Les risques climatiques provoqués par la croissance des émissions de GES ne sont plus discutables. Mais quelles pourraient en être l’ampleur et les délais ? La réponse dépend de l’évolution entre les exigences climatiques et les perspectives d’émissions de GES.
Cet article a été initialement publié en anglais sous le titre Emissions Gap Report 2019 sur le site des Nations Unies. Il a été traduit en français par Guillaume Vancampen, étudiant en première année du master LEA parcours Traduction spécialisée multilingue de l’UFR Langues étrangères (Université Grenoble Alpes), sous la supervision de Cécile Frérot. Tous ces intervenants sont sincèrement remerciés.L’Encyclopédie de l’Énergie est seule responsable de la présentation formelle du texte traduit.
La présente publication correspond à la 9e édition du Rapport sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions des Nations Unies. Ce rapport évalue les dernières études scientifiques sur les émissions de gaz à effet de serre actuelles et estimées pour les années à venir, puis les compare avec les niveaux d’émission à ne pas dépasser pour atteindre l’objectif fixé par l’Accord de Paris en suivant un profil d’évolution à moindre coût. Cette différence entre « le niveau auquel nous nous trouvons et celui que nous devons atteindre » est connue sous le nom « d’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions ». Comme lors des années précédentes, le rapport présente certaines des options les plus importantes à mettre en œuvre par les pays afin de combler cet écart.
1. Conditions d’élaboration du rapport
Le contexte politique de cette année est défini par différents événements et processus :
- le Dialogue de Talanoa : un dialogue ouvert, participatif et transparent portant sur les ambitions et les actions conduites sous l’égide de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et conçu pour inciter les différents acteurs à soumettre d’ici 2020 des contributions déterminées au niveau national (CDN), que celles-ci soient nouvelles ou réactualisées ;
- le sommet mondial pour l’action climatique qui s’est tenu en septembre 2018 : ce sommet a rassemblé de nombreux acteurs infranationaux et non étatiques (ANE) engagés activement dans les problématiques climatiques ;
- le Rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sur le réchauffement planétaire de 1,5 °C, qui met l’accent sur « les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels et les profils connexes d’évolution des émissions mondiales de gaz à effet de serre, dans le contexte du renforcement de la parade mondiale au changement climatique, du développement durable et de la lutte contre la pauvreté ». Le rapport sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions a bénéficié dans une large mesure du Rapport spécial du GIEC et de ses études sous-jacentes ;
Le présent rapport a été élaboré par une équipe internationale d’éminents scientifiques, qui a évalué toutes les informations disponibles, y compris celles publiées dans le cadre du Rapport spécial du GIEC, ainsi que d’autres études scientifiques récentes. Le processus d’évaluation des informations a été réalisé de manière transparente et participative. La méthodologie d’évaluation et les conclusions préliminaires ont été mises à la disposition des gouvernements des pays cités explicitement dans ce rapport afin de leur permettre de faire part de leurs commentaires.
2. Évaluation des écarts entre besoins et perspectives
Les différents engagements exprimés dans les CDN ne permettront pas de combler l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions en 2030. Il est techniquement encore possible de réduire cet écart de manière à contenir le réchauffement climatique en dessous de 2 °C voire de 1,5 °C. Cependant, si les ambitions exprimées dans le cadre des CDN ne sont pas revues à la hausse d’ici 2030, il sera alors impossible d’atteindre l’objectif de 1,5 °C. Il est plus que jamais nécessaire que toutes les nations prennent des mesures sans précédent face à l’urgence de la situation. L’évaluation des actions menées par les pays du G20 montre que ce n’est pas encore le cas ; en réalité, les émissions mondiales de CO2 ont augmenté en 2017 après 3 années de stagnation.
Le rapport de cette année présente l’évaluation la plus récente des écarts entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions pour 2030 en comparant les niveaux d’émission dans le cas d’une mise en œuvre complète des CDN conditionnelles et non conditionnelles et ceux compatibles avec des profils d’évolution à moindre coût qui permettent d’atteindre les objectifs respectifs de 2 °C et de 1,5 °C.
