Par souci de sécurité de ses approvisionnements, puis pour protéger l’environnement, l’Union européenne (UE) affiche des objectifs de politique énergétique. Depuis le début du 21ème siècle, nombre d’engagements, notamment en faveur de la protection du climat, ont ainsi été adoptés. Quels ont-ils été ? Dans quel sens ont-ils évolué ? Avec quels résultats obtenus et attendus à l’horizon 2030 ?
Cet article a été initialement publié sous le titre « The EU climate and energy policy : What about the new targets for 2030 » dans la revue Economics and Policy of Energy and Environment, 1, 2014, pp. 27-51. Il a été traduit en français par Jean-Paul Cebo et Gaëlle Dolmazon dans le cadre du master LEA parcours Traduction spécialisée multilingue de l’UFR Langues étrangères, de l’université Grenoble-Alpes, sous la supervision de Caroline Rossi et le suivi attentif de Luigi de Paoli qui l’a actualisé. Tous ces intervenants sont sincèrement remerciés.
La production et la consommation d’énergie sont responsables d’environ 80% des émissions de gaz à effet de serre (GES) au sein de l’Union européenne (UE). La lutte pour limiter le changement climatique, et ainsi réduire les émissions de GES, est depuis longtemps une priorité pour l’UE et, à ce titre, il est naturel que ses politiques énergétique et environnementale soient de plus en plus coordonnées. (Lire : Énergie et climat : la construction des politiques climatiques)
1. Vers une convergence entre politique climatique et politique énergétique
En signant le protocole de Kyoto en 1998, puis en le ratifiant en 2002, l’UE s’est engagée à réduire ses émissions moyennes de gaz à effet de serre de 8% entre 2008 et 2012 par rapport à leur niveau de 1990. Sa volonté de poursuivre sur cette voie a été confirmée après l’expiration du protocole de Kyoto. Pour atteindre ce résultat, l’UE a adopté deux approches distinctes. D’une part, le système d’échange de quotas d’émission (SEQE) a obligé certaines installations ayant des niveaux d’émission élevés à détenir des permis d’émission, dont la quantité totale a été fixée au niveau de l’UE. D’autre part, les États membres (EM) demeurent responsables de la réduction des émissions non couvertes par le SEQE, avec l’obligation de respecter les plafonds nationaux.
Le SEQE a été introduit par la directive 2003/87/EC avec des dispositions valables pour la période 2005-2012, tandis que la directive 2009/29/EC a prolongé sa validité jusqu’à 2020 en introduisant de nouvelles dispositions (voir ci-dessous). Le SEQE concerne environ 11 500 établissements, appelés « installations SEQE », couvrant un peu plus de 40% du total des émissions de GES dans l’UE. Les installations relevant du régime du SEQE se situent dans des secteurs industriels tels que l’acier, le ciment, le verre, la céramique et le papier, ainsi que dans le secteur de l’énergie auquel appartiennent les centrales électriques et les raffineries. Les émissions non couvertes par le SEQE, relevant de la responsabilité nationale, sont principalement liées aux transports et aux combustibles de chauffage (Figure 1).
Les politiques énergétiques de l’UE sont fondées sur les trois piliers définis dans le premier Livre vert de 1995 : sécurité d’approvisionnement, compétitivité et protection environnementale[1]. Le plus spécifique des trois piliers est celui de la sécurité énergétique, mais, au cours des 20 dernières années, la promotion du marché et la réduction de l’empreinte environnementale ont été des préoccupations de première importance. Les politiques habituelles favorisant d’une part le développement des sources d’énergie renouvelables (SER) et d’autre part l’efficacité énergétique, en vue d’assurer la sécurité énergétique, ont particulièrement été renforcées par les synergies mises en place en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
S’agissant des sources d’énergies renouvelables (SER), le Livre vert : Énergie pour l’avenir : les sources d’énergie renouvelables (1996) avait déjà souligné leur importance dans le processus de limitation des émissions de CO2. À cette fin, « Fixer un objectif ambitieux mais réaliste pour la Communauté pourrait aider à préciser les mesures politiques indispensables et à donner le nécessaire signal politique. Différentes options pour atteindre un tel objectif sont possibles, dont une amélioration significative dans la pénétration du marché par les énergies renouvelables obtenue par le doublement de leur contribution à la consommation d’énergie primaire dans l’Union européenne d’ici 2010. Pour ce faire, l’Union européenne et les États membres devront prendre d’importantes mesures de promotion des sources d’énergies renouvelables afin de porter à cette date leur contribution au niveau de 12% de la consommation énergétique intérieure brute[2]».
