Les incidents survenus en Europe ont été jusqu’ici dus aux problèmes de stabilité du système en fréquence et en tension. Cela prend une dimension importante dès que la part des productions des renouvelables intermittents (solaire et éolien – EnRi) dépassent 30%. Il est accru par l’intégration étroite des systèmes. Les gestionnaires de système ne manquent pas de tirer les enseignements par retour d’expérience.
Des problèmes ont aussi été rencontrés dans le monde pour d’autres raisons en particulier du fait de l’insuffisance des sources de back up et de flexibilité et de l’insuffisance d’anticipations de leur disponibilité (cas en Australie du sud, au Texas et en Californie).
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Les incidents sur les réseaux électriques dus à la présence de capacités croissantes d’éoliennes et de solaire PV à production intermittente tendent se renouveler en Europe, comme dans d’autres régions du monde. Les énergies renouvelables à apports variables, dites « intermittentes » (EnRi) posent deux problèmes principaux de sécurité de fourniture aux systèmes électriques. Le premier vient de la variabilité de leurs productions non pilotables, qui impose de développer des moyens flexibles complémentaires. Le second vient du fait que les variations rapides des production d’EnRi créent un problème de stabilité du système en fréquence et en tension, problème qui prend une dimension importante dès que la part des productions d’EnRi dépassent le seuil de 20-30% de l’énergie annuelle[1]. On peut rappeler que la stabilité de la fréquence, 50 Hz en Europe (figure 1), du système électrique est aujourd’hui assurée par les rotors des alternateurs des centrales thermiques, soit le nucléaire et les fossiles. Sans eux, comment assurer cette stabilité puisque les convertisseurs de puissance, associés aux parcs éoliens et aux centrales photovoltaïques et utilisés pour leur connexion au réseau, sont inopérants ?
Pour faire face au premier type de problème, on doit développer en coordination avec le développement des capacités d’EnRi de nouvelles sources de flexibilité, comprenant les stockages de divers types (batteries, air comprimé, stations de transfert d’énergie par pompage STEP si des sites existent), les effacements à grande échelle (notamment sur le segment des consommations industrielles et du pilotage des recharges de véhicules électriques), les solutions de Power to Gas (production d’hydrogène suivie de méthanation à partir des surplus horaires de MWh d’EnRi, pour produire des MWh par turbine à gaz en période de déficit) et de façon plus complexe, l’accroissement des interconnexions pour profiter des « foisonnements » des productions EnRi et des demandes entre pays et systèmes.
Faudra-t-il attendre un black-out de grande dimension qui serait dû soit à un problème de stabilité du système, soit à l’étroitesse des marges de réserve due la fermeture de centrales pilotables et au manque de sources de flexibilité pour que l’on regarde le problème en face, pour qu’on se donne les moyens d’inciter au développement des sources de flexibilité, voire qu’on ralentisse le développement des EnR intermittentes si la flexibilité ne suit pas ? Survolons d’abord les incidents récents en Europe et dans le monde, liés en partie à la présence de grandes unités éoliennes et solaires.
1. Les leçons des incidents en Europe
Ils concernent essentiellement des problèmes de stabilité du système. Le 8 janvier 2021, alors que le froid intense a provoqué une forte augmentation de la demande d’électricité en Europe, le réseau électrique du continent a frôlé une panne massive du fait de remontées très importantes de flux de puissance sud-nord aux effets mal anticipés. Le système très intégré de Lisbonne à Istanbul, s’est scindé en deux, alors que les régions du nord-ouest et du sud-est s’efforçaient de maintenir la fréquence à 50 hertz. Le problème a pris naissance en Croatie et a entraîné des coupures auprès de 200 000 foyers et de sites industriels à travers l’Europe, dont la France. Bien que cet événement ne fût pas lié aux énergies renouvelables directement, il attire une nouvelle fois l’attention sur les problèmes posés par les énormes variations de production auxquelles les réseaux doivent faire face. Des incidents comme celui-ci risquent de devenir plus fréquents, sachant que le problème vient de la réduction des capacités pilotables. Il en résulte des lacunes dans les procédures de stabilisation des systèmes qui doivent être comblées. Le rapport de l’association européenne des Gestionnaires de Réseaux de Transport (GRT) a souligné que les importants flux d’énergie électrique paneuropéens sud-nord de ce jour-là ont joué un rôle crucial dans l’incident parce que les marges de stabilité du système habituelles étaient trop faibles[2]. Il faut donc que les calculs de sécurité soient de plus en plus précis et prudents et que les GRT coopèrent très étroitement aux niveaux régional et européen pour faire face à des flux soudains en faisant appel à des contributeurs de stabilité dans leur aire de régulation, comme chez les voisins.