- Sur la base des résultats des nouvelles recherches mondiales préparées pour le rapport du GIEC, l’écart des émissions a considérablement augmenté (en particulier dans l’objectif de garantir un réchauffement inférieur à 1,5 °C) par rapport aux estimations précédentes. Ces nouvelles études envisagent plus de variations et adoptent une approche plus modérée quant à la possibilité de déployer un dispositif mondial de captation du dioxyde de carbone.
- Les profils d’évolution reflétant les CDN actuelles impliquent un réchauffement climatique d’environ 3 °C d’ici 2100, une estimation qui est prévue à la hausse au-delà de cette date. Si l’écart des émissions n’est pas comblé d’ici 2030, il est fort probable qu’il ne sera pas possible de contenir l’augmentation des températures bien en dessous de 2 °C.
- L’évaluation des actions nationales réalisée dans le cadre de ce rapport indique que si la plupart des pays du G20 sont en passe de tenir leurs engagements de Cancún pour 2020, la majorité n’est pas encore en mesure de remplir leurs CDN d’ici 2030.
- Le niveau actuel des ambitions et des actions soulève donc quelques inquiétudes supplémentaires au vu des précédents rapports sur les écarts des émissions. Selon les politiques et les CDN actuelles, les estimations ne prévoient aucun plafonnement des émissions mondiales d’ici 2030, et encore moins d’ici 2020. Les CDN actuelles pourraient permettre une réduction des émissions mondiales de 6 Gt éq-CO2 en 2030 par rapport à une situation prévoyant la poursuite des politiques actuelles. Comme l’indique l’évaluation de l’écart entre les besoins et les perspectives en matière d’émissions, ce niveau d’ambition initial doit être multiplié environ par trois afin d’atteindre l’objectif de 2 °C et à peu près par 5 pour l’objectif de 1,5 °C.
- La mise en œuvre des CDN repose avant tout sur les actions des acteurs infranationaux et non étatiques (ANE), dont les entreprises et les gouvernements régionaux et locaux. L’importante implication des ANE lors du récent Sommet mondial pour l’action climatique est prometteuse et pourrait permettre aux gouvernements de réaliser leurs CDN. Cependant, l’impact des engagements individuels pris actuellement par certains ANE sur la réduction de l’écart reste très limité. Le Chapitre 5 du présent rapport a été publié avant le Sommet et explique qu’il sera possible d’exploiter un potentiel bien plus important si les initiatives en matière de coopération internationale parviennent à renforcer leur implication et à revoir leurs ambitions à la hausse. Ce chapitre insiste sur le fait qu’une amélioration du suivi et de la communication des actions entreprises par les ANE et de la réduction des émissions qui en découle sera essentielle à la crédibilité de ces actions.
- Il est donc nécessaire pour les pays de procéder rapidement à la mise en œuvre de leurs CDN actuelles ; dans le même temps, ils doivent également convenir de CDN plus ambitieuses d’ici 2020 de façon à pouvoir tenir les engagements fixés conjointement. Ce rapport résume les différentes approches que chacun des pays peut adopter pour revoir à la hausse ses ambitions et être en mesure d’améliorer sa politique nationale en termes d’échelle, de portée et d’efficacité (Lire : La transition énergétique : un concept à géométrie variable).
3. Mesures prises et politiques conduites
Les mesures et les politiques présentées dans les chapitres du rapport de 2018 couvrent deux aspects nécessaires à l’émergence à plus long terme d’une société et d’une économie sans émission de carbone. Les politiques fiscales représentent un véritable atout dans la réduction des émissions à l’avenir. Il est également possible de les adapter de façon à obtenir les résultats escomptés sans poser de problèmes économiques et sociaux. Certains pays ont montré leur capacité à surmonter les réticences sociales, mais peu d’entre eux sont allés suffisamment loin pour obtenir les résultats nécessaires en matière de réduction des émissions. Les politiques d’innovation et la création de marchés présentent elles aussi un énorme potentiel en matière d’atténuation. Les gouvernements doivent encourager activement le développement et la commercialisation de nouvelles technologies et de pratiques à faible émission de carbone (Lire : Énergie et climat : la construction des politiques climatiques).