Ces propositions se sont transformées en initiatives concrètes en 2001 et 2003 avec deux directives concernant l’utilisation des SER dans le secteur de l’électricité et du transport. La directive 2001/77/EC proposait d’atteindre une moyenne de 22% provenant des SER en 2010 pour l’UE, tout en imposant des objectifs nationaux indicatifs différents selon les EM (par exemple, 25% pour l’Italie). La directive 2003/30/EC, pour sa part, visait à « promouvoir l’utilisation de biocarburants ou d’autres carburants renouvelables pour remplacer le gazole ou l’essence à des fins de transport dans chaque État membre, en vue de contribuer à la réalisation d’objectifs consistant notamment à respecter les engagements en matière de changement climatique, à assurer une sécurité d’approvisionnement respectueuse de l’environnement et à promouvoir les sources d’énergie renouvelables[3] ». Le texte fixait pour objectif à tous les États membres l’objectif de remplacer « 5,75% de la quantité totale d’essence et de gazole mise en vente sur leurs marchés à des fins de transport, pour le 31 décembre 2010 au plus tard[4] » (Figure 2).
La promotion de l’efficacité énergétique a également justifié de nombreuses mesures. Parmi celles-ci, la directive 2004/8/EC avait pour objectif d’augmenter la production conjointe d’électricité et de chaleur : « Étant donné les bénéfices potentiels de la cogénération en termes d’économies d’énergie primaire dans la prévention de pertes de réseaux et de réduction des émissions, en particulier de gaz à effet de serre, la promotion de la cogénération sur la base de la demande de chaleur utile constitue une priorité communautaire[5] », conformément au point n°1 de la directive. Dans la continuité, la directive 2006/32/EC présentait l’efficacité énergétique comme une obligation pour les États membres, qui devaient élaborer un plan d’action visant à « réaliser un objectif indicatif national global en matière d’économies d’énergie fixé à 9% pour la neuvième année d’application[6] ». Là encore, l’une des principales raisons avancées pour justifier cette politique était la suivante : « Une amélioration de l’efficacité énergétique au stade de l’utilisation finale contribuera également à réduire la consommation d’énergie primaire, à limiter les émissions de CO2 et d’autres gaz à effet de serre et, partant, à prévenir un changement climatique dangereux », conformément au point n°2.
Les exemples et déclarations cités ci-dessus confirment sans l’ombre d’un doute qu’il y a eu convergence entre les politiques énergétique et environnementale pour répondre aux inquiétudes liées au changement climatique.
2. Le paquet climat-énergie pour 2020
La convergence des politiques énergétique et climatique existantes a été officiellement reconnue par le Conseil européen des 8 et 9 mars 2007[7]. Lors de cette réunion, le Conseil a approuvé « une politique climatique et énergétique intégrée » fondée sur un plan d’action pour une « politique énergétique pour l’Europe[8]», qui contient le paquet climat-énergie synthétisé par les trois objectifs appelés par la suite : objectifs 20-20-20 pour 2020, soit :
- réduire de 20% les émissions de GES par rapport à 1990 ;
- atteindre l’objectif d’économiser 20% de la consommation énergétique européenne par rapport aux prévisions pour 2020 ;
- adopter l’objectif contraignant d’utiliser 20% d’énergies renouvelables dans la consommation totale d’énergie de l’UE d’ici 2020 (Figure 3).
Il a fallu du temps pour que les décisions prises par le Conseil européen en mars 2007 se traduisent en engagements formels, en raison du processus de codécision entre le Conseil et le Parlement européens en ce qui concerne l’adoption des directives. En outre, certaines caractéristiques opérationnelles importantes, telles que la répartition de l’effort entre tous les pays membres, n’avaient pas encore été convenues. Ce processus s’inscrit dans la continuité des directives précédentes, mais il a également entraîné des changements majeurs.
