dont la visée électorale n’est pas absente même si l’objectif annoncé est de réduire pauvreté et inégalités sociales[58]. Le financement de ces missions, qui vont se multiplier et couvrir des domaines d’attention de plus en plus vastes et diversifiés, n’a jamais été transparent. En outre, un effort financier particulier supporté par PdVSA a systématiquement accompagné les périodes de scrutin. Ceci va avoir un impact néfaste sur la compétitivité de l’entreprise : les dépenses consacrées aux missions vont vite dépasser celles dédiées aux investissements pétroliers. Sans compter qu’elles l’ont obligé à intervenir dans des domaines qui dépassaient son core business[59].
Parallèlement, la manne pétrolière va être mise au service de la diplomatie vénézuélienne. On cherchera à créer un nouveau centre politique et économique (Sud-Sud) servant de contrepoids à l’hégémonie des États-Unis. L’Alternative Bolivarienne des peuples de notre Amérique – Traité de Commerce des peuples (LBA-TPC) illustre cette politique en cherchant à développer, grâce aux généreuses recettes pétrolières, une intégration régionale fondée sur la coopération et la solidarité avec les nations les plus démunies, particulièrement en hydrocarbures. Dans ce cadre, Petrocaribe fut le programme le plus important et Cuba le pays le plus favorisé. Par ailleurs, le président Chávez cherchera à s’entourer d’alliés dans le bras de fer mené contre les États-Unis. Les sept associations stratégiques dans le Bassin de l’Orénoque unissant PdVSA et les compagnies d’État de nations amies devaient constituer un rempart contre toute tentative d’invasion venant du Nord. Elles visaient aussi à diversifier les marchés pétroliers pour éviter la dépendance vis-à-vis d’un seul client. À cet égard, la coopération stratégique avec la Chine est exemplaire[60]. Moyennant le Fondo Chino, la Chine offre assistance technique et financière au Venezuela (qui totalise 45 milliards de dollars) que ce pays rembourse avec des livraisons de pétrole (600.000 bj)[61]. Le Fonds finance une série d’activités : raffineries en Chine, entreprises pétrolières mixtes dans le Bassin de l’Orénoque, acquisition de navires pétroliers, entre autres.
Le bilan des années Chávez en ce qui concerne l’industrie pétrolière est loin d’être positif. L’endettement de PdVSA est devenu exponentiel à partir de 2007 : de 8.24 milliards de dollars en 2002 à 16 milliards en 2007. De son côté, la forte baisse de la production, faute d’investissements, a accompagné la perte d’un personnel doté d’une très grande expertise. Le contrôle total de l’industrie par le gouvernement, qui était le but poursuivi, n’a pas permis d’assurer un fonctionnement adéquat du holding. La politique suivie par le successeur d’Hugo Chávez, Nicolás Maduro, a perpétué une situation qui est devenue désastreuse.
3.3.3. La politique pétrolière sous Nicolás Maduro
Le décès du commandant Chávez le 5 mars 2013 et la fragile victoire (230 000 voix d’avance sur l’opposition) de son dauphin, Nicolás Maduro (Figure 10), secouèrent l’image de bonne santé économique du pays (une croissance annuelle du PIB de 5,5 % et des progrès sociaux non négligeables) que la faconde de Chávez avait alimentée, masquant habilement les graves difficultés du régime. Très vite, Maduro dut dévaluer le bolivar de 32 % et reconnaître l’existence d’une inflation importante, de 22%, selon les chiffres officiels. Par ailleurs, le manque d’investissements dans la chaîne de valeurs de l’industrie pétrolière (de l’exploration à la commercialisation) avait affecté les résultats de PdVSA : une production de brut en déclin (400.000 bj), un quadruplement des importations d’essence et de diesel surtout après l’explosion de la raffinerie Amuay (2012), sans compter la réticence extrême des multinationales à investir dans l’upstream en réponse au climat d’incertitude légale régnant.
Bien qu’en 2013 le gouvernement de Maduro ait semblé vouloir redresser la situation, la forte présence de l’État dans l’économie freina la diminution des dépenses et la réduction des aides vis-à-vis des alliés extérieurs. On pouvait déjà prévoir que cette économie, extrêmement fragilisée, s’effondrerait si les cours du pétrole venaient à chuter.