Les messages clés délivrés par le Rapport 2018 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions envoient un signal fort aux gouvernements nationaux et aux groupes politiques prenant part au Dialogue de Talanoa lors de la 24e édition de la Conférence des parties (24 COP). Ces messages, ainsi que le Rapport spécial récemment publié par le GIEC, serviront de base scientifique au Sommet Action Climat 2019 des Nations Unies, dont le slogan est le suivant : « Une course que nous pouvons gagner, une course que nous devons gagner ». Au cours du sommet, le Secrétaire général des Nations Unies cherchera à encourager les États, les régions, les villes, les entreprises et les investisseurs autant que les citoyens à intensifier leurs actions dans six domaines clés : la transition énergétique (Lire : La transition énergétique, un enjeu majeur pour la planète) (Lire : La transition énergétique : un sujet controversé), le financement de la lutte contre le changement climatique et le prix du carbone, la transition industrielle, les solutions naturelles, les villes (Lire : Le numérique : de l’éclairage public efficace à la ville connectée) et l’action locale, ainsi que la résilience.
4. Croissance des émissions mondiales de GES
Les émissions mondiales de gaz à effet de serre ne montrent aucun signe de plafonnement. Les émissions mondiales de CO2 issues de l’énergie et de l’industrie ont augmenté en 2017, après trois ans de stabilisation. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) annuelles totales, y compris celles qui sont dues au changement d’affectation des terres, ont atteint le chiffre record de 53,5 Gt éq-CO2 en 2017, soit une augmentation de 0,7 Gt éq-CO2 par rapport à 2016 (Lire : Méthane et gaz à effet de serre (GES) autres que le CO2). Cependant, les émissions mondiales de GES doivent respectivement baisser d’environ 25 % et 55 % par rapport à celles de 2017 pour pouvoir limiter le réchauffement climatique à 2 °C et 1,5 °C à l’échelle de la planète en suivant un profil d’évolution à moindre coût.
En 2017, les émissions de GES (à l’exclusion de celles causées par le changement d’affectation des terres) ont atteint le chiffre record de 49,2 Gt éq-CO2, soit une augmentation de 1,1 % par rapport à l’année précédente. Les émissions liées au changement d’affectation des terres, qui varient d’une année à l’autre en raison des conditions météorologiques, ont atteint 53,5 Gt éq-CO2, soit une augmentation de 4,2 Gt éq-CO2.
En dépit d’une légère croissance de l’économie mondiale, les émissions de CO2 générées par la combustion d’énergie fossile, la production de ciment et d’autres procédés industriels sont restées relativement stables entre 2014 et 2016. Cette information a fait souffler un vent d’optimisme sur les discussions politiques consacrées au changement climatique en laissant penser que les émissions mondiales de GES pouvaient montrer des signes d’un possible plafonnement. Malheureusement, les premières estimations des émissions mondiales de CO2 issues des combustibles fossiles, de l’industrie et de la production de ciment en 2017 laissent suggérer une augmentation de 1,2 % (graphique ES.1). Les principaux facteurs de cette augmentation sont, d’un côté, une croissance plus forte du produit intérieur brut (PIB), à savoir 3,7 pour cent environ, et, de l’autre, une réduction plus lente de l’intensité énergétique, et plus particulièrement celle du carbone, par rapport à la période 2014-2016. Il est cependant impossible d’affirmer que certains facteurs économiques à court terme soient à l’origine du ralentissement observé sur la période 2014-2016.
Dans la mesure où les émissions de CO2 liées aux combustibles fossiles, à l’industrie et à la production de ciment représentent la majorité des émissions totales de GES, leur évolution a eu une incidence majeure sur les émissions de GES de 2014 à 2017. Les émissions générées par le changement d’affectation des terres sont restées relativement stables malgré les importantes variations annuelles causées par les phénomènes météorologiques et l’incertitude relative aux données.
Remarque : les émissions liées au changement d’affectation des terres ne sont pas intégrées dans les valeurs en raison de leur importante variation d’une année à l’autre. Aucun ajustement n’a été effectué non plus pour les années bissextiles au niveau des taux de croissance.