En concrétisant l’objectif de réduction des émissions, la distinction entre SEQE et non-SEQE a été maintenue. Les secteurs du SEQE étaient tenus de consentir un effort plus important (-21% par rapport à 2005) que les secteurs hors SEQE (-10% par rapport à 2005). Les efforts des secteurs non couverts par le SEQE ont ensuite été répartis entre les États membres dans le cadre de « l’accord de partage de l’effort ». La base utilisée pour établir le partage de l’effort est le revenu par habitant, avec une limite supérieure de réduction pour les pays dont le PIB par habitant est supérieur à la moyenne européenne ou une augmentation des émissions pour ceux dont le PIB par habitant est inférieur à la moyenne européenne, augmentation pouvant atteindre 20% (Tableau 1).
Tableau 1 : Limites d’émissions dans les secteurs hors SEQE pour chaque État membre en 2020, par rapport à 2005
EM ayant pour objectif de réduire ses émissions |
EM ayant la possibilité d’accroître ses émissions |
||
Luxembourg | -20 % | Bulgarie | +20 % |
Danemark | -20 % | Roumanie | +19 % |
Irlande | -20 % | Lettonie | +17 % |
Suède | -17 % | Lituanie | +15 % |
Autriche | -16 % | Pologne | +14 % |
Finlande | -16 % | Slovaquie | +13 % |
Pays-Bas | -16 % | Estonie | +11 % |
Royaume-Uni | -16 % | Hongrie | +11 % |
Belgique | -15 % | République Tchèque | +9 % |
Allemagne | -14 % | Malte | +5 % |
France | -14 % | Slovénie | +4 % |
Italie | -13 % | Portugal | +1 % |
Espagne | -10 % | ||
Chypre | -5 % | ||
Grèce | -4 % | ||
Source : JO, L 140 5.6.2009. |
En ce qui concerne les secteurs du SEQE, la directive 2009/29/EU a introduit de nombreuses nouveautés, en plus de prolonger le régime des permis jusqu’en 2020. Parmi celles-ci, les plus importantes sont la fin de la délivrance de permis selon différents critères nationaux, et la diminution progressive des permis délivrés gratuitement aux entreprises, avec une augmentation correspondante des permis d’émission vendus aux enchères. Ce dernier point a toujours suscité un profond désaccord entre le monde industriel et la Commission européenne. Les entreprises sujettes au SEQE ont toujours soutenu que les coûts de production plus élevés causés par l’achat de permis, en plus des coûts accrus pour l’achat d’énergie, nuiraient à leur compétitivité internationale. Elles seraient par conséquent amenées à délocaliser leur production vers des pays sans restriction des émissions, ce qui les exposerait au risque de fuite de carbone avec le résultat d’augmenter plutôt que de réduire les émissions totales, du fait des technologies plus polluantes utilisées ailleurs.
Des recherches effectuées par la Commission européenne ont cependant permis de conclure que l’effet de la délocalisation de la production due au SEQE a été jusqu’en 2013 inexistant ou très limité[9]. Toutefois, d’autres études montrent que l’impact en matière d’émissions pourrait être important à long terme, jusqu’à 28% sur la période 2015-2050[10]. Malgré ces résultats, la nouvelle directive SEQE a ordonné que les zones exposées à des fuites de carbone continuent à recevoir des permis d’émission gratuits, mais en quantité plus modeste.
L’augmentation de l’efficacité énergétique de 20% était l’objectif le plus difficile à concrétiser par un engagement bien défini. Suivant le lancement du paquet climat-énergie, l’UE a rapidement adopté un certain nombre de mesures pour promouvoir l’efficacité énergétique dans plusieurs secteurs : les normes d’écoconception applicables aux produits liés à l’énergie (directive 2009/125/EC), les normes de performance en matière d’émissions pour les voitures particulières neuves (règlement EC n° 443/2009) et les nouvelles normes de performance énergétique pour les bâtiments (directive 2010/31/EU). Cependant, il était plus difficile de rédiger et d’approuver une directive spécifique visant à se conformer à l’objectif de réduction de 20% de la consommation d’énergie. La raison en était la difficulté de déterminer l’objectif global et encore plus d’indiquer l’objectif pour chaque EM (Figure 4). Finalement, la directive 2012/27/UE a déclaré : « En 2020, la consommation d’énergie de l’Union ne doit pas dépasser 1 474 Mtep d’énergie primaire ou 1 078 Mtep d’énergie finale[11] » et : « Chaque État membre fixe un objectif indicatif national d’efficacité énergétique, fondé soit sur la consommation d’énergie primaire ou finale, soit sur les économies d’énergie primaire ou finale, soit sur l’intensité énergétique ».