En termes de politique pétrolière, Maduro a suivi les traces de son prédécesseur, laissant en place la même équipe dirigée par Rafael Ramírez. Très vite, il va s’affronter à d’énormes problèmes économiques et financiers (inflation disproportionnée et dévaluation du bolivar, notamment) que l’administration Chávez avait réussi à cacher au moins partiellement. Cette situation affectera évidemment la santé de l’entreprise : production et exportations en baisse constante, réduction de la capacité de raffinage, obsolescence de l’infrastructure avec une nette augmentation des accidents. Par ailleurs, la dépendance croissante envers la Chine, principale source de financement du pays, compromet grandement la souveraineté du pays.
Avec le contre-choc pétrolier à partir de 2015, la situation se complique encore. La spirale baissière est impitoyable : elle met en cause les nombreuses déficiences de la société nationale PdVSA que les cours élevés antérieurs avaient permis d’occulter, ou du moins d’atténuer[62]. L’accroissement des tensions entre l’opposition et le gouvernement en est une des résultantes.
La fin de siècle et le début de la nouvelle ère ont vu se mettre en place deux tendances totalement opposées, voire contrastées, concernant le rôle du pétrole et la politique des hydrocarbures. Le Venezuela est aujourd’hui un pays au bord du gouffre et de la guerre civile. Il est probable que, si les cours du baril ne font pas une remontée spectaculaire d’ici peu, seule bouée de sauvetage qui donnerait un nouveau souffle à l’administration actuelle, le gouvernement de Maduro soit bientôt renversé. Dans ce cas, PdVSA et l’industrie pétrolière pourraient retrouver l’orientation originelle qui les a caractérisées.
4. Les fondements d’un modèle sui generis
On ne peut comprendre l’originalité de la construction institutionnelle de l’industrie pétrolière du Venezuela, et ses transformations aussi radicales que soudaines, si on n’analyse pas le rôle particulier que le pétrole a joué dans l’édification de la nation et son développement ultérieur. Il a en effet été une pièce fondamentale dans la construction de la nation au 20ème siècle[63]. Il fut à l’origine de la démocratie et fut aussi, surtout après 1958 (Pacto de Punto Fijo), une composante essentielle du maintien des élites au pouvoir, sous l’égide d’un bi-partisme avec alternance des deux grandes forces politiques, l’Acción Democrática (AD) plutôt socialiste et le comité de Organización Política Electoral Independiente (COPEI) proche de la Démocratie chrétienne, alternance qui va se consolider au cours du temps. Parallèlement, le pétrole a permis au pays de sortir de la pauvreté pour occuper dans les années 1970 le cinquième rang au niveau mondial.[64]
4.1. Le poids de l’histoire dans la construction de l’industrie
Contrairement au Mexique, le thème de la propriété du sous-sol ne constitua jamais réellement un problème (Lire : Mexique : Pemex pris en étau entre l’héritage révolutionnaire et le marché). En effet, en ce domaine, les lois minières vénézuéliennes s’inspirèrent des lois françaises de 1810 : la nation a toujours été l’unique propriétaire des ressources en terre. C’est sur cette base que furent conclus les contrats de concessions ce qui n’engageait nullement la souveraineté de l’État[65]. Du coup, les conflits qui s’élevèrent entre le gouvernement et les compagnies autour des contrats furent de nature différente car ils se concentrèrent sur la question financière : la levée des impôts et la rente subséquente pour les gouvernements en place[66]. Ce point est essentiel : il va marquer d’un sceau indélébile la nature de la relation entre le gouvernement et les compagnies étrangères.
Peu à peu, le Venezuela va se forger un cadre légal qui cherchera à offrir une capacité chaque fois plus large en matière de contrôle des activités des compagnies sans pour autant effrayer ces dernières. Par exemple la Loi sur les hydrocarbures et autres combustibles édictée le 5 août 1936, va obliger les compagnies à améliorer les conditions de travail des employés de l’industrie pétrolière et, en général, à respecter les termes de la nouvelle Loi du travail promulguée parallèlement par le gouvernement de López Contreras. L’obligation d’employer un personnel local selon des quotas bien précis et de les former pour les intégrer aux structures des compagnies a été un apport très important.