L’échange d’information joue un rôle crucial, comme on le voit aussi dans l’incident du 4 novembre 2006 avec lequel toute l’Europe a été proche d’une panne majeure. Plus de 15 millions de ménages ont tout de même été plongés dans le noir pendant des heures. L’incident a été provoqué par un défaut d’anticipation et de coordination entre les GRT à la suite de l’interruption en Allemagne d’une ligne à haute tension sur le fleuve Ems pour laisser passer un paquebot sortant d’un chantier naval. L’instabilité qui s’en est suivi a été entretenue par le « déclenchement » de nombreuses éoliennes par leur protection contre les variations de fréquence en Allemagne. Elle s’est transmise sur les réseaux allemands et a touché les réseaux français, belge et néerlandais d’un côté et le réseau polonais de l’autre. Des solutions ont été mises en place par la suite par les gestionnaires de réseaux, comme la séparation automatique des réseaux, le déclenchement d’une production de secours, l’effacement de la demande et, pour les éoliennes connectées aux réseaux de répartition et de distribution, par des régulations automatiques plus flexibles par onduleurs synchrones.
La Grande Bretagne a connu le 9 août 2019 un black-out régional touchant 1,1 million de consommateurs dû à un arrêt brutal de la grande installation éolienne en mer de Hornsea 1 (figure 2, 800 MW à l’époque) au large des côtes de l’East Yorkshire, qui s’est conjugué avec le « déclenchement » d’une centrale en cycle combiné à gaz de 640 MW, peu après un coup de foudre sur une ligne de transmission aérienne dans le Cambridgeshire. Dans le même temps, environ 150 MW de production plus petite, en production distribuée, ont été mis hors ligne et ont cessé de produire, car la fréquence du réseau électrique était passée en dessous de 50 Hz[3]. Le gestionnaire de réseau de transport a activé des générateurs de secours pour combler une partie du déficit pour équilibrer le système, mais comme il n’y avait pas assez de production de secours disponible, les opérateurs de réseaux locaux ont automatiquement déconnecté certains consommateurs du réseau afin d’éviter d’autres perturbations à l’échelle du système. Pour limiter de tels risques à l’avenir, National Grid Company est en train de mettre au point un système de surveillance et de contrôle des fréquences pour traiter les problèmes liés à la présence de capacités EnR de plus en plus importantes. Il devrait être opérationnel d’ici 2025[4].
Ces évènements, comme d’autres plus bénins, ont donc entraîné une amélioration des règles de gestion des systèmes par retour d’expérience. Mais ceci ne résout pas pour autant les problèmes futurs posés par la présence de capacité croissante de productions intermittentes et la réduction de capacités conventionnelles pilotables dans les systèmes européens interconnectés, s’il y a un manque de développement de nouvelles sources de flexibilité.
2. Les autres « brown out » dans le monde
Les délestages tournants pendant la canicule d’août 2020 en Californie sont dus au fait du manque de capacité de stockage pour adosser les productions EnR en pleine période de pointe de consommation. C’est aussi le cas des délestages spectaculaires au Texas pendant la vague de froid inhabituelle de février 2021 (figure 3) au cours de laquelle le déficit de production des centrales solaires et éoliennes affectée par les conditions anticycloniques et le gel a ajouté à celui de l’alimentation des centrales à gaz par gazoducs entravée par les très basses températures. Celles-ci assurent habituellement la production en base et étaient supposées être suffisantes pour assurer le back up des productions éoliennes et solaires[5]. Précisons que la capacité éolienne fin 2020 était de 30 GW et de solaire PV de 1 GW, pour un parc non EnR de 95 GW, et a assuré 25% de la production annuelle cette même année. Mais la disponibilité des centrales classiques en toute situation a été sous-estimée dans les anticipations de l’opérateur de système et du régulateur. Il faut savoir aussi que le Texas est totalement autonome sans interconnexion avec les systèmes voisins pour ne pas dépendre de la régulation fédérale.