L’objectif de 20% de la consommation d’énergie de l’UE et de 10% de la consommation de carburant pour les transports en 2020 qui seront couverts par les SER est régi par la directive 2009/28/EC. Contrairement au cas de la directive sur l’efficacité énergétique, il a été possible de passer « d’objectifs indicatifs » à des « objectifs contraignants » et de fixer des quotas pour chaque EM (Tableau 2). Cela ne veut pas dire que la « décision de partage » était simple. Les difficultés et les éléments qui ont été pris en considération sont expliqués dans la directive :
« Les situations de départ, les possibilités de développer l’énergie provenant de sources renouvelables et les bouquets énergétiques diffèrent d’un État membre à l’autre. Il importe donc de traduire l’objectif d’une part de 20 % dans la consommation d’énergie de la Communauté en objectifs spécifiques à chaque État membre, en respectant une répartition juste et appropriée qui tienne compte des disparités concernant les situations de départ et le potentiel de chaque État membre, y compris le niveau actuel de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et le bouquet énergétique existant. Pour ce faire, il convient de répartir l’effort d’augmentation totale requise de l’utilisation de l’énergie provenant de sources renouvelables entre les États membres, sur la base d’une augmentation égale de la part de chacun d’entre eux, pondérée en fonction de leur PIB, puis modulée pour tenir compte de leurs situations de départ, et comptabilisée en termes de consommation finale brute d’énergie, en tenant dûment compte des efforts que les États membres ont consentis par le passé afin de recourir aux énergies produites à partir de sources renouvelables[12] » (conformément au point n°15).
« En revanche, il convient de fixer le même objectif de 10 % de la part de l’énergie produite à partir de sources renouvelables dans le secteur des transports pour tous les États membres, afin de garantir l’uniformité des spécifications applicables aux carburants destinés aux transports et leur disponibilité » (conformément au point n°16).
Quant au contenu de cette directive, trois aspects importants sont à noter :
- la directive prévoit que les États membres élaborent un plan d’action national pour l’efficacité énergétique, illustrant la marche à suivre par chaque EM pour atteindre l’objectif fixé ;
- la directive rappelle que l’encadrement communautaire des aides d’État pour la protection de l’environnement « reconnaît la nécessité de maintenir des mécanismes nationaux de soutien pour la promotion de l’énergie produite à partir de sources renouvelables » ; cette clarification est nécessaire parce que l’attribution d’une exigence quantitative qui ne sera pas satisfaite spontanément implique la reconnaissance explicite ou implicite d’une incitation financière aux producteurs[13] ;
- la directive prévoit la possibilité d’un transfert statistique entre EM d’une certaine quantité d’énergie renouvelable et la réalisation de projets communs ou la mise en commun de régimes de soutien. Cette disposition s’explique par le fait que les objectifs nationaux sont susceptibles d’entraver la création d’un marché unique des SER et de conduire à une réalisation inefficace de l’objectif.
Tableau 2 : Objectifs de parts d’énergie provenant de sources renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie en 2020
Part en 2005 | Objectif pour 2020 | Part en 2005 | Objectif pour 2020 | ||
Suède | 39.8 % | 49 % | Pologne | 7.2 % | 15 % |
Lettonie | 32.6 % | 40 % | Grèce | 6.9 % | 18 % |
Finlande | 28.5 % | 38 % | Slovaquie | 6.7 % | 14 % |
Autriche | 23.3 % | 34 % | République Tchèque | 6.1 % | 13 % |
Portugal | 20.5 % | 31 % | Allemagne | 5.8 % | 18 % |
Estonie | 18.0 % | 25 % | Italie | 5.2 % | 17 % |
Roumanie | 17.8 % | 24 % | Hongrie | 4.3 % | 13 % |
Danemark | 17.0 % | 30 % | Irlande | 3.1 % | 16 % |
Slovénie | 16.0 % | 25 % | Chypre | 2.9 % | 13 % |
Lituanie | 15.0 % | 23 % | Pays-Bas | 2.4 % | 14 % |
France | 10.3 % | 23 % | Belgique | 2.2 % | 13 % |
Bulgarie | 9.4 % | 16 % | Royaume-Uni | 1.3 % | 15 % |
Espagne | 8.7 % | 20 % | Luxembourg | 0.9 % | 11 % |
UE | 8.5 % | 20 % | Malte | 0.0 % | 10 % |
Source : Annexe I de la directive 2009/28/EC |
3. Le cadre des politiques climatique et énergétique à l’horizon 2030
Le secteur énergétique repose sur des investissements dont la mise en œuvre est souvent longue et qui, une fois réalisés, ont une durée de vie utile considérable, ce qui est le cas des centrales électriques construites pour être opérationnelles pendant plusieurs décennies. Pour cette raison, si les décideurs politiques veulent offrir des informations utiles aux investisseurs, ils doivent soumettre leurs intentions bien avant la date limite. C’est dans cet esprit qu’au début de l’année 2013, la Commission européenne a lancé la discussion sur le cadre politique pour le climat et l’énergie à l’horizon 2020-2030 avec un Livre vert intitulé Un cadre pour les politiques en matière de climat et d’énergie à l’horizon 2030 (GP2013) et a formulé, début 2014, un premier ensemble de propositions pour guider la confrontation entre EM au cours des mois suivants (Figure 5).