4.2. Une économie politique rentière
En 1935, le pétrole était devenu la première ressource fiscale de l’État. L’arrivée subite de cette richesse va mettre en évidence un grand paradoxe : un État riche avec une population pauvre. Ce dilemme qui ne sera jamais éliminé, même durant le régime Bolivarien qui s’est pourtant donné comme objectif suprême l’erradication des inégalités sociales et économiques, va vite entraîner une véritable addiction au pétrole. Loring Allen explique que cette dépendance va influencer la prise de décision durant les années 1930 [67].
Cette dépendance au pétrole a été une constante tout au long de l’histoire moderne du Venezuela. Elle a imprégné de deux manières opposées la politique pétrolière du pays. Selon les époques et les gouvernements, elle a poussé les dirigeants à stimuler l’industrie (création de valeur, augmentation des réserves en terre, production et exportations en hausse ou du moins constantes). Dans ce but, ont été privilégié le professionalisme contre la politique et la bureaucratie ainsi qu’une plus grande autonomie administrative et budgétaire. À d’autres moments, la propension à un usage rentier l’a emporté, au détriment de l’opérateur national qui sera mis sous chape. Les revenus pétroliers ont alors été mis à disposition des nécessités sociales de la population.[68]
Depuis l’origine, a été à l’oeuvre un Janus à deux têtes. Et dans les deux cas de figure, les dirigeants se sont évertués à répéter qu’ils ne faisaient que suivre le lemme d’Uslar Pietri : “Il faut semer le pétrole !”, injonction dont le sens a varié en fonction des interprétations et des intérêts en jeu. En ce sens, le gouvernement d’Hugo Chávez s’est inscrit en continuité avec la deuxième tendance, en promouvant les missions sociales, en obligeant PdVSA à financer le Fonden, entre autres. Au pire, il n’a fait que réveiller, et surtout exacerber, des tendances latentes, en sommeil.
4.3. La diplomatie pétrolière
À partir de 1928, le Venezuela était devenu le deuxième producteur au niveau international après les États-Unis, laissant derrière lui le Mexique alors détenteur de cette position depuis 1920[69]. Cette ascension spectaculaire va très vite être associée à un rôle extrêmement actif du Venezuela au plan international. Le pays va en effet jouer rapidement dans la cour des grands et se mesurer aux puissances montantes telles que l’Iran, l’Arabie Saoudite ou la Libye. En se frottant aux codes de l’industrie pétrolière internationale, il apprend vite les règles du marché et se met en situation de compétition.
Un peu plus tard, en 1960, il devient membre fondateur de l’OPEP, ce qui lui a octroyé une visibilité internationale sans pareille. Sa relation avec le Cartel ne sera pas toujours sans aspérités. D’un côté, il a été pénalisé, en 1982 et en 1986, pour sa bonne conduite. Tandis que, de l’autre, sous les gouvernements libéraux et en particulier durant l’ouverture, méconnaissant les règles du Cartel (pour ne pas dire l’existence du Cartel lui-même), il a refusé de jouer le jeu et a agi en solitaire. Le commandant Chávez a renoué avec la tradition et, en s’alliant avec l’Iran, il a pesé sur l’OPEP pour jouer en faveur de la hausse des prix du brut, ce contre l’Arabie Saoudite, soutenue par les États-Unis. Avec des prix en hausse qui dépasseront les 125 US $/baril, il a pu conserver un cash flow à peu près identique à la période précédente et cacher ainsi les mauvais résultats de PdVSA dont la production n’avait cessé de baisser depuis l’arrivée de la nouvelle équipe au pouvoir.
Avec les États-Unis, le Venezuela entretiendra aussi des relations cordiales. Par exemple, à partir de novembre 1939, il a joué un rôle de premier plan pour ce pays. Bien qu’il ne soit pas entré militairement en guerre aux côtés des Alliés, le traité de réciprocité commerciale que le Venezuela a signé le 6 novembre avec les États-Unis lui ont permis de fournir 90 % du pétrole dont ce pays a eu besoin durant la guerre[70]. À son issue, compte tenu des énormes quantités d’énergie requises pour reconstruire l’Europe, le Plan Marshall a joué en faveur du pétrole vénézuélien. Une relation fluide a donc caractérisé le Venezuela et la grande puissance du Nord, le premier mettant à profit le choc que la radicalisation de la nationalisation pétrolière mexicaine avait suscité parmi les compagnies et la crainte qu’une telle situation puisse se répéter pour imposer des mesures qui en temps normal auraient pu provoquer un rejet chez les concessionnaires. En ce sens, les compagnies accepteront la hausse importante des impôts que le gouvernement décrètera en septembre 1936. Sur un autre registre, l’achat de CITGO par PdVSA dans les années 1980 a consolidé les relations entre les deux pays.