C’est encore le cas des importants délestages en Australie du Sud en septembre 2016 pendant une période de tempête. Cette province est une région qui a misé sur l’éolien, avec 44% de la production cette année-là et une capacité de 1,7 GW pour une demande de puissance du système de 3 GW. Une grande centrale au charbon venait de fermer définitivement. L’incident est survenu à la suite pendant une période de tempête à la suite de la rupture d’une interconnexion, faute de stockage et d’équipements de secours. La chute de fréquence qui s’en est suivi a conduit au décrochage de 5 centrales de 520 MW. Depuis l’Australie du sud s’est équipée d’une installation de batteries Li-ion de 100 MW.
3. Des problèmes à venir dans le système ouest-européen
A moyen terme, en Europe, on est en droit de de s’inquiéter en voyant les fermetures programmées de centrales pilotables au charbon et nucléaires en Allemagne, en France, en Belgique et ailleurs, qui sont supposées être remplacées par des renouvelables intermittentes sans un développement suffisant des sources de flexibilité éoliennes programmées. Une note de France Stratégie de janvier 2021 intitulée « Quelle sécurité d’approvisionnement électrique en Europe à l’horizon 2030 ? » attire l’attention sur l’éventualité des défaillances des systèmes électriques européens, et notamment du système français qui est étroitement intégré physiquement et par les marchés avec les six systèmes adjacents[6]. Des objectifs très ambitieux de développement d’énergies renouvelables ont été décidés partout et en particulier en Allemagne, alors que les solutions en termes de pilotage de la demande et d’effacements des consommations, de capacités de stockage et, plus généralement, de flexibilité restent insuffisamment développées et le resteront à moyen-long terme.
Dans la décennie 2020, les nombreuses fermetures de centrales pilotables sont programmées alors que les conséquences concrètes sur la sécurité de fourniture semblent peu prises en compte, avec le déploiement à grande échelle des unités d’EnRi. Le développement prévu d’ici 2035 de sources de flexibilité reste à l’heure actuelle insuffisant pour adosser les productions intermittentes à l’échelle voulue, une fois les fermetures effectuées.
Le rapport de France Stratégie montre qu’en Allemagne avec la sortie du nucléaire définitive en 2022 et celle progressive du charbon d’ici 2038, qui est l’échéance programmée encore début 2021, la capacité de centrales pilotables va décroître d’ici 2035 de 100 GW à 80 GW, et la marge de réserve passerait de 6 GW en 2020 avec 91 GW pour une demande de pointe de 85 GW à -8GW en 2035 avec 87 GW de puissance garantie avec stockages et effacements pour une demande de pointe de 95 GW. Cette situation s’aggravera sans doute avec l’accélération des fermetures décidée par la coalition arrivée au pouvoir fin 2021, car, en 2030, il devait y avoir encore 17 GW de centrales au charbon et lignite, et 8 GW en 2035, sur les 29 GW fin 2021. La situation française n’est pas non plus confortable en se fiant aux prévisions de fermeture de centrales pilotables et à l’interdiction de construction de nouvelles centrales fossiles. La marge de réserve assurée par les centrales pilotables qui est encore de 1,7 GW en 2025 devient négative en 2030 avec -5 GW, pour atteindre -9 GW en 2035 avec les stockages et les effacements actuellement prévus.
De fait, plus le système interconnecté est étendu, plus il devient possible de bénéficier de complémentarités entre diverses zones de production et de consommation, notamment du fait de la faible corrélation entre productions éoliennes entre zones. L’Allemagne prévoit clairement de s’appuyer davantage sur ses voisins, en important de l’électricité par des interconnections croissantes d’autant plus qu’elle va accélérer la fermeture de ses centrales au charbon et lignite. Alors qu’elle est actuellement exportateur net vers l’Autriche, la Suisse, la Pologne et les Pays-Bas, plusieurs parties du continent pourraient connaître des pénuries d’électricité lorsqu’elle cessera d’exporter de manière régulière ses excédents. La capacité à assurer la sécurité d’approvisionnement en périodes critiques, notamment celles de pointe de demande conjuguée avec une faible production des EnRi, devient donc d’autant plus incertaine que les systèmes sont étroitement interconnectés. Lorsque les marges de réserve sont réduites, les déficits des uns peuvent entraîner des situations critiques pour les voisins qui ont pourtant suffisamment de réserves.