Le GP2013 déclare entre autres : « Le cadre à l’horizon 2030 doit tirer les leçons du cadre actuel : ce qui a fonctionné, ce qui n’a pas fonctionné et ce qui peut être amélioré. Il doit également tenir compte des développements internationaux et dynamiser l’action internationale concernant le climat. Il doit également définir la meilleure façon de maximiser les synergies et de gérer les compromis entre les objectifs de compétitivité, de sécurité d’approvisionnement et de durabilité[14]». La Commission, au lieu d’insister sur les synergies, reconnaît explicitement, peut-être pour la première fois, l’existence de conflits entre les trois piliers de la politique énergétique de l’UE qui existe depuis des décennies (compétitivité, sécurité des approvisionnements et durabilité). Ainsi, le GP2013 reconnaît que les conditions générales ont changé depuis l’approbation du paquet climat-énergie pour 2020 : la crise économique et la perte de compétitivité de l’UE sont préoccupantes. La faible adhésion de la communauté internationale aux politiques de l’UE en matière de lutte contre le changement climatique est tout aussi alarmante.
Le GP2013 possède bien d’autres mérites : il tente une évaluation objective des résultats obtenus à ce jour, indique les questions qui restent ouvertes et pose quelques questions concernant les objectifs et les instruments utilisés pour les atteindre.
À propos de ces objectifs, la question fondamentale est la suivante : devons-nous nous fixer pour 2030 comme seul objectif la limitation des émissions de gaz à effet de serre, ou devrions-nous continuer avec des objectifs multiples tout en reconnaissant explicitement leurs interactions ? Cela soulève d’autres questions : une fois les objectifs choisis, quelles valeurs voulons-nous adopter ? Ces objectifs doivent-ils être fixés seulement au niveau de l’UE ou pour chaque EM ? Doivent-ils être contraignants ou seulement indicatifs ?
Vient ensuite le problème des instruments à utiliser. À cet égard, le GP2013 pose la question des outils les plus appropriés pour chaque objectif, compte tenu de l’importance d’éviter la fragmentation du marché intérieur.
Entre la publication du GP2013 et les propositions qui en ont résulté, la Commission a publié d’autres documents intéressants qui fournissent des indications importantes pour la définition des politiques climat-énergie à l’horizon 2030. L’un d’entre eux est la communication intitulée « réaliser le marché intérieur de l’électricité et tirer le meilleur parti de l’intervention publique[15] » et les documents qui l’accompagnent. Cette communication rappelle que l’objectif initial de la politique européenne est la construction du marché interne de l’énergie et que l’intervention du gouvernement ne doit pas « perturber outre mesure les marchés[16]». De plus, la communication reconnaît que la stratégie suivie pour promouvoir les énergies renouvelables ne s’est pas faite sur la base du marché, ce qui a entraîné une fragmentation du marché national des SER, alors que « des gains compris entre 16 et 30 milliards d’euros sont à attendre pour la période 2015-2030 d’après un scénario d’investissement coordonné en faveur des énergies renouvelables, qui permettrait d’utiliser le marché intérieur de l’électricité en localisant la production d’électricité d’origine renouvelable là où elle est la plus efficace sur le plan de l’offre et de la demande[17]».
On peut donc espérer que les futurs régimes de soutien aux SER :
- deviennent véritablement « européens[18] » ;
- soient adaptés à l’évolution des circonstances, puisque les SER n’en sont plus à leurs débuts et ont des parts de marchés importantes[19] ;
- soient compatibles avec la suppression graduelle des prix de rachat qui protègent les producteurs d’énergies renouvelables des signaux de prix du marché[20].