Durant toutes ces années, le Venezuela est resté un exportateur de brut fiable pour les États-Unis. Il a continué à l’être malgré le discours anti impérialiste d’Hugo Chávez, puis de Nicolás Maduro. Ce n’est que très récemment, à partir du 30 juillet 2017, que les États-Unis ont développé une attitude menaçante face au régime de Maduro, ce à la suite des élections pour former une assemblée constituante[71].
Parallèlement, depuis les années 2006, le Venezuela a commencé à diversifier ses ventes d’hydrocarbures et à nouer des relations fortes avec la Chine (le Fonds chinois) et la Russie. Sans conteste, Russes et Chinois sont les nouveaux représentants du capital financier international au Venezuela. C’est une manière pour le gouvernement Maduro de se protéger et aussi de faire pression sur les États-Unis. Enfin, il est notable que le Bassin de l’Orénoque accueille des entreprises mixtes de multiples pays, ce qui, selon Hugo Chávez, était une garantie imparable à l’encontre d’une possible invasion des États-Unis.
5. Réflexions finales
En dépit des apparences, de grandes lignes de continuité se dessinent entre la Cinquième République instaurée par le Président Chávez et l’ensemble des gouvernements qui l’ont précédé. Même si les différentes administrations antérieures avaient toujours eu à bien de veiller au fonctionnement adéquat de l’industrie et des opérateurs privés ou national, dans le cas de PdVSA, des tentatives de reprise en main du secteur par le gouvernement ont été fréquentes. Elles avaient pour but de l’utiliser dans une perspective sociale, avec d’incontestables visées politiques et électorales. Ce fut notamment le cas en 1981-1982, avec la main mise du gouvernement sur le Fonds de PdVSA, dans le but de pallier les effets de la crise économique et financière du pays, alors que ce Fonds octroyait une grande autonomie financière à l’entreprise publique. Le risque d’une radicalisation de cette fonction politique et sociale était déjà en germe[72]. Les lacunes de la Loi de nationalisation – la survie du décret 832 qui avait par le passé octroyé un énorme pouvoir au ministère et la présence de l’article 5 qui permettait au secteur privé, en cas de nécessité, de collaborer dans les différentes branches d’activités de l’industrie – laissaient la porte ouverte à des conflits futurs entre PdVSA et le gouvernement. D’autre part, il est notable que, depuis l’origine, l’utilisation rentière du pétrole a été à l’ordre du jour, quels que soient les gouvernements en place. D’ailleurs à aucun moment la Mesa de Unidad Democrática (MUD) qui regroupe une grande partie des forces d’opposition aux deux administrations bolivariennes, n’a proposé un programme qui laisse entrevoir l’instauration d’une politique pétrolière différente au cas où elle arriverait au pouvoir. L’addiction au pétrole est un trait commun, semble-t-il, à tous les partis politiques vénézuéliens.
Pour sa part, la diplomatie pétrolière, c’est-à-dire l’utilisation du pétrole au service de négociations politiques, économiques et sociales avec différents pays, a été une ligne directrice pour les différents gouvernements vénézuéliens, quelles que soient leurs positions idéologiques ou politiques.
Donc, s’il est vrai que, jusqu’en 1999, l’organisation et la gestion de PdVSA ont répondu principalement à des critères entrepreneuriaux, il n’en n’est pas moins vrai que bien des signes avant coureurs laissaient la porte ouverte à des dérives de type populiste, fondées sur le caractère rentier de l’utilisation du pétrole, travers qui ont été largement exacerbés au cours des 18 dernières années.
Finalement, l’histoire de PdVSA offre une parfaite illustration du dualisme qui traverse toute société nationale pétrolière, toujours ballotante entre deux impératifs opposés : une logique entrepreneuriale qui l’induit à rechercher des formes de gestion et des critères très spécifiques au secteur concerné, et une fonction politique et de développement national, en accord avec son statut juridique[73]. Plus qu’aucune autre entreprise pétrolière d’État, PdVSA a, selon les périodes, mis en valeur de façon assez radicale l’une des deux rationalités au détriment de l’autre.