5. Disparité entre pays au regard de la réduction des émissions
Le plafonnement des émissions mondiales d’ici 2020 est indispensable pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris en matière de température. Cependant, l’ampleur et le rythme des actions d’atténuation actuelles restent insuffisants. Le Dialogue de Talanoa a établi un climat de confiance dans les efforts de mise en œuvre et a démontré qu’il était possible d’atteindre des objectifs plus ambitieux. Les gouvernements nationaux ont ainsi l’occasion de renforcer leurs politiques actuelles, ainsi que leurs CDN d’ici 2020.
Le plafonnement mondial des émissions de GES est déterminé par le cumul des émissions de tous les pays. Bien que le nombre de pays ayant plafonné leurs émissions de GES (ou ceux qui se sont engagés à le faire ultérieurement [Graphique ES.2]) n’ait cessé d’augmenter, les 49 pays ayant déjà agi dans ce sens représentent seulement 36 % des émissions mondiales, ce qui est insuffisant pour permettre un plafonnement à court terme des émissions à l’échelle mondiale. Si les engagements sont tenus, ce ne sont pas moins de 57 pays à l’origine de 60 % des émissions mondiales qui seront parvenus à plafonner leurs émissions d’ici 2030.
Les pays dont les émissions ont déjà été plafonnées ont un rôle majeur à jouer dans la définition du calendrier et du niveau de plafonnement des émissions mondiales. En effet, le taux de décarbonisation de chaque pays au-delà du plafonnement constituera un facteur décisif dans la quantité d’émissions mondiales cumulées. Cependant, il est évident que les pays ayant réussi à plafonner leurs émissions de GES n’ont pas réduit celles-ci à un rythme suffisant depuis.
Collectivement, les pays membres du G20 devraient être en mesure de respecter les engagements de Cancún d’ici 2020, ce qui n’est toutefois pas le cas pour leurs CDN d’ici 2030. Comme dans les précédentes éditions, ce rapport sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions montre que les émissions de GES des pays membres du G20 dans leur ensemble ne seront pas plafonnées d’ici 2030 à moins de revoir rapidement les ambitions à la hausse et de renforcer les mesures prises dans les années à venir.
Même si les membres du G20 sont collectivement en passe de respecter les engagements de Cancún et les objectifs en matière de niveau des émissions qui en découlent, certains pays (Canada, Indonésie, Mexique, Corée du Sud, Afrique du Sud et États-Unis d’Amérique) ne semblent pas en mesure de les respecter ou ne sont pas certains de pouvoir le faire.
À l’heure actuelle, les membres du G20 ne sont pas en voie de respecter collectivement leurs CDN non conditionnelles pour 2030. D’après les analyses, environ la moitié d’entre eux n’atteindront pas les objectifs fixés par leurs CDN non conditionnelles en matière d’émission de gaz à effet de serre (Argentine, Australie, Canada, Union européenne des 28, Corée du Sud, Arabie Saoudite, Afrique du Sud et États-Unis d’Amérique). Trois membres du G20 (Chine, Japon et Brésil) semblent pouvoir respecter leurs CDN grâce à leurs politiques actuelles. D’un autre côté, les politiques relatives aux émissions de trois autres membres (Inde, Russie et Turquie) devraient être insuffisantes pour leur permettre d’atteindre leurs objectifs respectifs. Selon les prévisions, les résultats devraient être inférieurs de plus de 10 % aux objectifs prévus par leurs CDN non conditionnelles. Dans certains cas, ce constat peut être lié à un niveau d’ambition relativement peu élevé envers les CDN. Il est impossible à l’heure actuelle d’affirmer si deux pays (Indonésie et Mexique) ont la capacité de respecter leurs CDN d’ici 2030 en poursuivant leurs politiques actuelles.