Suite à la discussion lancée par le GP2013, la Commission a publié la communication intitulée « Un cadre d’action en matière de climat et d’énergie pour la période comprise entre 2020 et 2030 »[21] pour servir d’héritage de la Commission sortante à la nouvelle Commission et pour assister le nouveau Parlement européen et les États membres dans les décisions qui devaient être prises au cours des mois suivants. Les propositions avancées étaient variées, mais peuvent être résumées en les regroupant autour des trois objectifs traditionnels du 20-20-20 et de la nouvelle structure de gouvernance de la politique climat-énergie.
Concernant les émissions de GES, la Commission propose de fixer pour 2030 l’objectif contraignant d’une réduction de 40 %, par rapport à 1990 (ou 35 % par rapport à 2005), tout en maintenant la distinction entre les secteurs soumis au SEQE, qui nécessitent un effort plus conséquent (-43 % par rapport à 2005) et les secteurs hors SEQE (-30 %). Pour les secteurs concernés par le SEQE, une innovation importante est proposée pour la troisième période d’échanges (de 2021 à 2030) : une « réserve de stabilité » devrait permettre d’ajuster l’offre de quotas mis aux enchères à la baisse ou à la hausse en fonction des conditions du marché. Pour les secteurs hors SEQE, la Commission suggère de continuer à fixer un objectif contraignant de réduction pour chaque EM et de répartir les efforts nationaux en tenant compte des effets de la réduction des GES sur la répartition des émissions, ce qui signifie que les pays dont le revenu par habitant est inférieur à la moyenne devraient bénéficier d’objectifs de réduction plus faibles.
En ce qui concerne la part des énergies renouvelables, la Commission propose de définir un objectif global pour l’UE de 27% d’ici 2030. Les innovations importantes dans ce domaine ont un double impact : il n’y aura pas d’objectifs nationaux obligatoires et les transports n’auront plus d’objectif spécifique pour l’utilisation de biocarburants après 2020. La Commission déclare également que l’objectif de 27% est cohérent avec l’objectif de réduction des émissions de GES de 40% (ce qui signifie que l’objectif des SER est automatiquement atteint si les émissions de GES sont réduites de 40% en 2030) et que la part des SER dans la production d’électricité devrait passer des 21% actuels à 45% en 2030, ce qui signifie que le développement des SER se fera principalement dans le secteur de l’électricité.
Quant à l’efficacité énergétique, la Commission n’a pas fait de proposition explicite et a reporté la date de publication des résultats de l’examen de l’application de la directive 2012/27/UE dans les politiques nationales à 2014. Néanmoins, en plus de rappeler l’importance accordée à cet objectif en raison des nombreux avantages qu’il procure, la Commission déclare que, selon son analyse, l’objectif de réduction des émissions de GES de 40% en soi nécessitera une augmentation de l’efficacité énergétique de 25% en 2030. Par ailleurs, la Commission indique que : « l’évaluation portera également sur la question de savoir si le meilleur référentiel pour fixer l’objectif de 2030 consiste en des améliorations de l’intensité énergétique de l’économie et des secteurs économiques, ou en des économies d’énergie absolues, ou en une solution hybride[22]».
Finalement, la communication de la Commission propose en outre un nouveau système de gouvernance afin de garantir la réalisation des objectifs pour 2030. Il est attendu que les différents EM préparent des plans nationaux dans le cadre des objectifs et des règles fixées par l’UE. Ces plans sont ensuite transmis à la Commission pour examen de leur cohérence avec les objectifs européens globaux et feront éventuellement l’objet d’un processus de révision. Par la suite, une évaluation des progrès réalisés par les États membres est prévue au cours du semestre européen[23] ; elle portera probablement sur les politiques économiques et budgétaires qui ont fait l’objet d’un examen européen. La collecte systématique de données concernant les indicateurs clés pourra ensuite être utilisée pour indiquer si l’UE est sur la bonne voie pour atteindre ses objectifs.
Notes et références
[1] European Commission, For a European Union energy policy – Green paper, COM(94) 659 final, 23 février 1995.
[2] Communication de la Commission, Énergie pour l’avenir : les sources d’énergie renouvelables – Livre vert pour une stratégie communautaire, COM(96) 576, novembre 1996, 68 p. (p. 30).