Notes et références
[1] Rappelons que le baril est l’unité de volume usuelle dans l’industrie pétrolière parce que née aux Etats-Unis. Par convention 1 tonne (t) de pétrole brut = 7,35 barils (b) tandis qu’ 1 baril/jour (b/j) = 50 tonnes/an, (t/an) donc 1 million de barils/jour (Mbj) = 50 millions de tonnes (Mt).
[2] Sans compter que le Venezuela mène plus de trente litiges auprès du Centro Internacional de Arreglo de Diferencias (CIADI), dont un avec Conoco Philipps.
[3] Bien qu’il soit très difficile de donner des estimations précises vu le peu de fiabilité des données officielles, il semblerait que la dette de PdVSA ait augmenté de 700% ces dernières années – se situant aux alentours de 50 milliards de dollars – sans compter la dette que l’entreprise a avec les centaines de fournisseurs qu’elle a cessé de payer depuis plusieurs années et le passif que constituent les retraites.
[4] Entre 2011 et 2015, les contributions sociales ont représenté 14 % des revenus de l’entreprise.
[5] José Toro-Hardy (2005). Fundamentos de teoría económica. Caracas : ed. Panapo. p. 529.
[6] Il produisait alors 289.400 b/j, soit 8% de la production mondiale. Avec 233.400 b/j, l’Unio des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) le suivait à la trace.
[7] Le 30 juin 1920 fut édictée la première loi sur les hydrocarbures et autres minerais. Tout en laissant à l’Etat la liberté d’exploiter directement ou de concéder cette faculté à un tiers, elle interdit formellement le transfert de la propriété des hydrocarbures qui resta publique.
[8] Elle obligeait les concessionnaires à employer un personnel vénézuélien différenciant les catégories suivantes : 90 % d’ouvriers, 50 % d’employés techniques, et 75 % d’employés de bureau.
[9] Pour la première fois les compagnies pétrolières devraient se soumettre à l’arbitrage national d’un pays producteur et non pas à l’arbitrage de tribunaux internationaux.
[10] Pour contrecarrer la baisse des prix de référence (décision unilatérale des « Sept Soeurs »), Juan Pablo Pérez Alfonso, alors ministre des Mines et des Hydrocarbures, se rapprocha des grands pays producteurs afin de créer un système qui garantisse la stabilité des prix en régulant la production.
[11] En août 1971, l’industrie du gaz naturel fut nationalisée (Loi qui réserve à l’État l’industrie du gaz naturel). En 1973, des lois additionnelles visèrent à protéger le marché interne concernant les produits dérivés du pétrole ainsi que la marine marchande.
[12] Selon Gustavo Coronel, la nationalisation du pétrole suivit le modèle de celle du fer qui eut lieu un an avant. Gustavo Coronel (1983). The Nationalization of the Venezuelan Oil Industry, EUA / Canada : Lexington Books, p. 77.
[13] Néanmoins on a considéré qu’il fallait éviter dans un premier temps de mélanger grandes et petites entreprises pour éviter toute rupture dans le style de gestion.
[14] Le système américain d’évaluation du travail (HAYMSL) devait renforcer l’unification des critères admis. Gerard Cole (2006). Management. Theory and Practice. Londres : YHT, p. 392.
[15] Le holding absorba les dettes de l’ancien Institut de Pétrochimie pour octroyer à Pequiven des bases saines.
[16] La grande majorité du personnel – et même du très haut personnel – était vénézuélienne. En 1975, parmi les 23.100 employés, 12.000 étaient des cadres supérieurs; seuls 500 étaient étrangers. Cf. Isabelle Rousseau (2017). Tribulaciones de dos empresas petroleras nacionales. (1900-2014). Trayectorias comparadas entre Pemex y PdVSA. Mexico : Colmex. p. 194.
[17] Ces contrats étaient signés pour une période de quatre ans et couvraient tous les segments de l’industrie.
[18] Tous, les partis politiques (sauf la gauche), les entrepreneurs et la population en général, appréciaient leur compagnie nationale.