Les membres du G20 vont devoir mettre en œuvre de nouvelles politiques afin de réduire leurs émissions annuelles de GES d’environ 2,5 Gt éq-CO2 dans le but de respecter leurs CDN non conditionnelles et d’environ 3,5 Gt éq-CO2 pour respecter leurs CDN conditionnelles d’ici 2030. Ces réductions supplémentaires nécessaires ont diminué de 1 Gt éq-CO2 par rapport à 2017, grâce aux prévisions à la baisse des émissions de la part de la Chine, de l’Union européenne des 28 et des États-Unis d’Amérique sur la base des politiques menées actuellement (Lire : Union européenne : climat et énergie 2030 (1ère partie) – (2ème partie)).
6. De nouveaux scénarios d’émissions
En 2030, l’écart entre les niveaux d’émissions dans le cadre d’une mise en œuvre complète des CDN conditionnelles et ceux compatibles avec des profils d’évolution à moindre coût visant l’objectif de 2 °C s’élève à 13 Gt éq-CO2. Si seules les CDN non conditionnelles sont mises en œuvre, l’écart augmente à 15 Gt éq-CO2. Pour l’objectif de 1,5 °C, l’écart est respectivement de 29 Gt éq-CO2 et de 32 Gt éq-CO2. Cet écart a augmenté par rapport à 2017, car les données relatives aux profils d’évolution visant les objectifs de 1,5 °C et 2 °C se sont étoffées et diversifiées dans le cadre de la préparation du Rapport spécial du GIEC.
Le Rapport sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions repose un nombre conséquent de nouveaux scénarios à moindre coût permettant de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C et 2 °C. L’année dernière, 16 scénarios étaient proposés pour les deux profils d’évolution (1,5 °C et 2 °C), tandis qu’il y en a 85 au total cette année. Ces nouveaux scénarios sont plus diversifiés et affichent souvent un potentiel maximal plus limité en termes de captation du dioxyde de carbone, ce qui implique une réduction plus importante des émissions dans les décennies à venir afin de respecter le budget carbone global actuel. Chacun de ces scénarios est basé sur des stratégies d’atténuation du changement climatique à moindre coût, qui impose la réduction des émissions dès 2020, et repose sur le modèle et les paramètres climatiques utilisés dans le 5e rapport d’évaluation du GIEC. (Lire : le scénario Négawatt)
Trois niveaux de température (2 °C, 1,8 °C et 1,5 °C) ont été choisis pour proposer un aperçu plus nuancé des stratégies visant à maintenir le réchauffement entre 1,5 °C et 2 °C, ainsi que du plafonnement et des prévisions de température en 2100 en fonction de différentes probabilités (tableau ES.1). L’introduction du niveau de température de 1,8 °C permet une interprétation et une discussion plus nuancées des objectifs de l’Accord de Paris en matière de température.
Tableau ES. 1 : Total des émissions mondiales de gaz à effet de serre en 2030, en fonction de différents scénarios (estimation médiane et entre le 10e et le 90e percentile), incidences sur les températures et écart qui en découle en matière d’émissions
Remarque : les écarts et les intervalles sont calculés à partir des chiffres originaux (sans les arrondis), qui peuvent être différents des chiffres arrondis (troisième colonne) mentionnés dans ce tableau. Les chiffres sont arrondis à la Gt éq-CO2 supérieure. Les émissions de GES ont été ajoutées aux valeurs contenues dans le 2e Rapport d’évaluation du GIEC relatives au Potentiel de réchauffement global (PRG) sur une durée de 100 ans. Les CDN comme les prévisions des émissions liées aux politiques actuelles peuvent être légèrement différentes de celles figurant dans l’encadré interchapitre 11 du Rapport spécial du GIEC (Bertoldi et coll., 2018) en raison de la prise en compte de nouvelles études au-delà de la date limite de publication des données fixée par le GIEC. Les profils d’évolution ont été divisés en 3 catégories selon que leurs émissions de CO2 cumulées maximales étaient inférieures à 600 Gt éq-CO2, comprises entre 600 et 900 Gt éq-CO2 ou entre 900 et 1 300 Gt éq-CO2, à partir de 2018, et ce jusqu’à ce que l’objectif de zéro émission nette de CO2 soit atteint ou jusqu’à la fin du siècle si cet objectif n’est pas atteint avant. Ces profils d’évolution prennent en compte une action limitée jusqu’en 2020, puis une atténuation optimale en matière de coût. La méthode de calcul utilisée pour les estimations de température repose sur celle employée dans le 5e Rapport d’évaluation du GIEC.