[3] Directive 2003/30/CE du Parlement Européen et du Conseil du 8 mai 2003 visant à promouvoir l’utilisation de biocarburants ou autres carburants renouvelables dans les transports (JO L 123 du 17.5.2003, 8 p.) (p. 5).
[4] Buchan D., Keay M. (2014). The EU’s new energy and climate goals for 2030: under ambitious and over-bearing? OIES. www.oxfordenergy.org.
[5] Directive 2004/8/CE du Parlement Européen et du Conseil du 11 février 2004 concernant la promotion de la cogénération sur la base de la demande de chaleur utile dans le marché intérieur de l’énergie et modifiant la directive 92/42/CEE (JO L52/50 du 21.2.2004, 11 p.)
[6] Directive 2006/32/CE du Parlement Européen et du Conseil du 5 avril 2006 relative à l’efficacité énergétique dans les utilisations finales et aux services énergétiques (JO L 114/64 du 27.4.2006, 22 p.) (article 4, paragraphe 1).
[7] European Council (2007). Presidency Conclusions. 7224/07, 9.3.2007.
[8] European Commission: An energy policy for Europe, COM(2007) 1 final, 10.1.2007.
[9] Ecorys (2013). Carbon Leakage Evidence Project: Factsheet for selected sectors. https://ec.europa.eu/clima/sites/clima/files/ets/allowances/leakage/docs/cl_evidence_factsheets_en.pdf
[10] Paroussos L. et al. (2014). Assessment of carbon leakage through the industry channel: The EU perspective. Technol. Forecast. Soc. Change. DOI: 10.1016/j.techfore.2014.02.011.
[11] Directive 2012/27/UE du Parlement Européen et du Conseil du 25 octobre 2012 relative à l’efficacité énergétique, modifiant les directives 2009/125/CE et 2010/30/UE et abrogeant les directives 2004/8/CE et 2006/32/C (JO L 315/1 du 14.11.2012, 56 p.) (article 3.1).
[12] Directive 2009/28/UE du Parlement Européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/CE et 2003/30/CE
[13] De Paoli L., Lorenzoni A. (1999). Economia e politica delle fonti rinnovabili e della cogenerazione. Milano: F. Angeli. 1999
[14] European Commission, A 2030 framework for climate and energy- Green paper, COM(2013) 169 final, 27.3.2013 (p.3).
[15] European Commission, Delivering the internal electricity market and making the most of public intervention, C(2013) 7243) 5.11.2013.
[16] Hansen J et al. (2013). Assessing “Dangerous Climate Change”: Required Reduction of Carbon Emissions to Protect Young People, Future Generations and Nature.PLoS One, Vol. 8(12) e81648. DOI: 10.1371/journal.pone.0081648 (p.8).
[17] Hansen J et al. (2013). Assessing “Dangerous Climate Change”: Required Reduction of Carbon Emissions to Protect Young People, Future Generations and Nature.PLoS One, Vol. 8(12) e81648. DOI: 10.1371/journal.pone.0081648 (p. 12-13).
[18] Hansen J et al. (2013). Assessing “Dangerous Climate Change”: Required Reduction of Carbon Emissions to Protect Young People, Future Generations and Nature.PLoS One, Vol. 8(12) e81648. DOI: 10.1371/journal.pone.0081648 (p. 12).
[19] Hansen J et al. (2013). Assessing “Dangerous Climate Change”: Required Reduction of Carbon Emissions to Protect Young People, Future Generations and Nature.PLoS One, Vol. 8(12) e81648. DOI: 10.1371/journal.pone.0081648 (p. 5).
[20] Hansen J et al. (2013). Assessing “Dangerous Climate Change”: Required Reduction of Carbon Emissions to Protect Young People, Future Generations and Nature.PLoS One, Vol. 8(12) e81648. DOI: 10.1371/journal.pone.0081648 (p. 17).
[21] European Commission, A policy framework for climate and energy in the period from 2020 to 2030 , COM(2014) 15 final, 22.1.2014.
[22] IPCC (2013). Climate Change 2013, AR5, Summary for policymakers (SPM). http://www.climatechange2013.org/images/report/WG1AR5_SPM_FINAL.pdf.
[23] Il s’agit d’un système de coordination des politiques économiques et budgétaires des EM de lUE (p. 8).
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