Alors que les fermetures ne sont pas coordonnées entre pays, jusqu’où pourra-t-on compter sur les systèmes voisins, surtout s’ils n’ont plus de marges de réserve après la fermeture de capacités pilotables et l’insuffisance du développement de sources de flexibilité en relation avec celui des EnRi ? C’est que souligne le rapport de RTE et de l’AIE de janvier 2021 sur la faisabilité technique d’un système à forte part d’EnRi en France : « Le développement raisonnable de la flexibilité de la demande et l’appui sur les pays voisins ne suffiront plus rapidement (…) A compter de 2035, il ne sera plus possible de poursuivre l’augmentation de la part des EnR sans développer la flexibilité de manière très significative ».
On touche là un problème sévère de manque de coordination entre les Etats membres de l’UE qui ont déjà des stratégies énergétiques et climatiques différentes, mais qui renvoie aussi à un manque d’anticipations de chacun sur les conséquences internes de leurs choix. On fait confiance au développement des technologies vertes ‘’Power to Gas’’ pour s’assurer la flexibilité si les stockages par batteries ne peuvent pas se développer à un bon rythme, et on fait confiance à l’intégration des systèmes et des marchés pour s’appuyer sur les autres pays pour assurer en dernier ressort la garantie de fourniture.
En fait, partout, on tend à se conforter en espérant pouvoir se reposer sur les autres, comme ce fut récemment le cas en février 2021 en Suède qui est engagée dans une politique de fermeture de ses centrales nucléaires et au fioul pilotables. Pendant une très récente vague de froid qui a entravé le fonctionnement des éoliennes, elle a été obligée d’importer de l’électricité de ses voisins du sud (Lituanie, Allemagne, Pologne) qui était généralement produite par des centrales au charbon, ce qui est un contresens au niveau des émissions de gaz à effet de serre.
4. Comment répondre à ces problèmes ?
Mettons de côté les problèmes de gestion des systèmes en temps réel posés par l’intégration étroite des EnRi ; comme on l’a vu pour l’incident de janvier 2021, les gestionnaires de système ne manquent pas de tirer les enseignements par retour d’expérience pour améliorer leur coordination et la transmission d’informations entre eux. Ils se concertent en ce sens au sein de l’ENTSOE (figure 4) (European association for the cooperation of transmission system operators), notamment pour améliorer les codes de réseau et les procédures de transmission d’informations en temps réel.
Le problème principal est le développement des sources de flexibilité capables d’assurer des transferts d’énergie, à l’échelle journalière, hebdomadaire ou encore intersaisonnière, et qui soit en phase avec celui de l’intermittence, mais aussi avec la possibilité d’offrir des services-système de divers types. Pour ce faire, il est important que soient mis en place des cadres incitatifs efficaces pour développer l’offre de services système et de sources de flexibilité dans chaque pays développant les EnRi à grande échelle. En France on calcule qu’avec 30% de production par les EnRi, l’objectif 2035, « les besoins de flexibilité à la fois journalière et hebdomadaire sont multipliés par un facteur 5 par rapport à la situation actuelle en tenant compte de la baisse des capacités pilotables, afin de pallier l’augmentation de la variabilité des productions et celle des variations de fréquence » [1].4.1. Les limites des incitations par les marchés
Comment investir alors dans le développement des sources de flexibilité pour assurer l’offre suffisante de services système et de services d’ajustement et faciliter les transferts d’énergie par le jeu des arbitrages ? La tâche est difficile car la rémunération des services-système comme la réserve d’équilibrage ou le service système tension par les mécanismes de marché qui ont été mis en place se fait sur le principe du « gain d’opportunité », c’est-à-dire ce que telle quantité de tel service-système offerte par tel offreur permettrait d’économiser au moment en question dans le système. Or, cette rémunération n’intègre aucunement le coût de capital des équipements qui rendent ces services. Aucun acteur n’investira sur cette base dans la flexibilité malgré les besoins croissants de services-système, car leurs prix sont très volatiles comme d’ailleurs leurs revenus complémentaires qu’ils tireront d’arbitrage journalier ou hebdomadaires. L’arbitrage sur les marchés électriques horaires consiste à tirer parti des différences de prix entre heures de surplus de production, pendant lesquelles les prix sont bas, et les heures de tension offre-demande, pendant lesquelles les prix sont les plus élevés, à l’échelle de la journée et de la semaine. De plus dans la durée, les revenus de l’arbitrage qui peuvent être anticipés vont être incertains et aléatoires car dépendant des investissements des concurrents dans des équipements de stockage.