7. Les effets attendus des politiques actuelles
Selon les estimations, les politiques actuelles devraient permettre de réduire les émissions mondiales d’environ 6 Gt éq-CO2 en 2030, contrairement au scénario selon lequel aucune mesure ne serait prise (Tableau ES.1). Ce chiffre est conforme à l’évaluation réalisée en 2017, ce qui indique que les études n’ont révélé aucun progrès significatif et manifeste dans la mise en œuvre de politiques susceptibles de permettre la réalisation des CDN d’ici 2030.
Les mises à jour apportées à l’évaluation de cette année se traduisent par une évolution des niveaux d’émission de GES en 2030 par rapport à ceux qui figurent dans le Rapport sur l’écart des émissions de 2017. Ces niveaux sont conformes à un objectif de limitation du réchauffement mondial inférieur ou égal à 2 °C. Selon les estimations des nouveaux scénarios, les émissions de l’ensemble des GES ne doivent pas dépasser 40 Gt éq-CO2 (entre 38 et 45) en 2030, de manière à avoir environ 66 % de probabilité d’atteindre l’objectif de 2 °C. Pour avoir 66 % de probabilité de limiter le réchauffement climatique à 1,8 °C, il est nécessaire de veiller à ce que les émissions mondiales de GES soient inférieures à 34 Gt éq-CO2 (entre 30 et 40) en 2030. Pour avoir 66 % de probabilité de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C en 2100 (avec un léger dépassement ou non), il est nécessaire de veiller à ce que les émissions mondiales de GES soient inférieures à 24 Gt éq-CO2 (entre 22 et 30).
La mise en œuvre complète des CDN non conditionnelles devrait générer un écart de 15 Gt éq-CO2 (entre 12 et 17) en 2030 en comparaison avec le scénario de 2 °C. C’est à peu près 2 Gt éq-CO2 de plus que l’écart calculé dans le précédent rapport, car les scénarios les plus récents pour atteindre l’objectif de 2 °C indiquent un point de référence moins élevé. Si, par ailleurs, les CDN conditionnelles sont mises en œuvre intégralement, l’écart se réduit de 2 Gt éq-CO2 environ. L’écart en matière de réduction des émissions entre les CDN non conditionnelles et les profils d’évolution visant l’objectif de 1,5 °C est d’environ 32 Gt éq-CO2 (entre 28 et 34). Ce sont 13 Gt éq-CO2 de plus que l’évaluation présentée dans le Rapport 2017, en raison d’une augmentation conséquente du nombre d’études portant sur les scénarios disponibles qui reposent moins sur l’adaptation d’importants volumes de dioxyde de carbone et qui présentent des valeurs de référence plus faibles pour 2030. La mise en œuvre intégrale des CDN conditionnelles et non conditionnelles permettrait de réduire cet écart d’environ 3 Gt éq-CO2.
Dans le cas de la mise en œuvre des CDN non conditionnelles et dans l’hypothèse où les actions en faveur du climat se poursuivent régulièrement tout au long du XXIe siècle, la température moyenne de la planète augmenterait d’environ 3,2 °C (entre 2,9 et 3,4 °C) d’ici 2100 (par rapport aux niveaux préindustriels) et continuerait d’augmenter par la suite. La mise en œuvre des CDN conditionnelle permettrait de réduire ces estimations de 0,2 °C en 2100. Ces projections sont identiques aux estimations de 2017.
8. Une nécessaire révision à la hausse des CDN
Les pays doivent non seulement revoir les ambitions des CDN à la hausse, mais également augmenter l’ampleur et l’efficacité de leur politique nationale de manière à atteindre les objectifs de l’Accord de Paris en matière de température. Les pays doivent renforcer leurs ambitions en termes d’atténuation des gaz à effet de serre de manière à combler l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions en 2030 et à assurer une décarbonatation à long terme dans la lignée des objectifs de l’Accord de Paris. Relever les ambitions des CDN permet d’affirmer son engagement en faveur de l’atténuation au niveau national et international. Cependant, les politiques nationales sont indispensables pour convertir ces ambitions en actions concrètes.