[19] En août 1982, les réserves internationales du Venezuela avaient baissé de plus de trois milliards de dollars et la fuite de capital avait atteint des sommets inquiétants. Par ailleurs, le Venezuela ne caracolait plus en tête : il avait régressé au rang de sixième fournisseur de pétrole auprès des États-Unis.
[20] Gustavo Coronel (1983). Op. cit. p. 224.
[21] Cette mesure ne fut pas d’une grande utilité car elle n’empêcha pas la dévaluation du Bolivar, le 18 février 1983 ( vendredi noir ).
[22] Ils passent de 20 à 10 US dollars en moyenne durant cette période.
[23] Elle se fera en deux temps (1986 puis 1989). Antérieurement PdVSA avait fait des joint ventures en Allemagne et en Suède.
[24] Julia Buxton démontra qu’en fait il n’y eut pas de vote sanction contre ces accords car la majorité des parlementaires n’utilisèrent pas cette voie pour élever des obstacles contre la joint venture entre PdVSA et Veba Oël.
[25] Achraf Benhassine (2008). Gouvernances et régulations dans l’indsutrie des hydrocarbures vénézuéliens : une analyse des rapports États-Sociétés pétrolières, thèse de Doctorat en Sciences Économiques, Grenoble : Université Pierre Mendés, p. 137.
[26] Isabelle Rousseau. Op. cit. p. 419.
[27] Brian McBeth (2015). La política petrolera venezolana: una perspectiva histórica 1922/2005. Caracas: Universidad Metropolitana. Celaup. p. 85. Le coût de production par puits avait augmenté de façon significative (de 3.2 US $ en 1976 à 6 US $ en 1984).
[28] Il s’agissait de produire du gaz et de le liquéfier pour le transporter. Ce projet, connu sous le nom de “ Projet Cristobal Colón ”, fut accepté le 10 août 1993.
[29] On utilisa l’article 5 qui, relativement confus dans sa formulation, permettait les associations en cas de nécessité.
[30] Luis Roberto Rodríguez Pardo (2000). The Political Economy of State-Oil Relations: Institutional Case Studies of Venezuela and Norway. Ph.D. Thesis. Oxford: St Anthony’s College, Oxford University. p. 196.
[31] Il s’agissait d’aires qui avaient été productives mais dont l’activité avait cessé, vu leur modeste rentabilité ou le manque de ressources financières pour leur maintenance.
[32] Des 33 contrats de services opérationnels attribués, 18 provenaient du dernier appel d’offre. Tous furent remportés par des compagnies pétrolières importantes.
[33] On offrit une extension de 13,774 kilomètres carrés couvrant le Golfe de Paria, La Ceiba et San Carlos.
[34] Le gouvernement espérait recevoir dix millions de dollars par an, pendant au moins cinq années. Luis Roberto Rodríguez Pardo (2000). Op. cit., p. 209.
[35] Ces trois types de contrats bénéficièrent de conditions spécialement favorables au plan fiscal; d’ailleurs peu à peu l’impôt sur les exportations fut supprimé. Selon Bernard Mommer, il s’agissait d’exonérer, de réduire ou de suprimer progressivement les impôts liés à l’extraction des joint ventures.
[36] Parmi les 300 compagnies intéressées, 75 d’entre elles, provenant de 17 pays différents, furent pré qualifiées.
[37] On estimait alors que le Bassin, une aire de 52.000 km2 constituée de sables sédimentaires saturés contenant des huiles lourdes et extra lourdes, de 7° – 10° API, renfermait des réserves gigantesques, oscillant entre 100 à 270 millions de barils. Brian McBeth. Op. cit., p. 101.
[38] Lagoven fut doté de Cerro Negro; Zuata fut attribué à Maroven, Menoven reçut Hamacas et Corpoven, Machete.
[39] Produire ces huiles extra lourdes posait un problème de transport, vu leur degré de viscosité. Isabelle Rousseau (2017). Op. cit.. Pp. 428-429.
[40] Les compagnies étrangères associées à PdVSA fournirent un quart de la production.
[41] Cette crise est aussi la résultante de la chute des cours du pétrole durant les années 1990.
[42] Par ailleurs, curieusement, ce texte privilégiait la participation croissante des compagnies privées.