Certains pensent que l’on pourrait aussi escompter sur des revenus horaires exceptionnels très élevés (1000 €/MWh) pendant quelques heures (au lieu de 50 €/MWh habituellement) sur le marché de l’énergie et sur les marchés d’ajustement quand il y a une situation très tendue, comme cela s’est passé à trois reprises pendant l’hiver 2020-21 au Royaume Uni où le GRT a dû lancer des « notifications d’alerte » pour inciter les opérateurs de faire des offres complémentaires, ce qu’il fait dans des contextes difficiles pour faire face à l’éventualité de baisses inopinées des productions EnR. Dans ce cas, il y avait des arrêts programmés de quelques réacteurs nucléaires, une mise sous cocon récente de deux centrales à gaz par des opérateurs privés attendant des configurations plus favorables, et une réduction des capacités d’interconnexions. Le GRT britannique se conforte dans l’idée que le mécanisme de prix sur le marché électrique à pas horaire est encore suffisant pour passer des moments difficiles, les notifications qu’ils envoient aux opérateurs les conduisant à offrir des services d’ajustement à des prix élevés, ce qui, actuellement, s’avère encore suffisant. Mais ces revenus supplémentaires ne servent pas vraiment à attirer des investissements en équipements flexibles, mais seulement à susciter des offres en période tendue, ce qui conduit des experts à se lamenter en pensant que, tant qu’il n’y aura pas eu de black-out, les choses ne changeront pas[7].
4.2. Les recours à des contrats de long terme à revenus garantis
Une solution pourrait venir de l’élargissement des « mécanismes de capacité » aux sources de flexibilité. Ces mécanismes ont été créés dans différent pays européens pour apporter un complément de rémunération par MW garanti disponible en période critique, et non par MWh, à tout équipement capable d’assurer pouvoir être disponible en période critique, notamment sur la pointe de demande. En France, le mécanise n’a eu jusqu’ici pour effet que de repousser la fermeture d’équipements et de développer les effacements de consommation et le pilotage de la demande. Ils auraient dû en principe inciter à l’installation d’équipements de pointe comme les turbines à combustion à rampe rapide. Mais, il n’y en a rien été, tant les revenus de long terme à attendre pour rentabiliser un investissement sont incertains. En revanche, dans les pays comme le Royaume Uni où le mécanisme est fondé sur des contrats de long terme de rémunération garantie pour les nouvelles installations, les développements sont réels. On prévoit même d’élargir le mécanisme aux sources de flexibilité, dont les stockages par batteries, les centrales de pompage STEP (si le pays a encore des sites disponibles), le pilotage de la demande, voire les nouvelles interconnexions pour bénéficier des foisonnements des productions EnRi et de demande. Il y aurait donc lieu de réformer le mécanisme français en ce sens, sans parler de ceux des autres pays européens. D’ailleurs, en se référant aux dispositifs existants de « contrats de compléments de rémunération » pour les équipements éoliens et photovoltaïques, on pourrait penser à ce type de mécanismes, plus simples, d’appel d’offres par enchères pour des contrats longs de garanties de revenus pour les unités de stockage, voire les turbines à gaz à rampe rapide utilisant l’hydrogène vert de l’électrolyse[8].