Dans ce contexte, l’ambition peut être considérée comme la combinaison des éléments suivants : définition d’objectifs, disposition à mettre en œuvre et capacité à appliquer d’autres réductions au fil du temps.
Il existe de nombreux moyens pour un pays d’exprimer son ambition en matière d’atténuation dans ses CDN (graphique ES.4). Ces possibilités ne s’excluent pas mutuellement, et le fait que l’adaptation des CDN permet de définir un niveau d’ambition supérieur dépend plus de l’ampleur du processus de modification que de sa forme. Il est important que les pays envisagent un large éventail d’options afin de pouvoir identifier celles qui seraient les plus pertinentes et les plus pragmatiques en fonction de leur situation spécifique, et réduire considérablement les émissions indispensables pour combler l’écart.
Il existe encore des écarts en ce qui concerne la portée et la rigueur des politiques mises en place à l’échelle nationale, y compris parmi les membres du G20, notamment au niveau de la réduction des subventions accordées pour l’exploitation des combustibles fossiles, des mesures d’efficacité dans les secteurs de l’industrie, du pétrole, du gaz et du méthane, ainsi que des programmes de soutien aux énergies renouvelables pour le chauffage et la climatisation, des normes d’émission applicables aux véhicules à forte consommation ou encore des programmes de mobilité électrique. Il est possible de renforcer la rigueur, même dans les secteurs déjà bien couverts par les politiques.
Par exemple, bien que tous les pays membres du G20 aient adopté des politiques visant à soutenir les énergies renouvelables dans le domaine de l’électricité, il est encore possible de les renforcer.
Le potentiel technique de réduction des émissions de GES est important et pourrait être suffisant pour combler les écarts entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions en 2030. Il peut en grande partie être réalisé par le renforcement et l’application de politiques existantes ayant prouvé leur efficacité, ce qui pourrait contribuer en même temps à atteindre les principaux objectifs de développement durable.
Le Rapport 2017 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions contenait une mise à jour de l’évaluation des potentiels de réduction des émissions par secteur techniquement et économiquement réalisables en 2030, en envisageant un tarif pouvant atteindre 100 dollars la tonne éq-CO2. Cette analyse indiquait que les émissions mondiales pourraient être réduites de 33 Gt éq-CO2 (entre 30 et 36) par an en 2030 contre 59 Gt éq-CO2 par an selon le scénario actuel (chapitre 3). De plus, si de nouveaux moyens d’atténuation plus récents et moins sûrs venaient à être mis en œuvre, le potentiel d’atténuation augmenterait à environ 38 Gt éq-CO2 (entre 35 et 41). Le potentiel de réduction des émissions est donc suffisant pour combler l’écart en 2030. Comme l’a indiqué le Rapport 2017 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions, une grande partie du potentiel technique couvre trois grands domaines : les énergies renouvelables (éolienne et solaire), les voitures et les appareils à basse consommation, ainsi que l’arrêt de la déforestation et le reboisement.
Dans ces secteurs et un grand nombre d’autres domaines, quels que soient les pays, il existe de nombreux moyens permettant de développer une part importante du potentiel technique d’atténuation par l’application de politiques reposant sur les bonnes pratiques, ayant déjà prouvé leur efficacité et capables de contribuer dans le même temps à atteindre les principaux objectifs de développement durable. Réaliser ce potentiel permettrait de réduire de façon significative l’écart d’ici 2030, au-delà des CDN actuelles.
9. Rôle des acteurs infranationaux et non étatiques
Les actions infranationales et non étatiques jouent un rôle important dans la réalisation des engagements nationaux. Le potentiel de réduction des émissions de ces actions pourrait être significatif et permettre aux pays de revoir leurs ambitions à la hausse. Cependant les impacts actuels de ces actions sont très limités et peu documentés.