[43] Néanmoins, comme la Constitution n’élargissait pas explicitement cette restriction aux filiales, selon Bernard Mommer celles-ci avaient éventuellement une porte de sortie. Steve Ellner y Daniel Hellinger (eds.) (2002). “Subversive Oil”. Venezuelan Politics in the Chávez Era : Polarization and Social Conflict. Boulder (Co): Lynne Rienner Publishers. 2002.
[44] Il récupérait ainsi la clause d’exigence minimale de contrôle qui avait été établie dans le cadre des réformes pétrolières de 1943, puis abandonnée en 1993.
[45] Le mélange vénézuélien qui, en 1999, était côté à 16 US $/ b avait atteint 32 US $/ b, en 2004.
[46] Certes les dirigeants du holding pétrolier et des trois filiales participèrent activement dans le coup d’État contre Chávez (avril 2002) et la grève générale de fin 2002-début 2003.
[47] Ramón Espinasa, “ L’apogée et l’effondrement de PdVSA, trente ans après la nationalisation “, David Garibay et Isabelle Rousseau (eds), Problèmes d’Amérique latine. Les hydrocarbures dans les Amériques : les nouvelles règles du jeu. Paris : Choiseul, numéro double 57/58, été-automne 2005, p. 16.
[48] L’un sera le Ministère de l’Énergie et du Pétrole et l’autre le Ministère de l’Industrie Lourde et des Mines. Achraf Benhassine (2008). Op. cit. , p. 237.
[49] La perte de production fut de 735.000 bj.
[50] Rafael Ramírez Carreño avait eu pour compagnon de classe le frère d’Hugo Chávez. En outre, le fidèle soutien qu’il lui porta durant le coup d’État avorté d’avril 2002 lui acquit l’entière confiance du chef de l’État.
[51] L’autre solution pour le gouvernement consistait à avoir recours à l’endettement international, mais les activités du holding auraient alors été mises sous surveillance internationale, ce qui était inacceptable pour le gouvernement. Isabelle Rousseau (2017). Op. cit. p. 561.
[52] Carlos Mendoza Potella. (2006). “Vigencia del nacionalismo petrolero”, Revista Venezolana de Economía y Ciencias Sociales, vol. 12, núm. 1, Caracas, abril.
[53] Elles ont été mises en place temporairement pour éviter la fuite des capitaux et juguler l’inflation mais elles s’éterniseront et alimenteront la guerre froide qui va s’installer entre le secteur privé, très durement affecté, et les partisans de Chávez.
[54] On en estime l’ampleur par contraste aux 15,2 milliards de dollars annuels que le régime de Rafael Caldera avait engrangés entre 1993 et 1998.
[55] Par exemple, le gouvernement rompit de façon unilatérale les contrats concernant les projets de gaz naturel, ce qui fut source de conflits avec les compagnies affectées. Par ailleurs, il chercha à modifier les alliances stratégiques qui produisaient environ entre 550 et 600 milliers de bj. Certaines refusèrent (Exxon et Conoco Philipps). Par ailleurs, dans le Bassin de l’Orénoque il invita participer, entre autres, le Brésil (Petrobras), la Russie (Lukoil et Gazprom), la Chine (CNPC), l’Inde (OGNC) et l’Iran (Petronas).
[56] FONDEN (Fondo Nacional para el Desarrollo Nacional), créé en 2005, sera le fonds de développement le plus connu.
[57] Avec le soutien de l’Iran, le Venezuela chapeautera une coalition qui adoptera souvent des positions contraires à celles de l’Arabie Saoudite.
[58] 549 millions de dollars environ auraient été destinés à ces programmes.
[59] Fin 2003, pour financer le programme agricole, Chávez demanda à la Banque Centrale un milliard de dollars issu de la réserve monétaire internationale. Celle-ci le lui refusa car c’était une manoeuvre illégale ; à partir de ce moment là, le chef du gouvernement commença à utiliser PdVSA et créa un fonds de réserve spécial qui recevait les dollars provenant de l’exportation du pétrole. Puis, en 2005, il créa le FONDEN qui deviendra un fonds d’investissements budgétaire. Cf. Cecilia Medrano Caviedes (2015). Analyzing Fiscal Gaps in Venezuela. The Policy Design of a New “Rentier” Architecture (2000-2010), thèse de doctorat, CERI/ Sciences Po., p. 179.