4.3. L’impératif de coordination de long terme entre pays et systèmes
En tout cas rien ne semble garantir la sécurité de fourniture à moyen et long terme en cas d’hiver froid et neigeux en situation anticyclonique avec gel et absence de vents qui couvrirait plusieurs pays, avec des défaillances de longue durée et pas seulement de quelques heures, si chaque pays continue sa politique de développement des EnRi en comptant sur les autres. Une amélioration des coordinations de ces développements, des fermetures des équipements pilotables et de la mise en œuvre de nouvelles sources de flexibilité apparaît indispensable. La très forte intégration des systèmes électriques et des marchés à la maille européenne impose désormais de penser le système électrique à cette échelle. Aujourd’hui les états planifient à la maille nationale, tout en s’appuyant de façon croissante sur les importations de leur voisin sans qu’une coordination soit en place pour garantir la sécurité d’approvisionnement de l’ensemble.
La situation est d’autant plus préoccupante que, comme le montre le rapport de France Stratégie de 2021 cité plus haut, le déficit de capacités pilotable en Europe va se creuser dans les années qui viennent. Il faudrait logiquement que sur le continent, soit mise en place une coordination étroite de long terme qui puisse garantir la sécurité d’approvisionnement électrique dans l’ensemble intégré, comme il en existe une pour les coordinations techniques en temps réel. Les programmes prévisionnels développés par l’ENTSOE régulièrement ne suffisent pas car ils se basent sur les annonces des gouvernements. Or, il n’y a aucune garantie de stabilité des politiques des Etats qui peuvent décider de changer de politiques sans consultations des pays voisins. Ces changements ne font pas l’objet de vraies discussions entre les ministres de l’énergie européens autour des questions de sécurité de fourniture. Les décisions de fermer les centrales nucléaires en Allemagne ont été prises en 2011 sans concertation, tout comme l’annonce en novembre 2021 de la nouvelle coalition allemande de fermer le charbon en 2030, au lieu de 2038 comme initialement prévu, et porter d’ici là la part des renouvelables à 80% à cette date au lieu de 55%. Une réelle volonté de concertation et d’harmonisation entre Etats-membres serait donc nécessaire, mais il ne faut sans doute pas trop rêver tant sont grandes les préoccupations de politique intérieure de chacun.
Notes & Références
Image de couverture. [Source : https://www.dailypioneer.com/2021/trending-news/massive-blackout-in-pakistan.html]
[1] IEA & RTE (2021). « Conditions et prérequis en matière de faisabilité technique pour un système électrique avec une forte proportion d’énergies renouvelables à l’horizon 2050 ». Février 2021. https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-01/RTE-AIE_synthese%20ENR%20horizon%202050_FR.pdf
[2] ENSTOE (2021). Final report on the separation of the Continental Europe power system on 8 January 2021. July 2021. Continental Europe Synchronous Area Separation on 08 January 2021 / ICS Final Report / Executive Summary (azureedge.net)
[3] Watt Logic (2019). What caused the UK’s power blackout and will it happen again? August 2019. http://watt-logic.com/2019/08/12/august-2019-blackout/
[4] OFGEM (2020). « 9 August 2019 power outage report. Recommandations ». January 2020 https://www.ofgem.gov.uk/sites/default/files/docs/2020/01/9_august_2019_power_outage_report.pdf
[5] Joshua W. Busby et alii (2021). Cascading risks: Understanding the 2021 winter blackout in Texas. Energy Research & Social Science. Volume 77, July 2021, 102106. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2214629621001997?via%3Dihub
[6] France Stratégie (Etienne Beeker) (2021). Quelle sécurité d’approvisionnement électrique en Europe à horizon 2030 ? Janvier 2021 n°99. Note d’analyse 99 – Quelle sécurité d’approvisionnement électrique en Europe à horizon 2030 ? (strategie.gouv.fr)
[7] Bloomberg (2021). U.K. Electricity Grid Creaks Under Repeated Winter Pressure. Janvier 2021. https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-01-06/u-k-electricity-grid-creaks-under-repeated-winter-pressure
[8] RTE (2021). Futurs énergétiques 2050. Principaux résultats. https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-12/Futurs-Energetiques-2050-principaux-resultats.pdf