Les acteurs infranationaux et non étatiques (ANE) contribuent de façon importante à l’action climatique, et ce au-delà des réductions d’émissions quantifiées qu’ils permettent de réaliser. Ils aident les gouvernements à avoir confiance dans leurs politiques et les encouragent à définir des objectifs nationaux plus ambitieux. Ils laissent place à l’expérimentation ou agissent auprès des gouvernements nationaux en orchestrant et en coordonnant la mise en œuvre des politiques relatives au climat. Ces acteurs et leurs initiatives peuvent aussi encourager, soutenir et inspirer de nouvelles actions en faveur du climat en partageant leurs connaissances et les bonnes pratiques, en participant au plaidoyer et au dialogue politique, en contribuant à l’élaboration de plans d’action, ainsi qu’en reconnaissant et en récompensant les différentes actions réalisées en faveur du climat.
Le nombre d’acteurs impliqués augmente rapidement. En effet, 7 000 villes de 133 pays différents, 245 régions de 42 pays différents et plus de 6 000 entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 36 billions de dollars américains se sont engagées à mettre en œuvre des actions d’atténuation. Les engagements couvrent une grande partie de l’économie et s’étendent peu à peu au niveau régional. Beaucoup d’acteurs s’engagent dans ce que l’on appelle des « initiatives de coopération internationale », qui se présentent sous la forme d’actions concernant plusieurs acteurs de plusieurs pays.
Bien que les chiffres puissent sembler impressionnants, il reste un réel potentiel de développement. D’après les données disponibles, moins de 20 % de la population mondiale est représentée dans les initiatives nationales et internationales actuelles. Par ailleurs, il reste plus de 500 000 entreprises multinationales qui pourraient et devraient agir. D’un point de vue financier, un peu plus de 74 milliards de dollars américains d’obligations vertes ont été émis au cours du premier semestre 2018, ce qui, malgré le montant record, ne représente toutefois qu’une toute petite partie des marchés de capitaux à travers le monde.
Le potentiel de réduction des émissions des ANE est important, mais les estimations varient considérablement en fonction des études (graphique ES.5). Si le potentiel des initiatives de coopération internationale était exploité au maximum, l’impact pourrait être considérable par rapport aux mesures actuelles : une réduction pouvant atteindre 19 Gt eq-CO2 par an jusqu’en 2030 (entre 15 et 23 Gt éq-CO2) d’après l’une de ces études. Si ce potentiel était exploité, il permettrait de combler l’écart des émissions et d’atteindre ainsi l’objectif de 2 °C.
Cependant, les réductions d’émissions supplémentaires prévues dans le cadre de la mise en œuvre complète des engagements pris à ce jour par les différents acteurs non étatiques sont encore assez limitées : jusqu’à 0,45 Gt éq-CO2 (entre 0,2 et 0,7) par an d’ici 2030 par rapport à une mise en œuvre intégrale des CDN non conditionnelles et jusqu’à 1,85 Gt éq-CO2 par an dans le cadre des politiques actuelles. Une évaluation plus complète de toutes les actions en faveur du climat menées à l’échelle internationale par les acteurs infranationaux et non étatiques est limitée par la faible quantité de données actuellement disponibles et par le manque de cohérence dans les rapports consacrés à ces actions.
Les ANE doivent adopter des principes communs lors de la définition de leurs actions. Ces principes doivent fixer des objectifs clairs et quantifiables reposant sur des références pertinentes, la capacité technique des différents acteurs, la disponibilité d’incitations financières et la présence d’un soutien réglementaire.
* Data-Driven Yale, NewClimate Institute et PBL Netherlands
Source : données du tableau 5.2
Remarques :
a) pour les études qui intègrent des intervalles, des estimations de la médiane sont fournies avec les intervalles indiqués dans les graphiques ES.5a et ES.5b.
b) Les études présentées en hachuré évaluent les objectifs des initiatives de coopération internationale isolées et multiples plutôt que les engagements quantifiés et enregistrés des acteurs individuels. Elles s’appuient sur des hypothèses relatives à l’impact futur optimisé et représentent donc un potentiel plutôt qu’une analyse quantifiée des engagements des acteurs individuels en matière d’action non étatique.
c) Les estimations des valeurs de 2025 sont une extrapolation.