[60] En 2001, ces deux pays ont créé une association stratégique pour un développement partagé ainsi qu’une commission de haut niveau chargée des projets communs.
[61] Le Fond chinois va acquérir une importance stratégique car il satisfait les ambitions des deux pays. La Chine déjà très présente dans le secteur des hydrocarbures (réserves et production) latinoaméricain est particulier intéressée par l’énorme potentiel du Venezuela. Pour ce dernier, la Chine est un destinataire de choix pour ses pétroles lourds et extra lourds, outre l’assistance financière et technique qu’elle peut lui octroyer.
[62] Isabelle Rousseau (2016). “La dégringolade des cours de l’or noir précipite la crise du modèle rentier vénézuélien”, Diplomatie. Affaires stratégiques et relations internationales. Pétrole. Une nouvelle géopolitique de l’énergie, núm. 80, Paris, Arieon Group, pp. 50-53.
[63] Il a un rôle comparable au caractère fondateur qu’a joué au Mexique le mouvement révolutionnaire de 1910-1917. Isabelle Rousseau (2017). Op. cit. p. 81.
[64] L’usage immodéré d’une rente pétrolière très généreuse, via des dépenses publiques impressionnantes, aura un effet dynamisateur énorme. En peu de décennies le Venezuela réussit à faire ce que d’autres pays ont réalisé au cours de plusieurs siècles. José Toro-Hardy (2005). Fundamentos de Teoría Económica. Un análisis de la política económica de Venezuela. Caracas. Panapo. p. 235.
[65] Jesús Mora Contreras (2002). “El derecho de propiedad de los hidrocarburos en Venezuela”. Revista Venezolana de Economía y Ciencias Sociales. Caracas. mayo-agosto. Pp. 222-223.
[66] Au contraire, au Mexique, sous le Porfiriat, les législations minière et pétrolière ont octroyé au propriétaire du sol la propriété du sous-sol correspondant.
[67] Selon lui, les compagnies prenaient toute sorte de décisions sans consulter le gouvernement que ce soit sur l’emplacement des puits, les rythmes d’extraction et d’exportation, les taux d’investissements ou les politiques de main d’oeuvre. Robert Loring Allen (1977). Venezuelan Economic Development : A Political Economic Analysis. Connecticut : J. A. L. Press, p. 137.
[68] Par exemple, en 1936, les impôts du secteur des hydrocarbures augmentèrent énormément en vue de couvrir les nécessités sociales (Loi sur les Hydrocabures et autres Combustibles minéraux). Ils reprèsentèrent alors 34.97 % du total des recettes fiscales. Ce montant s’élèvera à 65.20 % en 1948. La pétrolisation du Venezuela était devenue une évidence. Isabelle Rousseau. Tribulaciones….. op. cit. P. 96; p. 110.
[69] En 1929, le Venezuela produisit 135 millions de barrils de pétrole brut. Juan Carlos Boué (1993). The Political Economy of Oil. Oxford : Oxford University Press.
[70] José Toro-Hardy. Oil. Venezuela and the Persian Gulf. Caracas : Ed Panapo. 1994. P. 63. Deux ans plus tard (31 décembre 1941), le Venezuela va rompre avec les forces de l’Axe, après l’attaque de Pearl Harbour contre les États-Unis. Ces derniers aideront le Venezuela à défendre ses raffineries, ses côtes et ses différentes installations contre d’éventuelles attaques des forces allemandes. Pp. 65-66.
[71] Le gouvernement de Maduro pour ce faire a annulé l’Assemblée Nationale, dominée par l’opposition, qui avait été élue démocratiquement en 2015. Ce fut un coup de force totalement illégal.
[72] Même l’histoire antérieure de l’industrie pétrolière vénézuélienne présentait ces contradictions. La politique conduite par Rómulo Betancourt et, en particulier, son ministre des Mines et des Hydrocarbures, Juan Pablo Pérez Alfonso, le montre parfaitement : le Pentagone pétrolier et les mesures prises dans ce cadre (dont la fondation de l’OPEP et la création de CVP, entre autres) témoignent de cette tendance nationaliste avec des visées sociales.
[73] Cf. Sadek Boussena (1994). “L’adaptation des compagnies nationales au nouveau contexte pétrolier”, Economies et sociétés, série “Économie de l’énergie”. Núm. 9, p. 24.
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